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L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022

Chapitre 3 SOUTIEN PUBLIC APPORTÉ À L’ALIMENTATION ET À L’AGRICULTURE DANS LE MONDE: QUEL EST SON COÛT ET QUELLE INCIDENCE A-T-IL SUR L’ALIMENTATION?

3.2 Comment les politiques alimentaires et agricoles influent-elles sur les régimes alimentaires?

Comprendre ce qui distingue un régime alimentaire sain d’un mauvais régime alimentaire

Pour comprendre comment les politiques alimentaires et agricoles influent sur les régimes alimentaires, il convient d’abord de comprendre ce qui distingue un régime alimentaire sain d’un mauvais régime alimentaire, et ce que l’on entend par ces termes. L’édition 2020 du présent rapport s’est proposé d’analyser en détail ce qui constituait un régime alimentaire sain en s’intéressant à la manière dont la vision des régimes alimentaires avait évolué au cours du temps dans le débat sur la sécurité alimentaire et la nutrition; on trouvera un résumé de cette analyse dans la présente section.

La composition exacte d’un régime alimentaire sain dépend de caractéristiques individuelles, du contexte culturel, de la disponibilité locale des aliments, des conditions climatiques et écologiques, ainsi que des traditions et préférences alimentaires. Les principes fondamentaux de ce qui constitue un régime alimentaire sain, toutefois, sont les mêmes quel que soit le contexte et font l’objet d’un consensus et d’une description sans équivoque (encadré 10). L’un des éléments clés de la qualité d’un régime alimentaire est sa diversité, à savoir la variété des aliments qui le composent dans les différents groupes alimentaires. Plus les aliments consommés dans ces différents groupes alimentaires sont variés, plus le risque d’apport insuffisant en certains micronutriments, ainsi que de déficiences associées, baisse3. Consommer un régime alimentaire sain tout au long de sa vie contribue à prévenir toutes les formes de malnutrition, favorise la croissance et le développement des enfants et protège contre les maladies non transmissibles liées à l’alimentation, telles que le diabète, les pathologies cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et le cancer30. La prévention de toutes les formes de malnutrition étant liée à la productivité des adultes, elle est essentielle au développement des nations82.

ENCADRÉ 10DESCRIPTION DES ALIMENTS NUTRITIFS ET DES RÉGIMES ALIMENTAIRES SAINS

Dans le présent rapport, on désigne par aliments nutritifs les aliments qui ne présentent pas de danger pour la santé et qui apportent des nutriments essentiels, tels que des vitamines et des minéraux (micronutriments), des fibres et d’autres éléments entrant dans le cadre d’une alimentation saine parce qu’ils ont des effets bénéfiques sur la croissance, la santé et le développement et constituent un rempart contre la malnutrition. Les aliments nutritifs contiennent très peu de nutriments considérés comme préoccupants pour la santé publique, notamment d’acides gras saturés, de sucres libres et de sel/sodium, pas d’acides gras trans de fabrication industrielle, et contiennent en revanche du sel iodé83.

LES RÉGIMES ALIMENTAIRES SAINS RÉPONDENT AUX PRINCIPES SUIVANTS3,84:

  • ils commencent tôt dans l’enfance, avec le démarrage précoce de l’allaitement, un allaitement maternel exclusif jusqu’à l’âge de 6 mois, et la poursuite de cet allaitement jusqu’à l’âge de 2 ans ou plus, en association avec une alimentation complémentaire appropriée;
  • ils se composent d’un vaste éventail d’aliments non ou très peu transformés, équilibrés entre les différents groupes alimentaires, et comportent très peu d’aliments et boissons ultratransformés*;
  • ils comportent des céréales complètes, des légumineuses, des fruits à coque et beaucoup de fruits et légumes variés**;
  • ils peuvent comporter une quantité modérée d’œufs, de produits laitiers, de volaille et de poissons, et de petites quantités de viande rouge;
  • ils intègrent une eau potable et salubre comme boisson principale;
  • ils fournissent la quantité appropriée (c’est-à-dire égale mais pas supérieure aux besoins) d’énergie et de nutriments pour assurer la croissance et le développement et répondent aux besoins d’une vie active et saine tout au long de l’existence;
  • ils respectent les lignes directrices de l’OMS afin de réduire le risque de maladies non transmissibles liées à l’alimentation et assurent la santé et le bien-être de la population générale;
  • ils contiennent une quantité infime, voire pas du tout si possible, de pathogènes, de toxines et d’autres agents entraînant des maladies liées à l’alimentation.

D’après l’OMS, dans un régime alimentaire sain, les matières grasses représentent moins de 30 pour cent de l’apport énergétique total, la consommation d’acides gras saturés est remplacée par celle d’acides gras insaturés et les acides gras trans de fabrication industrielle sont éliminés; les sucres libres représentent moins de 10 pour cent de l’apport énergétique total (et de préférence moins de 5 pour cent); les fruits et légumes sont consommés à hauteur d’au moins 400 g par jour; et le sel est limité à 5 g par jour (et doit être iodé)30.

Les mauvais régimes alimentaires – ceux qui ne respectent pas les principes fondamentaux présentés à l’encadré 10 – apportent généralement peu de nutriments essentiels et sont souvent riches en graisses (en particulier en acides gras trans ou saturés), en sucres et/ou en sel. La consommation de tels régimes peut résulter d’un accès limité, pour des raisons économiques ou autres, à des aliments nutritifs variés, et/ou être liée aux connaissances, préférences, motivations, traditions et à d’autres facteurs du même ordre. Passer de régimes alimentaires mauvais pour la santé à des régimes alimentaires sains exige donc des efforts concertés et simultanés pour régler les problématiques d’approvisionnement et d’accès, favoriser des environnements alimentaires sains et promouvoir les régimes alimentaires sains au moyen de l’éducation et de la transformation des comportements dans le cadre d’environnements alimentaires sains.

Politiques alimentaires et agricoles influant sur la disponibilité et l’abordabilité des régimes alimentaires sains

Les politiques alimentaires et agricoles influent sur les systèmes agroalimentaires (figure 1) de multiples façons et de manière complexe, notamment en exerçant un effet sur la production, le commerce, les prix relatifs des aliments, la variété des aliments, les revenus des producteurs et les choix de consommation, entre autres. Ainsi, de telles politiques de soutien à l’alimentation et à l’agriculture peuvent potentiellement modifier la disponibilité de différents aliments ainsi que l’abordabilité des régimes alimentaires sains, et par ricochet façonner les modes d’alimentation3,15.

Les données empiriques révèlent que le soutien public à la production alimentaire et agricole, par exemple sous forme de subventions, de mesures aux frontières ou de dispositifs de contrôle du marché destinés à protéger les producteurs de la volatilité des prix ou de la concurrence, peut avoir des effets positifs sur les producteurs qui en sont bénéficiaires, notamment sur leurs revenus85. Il peut toutefois avoir des conséquences négatives sur la capacité des consommateurs, en particulier pauvres, à accéder à des régimes alimentaires sains et à une certaine diversité dans leur alimentation, étant donné qu’il joue sur les prix relatifs de différents aliments. Par exemple, accroître les incitations par les prix au bénéfice des agriculteurs, tel que mesuré par le taux nominal de protection (TNP), s’accompagne d’une hausse du coût des régimes alimentaires sains (encadré 11).

ENCADRÉ 11PLUS LE SOUTIEN APPORTÉ AUX PRODUCTEURS PAR DES INCITATIONS PAR LES PRIX AUGMENTE, PLUS IL EST COÛTEUX D’ADOPTER UN RÉGIME ALIMENTAIRE SAIN

Les politiques d’interventions sur le commerce et les marchés, mesurées par le taux nominal de protection (TNP), qui augmentent le prix d’un produit par rapport au prix de celui-ci sur le marché international, s’accompagnent d’un coût plus élevé des régimes alimentaires sains pour les consommateurs*. C’est ce que montre le coefficient de corrélation, positif et significatif (30 pour cent), entre le TNP et le coût d’un régime alimentaire sain (tableau A, première colonne)**. Lorsque le TNP est calculé par groupes d’aliments contribuant à un régime alimentaire sain, plus le taux de protection (ou le niveau d’incitation par les prix) en faveur des producteurs de fruits et légumes et d’aliments de base (principalement les céréales) est élevé, plus il s’accompagne d’une hausse du coût de ces produits spécifiques pour les consommateurs, et d’une hausse du coût des régimes alimentaires sains en général (tableau A, troisième et quatrième colonnes)***.

TABLEAU A CORRÉLATIONS PAR PAIRE ENTRE LE TAUX NOMINAL DE PROTECTION (TNP) ET LE COÛT D’UN RÉGIME ALIMENTAIRE SAIN

SOURCE: FAO.
NOTES: La corrélation entre le TNP et le coût d’un régime alimentaire sain a été calculée pour 44 pays pour les années 2016 à 2018. * p<0,05.
SOURCE: FAO.

Bien que le taux nominal de protection renvoie à des politiques très diverses, les résultats du tableau A suggèrent qu’un ensemble spécifique de politiques conçues pour protéger les producteurs nationaux peut finalement se traduire par une augmentation du coût des aliments pour les consommateurs. Par exemple, bien que les politiques d’application de droits à l’importation protègent de la concurrence internationale les prix pratiqués par les producteurs, elles peuvent pénaliser les consommateurs, qui paient plus cher les aliments protégés par ces taxes, et les exposer au risque de ne pas pouvoir s’offrir une alimentation saine. Si une protection supérieure est octroyée aux producteurs des composants les plus chers d’un régime alimentaire sain, à savoir les fruits et légumes et les aliments riches en protéines (qui représentent respectivement 46 et 35 pour cent du coût d’un tel régime), les consommateurs peuvent décider de passer à des groupes d’aliments relativement moins chers.

Le soutien public aux services d’intérêt général, qui incluent la recherche-développement de nouvelles technologies, les infrastructures et les réformes institutionnelles, pourrait faire baisser le coût des aliments et en améliorer l’abordabilité66,86. Par exemple, des investissements dans des infrastructures améliorées, destinés à réduire le coût des transports, peuvent contribuer à diminuer les prix des aliments et le coût de l’alimentation plus efficacement que les restrictions commercialesii. En outre, investir davantage en faveur des services d’intérêt général tout en réaffectant les subventions agricoles pourrait bénéficier aux producteurs et accroître l’abordabilité d’un régime alimentaire sain pour les consommateurs (voir section 4.1).

Réaffecter le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de manière stratégique et ciblée, dans l’intention d’obtenir de meilleurs résultats au plan nutritionnel (voir la figure 1), pourrait aider à réduire le coût des aliments constitutifs d’un régime alimentaire sain, accroître l’accès à ceux-ci, et donc contribuer à améliorer leur abordabilité et leur disponibilité. Il s’agirait pour cela d’accroître les mesures incitatives (et de limiter les mesures dissuasives) afin de favoriser la production et la consommation d’aliments variés, nutritifs et ne présentant pas de danger pour la santé, par l’intermédiaire de pratiques durables au plan environnemental à tous les stades de la chaîne d’approvisionnement alimentaire (figure 1)87. Il s’agirait aussi de prendre dûment en considération l’ensemble des parties prenantes, y compris les femmes et les jeunes, qui se trouvent souvent en position de faiblesse par rapport aux adultes masculins en ce qui concerne l’accès aux aliments, aux ressources agricoles et aux marchés, et l’utilisation de ceux-ci. Par exemple, l’accès aux subventions, aux intrants, aux installations de stockage, aux technologies et aux services de vulgarisation améliorerait l’efficacité des activités des femmes et des jeunes, la sécurité sanitaire des aliments, et réduirait les pertes après récolte88. Il importe en outre de garder à l’esprit que des systèmes environnementaux inclusifs et sains sont indispensables si l’on veut assurer un approvisionnement durable et à long terme en aliments nutritifs en quantité suffisante15, et contribuer ainsi à lutter contre toutes les formes de malnutrition et à les prévenir (voir le chapitre 2), et que ces environnements sont la condition première de toutes les autres actions déployées pour assurer la sécurité alimentaire et la bonne nutrition de tous.

Avant d’examiner les éventuelles solutions de réaffectation de l’aide publique à l’alimentation et à l’agriculture, la section qui suit étudie brièvement le lien entre cette aide publique (figure 17) et la disponibilité et l’abordabilité de régimes alimentaires sains. Par souci de clarté, l’analyse ci-après suit les catégories de politiques présentées dans la section 3.1.

Interventions sur le commerce et sur les marchés: mesures aux frontières

Le commerce peut améliorer la disponibilité et l’abordabilité de différents aliments, élargissant ainsi la palette de choix du consommateur à l’appui de régimes alimentaires plus diversifiés, notamment en ce qui concerne l’accès à des produits frais89. Par exemple, des pays comme le Danemark, les Maldives et la Mauritanie ont importé plus des trois quarts de la quantité de fruits et légumes disponible pour la consommation nationale en 201990. Dans le même temps, le commerce alimentaire est souvent aussi associé à une disponibilité accrue d’aliments ultratransformés, denses en calories et riches en matières grasses, en sucres et/ou sel89. De la même façon, si le commerce peut aider à l’adaptation face aux changements climatiques en stabilisant les marchés et en réorientant les aliments des régions en excédent de production vers les régions en déficit de production91, produire à des fins d’exportation peut s’accompagner de dommages collatéraux pour l’environnement: prélèvements non durables d’eau douce, pollution, perte de biodiversité, déforestation et émissions de gaz à effet de serre (notamment pour l’expédition des produits alimentaires). Les politiques commerciales de soutien à l’alimentation et à l’agriculture devraient donc trouver un équilibre entre les objectifs économiques, environnementaux et sociaux et renforcer la résilience du système agroalimentaire mondial face aux chocs.

Les mesures aux frontières, telles qu’elles sont définies à la section 3.1, jouent sur la disponibilité et les prix relatifs des denrées alimentaires et peuvent donc influer sur les choix des consommateurs, les modes d’alimentation et les résultats de santé liés au régime alimentaire. Les taxes à l’importation sont les mesures aux frontières les plus communément utilisées, souvent pour protéger les producteurs nationaux de la concurrence, les droits de douanes variant généralement d’un produit à l’autre selon les pays (encadré 12).

ENCADRÉ 12DROITS DE DOUANE SUR LES ALIMENTS ULTRATRANSFORMÉS, LES SUCRES ET CONFISERIES ET LES FRUITS ET LÉGUMES*

Les droits de douane effectivement appliqués sur les denrées alimentaires importées varient considérablement en fonction du niveau de revenu du pays et du groupe d’aliments concerné, qu’il s’agisse par exemple des aliments ultratransformés, des sucres et confiseries, des fruits et légumes ou des produits alimentaires et boissons en général (tableau A).**

TABLEAU A DROITS DE DOUANES MOYENS APPLIQUÉS À DIFFÉRENTS GROUPES D’ALIMENTS (VALEUR À L’IMPORTATION PONDÉRÉE, EN POURCENTAGE), PAR GROUPE DE REVENU

SOURCE: FAO, sur la base des données de la Banque mondiale. 2022. Données tarifaires par pays issues de la base de données World Integrated Trade Solution (WITS). Washington. Consulté le 26 mai 2022. https://wits.worldbank.org/tariff/trains/country-byhs6product.aspx?lang=en
NOTES: N = 181 pays. Les données sont transversales et reflètent principalement les valeurs de 2020. Dans les quelques cas où les données étaient manquantes, on a pris les chiffres de 2019 (14 cas), 2018 (5 cas) ou 2017 (6 cas) pour porter l’échantillon à son maximum. Les valeurs sont arrondies à la première décimale.
SOURCE: FAO, sur la base des données de la Banque mondiale. 2022. Données tarifaires par pays issues de la base de données World Integrated Trade Solution (WITS). Washington. Consulté le 26 mai 2022. https://wits.worldbank.org/tariff/trains/country-byhs6product.aspx?lang=en

Les taxes à l’importation sur les produits alimentaires sont généralement plus élevées dans les pays à faible revenu. Les prix payés par le consommateur de ces produits, ainsi que des produits en concurrence avec les importations, s’en trouvent augmentés, ce qui peut nuire de manière disproportionnée aux ménages pauvres qui dépensent une large part de leur revenu en nourriture92. À l’inverse, les pays à revenu élevé, en moyenne, appliquent des droits de douane moindres aux produits alimentaires importés***.

En ce qui concerne les taxes à l’importation sur les aliments de différentes valeurs nutritionnelles, les données montrent que les aliments ultratransformés et les sucres et confiseries sont généralement davantage taxés que les produits alimentaires et boissons en général, partout sauf dans les pays à revenu élevé. Par exemple, les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure appliquent une taxe moyenne de 14,7 pour cent sur les aliments ultratransformés importés, contre 8,5 pour cent pour les produits alimentaires et boissons pris dans leur globalité. Et surtout, dans tous les pays hormis les pays à revenu élevé, les fruits et légumes importés sont eux aussi fortement taxés: les pays à revenu faible collectent près de 19 pour cent de droits de douane sur les produits alimentaires importés de ce groupe.

Ces éléments d’information sont importants, parce que modifier les droits de douane peut influer sur la disponibilité et la consommation intérieures d’aliments de différentes valeurs nutritionnelles. Par exemple, à Fidji, les données suggèrent qu’avoir réduit les lourdes taxes à l’importation appliquées aux fruits et légumes a entraîné une hausse des importations de ceux-ci et en a accru la disponibilité sur le territoire national93. Pour ce qui est des aliments à forte densité énergétique et à faible valeur nutritive, plusieurs études montrent qu’en réduisant les droits de douane sur ces produits, on a augmenté la disponibilité et la consommation de ces derniers, ainsi que les indicateurs de santé connexes, tels que la prévalence de l’obésité. Ces conclusions sont valables pour les pays à différents stades de développement94,95,96,97. Néanmoins, des taxes intérieures, plutôt que des droits de douanes, seraient préférables pour limiter la consommation de tels aliments, car elles découragent d’en consommer en général, quelle qu’en soit l’origine, et que ce type de taxe s’est révélé efficace pour améliorer les régimes alimentaires (voir la section 4.2)89,98.

Enfin, il importe de noter que les taxes et droits de douanes se répercutent sur la consommation alimentaire en général et que dans certains contextes, leur augmentation pourrait empêcher une prise alimentaire suffisante si elle n’est pas accompagnée d’autres mesures visant notamment à faciliter l’accès aux aliments nutritifs. Par exemple, en Afrique subsaharienne, l’application de droits de douane plus élevés sur les aliments ultratransformés que sur les aliments peu et pas transformés s’est certes révélée corrélée à une moindre prévalence de l’obésité, mais aussi à une plus grande prévalence d’insuffisance pondérale97. Il semble donc qu’une approche intégrée, faisant appel à de multiples instruments – où l’on utiliserait, par exemple, les recettes des taxes sur les produits ultratransformés pour financer des programmes bien ciblés de réduction de la sous-alimentation – soit nécessaire, outre des travaux de recherche permettant de déterminer quels groupes d’aliments peuvent être taxés pour lutter contre l’obésité sans effet délétère sur la sous-alimentation.

  • * Les résultats obtenus de l’analyse des taxes à l’importation ne peuvent être comparés directement aux résultats obtenus de l’analyse du TNP de la section 3.1, en raison du vaste éventail d’instruments/de politiques pris en compte dans le calcul du TNP. Le TNP rend compte de l’effet net global des droits de douanes, mesures non tarifaires, restrictions à l’exportation (et subventions), et mesures de contrôle des prix du marché (prix administrés ou prix-producteurs minimums, par exemple). De plus, étant donné les forts impératifs des données pour le calcul du TNP, il y a très peu de visibilité pour certaines combinaisons pays/produit, en particulier pour les pays à faible revenu et pour les fruits et légumes, ce qui n’est pas le cas des données sur les droits de douane, plus complètes. ** L’annexe 5 offre une description de l’indicateur de droits de douanes employé et donne la définition des groupes d’aliments. Les aliments ultratransformés sont ceux répertoriés comme tels par Monteiro et al. (2019)417 (catégorie 4 de la classification NOVA). *** On notera que les moyennes présentées masquent les différences au sein d’un même groupe de pays. Par exemple, les Îles Salomon, qui font partie des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, collectent une taxe à l’importation d’environ 10 pour cent sur les aliments ultratransformés, contre une moyenne globale de 14,7 pour cent pour les pays de cette catégorie de revenu.

Outre les mesures tarifaires, les mesures non tarifaires peuvent elles aussi influer sur le commerce agroalimentaire ainsi que sur l’abordabilité et la diversité du régime alimentaire, car les producteurs et les négociants doivent se conformer aux normes et autres impératifs de réglementation qui augmentent les coûts du commercer 3. On notera que les mesures non tarifaires sont largement répandues – alors que les droits de douane appliqués au commerce agroalimentaire sont en déclin depuis les négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Urugua3,99,100.

Ainsi, les résultats d’analyses récentes sur la prévalence des mesures non tarifaires par groupe de produits montrent qu’en 2019, en valeur, près de 80 pour cent des importations totales de 100 pays pour lesquels des données sont disponibles était soumises à des mesures non tarifaires, le commerce agroalimentaire étant disproportionnellement concerné100. De surcroît, les estimations en équivalents tarifaires des mesures non tarifaires appliquées au commerce agroalimentaire sont souvent supérieures aux taxes à l’importation. L’équivalent tarifaire des mesures sanitaires et phytosanitaires et des obstacles techniques au commerce (OTC), mesures essentielles influant sur les importations du secteur agroalimentaire, est estimé à environ 15 pour cent en moyenne dans le monde101,102,103. Pour ce qui est des groupes d’aliments individuels intéressant les régimes alimentaires sains, les équivalents tarifaires des mesures sanitaires et phytosanitaires et des OTC combinés ont été estimés à environ 8 pour cent pour les produits alimentaires de la catégorie des légumes au sens large, et à près de 14 pour cent pour les aliments transformés (dont les sucres et confiseries) 103.

Pris ensemble, ces résultats suggèrent que les mesures non tarifaires ont de fortes chances d’augmenter le coût des produits alimentaires pour les consommateurs, mais il est difficile de savoir clairement si les aliments nutritifs sont plus sévèrement touchés par ces mesures. Par ailleurs, les mesures sanitaires et phytosanitaires sont en place pour la protection de la santé et de la vie humaine, animale et végétale104. Les mesures relatives à la sécurité sanitaire des aliments, par exemple, sont mises en œuvre afin de faire en sorte que les aliments commercialisés soient sans danger pour le consommateur; c’est le cas par exemple lorsque l’on impose un niveau maximal de résidus de pesticides ou de médicaments vétérinaires dans les produits3,102. Il a aussi été montré que certaines mesures non tarifaires pouvaient favoriser le commerce agroalimentaire, par exemple en renforçant la confiance des consommateurs (avec des exigences au niveau de l’étiquetage et de l’emballage, par exemple)102,103. Imposer des mesures de protection de la santé humaine, animale et végétale, et les renforcer, tout en rendant leur application transparente et en la fondant sur des éléments factuels, est donc important pour la sécurité sanitaire et la prévisibilité du commerce agroalimentaire ainsi que pour les régimes alimentaires sains.

Les restrictions à l’exportation ciblent principalement les aliments de base considérés comme importants pour la sécurité alimentaire, tels que le riz, le blé, le maïs et les légumineuses, et sont rarement appliquées aux fruits et légumes. Par exemple, dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la hausse sans précédent du prix des denrées, à la mi-mars 2022, l’Égypte a interdit l’exportation de blé, de farine, de lentilles et de haricots, car le niveau des réserves alimentaires devenait de plus en plus préoccupant105. Sur 33 pays ayant mis en œuvre des restrictions à l’exportation sur la période 2007-2011, seule la Jordanie a émis une interdiction d’exporter des «légumes et œufs frais»106, une autre exception étant celle de l’Ouzbékistan, qui a interdit l’exportation de fruits et légumes en 2015, en levant toutefois cette interdiction en 2016107. Un petit nombre de pays a aussi mis en œuvre des restrictions à l’exportation de courte durée pendant la première vague de la pandémie de covid-19: la Türkiye a interdit l’exportation de citrons pendant 5 mois et le Kazakhstan a d’abord interdit l’exportation de différents légumes avant de passer à un quota d’exportations108. Compte tenu de leur vocation principale, qui est de rendre les aliments de base plus abordables, les restrictions à l’exportation pourraient entraîner une baisse relative des prix des aliments de base, et donc se traduire par une forte proportion de ces aliments dans les apports caloriques globaux, des ménages pauvres en particulier. Toutefois, des éléments factuels suggèrent que par le passé, de telles mesures n’ont pas été efficaces pour limiter les hausses de prix des produits cibles sur le marché intérieur109.

Interventions sur le commerce et les marchés: dispositifs de contrôle des prix du marché

Comme indiqué à la section 3.1, les dispositifs de contrôle des prix du marché comportent par exemple les politiques de prix administrés, qui sont utilisées pour l’approvisionnement direct du gouvernement auprès des agriculteurs. Si les interventions, par l’intermédiaire de l’approvisionnement alimentaire public, augmentent ou réduisent les prix nationaux par rapport aux prix à la frontière, elles constituent des mesures incitatives ou dissuasives pour les producteurs.

Souvent, les gouvernements achètent des produits alimentaires directement auprès des agriculteurs à des prix administrés afin de constituer des réserves publiques, pour les programmes de protection sociale ou les repas servis par les institutions publiques (voir encadré 16 à la section 4.2). Les politiques de prix administrés sont courantes dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, notamment chez les grands producteurs agricoles comme la Chine et l’Inde; elles ont en revanche été largement abandonnées par les pays à revenu élevé tels que les États-Unis d’Amérique et les États membres de l’Union européenne69,110. Par le passé, le soutien public apporté par l’intermédiaire de prix élevés garantis, par exemple dans l’Union européenne, a conduit à des réserves publiques excessives et à des frictions avec les principaux partenaires commerciaux de l’Union111.

Les dispositifs de contrôle des prix s’accompagnent souvent de mesures aux frontières afin de maintenir les prix au-dessus des prix du marché pour les producteurs nationaux. Ainsi, le programme de soutien par les prix mis en place en République dominicaine au bénéfice des producteurs de riz prévoit le paiement d’un prix plancher aux producteurs, ce prix plancher étant mis en œuvre au moyen d’une combinaison de mécanismes de régulation du marché et de contingents tarifaires, avec des droits de douane importants une fois le quota dépassé112.

S’ils sont plus élevés que les prix internationaux, ces prix minimum ou prix administrés incitent les agriculteurs à produire de plus grandes quantités qu’ils ne le feraient en l’absence de telles mesures. Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, les gouvernements recourent à cet instrument afin de garantir un approvisionnement suffisant en produits stratégiques, à des fins de sécurité alimentaire, et pour améliorer les revenus des exploitants pauvres. Dans le même temps, comme les autres mesures appliquées au commerce ou aux marchés qui engendrent des incitations par les prix, il crée des distorsions sur les marchés intérieurs et potentiellement sur le commerce mondial en influant sur le coût des aliments. Les dispositifs de contrôle des prix étant majoritairement mis en œuvre pour les céréales, en particulier le riz, le maïs et le blé71, ainsi que pour le sucre110, ils se traduisent souvent par un approvisionnement plus important en ces produits au détriment d’aliments comme les fruits, les légumes et les légumineuses.

Dans bon nombre de pays à revenu faible ou intermédiaire, ces mesures restent très répandues. Les données suggèrent qu’elles peuvent avoir des effets délétères sur la diversité du régime alimentaire. Par exemple, en Égypte, le prix d’achat élevé du blé sur le marché intérieur incite fortement les agriculteurs à cultiver cette céréale. Ceci, couplé à des subventions sur le pain à destination des boulangeries et des consommateurs, a conduit à une nette hausse de la consommation de pain par habitant et à une part plus importante de produits à base de blé dans l’approvisionnement alimentaire total113. Comme dans les autres pays d’Afrique du Nord, l’approvisionnement en produits à base de blé par habitant est parmi les plus élevés au monde: il atteint 146 kg annuels par habitant, ce qui représente plus du double de la moyenne mondiale et environ un tiers de l’approvisionnement alimentaire en termes de calories90.

Subventions à destination des producteurs

L’éventail de produits dont la production est soutenue par différents types de subventions à destination des producteurs (figure 17) et le processus par lequel de telles politiques sont mises en œuvre peuvent jouer directement et/ou indirectement sur la diversité et la quantité d’aliments produits, sur les flux commerciaux et sur les prix relatifs pour les consommateurs, ce qui se répercute sur l’accessibilité et l’abordabilité des régimes alimentaires sains (encadré 10). L’effet particulier d’une subvention est spécifique au (contexte du) pays considéré. Toutefois, ces instruments de soutien public ont tous une part d’effets positifs et négatifs communs sur les régimes alimentaires sains.

Subventions à la production et subventions fondées sur les facteurs de production

Les subventions à la production et les subventions fondées sur les facteurs de production ont une incidence directe sur les choix de production des agriculteurs. Elles peuvent donc influer sur la quantité, la diversité et le prix des produits – qu’ils soient destinés à la consommation finale ou qu’ils constituent des intrants pour l’industrie alimentaire et l’élevage. Au cours des dernières décennies, tous les pays n’ont pas eu recours à ces subventions de la même manière; toutefois, dans la plupart des pays, l’accent a été mis – et continue d’être mis – sur un éventail restreint de produits (voir section 3.1). En réalité, les produits alimentaires les plus subventionnés depuis les années 1970 sont les aliments de base (en particulier le maïs, le blé et le riz), puis le bœuf et le laits.

Ces subventions ont largement contribué à accroître la production et à faire baisser les prix des aliments de base subventionnés, principalement les céréales85,114. Leur principal effet positif a été de contribuer à améliorer la sécurité alimentaire en augmentant l’apport calorique partout dans le monde73,115. De plus, en soutenant les revenus agricoles, les subventions à la production et les subventions fondées sur les facteurs de production ont indirectement soutenu le développement et l’utilisation de meilleures technologies et de nouveaux intrants agricoles qui ont amélioré la productivité des produits subventionnés116.

Ces subventions, cependant, ont aussi entraîné d’importantes distorsions du marchét à l’intérieur et à l’extérieur des frontières62,117,118. Ces distorsions se sont répercutées sur la production, le commerce et les prix des produits subventionnés de manière totalement étrangère à ce qui aurait pu se produire sur un marché concurrentiel et se sont révélées relativement dissuasives pour la production d’aliments nutritifs74,119. Dans certains pays, les subventions à la production et les subventions fondées sur les facteurs de production ont encouragé les monocultures, mis fin à la culture de certains produits nutritifsu et ont fait baisser la production de certains aliments ne recevant pas le même niveau de subventions publiques (produits de base et leurs dérivésv)73,120,121. Ces modifications de la production ont des conséquences directes sur le prix et la disponibilité des produits non subventionnés ou moins subventionnés et leurs dérivés, ce qui peut par ricochet dissuader les populations de diversifier leur régime alimentaire – en particulier les populations les plus vulnérables au plan économique120. Les niveaux de production et les prix inférieurs qui caractérisent les produits subventionnés ont aussi eu des répercussions sur l’industrie alimentaire, qui a mis au point des intrants à faible coût, mauvais pour la santé mais largement utilisés (tels que le sirop de maïs à haute teneur en fructose, les huiles contenant des graisses saturées, etc.)96,122.

Les cultures les plus subventionnées occupent une place prédominante dans l’approvisionnement alimentaire de la plupart des pays, sont peu coûteuses et sont consommées à des niveaux supérieurs aux recommandations (encadré 10) dans certains pays123,124,125. Lorsque l’on considère la part des produits subventionnés et des ingrédients qui en dérivent dans la consommation alimentaire totale des individus, elle est importante – en particulier chez les populations les plus vulnérables, y compris dans les pays à revenu élevé120,126,127. Par exemple, une étude de l’incidence des subventions à la production et des subventions fondées sur les facteurs de production sur la consommation de la population aux États-Unis d’Amérique (ces subventions concernent le maïs, le blé, le soja, le riz, le sorgho, les produits laitiers et le bétail) a montré que 56 pour cent des calories consommées provenaient de produits alimentaires subventionnés, cette proportion se situant entre 66 et 100 pour cent chez les moins éduqués, les plus pauvres et les personnes dont la sécurité alimentaire est la plus précaire122.

Subventions aux intrants

Les subventions aux intrants visent généralement à combler les lacunes des marchés sous-développés ou qui fonctionnent mal, afin d’accroître la rentabilité de l’agriculture et/ou d’augmenter la production et la consommation de produits agricoles128,129. Les subventions aux intrants pourraient ainsi contribuer à la disponibilité et à l’abordabilité des régimes alimentaires sains, ce qui améliorerait la sécurité alimentaire et la nutrition126. Les analyses empiriques montrent toutefois des résultats mitigés. Certaines études de cas de pays révèlent que certains produits ayant bénéficié d’importantes subventions aux intrants – par exemple pour l’achat de semences de riz et d’engrais – ont encouragé une production, une consommation et un investissement privé supérieurs, ce qui a joué un rôle important pour transformer la chaîne de valeur130.

Toutefois, d’autres études de cas de pays montrent que les objectifs de ces subventions ne sont pas toujours atteints, et/ou que le coût dépasse les bénéfices, que cet instrument de politique est difficile à supprimer et que dans certains cas, il a pu inhiber le développement des marchés des intrants128,131. La raison principale de ces résultats tient au processus par lequel ces subventions sont octroyées132. Dans certains pays – souvent dans les pays à faible revenu et ceux à revenu intermédiaire – les objectifs de productivité et de diversité des subventions aux intrants n’ont pas été atteints: lorsque le processus de mise en œuvre était défectueux (par exemple si les subventions n’ont pu atteindre le bénéficiaire souhaité ou si elles n’étaient pas accompagnées de services de vulgarisation)131; lorsque ces subventions n’étaient pas suffisamment financées; lorsqu’elles encourageaient les monocultures; ou lorsqu’elles n’intégraient pas l’enjeu nutritionnel96,130.

Dans les pays où les subventions aux intrants se sont révélées plus coûteuses qu’utiles, notamment les pays à revenu intermédiaire et à revenu élevé, le mécanisme de mise en œuvre (subvention liée au niveau de production d’un nombre limité de produits, par exemple) et le montant élevé des subventions ont non seulement été coûteux et difficiles à stopper, mais ils ont aussi créé des distorsions sur les marchés, ou «injustement» avantagé certains produits (par exemple les céréales)62,133,134. Les incidences négatives des subventions aux intrants sur les régimes alimentaires sont alors les mêmes que celles susmentionnées pour les subventions liées à la production et aux facteurs de production.

Les effets négatifs des subventions aux intrants peuvent aussi dépasser leurs effets positifs lorsque ces subventions puisent dans des fonds publics déjà insuffisants, au détriment d’autres investissements (en faveur des infrastructures, de la recherche-développement, etc.) qui, à long terme, pourraient permettre d’une part d’aider les ménages ruraux à diversifier leurs moyens d’existence, de sorte qu’ils soient moins axés sur les aliments de base, et à passer à une alimentation saine plus diversifiée120,135, et d’autre part de contribuer à stimuler la productivité, et enfin de faire baisser les prix et d’accroître la disponibilité des aliments nutritifs69.

Pour finir sur un élément plus encourageant, des études récentes ont montré que les pays qui se convertissent à des politiques hybrides soutenant la création de marchés pour les intrants131 ont pu atteindre un plus grand nombre d’agriculteurs, tout en développant de manière durable un marché des moyens de production susceptible de faciliter l’accès à des intrants de qualité pour tous les produits agricoles136,137. C’est le cas, par exemple, des subventions aux intrants qui recourent à des bons d’achat et à des négociants privés128, ou des politiques hybrides passant par des transferts de fonds96.

Autres subventions fondées sur des critères non liés à des produits ou à la production

Outre les subventions susmentionnées, on peut citer les montants forfaitaires versés à tous les exploitants, qui peuvent inclure des subventions liées à des résultats sur le plan environnemental ou territorial. Ces subventions sont généralement soumises à des conditions de conformité croisées mais ne sont pas liées à la production de produits ou à des quantités de bétail spécifiques, ni à des facteurs de production particuliers; c’est ce qu’on appelle les subventions découplées (voir section 3.1). Ces subventions peuvent inclure des transferts contribuant à la régénération des sols, dont l’incidence sur les régimes alimentaires sains dépend de la manière dont la subvention est mise en œuvre138. Par exemple, elles peuvent encourager la plantation d’espèces locales139 mais, à court et moyen termes, faire baisser la production de certains produits et donc en augmenter le prix140. L’incidence sur les régimes alimentaires sains dépendra aussi des décisions ultérieures d’utilisation des terres ainsi que de la structure de production agricole en place – les résultats seront donc spécifiques au pays concerné141.

Les subventions découplées peuvent aussi prévoir une aide aux producteurs pour surmonter des difficultés, comme le respect d’une nouvelle réglementation, et encourager une production durable au plan environnemental. Les études empiriques montrent que ces subventions accroissent le niveau de production mais élargissent peu la diversité d’aliments produits par un pays142. En ce qui concerne les régimes alimentaires sains, les études compilées suggèrent que les pays qui ont adopté des subventions découplées n’ont pas pu répondre à la demande d’aliments nutritifs. Par exemple, en Asie du Sud, l’évolution vers des systèmes de production de fruits et légumes à forte valeur a été plus lente que l’essor de la demande143. En France, malgré la hausse des subventions découplées en 2005 et 2014, la performance du secteur des légumineuses ne s’est que peu améliorée144. Dans les deux cas, un manque d’investissement dans les infrastructures et le coût élevé des transactions associées aux chaînes de valeur des fruits et légumes sont cités comme les raisons premières du manque de réactivité de l’offre. Les subventions assorties d’objectifs de durabilité, en revanche, ont contribué à des résultats environnementaux positifs et à la disponibilité d’aliments plus sûrs. La question de la réaffectation des politiques en faveur de systèmes agroalimentaires nutritifs et durables est abordée au chapitre 4.

Soutien aux services d’intérêt général

Le soutien aux services d’intérêt général désigne les dépenses publiques destinées à la fourniture de biens et services publics pouvant être conçus pour créer des conditions propices, et durables au plan environnemental, au secteur alimentaire et agricole (section 3.1). Ces services relient tous les acteurs des systèmes agroalimentaires (figure 1), soutiennent les liens entre producteurs et consommateurs, et peuvent constituer un excellent moyen de doper la productivité lorsqu’elle est faible, ainsi que de combler les écarts de productivité lorsqu’ils sont importants – ce qui est le cas dans de nombreux pays à faible revenu. Ces services englobent la recherche-développement et le transfert de connaissances, les services d’inspection, l’infrastructure agricole, la constitution de réserves publiques, ainsi que la commercialisation et le marketing des produits alimentaires et agricoles. Le soutien aux services d’intérêt général est indispensable au bon fonctionnement des systèmes agroalimentaires, et il est essentiel pour garantir la sécurité sanitaire des aliments et la disponibilité des produits alimentaires; il peut contribuer de manière importante à réduire les prix des aliments – y compris des aliments nutritifs69. Il importe de garder à l’esprit qu’en raison du peu de cas fait de certains aliments nutritifs pendant plusieurs décennies (les produits autochtones, ou les légumineuses en France, à titre d’exemple), ceux-ci n’ont guère attiré les investissements du secteur privé144. Pour ce qui est de l’incidence du soutien aux services d’intérêt général sur la production, elle dépend des services, est très spécifique au contexte (voir section 3.1) et peut présenter des aspects négatifs. Par exemple, un service (disons d’inspection) peut avoir un effet positif sur la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire des aliments, mais impliquer un prix plus élevé (du fait des frais de surveillance) susceptible de menacer l’abordabilité de régimes alimentaires sains, et vice versa. En raison de l’importance des différents services d’intérêt général pour les régimes alimentaires sains, et par souci de clarté, ces services sont abordés ci-après de manière distincte.

Recherche-développement (R-D) et transferts de connaissances

L’investissement public dans la recherche- développement (R-D) est essentiel à la sécurité alimentaire mondiale, à l’amélioration de la nutrition, à la fourniture de régimes alimentaires sains ainsi qu’à la durabilité environnementale. La R-D est l’un des moteurs des gains de productivité, de la baisse des prix des produits agricoles, ainsi que de la chute des prix de détail des aliments depuis 1950145,146. Par exemple, dans le cas des fruits et légumes, une étude a montré que sans la connaissance acquise par la R-D publique, la consommation de ce groupe d’aliments aurait été réduite de 27 pour cent, parce que les prix auraient été plus élevés145. En outre, la R-D a beaucoup contribué au développement des intrants agricoles, de nouveaux produits alimentaires, des technologies agricoles, ainsi qu’à une meilleure information produits entre les négociants, les industriels et les revendeurs, et à la traçabilité des produits depuis l’exploitation agricole jusqu’au consommateur (avec, par exemple, la technologie des chaînes de blocs utilisée par les agents de la chaîne de valeur), qui a renforcé la transparence et la confiance147,148,149.

Bien que les bienfaits de la R-D soient multiplesw, son incidence sur les régimes alimentaires dépend des conditions entourant le soutien apporté à cette activité, des moyens de mise en œuvre et du produit ciblé150. La R-D est généralement un effort conjoint des secteurs privé et publicx 151 réalisé au profit d’institutions établies de longue date, dont la plupart sont fortement concentrées en industries liées aux céréales (parmi lesquelles les produits les plus subventionnés mentionnés plus haut dans la section consacrée aux subventions octroyées aux producteurs)150,152. Par exemple, le World Vegetable Center (qui couvre un vaste éventail d’espèces cultivées) est doté d’un budget d’environ 20 millions d’USD153, tandis que l’Institut international de recherche sur le riz est doté d’un portefeuille d’investissement de 67,5 millions d’USD154.

En lien étroit avec la R-D, les transferts de connaissances sont des services essentiels pour accroître la productivité, la sécurité sanitaire des aliments et la valeur nutritive des produits – ils sont particulièrement nécessaires dans les contextes où il est difficile de répondre aux besoins en micronutriments de la population146. Les services de transfert des connaissances sont indispensables à la diffusion et à l’adoption de produits (par exemple de nouvelles semences) et de technologies (par exemple les données par satellite pour le suivi de la croissance des récoltes) issus de la R-D148,155,156. Ils peuvent aussi jouer un rôle central en fournissant aux agriculteurs une formation générique et des services de vulgarisation (par exemple sur les techniques d’agriculture durable, la gestion des pertes après récolte, l’agriculture intégrant l’enjeu nutritionnel) ainsi qu’un enseignement supérieur sur les programmes agricoles (services axés sur les marchés par exemple)148,157. Ainsi, dans le cas de l’agriculture intégrant l’enjeu nutritionnel, les services de transfert des connaissances passent de plus en plus par différents types d’interventions, tels que la culture d’espèces bioenrichies associée à une éducation à l’agriculture et à la nutrition158, l’enrichissement des céréales et des produits accompagné d’une formation pour faire passer la production à la vitesse supérieure, ce qui s’est révélé efficace pour réduire les carences en micronutriments (comme la vitamine A) tout en faisant croître les revenus des ménages120,130. Ces évolutions, toutefois, ne sont pas accessibles à tous les producteurs du fait que l’écart demeure trop grand en termes de fonds, de connaissances, de technologies, de moyens de mise en œuvre, de coordination des prestataires de services de R-D et de transfert de connaissances, et que les partenariats entre les parties prenantes sont trop limités159. Dans le cas de l’enrichissement, par exemple, les lacunes technologiques sont trop vastes pour que cette technique soit appliquée efficacement dans les petites entreprises de transformation industrielle160,161.

Services d’inspection

Les services d’inspection sont la branche exécutive de la gestion des risques liés à la sécurité sanitaire des aliments. Il s’agit de s’assurer que les produits alimentaires respectent les réglementations ainsi que les normes de sécurité sanitaire et de qualité de l’ensemble de la chaîne du secteur alimentaire (des intrants aux produits)162. Les services d’inspection sont essentiels à des régimes alimentaires sains (encadré 10), à la sécurité alimentaire et à la sécurité sanitaire des aliments, puisqu’ils permettent de réduire les risques de contamination des aliments par des toxines, produits chimiques, bactéries et autres pathogènes nocifs. En outre, l’inspection peut contribuer à améliorer la qualité des aliments (notamment la valeur nutritive des produits) et la productivité (via les règles applicables en cas de pertes de production, par exemple), ainsi qu’à renforcer la confiance et la conscience des consommateurs163. Ces dernières années, les pays ont investi dans des outils de communication des bonnes pratiques, dans des solutions numériques axées sur les risques pour améliorer le contrôle de la sécurité sanitaire des aliments, ainsi que dans la coopération et la collaboration entre les autorités compétentes164,165.

Ceci dit, tous les pays n’en sont pas au même stade en ce qui concerne l’adoption de nouvelles technologies et l’investissement dans les équipements d’inspection nécessaires pour accéder à des services scientifiques de qualité (capacités de suivi, de prélèvement d’échantillons et d’analyse des produits alimentaires à la recherche de contaminants spécifiques, et traitement des données à des fins d’analyse des risques, entre autres). De plus, dans de nombreux pays, les procédures d’inspection restent lourdes et coûteuses et leur mise en œuvre manque de transparence et de cohérence entre les différents organes gouvernementaux (exigences différentes entre le Ministère de l’agriculture et celui de la santé, par exemple) 164,165. En outre, dans certains pays, les systèmes de sécurité sanitaire des aliments du secteur privé sont peu performants166, et certains pays privilégient le contrôle officiel des aliments destinés à l’exportation en négligeant les aliments destinés au marché intérieur (par exemple, les aliments vendus sur les marchés locaux d’Afrique de l’Est contiennent des aflatoxines)167.

Il importe de garder à l’esprit que le manque de confiance dans l’inspection des produits locaux, ou dans les systèmes de gestion de la sécurité sanitaire des aliments par le secteur privé, peut détourner de la consommation de produits locaux nutritifs et moins chers, au profit de produits importés (c’était le cas des aliments pour nourrissons en Afrique de l’Ouest)168. Lever ces obstacles n’est pas sans impliquer certaines contreparties. Pour se conformer à de nouvelles règles ou procédures, l’industrie alimentaire peut avoir à supporter des coûts supplémentaires afin d’assurer la sécurité sanitaire de ses produits, qui se répercuteront sur les prix pour les consommateurs. L’abordabilité des aliments nutritifs peut s’en trouver réduite – avec des conséquences disproportionnées pour les producteurs et consommateurs pauvres. Les gouvernements sont donc mis au défi de trouver le bon équilibre entre ces deux objectifs opposés. Une première étape pour y parvenir pourrait être de mettre en œuvre des instruments tels que l’outil FAO/OMS d’évaluation des systèmes de contrôle des aliments, qui aide à évaluer l’efficacité des systèmes nationaux de contrôle des aliments et de mieux cibler les ressources limitées pour renforcer ces systèmes – notamment en modernisant les services d’inspection169.

Infrastructure

L’infrastructure est essentielle pour favoriser la diversité alimentaire, ainsi que la disponibilité, l’abordabilité et la sécurité sanitaire des aliments. Une infrastructure appropriée peut accroître la quantité et la qualité des aliments disponibles sur les marchés – en particulier dans le cas des denrées périssables comme les fruits144 et le poisson frais170. Elle est nécessaire pour réduire les pertes et le gaspillage alimentaires, les pertes économiques et la pression sur l’environnement, ainsi que pour renforcer la résilience face aux changements climatiquesy 75,171. Consolider l’infrastructure à tous les stades de la chaîne de valeur joue aussi un rôle central dans la sécurité sanitaire des aliments. Par exemple, une infrastructure de séchage et de stockage adaptée et fiable est indispensable pour réduire les mycotoxines cancérogènes (comme les aflatoxines) dans les céréales, les fruits à coque et les aliments secs associés; des chaînes du froid à forte intensité de capital répondant aux normes de sécurité sanitaire des aliments sont nécessaires à la distribution des produits alimentaires d’origine aquatique périssables172.

L’infrastructure joue un rôle particulièrement essentiel dans les pays tributaires de l’accès aux marchés, ainsi que pour ceux où la diversité de l’approvisionnement alimentaire dépend de la production intérieure, et où les pertes après récolte sont très importantes126,155,171. Par exemple, les pertes et gaspillages de fruits et légumes pendant l’après-récolte, le traitement et la distribution ont été estimés à 35 pour cent en Afrique subsaharienne et à 15 pour cent en Europe173.

Il a été montré qu’investir dans l’irrigation, les routes, les technologies de stockage, les techniques de conservation des denrées alimentaires à faible intensité d’intrants (comme le séchage solaire) et le refroidissement et l’électricité durables contribuait à résoudre ces problèmes et devenait de plus en plus nécessaire du fait de l’irrégularité des précipitations et de la hausse des températures120,135,174. Ces investissements, toutefois, ne garantissent pas toujours des améliorations de la diversité du régime alimentaire, ni de l’abordabilité ou de l’accessibilité des régimes alimentaires sains. Ainsi, l’irrigation à petite échelle, en Éthiopie et en République-Unie de Tanzanie, n’a pas amélioré la nutrition151, et bien que le soutien aux chaînes de valeur des fruits et légumes dans sept pays d’Afrique et d’Asiez ait augmenté les exportations de ces produits, il n’a pas fait grimper l’approvisionnement en fruits et légumes sur les marchés informels175.

L’investissement dans l’infrastructure doit donc être conçu pour atteindre les zones rurales et isolées155,156 et les zones urbaines croissantes, et doit être adapté au produit concerné et au contexte. En effet, les pertes et le gaspillage alimentaires varient d’un produit à l’autre – en particulier s’il s’agit ou non de produits périssables (par exemple, en Afrique, les pertes de cultures non périssables s’échelonnent généralement entre 1,3 et 7,3 pour cent, tandis que les pertes après récolte de tomates, au Kenya, atteignent les 28 pour cent)176. En termes de produits, les denrées alimentaires d’origine aquatique sont peut-être celles qui nécessitent la plus grande attention face au pertes alimentaires, étant donné qu’environ 35 pour cent des prises mondiales (pêche par capture et aquaculture) sont soit perdues soit gaspillées chaque année78. En outre, l’investissement dans l’infrastructure doit peut-être s’accompagner d’autres mesures: services de vulgarisation, soutien à la commercialisation des produits alimentaires et agricoles, marketing des aliments nutritifs, services financiers ruraux et, dans certains pays, subventions aux consommateurs pour accroître la consommation de régimes alimentaires sains135,151. Par exemple, les interventions ont besoin non seulement de porter sur l’infrastructure et de faire prendre conscience de l’avantage qu’il y a à réduire les pertes et gaspillages alimentaires, mais aussi d’être accompagnées d’investissements tout au long de la chaîne d’approvisionnement, afin d’assurer un changement de comportement177.

Constitution de réserves publiques

Les programmes de constitution de réserves publiques englobent les coûts de constitution et de gestion des réserves résultant d’opérations d’achat sur le marché, telles que l’approvisionnement public auprès des agriculteurs et les réserves constituées à des fins de sécurité alimentaire (voir section 3.1). Cette catégorie ne couvre pas, en revanche, les dépenses publiques destinées à l’achat de stocks de nourriture. Dans certains pays, ces services font partie des réserves alimentaires nationales destinées à faire face aux urgences alimentaires (par exemple dans le cas de la crise alimentaire de 2007-2008) et sont considérés par certains comme un élément essentiel d’une politique prudente de sécurité nationale – particulièrement dans les pays menacés par des famines ou fréquemment exposés à des chocs (sécheresses, inondations ou conflits)71. Dans certains pays, ces programmes, cependant, sont aussi utilisés pour contrôler la volatilité des prix178. Par ailleurs, les produits concernés sont principalement les aliments de base, notamment le riz, le blé ou le maïs179, ce qui peut détourner la production de produits à forte valeur et nuire à la diversification des régimes alimentaires nationaux vers des aliments à valeur nutritive plus élevée71.

Le succès de la constitution de réserves publiques pour assurer la sécurité alimentaire d’un pays dépend de la conception du programme, qui repose sur des facteurs tels que la structure organisationnelle et la gestion des réserves, l’approvisionnement et l’écoulement des stocks de manière à créer le moins de perturbations possibles pour le fonctionnement du marché usuel178, et l’adoption de politiques publiques saines d’approvisionnement et de services alimentaires, qui vont dans le sens d’accroître la disponibilité des aliments nutritifs et d’établir des normes alimentaires (par exemple concernant les denrées riches en matières grasses, sel, et/ou sucre, etc.)180 (voir section 4.2). Pour répondre aux objectifs de sécurité alimentaire nationale, certains pays cherchent aussi des instruments qui aient un effet neutre sur les marchés, soient moins chers et permettent la diversité alimentaire, par exemple en développant la chaîne de valeur des racines et tubercules autochtones178 ou en octroyant des sommes d’argent aux personnes en situation d’insécurité alimentaire71.

Commercialisation et marketing des produits alimentaires et agricoles

La commercialisation des produits alimentaires et agricoles (telle que définie à la section 3.1)aa englobe des services qui se situent au cœur des environnements alimentaires (figure 1) et concerne les acteurs publics et privés participant à chacun des stades de la chaîne de valeur d’un produit – de la fourniture des intrants des exploitations agricoles aux marchés de vente au détail181,182,183. Par exemple, ces services peuvent inclure les systèmes de notation de produits ou les services de machinisme agricole. Il peut s’agir de services liés aux pertes après récolte, aux moyens de faire baisser les coûts de transaction, de faciliter les échanges et le commerce sur le marché, et de renforcer ou d’élargir les réseaux d’approvisionnement151,183. Il peut aussi s’agir de services destinés à faciliter la vente d’aliments nutritifs dans les zones insuffisamment desservies184, ou de services liés à la conservation, au traitement et à d’autres facteurs déterminants pour assurer la rentabilité de produits nécessitant des mesures particulières (produits périssables, de format imposant, ou produits autochtones, entre beaucoup d’autres).

Les services de commercialisation des produits alimentaires et agricoles peuvent avoir une incidence sur les régimes alimentaires sains par différents canaux. Ils peuvent accroître l’efficacité à l’un ou l’autre point de la chaîne de valeur et augmenter le nombre de fournisseurs, mais aussi la demande, effet combiné qui peut déclencher une mise en concurrence sans faire baisser les revenus des fournisseurs et tout en assurant des prix faibles pour les consommateurs153,185. Ainsi, ces dernières décennies, les coopératives et organisations de producteurs ont joué un rôle fondamental dans la production et la vente des produits agricoles182,186. Cela a été le cas pour le traitement du lait par les coopératives d’agriculteurs au Népal et en Ouganda, qui ont amélioré la capacité et la sécurité sanitaire de la transformation du lait187,188. En Équateur, une plateforme de coopération a aidé les exploitants à atteindre de plus hauts rendements et marges brutes, tout en réduisant le recours aux pesticides toxiques, augmentant ainsi l’approvisionnement en aliments issus d’une production durable189.

Plus récemment, le secteur alimentaire et agricole a vu l’avènement de solutions novatrices permettant d’apporter un soutien adapté aux produits, aux systèmes de production, à la culture et aux traditions des producteurs, ainsi qu’au niveau de développement du pays et du secteur189,190. Ainsi, les gouvernements aident les producteurs (notamment les petits exploitants) à répondre à la demande en finançant des innovations numériques qui permettent aux agriculteurs de trouver des véhicules pour déplacer leurs fruits et légumes vers les marchés (en Inde), et à donner une valeur ajoutée à des produits qui auraient sinon été perdus (tomates transformées en concentré de tomates, par exemple, au Malawi)191. Dans l’Union européenne, les organisations de producteurs canalisent l’aide publique en faveur des fruits et légumes et permettent la mise au point de chaînes d’approvisionnement alimentaire courtes qui, en facilitant la relation entre les producteurs, les professionnels de la transformation et les consommateurs, augmentent la disponibilité des aliments et font baisser les prix pour les consommateurs192,193.

Les activités de marketing, qui viennent compléter ces services, englobent les activités visant à informer les consommateurs et à entrer en contact avec eux (campagnes de promotion, participation à des salons internationaux, activités de promotion de la qualité des produits alimentaires, etc.). Les services mettant en avant les aliments nutritifs, y compris ceux qui donnent aux consommateurs les moyens de choisir des régimes alimentaires sains, sont importants, car l’apport en aliments constitutifs d’un régime alimentaire sain (encadré 10), ou le changement de mode de consommation, dépend non seulement du prix mais aussi de l’accessibilité et de la disponibilité. Les décisions de consommation sont aussi liées aux préférences du consommateur et à ses connaissances sur les aliments nutritifs et l’incidence de mauvais régimes alimentaires sur la santé à long terme, ainsi qu’à sa confiance dans les produits sur le marché194,195 (et, élément non négligeable, à sa confiance dans la qualité et la sécurité sanitaire des produits traditionnels/autochtones). Les analyses empiriques montrent une forte corrélation entre les connaissances sur la nutrition et la santé (qui peut passer par exemple par des informations sur les aliments diffusées sur les grands réseaux sociaux) et les résultats nutritionnels126,130. De même, des études ont montré une forte corrélation entre l’état de santé d’un individu et les produits mis en avant par le marketing196.

Par exemple, le marketing d’aliments à forte densité énergétique riches en matières grasses, sucres et/ou sel augmente nettement la consommation de ces produits, ce qui peut conduire à une détérioration de l’état de santé197. Bien que la plupart des études portant sur l’incidence que peut avoir le marketing sur la consommation de produits mauvais pour la santé aient été menées dans des pays à revenu élevé et à revenu intermédiaire, des résultats similaires sont prévisibles pour les pays à faible revenu, où la consommation de ces aliments est en augmentation198,199,200. En réalité, pour lutter contre les effets néfastes de ce type d’activités de marketing, les pays se sont accordés en 2010, à l’Assemblée mondiale de la Santé, sur des recommandations visant à restreindre le marketing des produits alimentaires et boissons à forte densité énergétique et à faible valeur nutritive à destination des enfants201. Les politiques susceptibles de créer des environnements alimentaires sains et d’aider à mettre en place des modes de consommation sains sont abordées à la section 4.2.

Subventions destinées aux consommateurs

Les subventions destinées aux consommateurs, dont le but est de permettre l’accès à l’alimentation, englobent divers instruments relevant des programmes de protection sociale (à destination des consommateurs finaux) ainsi que les subventions alimentaires, qui visent à faire baisser le coût des aliments (et sont octroyées à des intermédiaires). Cette dernière catégorie recouvre les transferts au bénéfice d’acheteurs commerciaux (meuniers, professionnels de la transformation) et d’autres acteurs de la chaîne de valeur alimentaire (transporteurs, prestataires de services de stockage, etc.)202. Selon leur conception et leur mise en œuvre, ces transferts peuvent contribuer à la sécurité alimentaire et à la nutrition et ont le potentiel d’améliorer l’accès à des régimes alimentaires sains. Ces instruments sont souvent mis en œuvre pour faire face à une situation de crise, de chocs économiques et de réformes stratégiques (réaffectation d’une aide, par exemple), et peuvent faire partie d’un dispositif plus large de politiques en matière d’alimentation et d’agriculture.

Les subventions alimentaires, contrairement aux subventions liées à des produits ou à des intrants, dont il a été question dans les sections précédentes, ont pour objectif premier de rendre les aliments plus abordables et plus disponibles pour les consommateurs. Elles visent généralement certains groupes de population et groupes d’aliments spécifiques203. Par exemple, le Canada octroie des subventions alimentaires aux grossistes vendant des aliments périssables transportés par avion vers des communautés isolées, ce qui a réduit le coût et amélioré la disponibilité d’aliments nutritifs pour les familles des communautés bénéficiaires204.

Les données montrent que les subventions alimentaires qui ciblent des nutriments et des aliments nutritifs spécifiques dans les pays à revenu élevé peuvent améliorer l’état nutritionnel des bénéficiaires, mais seulement pendant la période où la subvention est mise en œuvre et versée aux bénéficiaires 204. La même étude suggère que si la subvention vise des effets à long terme (par exemple par de longues périodes de mise en œuvre), elle permet des changements durables dans les modes d’alimentation et peut potentiellement réduire la prévalence des maladies non transmissibles chez les adultes126. Dans le cas des pays à revenu faible ou intermédiaire, les études montrent que dans la plupart des pays, les subventions alimentaires à vaste échelle ciblent des aliments de base96,205,206; c’est le cas par exemple de la subvention alimentaire portant sur la consommation de riz en Inde207. Les mêmes études ont aussi révélé que ces subventions contribuaient peu, voire pas du tout, à améliorer l’accès à des aliments nutritifs et à des régimes alimentaires sains.

Les transferts réalisés dans le cadre de programmes de protection sociale, dont l’intention et le but sont d’améliorer l’abordabilité des aliments, englobent les transferts alimentaires en nature, les bons alimentaires et les transferts d’argent, et sont mis en œuvre seuls ou dans le cadre d’un dispositif comportant d’autres mesures. Si l’incidence de ces transferts pour réduire la malnutrition et accroître l’accès à des régimes alimentaires sains dépend du contexte, de plus en plus d’éléments révèlent des tendances communes:

  • Les transferts aux consommateurs explicitement destinés à avoir des effets sur la nutrition – par exemple par l’intermédiaire de programmes de protection sociale axés sur la nutrition208 – peuvent augmenter la consommation d’aliments nutritifs209. Les enjeux nutritionnels doivent donc être placés au cœur de la conception de tout transfert dont la vocation est d’assurer la sécurité alimentaire et d’améliorer la nutrition. On peut y parvenir, par exemple, en faisant en sorte que des transferts alimentaires en nature et autres transferts incluent des aliments nutritifs et/ou des aliments de base enrichis210. Les transferts peuvent aussi s’accompagner d’une éducation à l’alimentation et à la nutrition129,211, facteur de réussite commun qui a contribué à accroître la consommation d’aliments nutritifs. Par exemple, le transfert en nature réalisé par le Cap-Vert dans le cadre de son programme d’alimentation scolaire comporte divers aliments nutritifs (fruits, légumes, haricots et poisson) pour les enfants scolarisés, et une composante éducative à l’intention des enseignants, du personnel de l’école et des cuisiniers208.
  • Les subventions ciblant des groupes de population ou la consommation d’aliments spécifiques, associés à une cible de santé précise (par exemple la réduction de l’anémie) donnent de meilleurs résultats. Les subventions ciblées sur les ménages ou individus vulnérables, comme les personnes ayant les plus petits revenus ou les personnes les plus vulnérables au plan nutritionnel, et les interventions spécifiques en matière de nutrition, visant par exemple une supplémentation en micronutriments comme le fer ou l’acide folique, peuvent renforcer l’état de santé d’une population et améliorer la nutrition de ceux qui n’ont peut-être accès à des régimes alimentaires sains que par l’intermédiaire des programmes de protection sociale, et multiplier ainsi le nombre de personnes dont l’état nutritionnel est satisfaisant208,212. Ainsi, cibler les subventions peut contribuer à réduire les inégalités sociales fondamentales entre les consommateurs à faible revenu et les consommateurs à revenu élevé, qui empêchent souvent les familles d’adopter des régimes alimentaires sains et d’accéder à des services de base comme les services de santé. À l’inverse, les subventions s’adressant à l’ensemble de la population peuvent laisser de côté ceux qui en auraient le plus besoin et aggraver les inégalités en matière de santé129,208. Par ailleurs, les transferts dont l’objectif spécifique est d’accroître l’accès à des aliments nutritifs (par exemple en appliquant l’équivalent d’une réduction de prix de 10 à 30 pour cent sur les fruits et légumes)180, en particulier lorsqu’ils s’accompagnent de taxes alimentaires (par exemple sur les boissons contenant des sucres ajoutés)213, sont supposés avoir des retombées positives en termes de santé, se traduisant par exemple par une baisse des décès dus à des maladies cardiovasculaires et des cancers214.
  • La mise en œuvre de ces transferts peut être difficile. C’est le cas lorsque la subvention n’atteint pas les ménages éligibles, atteint des ménages en dehors de critères d’inclusion, et lorsqu’une variété ou une quantité insuffisante de produits est disponible – en particulier dans les pays à faible revenu qui dépendent en grande partie des céréales127, qui subissent des fermetures de magasins, ou lorsque le programme est touché par la corruption (par exemple si les agents gouvernementaux chargés de distribuer les céréales subventionnées les revendent)130,165,215. Régler ces problèmes est non seulement important pour atteindre les objectifs et assurer la durabilité et le bon rapport coût/efficacité des programmes de protection sociale, mais aussi pour faire en sorte que ces programmes soient suffisamment solides pour être étendus ou adaptés, en temps voulu, face aux chocs et aux crises208.
  • Les évaluations de l’incidence et du coût des instruments de protection sociale suggèrent que dans les zones où le marché est suffisamment fonctionnel, les transferts monétaires pourraient plus efficacement permettre la diversité alimentaire, et donc l’apport en micronutriments, que les transferts en nature202,211. Les données montrent de surcroît que l’épargne constituée par les ménages à partir des transferts en nature n’est souvent pas utilisée pour acheter de la nourriture209, alors que ces transferts coûtent près de trois fois plus cher à mettre en œuvre que d’autres interventions211,216. Cependant, les transferts en nature restent essentiels dans les zones isolées, là où les marchés ne fonctionnent pas bien, et se sont révélés avoir des effets positifs sur la nutrition des enfants, dans le cadre des programmes d’alimentation scolaire; ils peuvent également être conçus pour combler les carences nutritionnelles d’une population, par exemple en fournissant des aliments nutritifs ou des aliments enrichis217. C’est pourquoi, dans de nombreux cas, une solution mixte peut apporter de meilleurs résultats202. Par exemple, le programme pakistanais pour les femmes enceintes et allaitantes et les enfants de 6 à 23 mois prévoit des transferts monétaires et des aliments nutritifs sous réserve d’utiliser les services de santé et de nutrition218.

Les pays étudient actuellement des approches multiples et innovantes afin d’améliorer l’efficacité des subventions. Plus précisément, ils cherchent à accroître l’accès à des aliments nutritifs et à améliorer la diversité alimentaire, tout en: i) améliorant les connaissances, les compétences et les pratiques; ii) facilitant l’accès aux services (santé, nutrition, approvisionnement en eau, etc.); et iii) liant l’intervention à une activité économique219. Par exemple, au Chili, le Gouvernement a mis au point une application numérique pour faciliter l’accès des populations vulnérables à des aliments nutritifs, tout en soutenant les petits producteurs et marchés locaux220. Ces nouvelles approches, ainsi que d’autres, doivent être prises en compte dans la réorientation des stratégies de soutien public à l’alimentation et à l’agriculture, comme indiqué plus en détail à la section 4.2.

Résumé – difficultés et solutions potentielles

Les politiques alimentaires et agricoles jouent sur les décisions des consommateurs et de l’industrie alimentaire en influant sur la disponibilité et l’abordabilité des aliments à tous les stades de la chaîne de valeur, de la production primaire à la consommation finale, et fonctionnent en lien avec d’autres systèmes, comme le système de santé et le système environnemental (voir figure 1). Elles peuvent induire des régimes alimentaires déséquilibrés, facteurs de maladies non transmissibles, lorsqu’elles encouragent directement ou indirectement la production de monocultures à forte densité énergétique et pauvres en nutriments, découragent la consommation d’aliments nutritifs (encadré 10), ou rendent plus abordables les aliments à forte densité énergétique riches en matières grasses, sucres et/ou sel199,221.

Pour faire évoluer les habitudes de consommation vers des régimes alimentaires sains et pour que l’industrie alimentaire remplace les intrants nocifs comme les acides gras trans par des intrants nutritifs, il est nécessaire d’augmenter l’offre d’aliments nutritifs, de faire baisser les coûts de ceux-ci à des niveaux compétitifs et de mettre en œuvre des stratégies qui intègrent l’enjeu nutritionnel et s’adressent à la fois aux consommateurs et aux producteurs. Ainsi, les subventions, les interventions axées sur le commerce et le marché et le soutien aux services d’intérêt général doivent être analysés pour leurs effets sur l’approvisionnement alimentaire, les prix et les choix des consommateurs, et être adaptés aux contextes spécifiques des pays de manière à éclairer les réformes nécessaires et à mener des actions multilatérales utiles et coordonnées (voir chapitre 4).

Au cours des dernières décennies, pour améliorer la sécurité alimentaire nationale et soutenir les agriculteurs, l’aide publique s’est fortement concentrée sur la production des aliments de base les plus consommés au monde, comme le riz et le blé, mais aussi le sucre, l’huile, la viande et le lait (figure 22), et sur l’accès à ceux-ci. Une aide moins importante a été consacrée aux aliments à forte valeur nutritive, tels que les légumes, les fruits et les légumineuses, ou aux produits autochtones apportant les nutriments essentiels particulièrement nécessaires dans les zones insuffisamment desservies. Pour ce qui est des mesures aux frontières, les gouvernements devraient s’efforcer de réduire les barrières et de faciliter le commerce afin de favoriser la diversité et l’abordabilité des aliments nutritifs, tout en veillant à ce que la sécurité sanitaire des aliments commercialisés ne soit pas compromise. Ces mesures aux frontières pourraient s’accompagner de mesures fiscales, telles que des taxes intérieures sur les produits riches en matières grasses, en sucres et/ou en sel, qui sont préférables aux droits de douanes étant donné qu’elles jouent non pas sur les seuls aliments importés mais sur la consommation globale d’un aliment, et qu’elles sont conformes aux règles de l’OMC. De même, certaines formes de contrôle des prix du marché sont soumises aux règles du commerce multilatéral et il convient d’examiner attentivement quelles seraient les implications pour l’abordabilité des régimes alimentaires sains avant d’entreprendre quelque changement de politique que ce soit, compte tenu de la spécificité des pays.

Les subventions publiques destinées aux producteurs et le soutien public aux services d’intérêt général doivent inclure des mécanismes de mise en œuvre et de ciblage soigneusement conçus si l’on veut accroître la diversité et l’offre d’aliments nutritifs, en particulier dans les pays à faible revenu et dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, qui accusent un retard de productivité et où la fourniture de ces services reste très lacunaire. Ces mécanismes doivent aussi garantir que les aliments nutritifs et les intrants – qu’ils proviennent des marchés nationaux ou internationaux – puissent atteindre tous les groupes de population, en particulier les plus vulnérables, dont les femmes (chapitre 2). Par exemple, le soutien aux producteurs d’aliments nutritifs peut s’accompagner de programmes de protection sociale intégrant l’enjeu nutritionnel, ainsi que d’une aide à la sécurité sanitaire et à la commercialisation d’espèces négligées et sous-utilisées plus proches des zones reculées. Les solutions potentielles que les pays peuvent adopter pour tirer le meilleur parti de la réorientation de leurs politiques sont examinées au chapitre 4.

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