- ➔ Réorienter le soutien public actuellement accordé à l’alimentation et à l’agriculture de façon à accroître les disponibilités en aliments nutritifs proposées aux consommateurs peut concourir à l’objectif d’une alimentation saine à la fois moins coûteuse et plus abordable, à l’échelle mondiale et en particulier dans les pays à revenu intermédiaire.
- ➔ On estime que réorienter les subventions existantes est la mesure qui offre la plus grande possibilité de renforcer l’abordabilité d’une alimentation saine, surtout si ces subventions sont transférées des producteurs aux consommateurs. Cette option fait baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine agricole, mais peut créer des déséquilibres au regard de la réduction de la pauvreté, du revenu agricole, de la production agricole totale et de la reprise économique.
- ➔ Faire évoluer les incitations par les prix à l’échelle mondiale en réorientant les mesures aux frontières et le contrôle des prix du marché peut aussi rendre l’alimentation saine moins coûteuse et plus abordable, quoique dans une moindre mesure comparé au transfert des subventions des producteurs aux consommateurs. Cette option permet de faire baisser les émissions de GES d’origine agricole tout en évitant les déséquilibres potentiels, de façon générale.
- ➔ Lorsqu’ils réorientent le soutien public pour réduire le coût d’une alimentation saine, les responsables politiques doivent éviter les déséquilibres générateurs d’inégalités qui peuvent apparaître si les agriculteurs ne sont pas en mesure de se spécialiser dans la production d’aliments nutritifs en raison de contraintes liées aux ressources. Ce pourrait être notamment le cas des petits exploitants, des femmes et des jeunes.
- ➔ Pour tirer parti des possibilités que pourrait offrir en pratique une réorientation des mesures aux frontières, du contrôle des prix du marché et des subventions à l’échelle mondiale, les pays devront tenir compte des engagements qu’ils ont pris et des flexibilités dont ils bénéficient au titre des règles de l’OMC.
- ➔ Là où l’agriculture reste un secteur clé pour l’économie, l’emploi et les moyens d’existence – dans les pays à faible revenu, principalement, mais aussi dans certains pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure –, il sera primordial d’accroître les dépenses publiques et de les affecter en priorité à la fourniture d’un soutien aux services d’intérêt général. Il s’agit d’un moyen efficace de combler les déficits de productivité de la production d’aliments nutritifs et de permettre la génération de revenus en vue de renforcer l’abordabilité d’une alimentation saine. Cependant, l’accroissement de ce type de soutien dans ces pays nécessitera un volume important de financement pour le développement.
- ➔ D’autres politiques essentielles relatives aux systèmes agroalimentaires seront nécessaires pour compléter les mesures de réorientation, afin de faire évoluer les chaînes d’approvisionnement alimentaire, les environnements alimentaires et les comportements des consommateurs et de permettre ainsi l’adoption d’habitudes alimentaires saines. Il pourra s’agir, par exemple, de politiques de reformulation et d’enrichissement des aliments, de réglementation de l’étiquetage et du marketing des produits alimentaires, de taxation des aliments à densité énergétique élevée et d’approvisionnement institutionnel en aliments sains.
- ➔ De surcroît, des politiques de protection sociale pourraient être nécessaires pour atténuer les déséquilibres que les réorientations sont susceptibles d’entraîner, notamment les pertes de revenus à court terme ou les effets préjudiciables sur les moyens d’existence, en particulier concernant les populations les plus vulnérables. Des politiques portant sur le système des services de santé seront de même cruciales pour garantir l’accès aux services de nutrition essentiels qui protègent la santé des groupes vulnérables et de la main-d’œuvre du secteur de l’alimentation et de l’agriculture, ainsi que pour assurer la sécurité sanitaire des aliments.
- ➔ Des politiques en matière d’environnement, de transport et d’énergie seront absolument nécessaires pour renforcer les résultats positifs engendrés par les initiatives de réorientation du soutien public, dans les domaines de l’efficience, de l’égalité, de la nutrition, de la santé, de l’atténuation du changement climatique et de l’environnement.
- ➔ Le degré de réussite de la réorientation du soutien dépendra en outre du contexte politique et social, de la gouvernance, de l’équilibre ou du déséquilibre des pouvoirs et des différents intérêts, des idées et de l’influence des parties prenantes, de la concentration de la puissance commerciale, et des mécanismes de gouvernance et des cadres réglementaires mis en place pour faciliter le processus de réforme et prévenir et gérer les conflits.
- ➔ Compte tenu de la diversité des contextes politiques des différents pays, il sera essentiel, dans le cadre des initiatives de réorientation, de disposer d’institutions fortes aux niveaux local, national et mondial, mais aussi d’inciter les parties prenantes du secteur public, du secteur privé et des organisations internationales à adhérer à ces initiatives, et d’obtenir leur participation effective. La participation des PME et des groupements de la société civile jouera un rôle clé dans le rééquilibrage des rapports de force au sein des systèmes agroalimentaires.
- ➔ Les mécanismes de suivi et d’évaluation seront particulièrement importants pour garantir l’application des principes de responsabilité et déterminer les améliorations à apporter en matière de réorientation du soutien, à condition d’être appuyés par l'élaboration et la mise à jour des données et un examen rigoureux modélisé.
Pour décider des réformes à opérer en matière de soutien à l’alimentation et à l’agriculture pour augmenter l’abordabilité d’une alimentation saine, et de la manière de les mener, il faut déterminer soigneusement les effets et déséquilibres potentiels que peuvent engendrer les différentes panoplies de mesures. Cette étape est essentielle pour éclairer les décisions en matière d’action publique et trouver un équilibre adéquat entre les différentes dimensions du développement durable.
Les pouvoirs publics pourront considérer la réorientation d’une partie du soutien qu’ils accordent au secteur de l’alimentation et de l’agriculture comme un moyen: i) d’améliorer l’efficience des systèmes agroalimentaires, en assurant l’impartialité et l’inclusion de l’ensemble des acteurs qui souhaitent bénéficier de ces politiques reconfigurées (équité); ii) d’augmenter les disponibilités en aliments nutritifs et de réduire le coût de ces derniers, ce qui aura pour effet d’accroître leur abordabilité pour les populations et l’accès de celles-ci à une alimentation saine; et iii) d’inciter fortement à réduire les émissions de GES, à s’adapter au changement climatique et à gérer les ressources naturelles durablement, dans les limites de ce que la planète peut supporter.
Pour tirer parti de ces possibilités, il faudra toutefois adopter une approche systémique. En d’autres termes, des politiques et des incitations supplémentaires, dont certaines pourront se rapporter à d’autres systèmes, devront venir compléter de manière cohérente les initiatives visant à réorienter le soutien accordé à l’alimentation et à l’agriculture. Pour l’essentiel, l’efficacité de la panoplie de mesures dépendra du contexte des pays (différents facteurs, tels que les confits, les extrêmes climatiques et la variabilité du climat, et les fluctuations économiques, pouvant être à l’origine de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition), des caractéristiques structurelles (niveau de revenu, inégalités, ressources naturelles disponibles, position commerciale nette, etc.), et des considérations d’économie politique et de la faisabilité.
4.1 Quels sont les effets potentiels d’une réorientation du soutien apporté à l’alimentation et à l’agriculture pour réduire le coût des aliments nutritifs?
Des études récentes montrent que la réaffectation du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture peut déboucher sur une amélioration des résultats, mais aussi sur des déséquilibres potentiels dans plusieurs domaines importants pour le développement durable, qu’il convient de bien appréhender222. Compte tenu des enjeux, ces études se sont appuyées pour la plupart sur des simulations modélisées; en outre, étant donné que la majeure partie du soutien public va aux agriculteurs, elles ont été axées principalement sur le soutien à l’agriculture – plutôt que sur le soutien à l’alimentation et à l’agriculture.
Pour réorienter le soutien public, il convient de comprendre ce qui se passerait s’il était alloué différemment – les effets directs, mais aussi indirects, sur l’économie entière. La réaffectation de dépenses publiques à des investissements qui accroissent la productivité dans les secteurs agricoles, par exemple, influerait directement sur la production de ces derniers. Elle aurait aussi des effets indirects du fait des liens productifs entre ces secteurs et d’autres pans de l’économie, à commencer par l’industrie alimentaire. Certains secteurs agricoles participent également aux échanges commerciaux internationaux. La demande d’intrants agricoles émanant des agriculteurs dans les secteurs encouragés par ce type d’investissements augmenterait, de même que leur demande finale de produits alimentaires, étant donné qu’ils sont aussi des consommateurs. Ces imbrications justifient d’analyser les options en matière de réorientation du soutien alimentaire et agricole à l’aide de simulations fondées sur des modèles d’équilibre général calculable (EGC)223.
La plupart des études reposant sur ce type de modèles ont également été axées sur les moyens de réformer ou de réorienter le soutien à l’agriculture en vue d’obtenir de meilleurs résultats en matière de climat et d’environnement. Dans ces études, les simulations fondées sur des modèles globaux ne font pas seulement apparaître le lien entre le soutien à l’agriculture et les émissions de GES, elles montrent également que la réorientation de ce soutien peut déboucher sur des réductions des émissions. Toutefois, ces analyses font aussi apparaître d’importants déséquilibres, par exemple au regard de la production agricole, du revenu agricole et de l’efficience économique. Bien que ces études apportent plusieurs éclairages importants sur l’abordabilité d’une alimentation saine4,224,225,226, elles n’en font pas une question centrale.
La suppression du soutien à l’agriculture n’est pas une option envisageable
Les analyses modélisées globales mettent en garde sur le fait que la suppression pure et simple du soutien à l’agriculture n’est pas une option1,227. Un scénario aussi radical pourrait déboucher sur une certaine réduction des émissions de GES d’origine agricole, et sur des gains d’efficience et des gains économiques nets à l’échelle mondiale, mais aurait un coût socioéconomique et humain considérable pour la société. Les contreparties pourraient comprendre des diminutions notables de la production végétale et animale et de l’emploi agricole.
L’une de ces études227 a examiné l’effet d’une suppression du soutien à l’échelle mondiale sur la consommation, sur les décès liés à l’alimentation et sur l’excès pondéral et l’obésité d’ici à 2030. L’évolution de la consommation suivait celle de la production, mais était également influencée par celle des échanges et des prix des produits. Les disponibilités par habitant de fruits, de légumes et autres produits horticoles destinés à la consommation diminuaient dans toutes les régions, tout comme l’apport énergétique total. Parallèlement à cette évolution, les projections indiquaient une augmentation nette de la mortalité liée à l’alimentation, principalement corrélée à la réduction des disponibilités de fruits et de légumes destinés à la consommation, mais légèrement compensée par un recul de l’excès pondéral et de l’obésité. Par ailleurs, cette même étude mettait également en évidence les effets défavorables de l’augmentation de la mortalité sur l’offre de main-d’œuvre et le bien-être économique.
La réaffectation du soutien à l’agriculture est une option
Un autre constat important qui ressort des études récentes est que la modification de la composition du soutien à l’agriculture dans le cadre de sa réorientation permettrait d’obtenir des résultats bénéfiques tout en limitant les déséquilibres. L’une d’elles examine4 un scénario modélisé dans lequel tous les pays réorientent de manière concertée les subventions actuellement couplées à la production vers des paiements conditionnels aux agriculteurs qui augmentent leur productivité et qui adoptent des technologies à faibles émissions, tout en ajoutant un soutien public à la recherche-développement consacrée à ces technologies et à l’amélioration des infrastructures. Un tel scénario contribuerait non seulement à diminuer les émissions de GES imputables à la production agricole et au changement d’affectation des terres, mais aussi à augmenter les rendements à l’échelle mondiale, à faire baisser les prix des produits alimentaires, à améliorer les revenus agricoles dans les pays en développement, à faire reculer la pauvreté et la faim et, accessoirement, à réduire le coût d’une alimentation saine pour les populations pauvres.
Une autre étude227 utilisant un cadre de modélisation similaire a montré qu’à l’échelle mondiale, plusieurs réformes pourraient déboucher sur une diminution des émissions de GES et une amélioration de la santé des populations sans réduire le bien-être économique. Ces options consistent entre autres à réorienter jusqu’à la moitié des subventions agricoles afin de soutenir la production d’aliments bénéfiques à la santé et à l’environnement, notamment les fruits, les légumes et autres produits horticoles.
Ces conclusions montrent qu’une réorientation intelligente du soutien actuel à l’agriculture peut contribuer à la durabilité environnementale du secteur, tout en concourant (de manière modérée) à la réduction de la pauvreté, à la sécurité alimentaire et à l’amélioration de la nutrition. Pour obtenir des résultats, il est essentiel de veiller à ce que la réorientation du soutien débouche sur des gains d’efficience notables – en augmentant les rendements et en réduisant l’intensité des émissions. Il est évident aussi que cette réorientation des mesures d’incitation dans le secteur agricole ne permettra pas de répondre complètement à tous les problèmes rencontrés dans les systèmes agroalimentaires.
Des études récentes, qui s’appuient elles aussi sur la modélisation, ont montré que la réorientation des subventions agricoles nationales – notamment celles qui sont couplées à la production, telles qu’elles sont définies au chapitre 3 – en vue d’améliorer les résultats en matière de nutrition, de santé et d’environnement pouvait faciliter les transitions vers une alimentation saine qui prennent en compte les questions de durabilité227,228.
Ainsi, on peut obtenir des résultats positifs en matière de santé humaine en augmentant la consommation d’aliments nutritifs tels que les fruits et les légumes, les fruits à coque, les graines et les légumes secs228. On constate que la réorientation des subventions, pour moitié ou en totalité, vers les aliments nutritifs permet d’éviter des centaines de milliers de décès liés à l’alimentation et de réduire les émissions de GES. La modélisation montre en outre que les variations de la demande d’eau, de terres, d’azote et de phosphore qui en résultent sont en général modestes, et qu’un changement des pratiques de gestion serait sans doute plus efficace pour modérer l’utilisation d’eau et de terres (réformes des subventions qui comprennent des incitations à adopter des pratiques de gestion durable, et qui encouragent à modifier la composition de la production). Ces études s’intéressent cependant uniquement aux subventions, et ne prennent pas en compte les autres instruments de soutien public.
Combler les déficits actuels de connaissances pour mieux comprendre la réorientation axée sur l’alimentation saine
Les analyses modélisées globales fournissent des éclairages importants pour la réorientation du soutien, mais elles ne nous aident pas à cerner plus précisément ce que les scénarios envisagés impliqueraient si l’on ajoutait à leurs objectifs principaux en matière d’action publique la réduction du coût des aliments nutritifs et l’accroissement de l’abordabilité d’une alimentation saine pour tous. Il est essentiel de combler ces déficits de connaissances afin d’éclairer la prise de décisions en matière de réorientation du soutien et de faire en sorte qu’il contribue à mettre un terme à la faim, à l’insécurité alimentaire et à toutes les formes de malnutrition en créant des synergies au regard d’autres objectifs de développement. Il est également important que les pouvoirs publics puissent comprendre de quelle manière, en des temps de faible croissance économique, comme aujourd’hui, les ressources publiques peuvent être dépensées judicieusement, avec le rapport coût-efficacité le plus élevé, pour améliorer la vie des populations tout en respectant la planète.
Le reste de la présente section expose une analyse inédite de scénarios modélisés de réorientation du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture spécialement élaborés pour ce rapport – scénarios qui se situent principalement à l’échelle mondiale, mais qui prennent également des exemples de pays. Elle aborde plusieurs questions essentielles: Quels effets, à la fois sur les modes de production et de consommation, pourrait avoir une allocation différente du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture, qui influerait sur le coût des aliments nutritifs (par rapport à d’autres aliments et aux revenus des personnes) et modifierait ainsi l’abordabilité d’une alimentation saine pour les populations? La réorientation donne-t-elle des résultats différents selon les groupes de pays? Quels déséquilibres pourraient survenir entre les différents objectifs de développement durable et les différentes séries de mesures, et de quelles autres panoplies de mesures dispose-t-on pour les éviter?
La réorientation pourrait ne pas être envisageable pour certains pays, notamment les pays à faible revenu, mais aussi certains pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure qui consacrent très peu de dépenses à l’alimentation et à l’agriculture, étant encore en train d’opérer leur transformation agricole. Pour ces pays, la question devient: «Jusqu’où» la réorientation pourrait-elle les mener? Les possibilités de réorienter (réallouer) les ressources dans ces pays risquent d’être limitées, mais on peut envisager une réforme des politiques et une utilisation plus efficiente et efficace de ces ressources. Comment ces pays peuvent-ils veiller à générer, par le soutien public, des synergies entre la transformation agricole et l’élargissement de l’accès à une alimentation saine?
Scénarios de réorientation du soutien en vue de réduire le coût et de renforcer l’abordabilité d’une alimentation saine, de manière durable et inclusive
Certaines des études mentionnées ci-dessus ont utilisé le modèle MIRAGRODEP, un modèle EGC fondé sur le modèle MIRAGE (Modelling International Relations under Applied General Equilibrium), pour évaluer les effets potentiels de la suppression du soutien à l’agriculture ou de sa réorientation. Ce modèle EGC, global, dynamique et récursif, qui couvre plusieurs régions et secteurs, relie le secteur agricole à l’économie dans son ensemble et capture les effets des changements de politique au niveau macroéconomique. Il a été élaboré à l’origine pour analyser les effets des politiques agricoles sur les émissions de GES229, puis a été étendu aux effets sur la nature, le climat, les aliments disponibles pour la consommation et la nutrition1,4,226,227.
Le modèle MIRAGRODEP a été encore étoffé pour le présent rapport afin de pouvoir analyser les effets potentiels d’une réorientation des politiques alimentaires et agricoles visant spécifiquement à réduire le coût d’une alimentation saine et à augmenter son abordabilité. Il repose en outre sur les données actualisées relatives au soutien apporté aux producteurs agricoles qui sont présentées au chapitre 3. Comme dans tous les modèles économiques, les résultats des simulations de changement de politiques dans le MIRAGRODEP sont fortement tributaires des hypothèses sous-jacentes et des données utilisées. Pour cette raison, l’analyse des scénarios présentés dans cette section est axée sur la direction des effets estimés et leur ampleur relative (plutôt que réelle). Il convient de ce fait de considérer que les résultats indiquent des effets probables. On trouvera dans le document d’information élaboré pour L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022230 une description plus détaillée de la manière dont ce modèle a été élargi pour ce rapport et des données utilisées; davantage d’informations techniques (notamment l’énoncé mathématique du modèle) sont en outre fournies dans Glauber et Laborde (à paraître)230.
L’analyse se fonde sur un scénario de référence qui couvre la période allant de 2017 à 2030 et qui reprend les projections démographiques publiées par l’ONU231 et les estimations actualisées de la croissance économique communiquées par le FMI232. Les statistiques récapitulatives découlant des projections du scénario de référence sont présentées dans Glauber et Laborde (à paraître)230. En substance, il s’agit d’un scénario de maintien du statu quo: il ne prévoit pas de changement dans le soutien apporté à l’alimentation et l’agriculture par l’ensemble des États du monde.
Des modifications ont été apportées aux instruments d’action publique du scénario de référence afin de créer cinq autres scénarios (voir le tableau 7). Les incitations par les prix (au moyen de mesures aux frontières et du contrôle des prix du marché), d’une part, et les subventions aux producteurs, d’autre part, ont été respectivement supprimées des deuxième et troisième scénarios. Dans les quatrième à sixième scénarios, le soutien public est réaffecté de différentes manières en vue de réduire le coût d’une alimentation saine et d’en accroître l’abordabilité. Les cinq scénarios supposent que l’ensemble des pays du monde appliquent simultanément le même changement de politiques – et ce même s’ils présentent des niveaux de développement, des structures économiques, des priorités et des systèmes politiques différents et, point important, des niveaux et des structures de soutien public différents.
Conformément aux définitions données dans Glauber et Laborde (à paraître)230, les variables clés relatives à la sécurité alimentaire, à la nutrition, à l’équité et au climat pour lesquelles des résultats sont présentés sont les suivantes:
- abordabilité d’une alimentation saine – mesure le pourcentage de la population qui peut se permettre une alimentation saine, telle que définie dans ce rapport (voir la section 2.3 et l’annexe 3);
- déficit de revenu à combler pour accéder à une alimentation saine – mesure l’écart moyen entre le coût d’une alimentation saine et les dépenses alimentaires de la population qui ne peut pas se permettre une telle alimentation;
- prévalence de la sous-alimentation (PoU) – mesure le pourcentage de la population sous-alimentée (voir la section 2.1 et l’annexe 1B);
- population vivant dans la pauvreté extrême (moins de 1,90 USD/jour) – mesure le pourcentage de la population vivant dans une pauvreté extrême;
- revenu agricole – mesure la valeur ajoutée réelle du secteur agricole;
- production agricole (en volume) – mesure le volume produit par l’agriculture;
- total des émissions de GES dues à l’agriculture, notamment aux changements d’affectation des terres (cumul pour la période 2025-2030) – mesure la valeur totale des émissions liées à la production et aux terres agricoles, cumulée sur cinq ans (2025-2030)ab.
Les résultats correspondant aux cinq scénarios sont communiqués sous la forme d’une variation en points de pourcentage par rapport au scénario de référence en 2030 pour ce qui concerne l’abordabilité d’une alimentation saine, le déficit de revenu à combler pour accéder à une alimentation saine, la PoU et la population vivant dans la pauvreté extrême. Concernant le revenu agricole, la production agricole et le total des émissions de GES dues à l’agriculture, y compris au changement d’affectation des terres, les résultats sont donnés sous la forme d’une variation en pourcentage par rapport au scénario de référence en 2030.
Arguments en faveur de la réorientation du soutien
Les résultats des deuxième et troisième scénarios – suppression du soutien aux frontières et du contrôle des prix du marché et suppression des subventions aux producteurs par rapport au scénario de référence, respectivement – confirment que la suppression pure et simple de ce soutien ne serait pas une option envisageable.
Si l’ensemble des mesures de soutien aux frontières et de contrôle des prix du marché touchant les produits agricoles – positivement ou négativement – sont supprimées à l’échelle mondiale, les importations agricoles s’accroissent, ce qui fait baisser les prix pour les consommateurs et les producteurs dans les pays importateurs de produits alimentaires, tandis que les prix des denrées alimentaires augmentent dans les pays exportateurs, dont les produits sont plus demandés. La baisse générale des prix agricoles contribue ensuite à faire reculer la sous-alimentation, à renforcer l’abordabilité d’une alimentation saine et à réduire le déficit de revenu à combler pour accéder à une alimentation saine, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (voir à l’annexe 6 le tableau A6.2).
Les émissions totales de GES d’origine agricole se réduisent aussi, mais ces avantages ne sont pas sans contreparties. L’extrême pauvreté dans le monde reste essentiellement au même niveau – et augmente en réalité dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. On note une nette diminution de la production agricole mondiale dans tous les pays sauf ceux à revenu élevé, et le revenu agricole chute dans les pays à revenu intermédiaire et les pays à faible revenu, lesquels accordent plutôt un soutien aux frontières que des subventions (voir à l’annexe 6 le tableau A6.2). La réduction du total des émissions de GES d’origine agricole s’explique par le recul de la production agricole dans les pays à revenu intermédiaire et les pays à faible revenu.
Les déséquilibres générés sont encore plus nets lorsque toutes les subventions octroyées individuellement aux producteurs – principalement dans les pays à revenu élevé et dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure – sont supprimées, et que tout le soutien restant, notamment les mesures aux frontières et le contrôle des prix du marché, demeure en place (voir à l’annexe 6 le tableau A6.3). Les effets sont particulièrement défavorables pour ce qui est du revenu et de la production agricoles, en particulier dans les pays à revenu élevé, mais la sécurité alimentaire et la nutrition à l’échelle mondiale risquent également de se dégrader. La chute de la production agricole mondiale entraîne une hausse des prix agricoles, laquelle, dans les pays à faible revenu, est relativement favorable à la production et au revenu agricoles et à la réduction de la pauvreté. Cela étant, la pauvreté gagne du terrain dans le monde, et l’effet conjugué du déclin du revenu agricole dans certains pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure en Asie et de la hausse des prix mentionnée ci-dessus fait augmenter la prévalence de la sous-alimentation et le coût des aliments nutritifs, diminuant ainsi l’abordabilité d’une alimentation saine, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. On note une réduction des émissions de GES d’origine agricole du fait de la diminution de la production agricole mondiale, mais les contreparties s’agissant de la sécurité alimentaire, de la nutrition et de l’équité viennent confirmer que l’élimination des subventions aux producteurs n’est pas une option envisageable.
Au vu de ces résultats, les responsables de l’élaboration des politiques pourront opter pour la réorientation du soutien à l’alimentation et l’agriculture plutôt que pour sa suppression. Ils devront déterminer les options dont ils disposent pour réorienter le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture en vue d’accroître l’abordabilité d’une alimentation saine. Il leur faudra notamment tenir compte des différents scénarios qui peuvent éclairer la prise de décisions en matière de réforme des politiques.
Scénarios de réorientation
Ces scénarios simulent la réaffectation des budgets qui financent actuellement le soutien aux producteurs agricoles au moyen de différents instruments d’action publique. La réorientation est effectuée pour tous les pays dans toutes les régions géographiques, et vise à réduire le coût d’une alimentation saine et à renforcer son abordabilité (voir le tableau 7). Elle est appliquée de façon linéaire entre 2023 et 2028, et ses effets sont examinés à l’horizon 2030, délai suffisant pour que les changements de politiques aient été mis en œuvre et que les marchés et les investissements aient été ajustés.
TABLEAU 7SCÉNARIOS ENVISAGÉS: MAINTIEN DU STATU QUO, ET SUPPRESSION OU RÉORIENTATION DU SOUTIEN APPORTÉ À L’ALIMENTATION ET L’AGRICULTURE
Les instruments d’action publique considérés sont les incitations par les prix au moyen de mesures aux frontières et du contrôle des prix du marché, les subventions octroyées individuellement aux producteurs, et les subventions accordées aux consommateurs (telles que définies à la section 3.1). L’objectif des politiques étant de réduire le coût d’une alimentation saine et d’en renforcer l’abordabilité – de manière durable et inclusive –, les scénarios de réorientation sont conçus de sorte que les produits alimentaires dont les niveaux de consommation sont faibles au regard des niveaux nutritionnels recommandés soient plus subventionnés que les autres. Les produits alimentaires sont classés comme étant «hautement prioritaires», «moyennement prioritaires» ou «faiblement prioritaires» en fonction de leur insuffisance dans les apports alimentaires, et le niveau cible du soutien est défini en conséquence. Dans la plupart des régions, les aliments hautement prioritaires comprennent les fruits et les légumes, les produits de la pêche et les produits laitiers (voir l’encadré 13).
ENCADRÉ 13CLASSIFICATION DES PRODUITS ALIMENTAIRES SELON LEUR PRIORITÉ – HAUTE, MOYENNE, FAIBLE – AUX FINS D’ACCROISSEMENT DE LEURS DISPONIBILITÉS CONFORMÉMENT AUX NIVEAUX NUTRITIONNELS RECOMMANDÉS
Le classement des produits alimentaires en fonction de leur contribution à une alimentation saine est un aspect essentiel de la conception des scénarios. Cela étant, on ne dispose pas de critères objectifs uniques pour définir une telle classification. De surcroît, les spécificités régionales, s’agissant non seulement des pratiques de production, mais aussi des habitudes alimentaires et des préférences culturelles, peuvent également avoir une incidence sur la classification.
Dans les trois scénarios de réorientation analysés dans la présente section, les produits agricoles sont classés en fonction du niveau de consommation actuel par habitant (corrigé pour tenir compte des pertes de produits alimentaires) dans chaque pays/région, par rapport au niveau préconisé pour ce pays ou cette région dans les recommandations nutritionnelles fondées sur le choix des aliments utilisées pour calculer le coût d’une alimentation saine (voir la section 2.3 et l’annexe 2E). Un produit est considéré comme «hautement prioritaire» si son niveau de consommation actuel est en moyenne inférieur à 80 pour cent du niveau recommandé pour avoir une alimentation saine à moindre coût. Il est «moyennement prioritaire» si son niveau de consommation actuel par habitant dans le pays/la région se situe entre 80 et 120 pour cent du niveau recommandé. Enfin, il est «faiblement prioritaire» si son niveau de consommation actuel par habitant dans le pays/la région est supérieur à 120 pour cent du niveau recommandé.
La figure A indique, pour différents groupes d’aliments, le pourcentage de régions où ils entrent dans les catégories «hautement prioritaire», «moyennement prioritaire» et «faiblement prioritaire». Les légumes et les fruits figurent dans les deux premières catégories dans plus de 95 pour cent des régions considérées. Les produits laitiers et les produits halieutiques sont également des groupes d’aliments hautement ou moyennement prioritaires. Les produits alimentaires faiblement prioritaires comprennent, dans certaines régions, les huiles végétales. Les céréales comme le riz, le blé et le maïs sont souvent classées dans la catégorie des produits alimentaires moyennement prioritaires.
FIGURE A CLASSIFICATION DES GROUPES D’ALIMENTS EN FONCTION DE LA CONSOMMATION PAR HABITANT ET DES RECOMMANDATIONS NUTRITIONNELLES RÉGIONALES
Le tableau A présente, pour chacun des scénarios de réorientation, l’évolution du ciblage du soutien aux aliments considérés comme étant «hautement prioritaires», «moyennement prioritaires» ou «faiblement prioritaires».
TABLEAU A ÉVOLUTION DU CIBLAGE DU SOUTIEN DANS LES SCÉNARIOS DE RÉORIENTATION POUR LES TROIS NIVEAUX DE PRIORITÉ DES GROUPES D’ALIMENTS
On a ajouté six indicateurs aux sept présentés plus haut afin d’examiner les effets de la réorientation sur le coût et l’abordabilité d’une alimentation saine et sur la consommation par habitant (corrigée pour tenir compte des pertes et du gaspillage) concernant les grands groupes d’aliments (voir les définitions données par Glauber et Laborde [à paraître]230) – le tout exprimé sous la forme d’une variation en pourcentage par rapport au scénario de référence en 2030:
- coût de l’alimentation réelle – mesure le coût de l’alimentation moyenne à partir des dépenses alimentaires nationales moyennes qui ressortent des données actuelles – il s’agit du coût qui est pris en compte dans le scénario de référence;
- coût d’une alimentation saine;
- consommation par habitant de produits laitiers (lait cru, lait transformé, fromage);
- consommation par habitant de graisses animales et d’huiles végétales;
- consommation par habitant de sucre et d’édulcorants;
- consommation par habitant de fruits et de légumes.
Les indicateurs de consommation par habitant correspondent aux groupes d’aliments dont la consommation actuelle par habitant dans chaque pays/région n’atteint pas encore le niveau préconisé pour ce pays/cette région dans les recommandations nutritionnelles fondées sur le choix des aliments utilisées pour calculer le coût d’une alimentation saine (voir la section 2.3, l’encadré 13 et l’annexe 2E). Dans les scénarios, toute augmentation de la production et des disponibilités pour ces groupes d’aliments résultant d’un changement de politiques se traduit par un accroissement de leur consommation aux fins d’équilibre entre l’offre et la demandeac. L’hypothèse est que les consommateurs seront disposés à absorber en totalité les disponibilités alimentaires accrues. En pratique, évidemment, il faudrait mettre simultanément en place d’autres politiques ciblant le comportement des consommateurs, comme cela est expliqué à la section 4.2.
Réorientation des incitations par les prix au moyen de mesures aux frontières et du contrôle des prix du marché en vue de soutenir une alimentation saine
Malgré une diminution au fil du temps, notamment dans les pays à revenu élevé, une grande partie du soutien public octroyé individuellement aux producteurs est encore fournie au moyen de mesures commerciales qui ont un effet de distorsion des prix (voir le chapitre 3). Pour certains produits, les mesures aux frontières et le contrôle des prix du marché créent des incitations qui sont susceptibles d’avoir une incidence à la fois sur les producteurs et sur les consommateurs. Leur modification peut en outre avoir des répercussions sur les recettes budgétaires (perte de recettes douanières en cas de réduction/suppression).
Dans le quatrième scénario, les mesures aux frontières et le contrôle des prix du marché sont supprimés ou réduits pour les produits dont les niveaux actuels de consommation dans chaque région sont faibles au regard des niveaux recommandés pour celle-ci. Tous les producteurs agricoles sont touchés – cultures végétales et produits de l’élevage, de la pêche et de l’aquaculture. Les aliments ciblés sont définis comme étant «hautement prioritaires» si leur consommation actuelle est inférieure à 80 pour cent du niveau de consommation recommandé pour la région en question. Dans ce scénario, la réduction du soutien aux frontières et du contrôle des prix du marché est de 100 pour cent pour les aliments «hautement prioritaires» et de 50 pour cent pour les aliments «moyennement prioritaires», et est nulle pour les aliments «faiblement prioritaires» (encadré 13).
S’agissant des produits prioritaires dans le cadre d’une alimentation saine, l’élimination ou la réduction du soutien aux frontières et du contrôle des prix du marché fait baisser le prix de ces produits, en particulier lorsque la protection aux frontières est élevée. Cela encourage a priori la consommation de ces produits dans les pays importateurs; dans le même temps, toutefois, les pays exportateurs font face à une hausse des prix sur leur marché intérieur du fait de l’accroissement de la demande internationale (tableau 8). Résultat, le pourcentage de la population pour laquelle une alimentation saine est abordable augmente à l’échelle mondiale (de 0,64 point de pourcentage en 2030, comparé au scénario de référence), tandis que le coût d’une alimentation saine baisse relativement plus que celui de l’alimentation moyenne (de 1,7 pour cent contre 0,4 pour cent, respectivement) (tableau 9)ad. On peut supposer que, du fait des disponibilités plus importantes de fruits et de légumes, de produits laitiers et en particulier de matières grasses et d’huilesae, la consommation de ces groupes d’aliments augmente. Dans la simulation, la réorientation fait diminuer de manière marginale le pourcentage de la population mondiale sous-alimentée dans tous les groupes de pays classés selon le revenu et dans toutes les régions géographiques.
TABLEAU 8EFFETS D’UNE RÉORIENTATION DES MESURES AUX FRONTIÈRES EN VUE DE SOUTENIR UNE ALIMENTATION SAINE, 2030 (VARIATION PAR RAPPORT AU SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE)
TABLEAU 9EFFETS SUR LE COÛT DE L’ALIMENTATION ET LA CONSOMMATION PAR HABITANT D’UNE RÉORIENTATION DES MESURES AUX FRONTIÈRES EN VUE DE SOUTENIR UNE ALIMENTATION SAINE, 2030 (VARIATION EN POINTS DE POURCENTAGE PAR RAPPORT AU SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE)
L’évolution vers une alimentation saine moins coûteuse et plus abordable s’accompagne d’un déclin de la production agricole mondiale, lequel se traduit à son tour par une réduction des émissions de GES d’origine agricole (tableau 8). Les émissions de GES chutent dans tous les groupes de pays, à l’exception de celui des pays à revenu élevé (où la production agricole augmente). Les autres incidences sont une petite augmentation du revenu agricole mondial (de 0,03 pour cent), encore que, dans le cas des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, où les mesures aux frontières et le contrôle des prix du marché entrent pour une part importante dans le soutien total à l’alimentation et l’agriculture, les effets sur le revenu agricole soient négatifs et supérieurs à la variation moyenne à l’échelle mondiale. L’incidence sur la pauvreté extrême est minime au niveau mondial; les faibles progrès dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure sont compensés par les reculs dans les autres groupes.
Réorientation des subventions aux producteurs en vue de soutenir une alimentation saine
Le cinquième scénario redistribue les subventions octroyées individuellement aux producteurs dans le scénario de base (tableau 7). Seules les activités de culture de végétaux et d’élevage sont considérées; les producteurs du secteur de la pêche et de l’aquaculture ne sont pas pris en compte faute de données suffisantes, ce qui peut avoir une incidence sur les résultats étant donné l’importance de la production de ces secteurs pour une alimentation saine (voir l’encadré 9). L’objectif étant de favoriser ce type d’alimentation, les producteurs d’aliments «hautement prioritaires» sont plus subventionnés que les autres (voir les définitions données à l’encadré 13). Compte tenu de cet objectif, un scénario de réorientation des subventions aux producteurs découplées de la production n’est pas envisagé, même si ce type d’aides pourrait avoir des incidences bénéfiques sur la production et les disponibilités d’aliments nutritifs.
La plupart des incidences directes de la redistribution des subventions aux producteurs sur le revenu agricole et la production devraient s’observer dans les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, qui sont ceux qui accordent le plus de subventions. Si cette redistribution favorise les aliments «hautement prioritaires», le revenu agricole diminue à l’échelle mondiale (de 0,94 pour cent en 2030 par rapport au scénario de référence); en revanche, la production agricole augmente légèrement (de 0,27 pour cent) (tableau 10).
TABLEAU 10EFFETS D’UNE RÉORIENTATION DES SUBVENTIONS ACCORDÉES AUX PRODUCTEURS EN VUE DE SOUTENIR UNE ALIMENTATION SAINE, 2030 (VARIATION PAR RAPPORT AU SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE)
L’augmentation globale de la production d’aliments «hautement prioritaires» fait baisser les prix de ces produits, ce qui favorise la consommation d’aliments nutritifs et débouche sur un accroissement de la part de la population mondiale qui peut se permettre une alimentation saine (de 0,81 point de pourcentage en 2030). Cette évolution est clairement observée dans tous les groupes de pays classés selon le revenu et toutes les régions géographiques (tableau 10). Le coût d’une alimentation saine diminue plus que celui de l’alimentation actuelle, car les subventions aux producteurs ciblent les aliments «hautement prioritaires» – la réorientation de l’instrument de soutien aux producteurs influe donc à la fois sur le prix au départ de l’exploitation, les coûts des producteurs et les prix à la consommation (tableau 11). Au niveau considéré d’augmentation de la production et de baisse des prix, la consommation de fruits et de légumes par habitant progresse à l’échelle mondiale (de 1,5 pour cent) dans tous les groupes de pays classés selon le revenu et dans toutes les régions géographiques.
TABLEAU 11EFFETS SUR LE COÛT DE L’ALIMENTATION ET LA CONSOMMATION PAR HABITANT D’UNE RÉORIENTATION DES SUBVENTIONS ACCORDÉES AUX PRODUCTEURS EN VUE DE SOUTENIR UNE ALIMENTATION SAINE, 2030 (VARIATION EN POURCENTAGE PAR RAPPORT AU SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE)
Dans la simulation, la réorientation des subventions accordées aux producteurs accroît plus fortement l’abordabilité d’une alimentation que la réorientation des mesures aux frontières et du contrôle des prix du marché (comparaison entre le tableau 10 et le tableau 8). Elle réduit également la part de la population mondiale vivant dans la pauvreté extrême et souffrant de sous-alimentation. Cela étant, l’importante contrepartie, que l’on n’observe pas dans le précédent scénario de réorientation, est que le total des émissions de GES d’origine agricole augmente (de 1,5 pour cent) – du fait de l’accroissement de la production agricole, notamment d’aliments à forte teneur en protéines, comme les produits laitiers, dont la consommation progresse pour atteindre les niveaux recommandés, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (voir le tableau 10)af.
L’annexe 6 présente les résultats d’une variante de ce scénario, qui vise à répartir plus équitablement les subventions aux producteurs, et qui élimine donc implicitement le biais en faveur des aliments hautement prioritairesag. Les résultats sont semblables à ceux présentés pour le cinquième scénario en ce qui concerne l’orientation; concernant l’ampleur, l’absence de ciblage des aliments «hautement prioritaires» implique que l’abordabilité d’une alimentation saine augmente un peu moins. Par ailleurs, le revenu agricole recule davantage, l’augmentation de la production agricole est plus importante et l’agriculture réduit ses émissions de GES, car ce scénario n’est pas conçu au premier chef pour accroître la production et les disponibilités de groupes d’aliments (produits laitiers, par exemple) conformément aux recommandations nutritionnelles (comparaison entre le tableau 10 et le tableau A6.4 figurant à l’annexe 6).
Transfert des subventions des producteurs aux consommateurs en vue de soutenir une alimentation saine
Le dernier scénario de réorientation s’intéresse à ce qui se passerait si tous les pays de toutes les régions convertissaient les subventions aux producteurs en subventions aux consommateurs d’aliments «hautement prioritaires» (voir le tableau 7). Dans ce scénario, les subventions qui étaient initialement accordées aux producteurs ne restent plus limitées au secteur agricole, même si elles concernent toujours le système agroalimentaire.
Lorsque l’on réoriente les subventions vers les consommateurs tout en continuant à cibler les aliments «hautement prioritaires», le coût d’une alimentation saine baisse de façon plus notable que dans les deux scénarios précédents, aussi bien en chiffres absolus (de 3,34 pour cent en 2030 par rapport au scénario de référence) qu’en comparaison avec le coût de l’alimentation moyenne (tableau 13). Le pourcentage de la population qui peut alors se permettre une alimentation saine augmente (de près de 0,8 point de pourcentage), mais légèrement moins que dans le scénario d’une réorientation des subventions aux producteurs, en raison de l’effet sur le revenu, expliqué ci-après (tableau 12). Les niveaux estimés de consommation par habitant de produits laitiers, de matières grasses et d’huiles, et de fruits et de légumes augmentent au niveau mondial, mais on observe des écarts entre les régions du fait de divergences dans les définitions des aliments «hautement prioritaires» (encadré 13). Les effets estimés les plus importants concernent la consommation par habitant de matières grasses et d’huiles, notamment dans les pays à revenu intermédiaire et dans les régions d’Asie.
TABLEAU 12EFFETS D’UNE RÉORIENTATION DES SUBVENTIONS AUX PRODUCTEURS VERS LES CONSOMMATEURS EN VUE DE SOUTENIR UNE ALIMENTATION SAINE, 2030 (VARIATION PAR RAPPORT AU SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE)
TABLEAU 13EFFETS SUR LE COÛT DE L’ALIMENTATION ET LA CONSOMMATION PAR HABITANT D’UNE RÉORIENTATION DES SUBVENTIONS AUX PRODUCTEURS VERS LES CONSOMMATEURS EN VUE DE SOUTENIR UNE ALIMENTATION SAINE, 2030 (VARIATION EN POURCENTAGE PAR RAPPORT AU SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE)
Les principaux effets de synergie positifs dans ce scénario sont la réduction des niveaux de pauvreté extrême et de sous-alimentation, due en partie à l’augmentation du revenu agricole dans les pays à faible revenu. De plus, les émissions mondiales de GES diminuent du fait de la baisse de la production agricole. En revanche, ce scénario est très pénalisant pour les producteurs, qui perdent leurs subventions. À l’échelle mondiale, le revenu et la production agricoles reculent (respectivement de 3,7 pour cent et 0,2 pour cent à l’horizon 2030 par rapport au scénario de référence) (tableau 12). Le revenu agricole subit la plus forte baisse relative dans les pays à revenu élevé (de 13,8 pour cent), mais il recule également dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et de la tranche inférieure. Rappelons que la plupart des subventions sont accordées dans les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure; la plupart des effets directs de leur transfert des producteurs aux consommateurs devraient donc être observés dans les pays de ces groupes.
Les pays à faible revenu occupent une place à part dans ce scénario, car ils profitent de la hausse de la demande des aliments nutritifs qu’ils produisent dans les pays où les consommateurs sont censés avoir désormais adopté une alimentation plus saine. Leur production et leurs revenus agricoles progressent (tableau 12). Cependant, les subventions publiques étant relativement peu importantes dans les pays à faible revenu, celles qui favorisent la consommation sont également négligeables, et ne peuvent compenser totalement la hausse des prix agricoles qui résulte de la demande croissante de leurs produits dans le reste du monde. Ainsi, d’après les estimations, le coût de l’alimentation actuelle et de l’alimentation saine augmente dans les pays à faible revenu (de 0,44 pour cent et de 0,20 pour cent, respectivement), en particulier en Afrique. Néanmoins, l’alimentation saine est plus abordable dans ces pays en raison de la hausse des revenus des consommateurs – mais, en pratique, cela risque de ne pas être le cas pour les ménages pauvres qui ont des revenus faibles, voire nuls.
Par rapport au scénario précédent, où les subventions étaient limitées au secteur agricole, le transfert des subventions des producteurs aux consommateurs évite l’augmentation des émissions de GES d’origine agricole; il implique cependant d’autres contreparties en ce qui concerne le revenu et la production agricoles dans les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et inférieure, et le coût de l’alimentation dans les pays à faible revenu, en particulier en Afrique. En outre, si dans le scénario précédent la consommation par habitant augmentait uniquement pour les fruits et les légumes à l’échelle mondiale, dans ce dernier scénario de réorientation, l’évolution des prix relatifs fait que la consommation par habitant de produits laitiers et de matières grasses et d’huiles progresse également; une hausse reste observée pour les fruits et les légumes, mais elle est considérablement moins importante qu’auparavantah.
Réorientation et reprise économique
Dans le cadre de la réorientation du soutien à l’alimentation et à l’agriculture, il faut également considérer la possibilité que, tandis que l’alimentation devient plus abordable pour tous, de manière durable et équitable, les pays puissent en outre connaître une reprise économique pérenne. Ce point est particulièrement important dans le contexte économique mondial actuel.
On ne peut pas dire avec certitude si le ciblage du soutien sur les aliments «hautement prioritaires» – voir la définition et les simulations présentées ci-dessus – limitera ou stimulera la croissance du PIB. En fait, le ciblage du soutien sur les aliments «hautement prioritaires» en vue de favoriser une alimentation saine pourrait impliquer une spécialisation dans la production de produits pour lesquels certains pays n’ont ni avantage comparatif ni avantage concurrentiel. L’évolution que suivraient les prix mondiaux et les positions commerciales pour des produits spécifiques pourrait déboucher sur des pertes de PIB dans certains pays ou certaines régions. On ne pourra s’appuyer en définitive que sur l’expérience.
La réduction des mesures aux frontières et du soutien des prix du marché s’agissant des produits agricoles dont la consommation est faible au regard des recommandations nutritionnelles entraîne incontestablement une augmentation du PIB pour tous les groupes de pays classés selon le revenu (figure 23) et toutes les régions (non illustré ici). Les résultats les plus notables sont observés dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où les mesures aux frontières entraînent souvent de grandes distorsions (voir la section 3.1).
FIGURE 23EFFETS SUR LE PIB DES ÉVOLUTIONS ENVISAGÉES DANS LES SCÉNARIOS DE RÉORIENTATION, 2030 (VARIATION EN POURCENTAGE PAR RAPPORT AU SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE)
La réorientation des subventions aux producteurs vers des produits dont la consommation est faible au regard des niveaux nutritionnels recommandés entraîne des pertes d’efficience dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure – notamment en Asie, où un soutien important est transféré vers une production moins efficiente. En conséquence, le PIB recule dans la région. Dans les pays à faible revenu, la perte d’efficience est minime, car il n’y a guère de soutien budgétaire à réorienter; cependant, ces pays pourraient voir leur PIB augmenter du fait de la hausse des prix agricoles et de l’accroissement de leurs exportations.
Le transfert des producteurs aux consommateurs des subventions relatives aux produits agricoles dont la consommation est faible au regard des recommandations nutritionnelles est bénéfique dans la plupart des régions géographiques – en Amérique latine et dans les Caraïbes en particulier (non illustré ici). Les pays à faible revenu (notamment sur le continent africain, non illustré ici) font exception: ils enregistrent une perte marginale, car, étant des importateurs nets de produits alimentaires, ils doivent faire face à une augmentation des prix.
En résumé, la réorientation du soutien ciblant les aliments hautement prioritaires pour une alimentation saine appuiera la reprise économique à l’échelle mondiale à condition d’être réalisée au moyen d’une réduction des mesures aux frontières et du contrôle des prix du marché ou d’un transfert des subventions des producteurs aux consommateurs. Les résultats différeront toutefois selon le groupe dans lequel les pays se classent en fonction de leur revenu, et selon la région géographique.
Soutien aux services d’intérêt général dans les pays à faible revenu
En plus de réorienter le soutien à l’alimentation et à l’agriculture en modifiant les incitations par les prix – au moyen de mesures aux frontières et du contrôle des prix du marché – et les subventions, avec des budgets inchangés, les pouvoirs publics peuvent aussi envisager de réallouer une partie de ces budgets de manière à augmenter le soutien aux services d’intérêt général, ce qui comprend les dépenses publiques (ou transferts d’argent public) permettant de fournir des biens publics ou collectifs (voir le chapitre 3). En principe, ce type de dépenses publiques pourrait influer plus directement sur la productivité de l’agriculture, sous réserve, naturellement, que les pouvoirs publics veillent à la valeur et à la qualité de ce soutien aux niveaux infranationaux, où il est le plus nécessaire, et où il est souvent dépendant des transferts de ressources du niveau central aux échelons des provinces, des districts ou des municipalités ainsi que de l’existence des capacités appropriées pour le mettre en œuvre.
Le soutien aux services d’intérêt général n’a pas été pris en compte dans les scénarios mondiaux analysés ci-dessus pour différentes raisons, et notamment parce qu’on ne disposait pas d’éléments indiquant clairement dans quelle mesure les diverses dépenses de ce type peuvent réellement influer sur la productivité dans les pays/régions. L’incidence du soutien aux services d’intérêt général sur la productivité sera différente selon les pays; or, dans les scénarios mondiaux, les pays sont regroupés en régions, ce qui complique l’interprétation des options envisagées pour ce soutien et de leurs effets sur la productivité. À cet égard, une analyse par pays serait sans doute plus pertinente.
Les services généraux des administrations publiques ne bénéficieront pas en toutes circonstances aux producteurs à l'échelle nationale, notamment du fait qu’un grand nombre d’agriculteurs en jouissent déjà, que ces services ne concernent que certains aspects de la chaîne de valeur alimentaire ou qu’ils sont réservés aux programmes qui font face à des problèmes de conception et de mise en œuvre, ou en raison de considérations liées à l’économie politique. Dans les pays à revenu élevé, qui, dans la plupart des cas, ont exploré toutes les possibilités offertes par diverses dépenses publiques dans les services généraux des administrations, la mise en place de laboratoires supplémentaires, l’ajout d’inspecteurs sanitaires ou la construction de nouvelles infrastructures rurales, par exemple, pourraient ne pas apporter de gains de productivité notables, contrairement à ce qui se passerait dans les économies moins avancées. Les dépenses de soutien aux services d’intérêt général pourraient en revanche faire la différence dans les pays à faible revenu qui opèrent leur transformation agricole, mais où les services publics et la productivité restent insuffisants.
Des études fondées sur des modèles EGC par pays, portant sur un pays à faible revenu comme l’Ouganda233, ou même un pays à revenu intermédiaire comme le Mexique223, ont analysé les effets d’un investissement public modeste destiné à accroître le soutien apporté aux services d’intérêt général (amélioration des routes rurales, des systèmes d’irrigation, des infrastructures de stockage, etc.), et ciblé sur un secteur agricole à la fois. Les résultats indiquent des gains de productivité totale des facteurs au fil du temps et une accumulation de capital privé qui débouchent sur une augmentation du PIB, de la production agroalimentaire et de la consommation privée, et sur une réduction de la pauvreté rurale. Ces études recommandent toutefois de privilégier certains secteurs par rapport à d’autres afin d'optimiser les avantages économiques et sociaux de ces investissements publics.
L’étude sur le Mexique, en particulier, appelle à cibler prioritairement les investissements publics sur l’agriculture tout en tenant compte de la nutrition223. L’une des principales recommandations est d’investir dans le secteur de la canne à sucre, qui, comparé aux autres secteurs agricoles, permet les gains les plus importants en matière de croissance de la production, de bien-être et de réduction de la pauvreté. L’étude préconise de tirer profit du potentiel du secteur en tant que fournisseur d’une matière première majeure pour la fabrication d’agrocarburants, au lieu d’utiliser la canne à sucre pour produire des boissons sucrées et des confiseries destinées au consommateur final, produits qu’elle recommande de taxer.
L’idée selon laquelle les dépenses de soutien aux services d’intérêt général doivent être ciblées de manière à générer des effets bénéfiques maximaux sur le plan économique et social est essentielle pour les pays qui présentent de très faibles niveaux de soutien public à l’agriculture et qui continuent d’enregistrer des déficits de productivité importants. La question de l’optimisation des budgets publics peu élevés qui sont alloués à l’agriculture dans les pays à faible revenu revêt la plus haute importance si l’on veut que les objectifs de transformation agricole de ces pays concordent avec ceux consistant à réduire le coût d’une alimentation saine et à en renforcer l’abordabilité. Il n’est pas du tout certain qu’on pourra atteindre ces différents objectifs sans contrepartie, à moins que les budgets consacrés à l’agriculture soient réorientés très soigneusement, de manière à ce qu’ils profitent à tous les acteurs collectivement, y compris aux femmes et aux jeunes.
Une étude menée sur l’Éthiopie confirme qu’il est possible de parvenir à une cohérence des politiques autour de plusieurs objectifs si le budget public alloué à l’agriculture est réorienté de manière optimale. L’optimalité consiste à trouver un compromis dans l’élaboration des politiques en vue de réallouer le même budget de manière particulière, de sorte qu’il ne sera pas possible d’améliorer au moins l’un des objectifs des politiques sans porter atteinte aux autres objectifs, quels qu’ils soient (encadré 14).
ENCADRÉ 14OPTIMISATION DES BUDGETS PUBLICS POUR METTRE EN CONCORDANCE LES OBJECTIFS DE TRANSFORMATION AGRICOLE ET D’ABORDABILITÉ DE L’ALIMENTATION SAINE: DONNÉES PROBANTES RELATIVES À L’ÉTHIOPIE
La FAO a élaboré un outil innovant d’optimisation des politiques pour aider les décideurs à résoudre leur problème le plus courant: poursuivre plusieurs objectifs potentiellement divergents avec un budget limité. Sánchez et Cicowiez (2022)234 ont proposé l’approche et l’ont appliquée aux données disponibles sur l’Éthiopie. Les auteurs montrent que l’on peut poursuivre simultanément des objectifs de transformation agricole inclusive tout en créant le moins de déséquilibres possible si l’on trouve un compromis au moyen de politiques optimales*. L’outil intégrait à l’origine trois objectifs: augmenter au maximum le PIB agricole, développer autant que possible l’emploi rural non agricole et réduire autant que faire se peut la pauvreté rurale. Sánchez et Cicowiez (à paraître)235 ont continué à développer l’outil pour y inclure un quatrième objectif de la plus haute importance: réduire au minimum le coût des aliments nutritifs qui constituent une alimentation saine à moindre coût dans le contexte de l’Éthiopie, conformément à la définition donnée dans le présent rapport (voir la section 2.3 et l’annexe 2E).
Il est désormais possible de déterminer comment le budget actuel consacré aux différents transferts à destination des producteurs (au moyen de subventions et du soutien aux services d’intérêt général) se présenterait par rapport à un budget optimal qui permettrait aux pays de poursuivre les quatre objectifs. Le budget est très détaillé, car il définit le type de dépenses et les productions que celles-ci sont censées encourager. Deux graphiques, au lieu d’un auparavant, facilitent la présentation des résultats**.
Deux scénarios de réorientation sont comparés à un scénario de base. Ce dernier va de l’exercice 2015-2016 à une année future (2025, par exemple). Il s’agit d’un scénario de maintien du statu quo: il correspond au budget en 2025 avec une composition inchangée. Les deux scénarios de réorientation poursuivent les objectifs de transformation agricole (augmenter au maximum le PIB agricole, développer autant que possible l’emploi rural non agricole et réduire autant que faire se peut la pauvreté rurale) entre 2022 et 2025. Un seul, cependant, cherche également à réduire au minimum le coût des aliments nutritifs qui constituent une alimentation saine à moindre coût (objectif de renforcement de l’abordabilité d’une alimentation saine).
La figure A montre que pour obtenir des améliorations au regard de l’ensemble de ces objectifs, il conviendra de définir d’autres priorités budgétaires. Si seuls des objectifs de transformation agricole inclusive sont poursuivis, les services de vulgarisation sur la culture de céréales et l’élevage, ainsi que – bien que dans une moindre mesure – les engrais, par exemple, recevront une part plus importante des crédits, au détriment des autres postes du budget. Si l’objectif d’abordabilité d’une alimentation saine est ajouté au problème du programme d’action publique, la solution optimale consistera à augmenter les dépenses consacrées à l’irrigation, par exemple, notamment du fait de la hausse de la production et de la consommation d’aliments nutritifs tels que les fruits et les légumes, qui requièrent des ressources en eau relativement plus importantes. Dans ce cas, les dépenses consacrées à l’irrigation pourront être ciblées sur des produits particuliers (c’est-à-dire les aliments nutritifs), tandis que l’investissement dans les routes rurales aura des incidences positives pour tous les produits.
FIGURE A ALLOCATION BUDGÉTAIRE NATIONALE À L’AGRICULTURE ÉTHIOPIENNE D’ICI À 2025: PROJECTION DU BUDGET ACTUEL ET SCÉNARIOS DE RÉAFFECTATIONS BUDGÉTAIRES OPTIMALES
La réaffectation du budget étant optimale, on constate sur la figure B une amélioration de tous les objectifs (par rapport au scénario de base), ce qui indique que l’allocation initiale n’était pas efficiente; il faut toutefois tenir compte d’un certain nombre de contreparties. Le scénario où l’on ajoute l’objectif d’une alimentation saine abordable au problème du programme d’action publique est celui où la baisse du coût d’une alimentation saine est la plus forte et où 2 962 234 personnes supplémentaires (contre 2 346 193 lorsque le quatrième objectif n’est pas pris en compte) peuvent alors se permettre une alimentation saine. Ce résultat provient d’une optimisation différente du budget, qui vise à appuyer la production des aliments nutritifs qui constituent une alimentation saine. Cependant, cela implique de ne pas faire davantage de progrès au regard des objectifs de transformation agricole inclusive, parce que le budget est maintenant orienté de façon à appuyer la production des aliments nutritifs. De ce fait, on renonce à la possibilité de créer 25 950 emplois de plus et de sortir 23 429 personnes supplémentaires de la pauvreté.
FIGURE B INDICATEURS D’UNE AMÉLIORATION AU REGARD DES OBJECTIFS DE DÉVELOPPEMENT RÉSULTANT D’UNE ALLOCATION BUDGÉTAIRE OPTIMALE À L’AGRICULTURE EN ÉTHIOPIE, 2025 (ÉCART EN POURCENTAGE PAR RAPPORT AU SCÉNARIO DE BASE)
On a constaté que le fait de poursuivre uniquement les objectifs de transformation agricole inclusive favorisait plutôt la réduction du coût d’une alimentation saine. Dans les pays à faible revenu comme l’Éthiopie, les responsables de l’élaboration des politiques pourront juger préférable de trouver un compromis à partir de ce scénario si leurs objectifs comprennent en outre une reprise économique (pour laquelle l’accroissement de la production et la création d’emplois, parallèlement à la réduction de la pauvreté, sont des facteurs essentiels), tout en veillant à ce que la réorientation du budget favorise une alimentation saine. Naturellement, le dosage optimal des politiques continuera d’évoluer au fil du temps, à mesure que ces pays se développeront.
- * L’outil repose sur une technique de prise de décisions à partir de critères multiples qui intègre les équations d’un modèle EGC dynamique en tant que contraintes d’un problème d’optimisation de politiques.
- ** Le budget se décompose comme suit: R-D par produit, services de vulgarisation par produit, semences améliorées par produit, engrais, irrigation par produit, mécanisation par produit, routes rurales, électrification des zones rurales et transferts en espèces. Cette ventilation découle des catégories de dépenses publiques dans l’alimentation et l’agriculture définies par le programme Suivi et analyse des politiques alimentaires et agricoles (SAPAA) de la FAO. Pour plus d’informations sur les données et la méthode employée, voir www.fao.org/in-action/mafap/data.
Examen des politiques et implications
L’analyse des scénarios met en évidence les options dont tous les pays du monde disposent pour réorienter leur soutien public actuel à l’alimentation et à l’agriculture en vue d’augmenter l’abordabilité d’une alimentation saine, condition nécessaire mais non suffisante pour que les populations puissent avoir une telle alimentation. On constate de manière générale une diminution (parfois très légère) de la sous-alimentation et de la pauvreté extrême au niveau mondial lorsque l’abordabilité d’une alimentation saine augmente dans le cadre des options de réorientation du soutien.
L’une des observations importantes est que, parmi les différents instruments d’action dont on dispose pour apporter un soutien public, c’est la réorientation des subventions destinée à accroître les disponibilités d’«aliments prioritaires» et à favoriser ainsi une alimentation saine qui peut avoir les effets les plus importants sur l’abordabilité d’une alimentation saine, en particulier si elle est ciblée sur le consommateur. Cette option s’accompagne également de synergies potentielles, mais aussi de contreparties, en ce qui concerne les émissions de GES, le revenu agricole, la production agricole totale et la reprise économique à l’échelle mondiale.
La réorientation du soutien au moyen de mesures aux frontières et d’un contrôle des prix du marché en vue de favoriser la production, les disponibilités et la consommation d’aliments «hautement prioritaires» au regard d’une alimentation saine apparaît d’un autre côté comme la solution la plus efficace pour réduire la sous-alimentation dans les pays à faible revenu, étant donné que ces pays n’ont que très peu de soutien public à réorienter.
La réorientation du soutien vers une alimentation saine par le ciblage des aliments «hautement prioritaires», que ce soit au moyen de mesures aux frontières et d’un contrôle des prix du marché ou au moyen de subventions, ajoute une dimension d’égalité dans le soutien des produits agricoles par rapport à celui qui est octroyé actuellement. Cela étant, elle risque aussi d’introduire des biais si certains agriculteurs désireux de tirer parti de ce soutien – notamment les petits exploitants, ainsi que les femmes – ne disposent pas, in fine, des ressources nécessaires et ne sont donc pas en mesure de se spécialiser dans la production d’aliments «hautement prioritaires» favorisant une alimentation saine.
Les déséquilibres les plus importants sont ceux qui accompagnent la réorientation des subventions – notamment une baisse du revenu agricole dans les différents groupes de pays classés selon le revenu (et plus particulièrement dans celui des pays à revenu élevé) et une réduction de la production agricole. Ces déséquilibres sont encore plus prononcés lorsque les subventions sont transférées des producteurs aux consommateurs. On observe une contrepartie au niveau mondial à l’augmentation de l’abordabilité d’une alimentation saine en ce qui concerne les émissions de GES dans l’agriculture (et même la reprise économique) lorsque les subventions sont réorientées mais continuent d’aller aux producteurs du secteur agricole, notamment dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire. En revanche, lorsque la réorientation du soutien se fait uniquement par des mesures aux frontières et un contrôle des prix du marché, les déséquilibres engendrés sont bien moins nombreux.
Naturellement, il est important de comprendre les limites des scénarios modélisés. Les scénarios évoqués jusqu’ici ne tiennent pas compte du fait que certaines technologies de production entraînent plus ou moins d’émissions de GES (ou de dommages environnementaux) que d’autres. Les changements dans la structure du soutien définis par ces scénarios, qui entraîneraient par exemple une augmentation ou une réduction des engrais, pourraient modifier – à la marge – l’intensité des émissions associées à certains produits. Mais ces scénarios n’envisagent pas explicitement un passage à des technologies relativement moins génératrices d’émissions (nouvelles techniques d’alimentation du bétail, amélioration des approches de lutte biologique pour la gestion des ravageurs, nouvelles pratiques de rotation des cultures qui permettent de renforcer la santé des sols et de réduire l’utilisation d’engrais, etc.). En pratique, la réorientation du soutien peut ne pas se faire au prix d’une augmentation des émissions de GES si, en parallèle, des technologies faiblement émettrices sont adoptées pour produire les aliments nutritifs, et si la surproduction et la surconsommation actuelles d’aliments, notamment de viande et de produits laitiers, sont réduites conformément aux recommandations relatives à l’alimentation saine dans les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Un autre problème est la nature générale des catégories utilisées dans les scénarios en ce qui concerne les aliments hautement prioritaires; par exemple, on ne peut pas clairement définir dans tous les contextes dans quelle mesure une consommation accrue de matières grasses et d’huiles peut contribuer à une alimentation saine, du moins sans données plus précises sur les types de matières grasses et d’huiles.
Les résultats de ces scénarios suggèrent également que les subventions accordées aux consommateurs aboutissent en général à des modes plus diversifiés de consommation alimentaire saine, avec une réduction des émissions de GES, par rapport à ce que l’on obtient en octroyant les subventions aux producteurs, même si les deux mesures ciblent les mêmes aliments nutritifs. La réduction du coût d’une alimentation saine et le renforcement de son abordabilité sont en effet des objectifs qui intéressent plus les consommateurs que les producteurs. Mais là encore, la décision d’octroyer des subventions aux consommateurs d’aliments «hautement prioritaires» au regard d’une alimentation saine a des contreparties en matière de revenu agricole, de production agricole et même de coût d’une alimentation saine dans le cas des pays à faible revenu, situation que les responsables de l’élaboration des politiques pourront souhaiter éviter en pratique.
Dans le cas des pays à faible revenu, par exemple, on constate que le coût de l’alimentation saine et de l’alimentation actuelle augmente de manière marginale lorsque les subventions sont transférées des producteurs aux consommateurs, et ce pour deux raisons: i) l’accroissement, dans le reste du monde, de la demande de produits alimentaires importés des pays à faible revenu entraîne une hausse des prix des denrées alimentaires, et ii) il n’y a pas suffisamment de subventions à réallouer dans les pays à faible revenu pour véritablement encourager la demande de produits nutritifs. Il convient de tenir compte d’un important équilibre à trouver, notamment dans le cas de l’Afrique, où l'on constate que l’alimentation saine devient de manière générale plus abordable lorsque les revenus des consommateurs augmentent, car il est plus difficile de réduire le coût de cette alimentation dans ces pays. Cependant, les ménages les plus pauvres, dont la capacité à générer des revenus est faible ou nulle, risquent de ne pas être en mesure de tirer parti de ce type de scénario.
Pour éviter les déséquilibres, les responsables de l’élaboration des politiques risquent de ne pas essayer de réduire le coût d’une alimentation saine et d’en renforcer l’abordabilité en transférant les subventions des producteurs (agricoles) aux consommateurs. Ils pourraient envisager de supprimer progressivement les subventions qui sont liées à un produit spécifique et dont on sait qu’elles sont à l’origine de distorsions, qu’elles nuisent à l’environnement et qu’elles n’encouragent pas la production d’aliments nutritifs. Dans ce cas, les ressources pourraient être réorientées de manière à octroyer aux producteurs des subventions découplées de la production mais qui, de par leur conception, tiennent compte de la nutrition, encouragent à adopter des technologies à faibles émissions et intègrent d’autres écoconditionnalités. Parallèlement, les responsables de l’élaboration des politiques pourront souhaiter tirer parti des éléments probants issus de ce rapport, qui montrent la grande efficience de la mesure consistant à subventionner les produits dont il convient, au regard des recommandations nutritionnelles, d’augmenter la consommation. Malheureusement, les subventions aux consommateurs représentent la plus petite part du soutien global apporté à l’alimentation et à l’agriculture dans le monde (voir au chapitre 3 la figure 18). Pour tirer le maximum de ce type de subventions, il importe de renforcer le soutien aux consommateurs.
Pour tirer parti des possibilités que peut offrir en pratique la réorientation du soutien, les pays devront engager des négociations multilatérales; des mesures unilatérales pourront être utiles dans certains cas, mais resteront insuffisantes, tandis que dans d’autres, elles pourront avoir des conséquences néfastes. La réorientation des mesures aux frontières, du contrôle des prix du marché et des subventions devra tenir compte des engagements pris par les pays et des flexibilités dont ils bénéficient dans le cadre des règles actuelles de l’OMC, ainsi que des questions abordées dans les négociations en cours (encadré 15).
ENCADRÉ 15IMPLICATIONS DE LA RÉORIENTATION DES SUBVENTIONS AGRICOLES AU REGARD DES ENGAGEMENTS PRIS PAR LES PAYS AUPRÈS DE L’OMC
On a vu à l’encadré 8 du chapitre 3 que les règles de l’OMC régissent les incitations par les prix et les mesures de soutien budgétaire. Dans ce contexte, il est important de se demander si la réorientation des subventions agricoles aurait des implications au regard des engagements pris par les pays en tant que membres de l’OMC.
Une augmentation par un pays de ses subventions aux producteurs d’aliments nutritifs dans le but de diminuer le coût final de ces derniers pour les consommateurs, par exemple, sera considérée comme une mesure qui a un effet de distorsion du commerce dans le cadre de l’Accord de l’OMC sur l’agriculture, car les subventions octroyées pour un produit spécifique sont intégrées dans la mesure globale du soutien (MGS), pour laquelle des limites sont définies. Tous les membres de l’OMC ont le droit d’octroyer des subventions pour des produits spécifiques – indépendamment de leur valeur nutritionnelle – à condition de ne pas dépasser le plafond de leur MGS (lequel varie selon les engagements pris par les pays auprès de l’OMC)*. Il est donc important que les pays qui décident de transférer des subventions d’un produit à un autre tiennent compte de cette limite.
En revanche, si les pays choisissent de réduire les subventions qui faussent les échanges, ils peuvent soutenir directement les revenus des agriculteurs. Le soutien aux revenus découplé des niveaux de production n’est pas limité dans le cadre des mesures relevant de la «catégorie verte» (encadré 8). De la même façon, les pays peuvent augmenter le soutien aux services d’intérêt général, pour lequel les règles de l’OMC ne fixent aucune limite, sous réserve que les critères définis dans l’Accord sur l’agriculture soient respectés.
En substance, les pays peuvent réduire ou éliminer des subventions pour des produits qui ont une faible valeur nutritionnelle ou qui ne contribuent pas à une alimentation saine et introduire d’autres mesures telles que l’élargissement du financement public des services d’infrastructure, des programmes de recherche consacrés aux aliments nutritifs et des services de vulgarisation agricole sans compromettre le respect des règles de l’OMC. Cela signifie que la réorientation ne doit pas forcément impliquer une réduction du niveau global du soutien à l’alimentation et à l’agriculture, mais plutôt un passage à des mesures ayant moins d’effets de distorsion des échanges.
Les pays peuvent également choisir de réduire les mesures aux frontières (notamment les droits de douane élevés et les droits contingentaires) concernant les aliments nutritifs comme les fruits et les légumes, sans modifier voire augmenter en parallèle les mesures de protection commerciale concernant les produits riches en matières grasses, en sucres ou en sel. Les règles de l’OMC autorisent les pays à le faire jusqu’à une certaine limite (le niveau des droits consolidés)**.
Si elle était adoptée par de nombreux pays, la réorientation des subventions agricoles pourrait même ouvrir un nouveau chapitre dans les négociations relatives au commerce agricole menées sous l’égide de l’OMC. Les pays disposeraient d’une nouvelle base de discussion sur la manière de régir le soutien interne qui a un effet de distorsion du commerce. L’une des options consisterait à assouplir l’octroi aux producteurs d’aliments nutritifs de subventions pour des produits spécifiques. De même, dans le cadre des négociations sur l’accès aux marchés en présence de droits de douane, les pays pourraient envisager de réduire le niveau des droits consolidés pour les fruits, les légumes, les légumineuses et d’autres produits importants pour une alimentation saine, et favoriser ainsi les échanges de ces produits.
- * Concernant le soutien qui génère des distorsions des échanges, les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire bénéficient de flexibilités supplémentaires au titre des dispositions relatives au «traitement spécial et différencié» de l’OMC. Sont notamment concernées les subventions aux intrants agricoles, qui ne sont pas limitées. ** Les droits réels appliqués par les pays (taux appliqués) sur les produits agricoles et alimentaires doivent être inférieurs ou égaux au taux consolidé pour chaque produit.
Le soutien apporté aux services d’intérêt général dans le but de renforcer l’abordabilité d’une alimentation saine est une question à part. Il est principalement utile dans les pays où son niveau actuel est peu élevé, où la transformation agricole n’est pas encore achevée et où les déficits de productivité dans l’agriculture restent importants, ce qui est généralement le cas dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. S’agissant de l’alimentation saine, le soutien aux services d’intérêt général peut représenter une composante essentielle des aides publiques destinées à traiter des questions telles que la manutention après récolte et les pertes après récolte, qui sont particulièrement sensibles dans le cas des aliments nutritifs périssables. Lorsqu’il est conforme aux dispositions des accords applicables de l’OMC, ce type de dépenses publiques peut être utilisé sans limites (encadré 15).
Le renforcement du soutien apporté aux services d’intérêt général dans le but de réduire le coût des aliments nutritifs et de rendre ainsi une alimentation saine plus abordable ne doit pas pour autant ralentir la transformation agricole inclusive dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. De plus, par définition, ce soutien est apporté collectivement à l’agriculture, il n’exclut pas les petits exploitants, les femmes, ni les jeunes. Cependant, il convient de tenir compte, dans la façon dont les dépenses de soutien aux services d’intérêt général sont en pratique réorientées ou portées à plus grande échelle, des déficits de productivité plus importants de certains de ces acteurs des systèmes agroalimentaires, en particulier les femmes, qui ont généralement un accès plus limité aux ressources productives et aux moyens d’existence, tels que la terre et le crédit, et une moindre maîtrise de ceux-ci, et qui ne bénéficient pas de manière adéquate des services de vulgarisation agricole et d’autres services ainsi que des infrastructures rurales236.
Dans les pays à faible revenu, et peut-être aussi dans certains pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, l’un des principaux défis pour les responsables politiques ne se limitera pas à trouver des compromis dans la réorientation du soutien à l’alimentation et à l’agriculture de façon à atteindre plusieurs objectifs de transformation inclusive de l’agriculture qui concordent avec la réduction du coût des aliments nutritifs. Compte tenu de leurs faibles budgets, les gouvernements de ces pays devront aussi mobiliser des financements importants pour renforcer: i) la fourniture d’un soutien aux services d’intérêt général lorsque celui-ci devra être priorisé pour combler efficacement les déficits de productivité de la production d’aliments nutritifs, et ce de façon inclusive et durable; et ii) l’octroi de subventions aux consommateurs, afin d’améliorer l’abordabilité. À cet égard, l’aide internationale à l’investissement public (apportée par des institutions financières internationales [IFI], des banques régionales de développement, le Programme mondial sur l’agriculture et la sécurité alimentaire [GAFSP], etc.) jouera un rôle essentiel pour faciliter la transition vers des services d’intérêt général de plus haut niveau, en particulier dans les pays à faible revenu.