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Cette année, la nouvelle évaluation mondiale de la sécurité alimentaire et de la nutrition coïncide avec une période particulière de l’histoire. La pandémie de covid-19, la reprise économique qui a suivi, la guerre en Ukraine et la flambée des prix des denrées alimentaires, des intrants agricoles et de l’énergie se sont manifestées de diverses manières selon les régions, et ont eu des effets variables. Cependant, les nouvelles estimations indiquent que la faim a cessé d’augmenter à l’échelle mondiale, bien qu’elle se maintienne à un niveau bien supérieur à celui enregistré avant la pandémie, et nous éloigne fortement de la réalisation de l’objectif de développement durable (ODD) 2.

Comme le soulignaient les précédentes éditions du rapport, l’intensification des principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition – conflits, phénomènes climatiques extrêmes, ralentissements et fléchissements économiques et inégalités croissantes, qui surviennent souvent simultanément – bat en brèche les efforts que nous déployons pour réaliser les ODD. Ces menaces persisteront, cela ne fait aucun doute, et nous devons rester déterminés à renforcer la résilience face à ces épreuves. Cependant, il nous faut également tenir compte de certaines mégatendances importantes lors de la conception des politiques que nous choisissons de mener pour atteindre les cibles de l’ODD 2.

L’urbanisation est l’une de ces mégatendances, et le thème du rapport de cette année. À mesure que le taux d’urbanisation progresse, les zones rurales et urbaines sont de plus en plus enchevêtrées, et leur délimitation spatiale s’estompe. L’évolution des agglomérations le long de ce continuum rural-urbain entraîne des changements d’un bout à l’autre des systèmes agroalimentaires, ce qui s’accompagne de défis, mais offre également des possibilités au regard de l’objectif qui consiste à permettre à chacun d’accéder à une alimentation saine et abordable.

Le présent rapport s’ouvre sur un panorama actualisé de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, suivi d’un examen des moteurs, de la physionomie et de la dynamique de l’urbanisation sous l’angle du continuum rural-urbain. L’analyse porte sur la manière dont l’urbanisation fait évoluer l’offre et la demande de produits alimentaires sur ce dernier. Elle est complétée par la comparaison, pour un certain nombre de pays, du coût et de l’accessibilité économique d’une alimentation saine ainsi que de l’insécurité alimentaire et des différentes formes de malnutrition le long du continuum rural-urbain.

Ces éléments servent ensuite à définir quels politiques, investissements et nouvelles technologies permettraient de relever les défis liés à l’urbanisation, et de tirer parti des possibilités qu’offre celle-ci, au regard de l’objectif qui consiste à permettre à chacun d’accéder à une alimentation saine et abordable, tout au long du continuum rural-urbain.

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA NUTRITION DANS LE MONDE

Indicateurs de la sécurité alimentaire: dernières données en date et progrès accomplis vers l’élimination de la faim et la sécurité alimentaire

L’évaluation mondiale de l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition en 2022 brosse le tableau d’un monde qui peine à se remettre de la pandémie planétaire et qui est maintenant aux prises avec les conséquences de la guerre en Ukraine, laquelle a ébranlé les marchés des produits alimentaires et de l’énergie. La hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie est venue tempérer les signes encourageants de reprise économique au sortir de la pandémie et les projections indiquant un recul de la pauvreté et de la faim.

En 2022, la faim dans le monde – mesurée par la prévalence de la sous-alimentation (indicateur 2.1.1 des ODD) – s’est maintenue à un niveau bien supérieur à celui enregistré avant la pandémie de covid-19. La proportion de la population mondiale souffrant de faim chronique en 2022 était de 9,2 pour cent, contre 7,9 pour cent en 2019. Après une hausse importante en 2020, en pleine pandémie mondiale, puis moins rapide en 2021, la prévalence de la sous-alimentation s’est établie à 9,3 pour cent, puis a cessé d’augmenter entre 2021 et 2022. On estime qu’entre 691 millions et 783 millions de personnes dans le monde ont souffert de la faim en 2022. Si l’on prend la moyenne des projections (735 millions environ en 2022), cela représente près de 122 millions de personnes de plus qu’en 2019, avant la pandémie.

La reprise économique après la pandémie a contribué à endiguer la faim, du moins au niveau mondial. Cependant, cet effet favorable aurait pu être encore plus important s’il n’avait pas été freiné par les répercussions mondiales de la guerre en Ukraine et la hausse des prix des produits alimentaires, des intrants agricoles et de l’énergie, conjuguées à d’autres facteurs d’insécurité alimentaire, tels que les conflits et les phénomènes météorologiques.

L’absence relative d’évolution de la faim au niveau mondial entre 2021 et 2022 masque des différences considérables au niveau régional. Dans la plupart des sous-régions d’Asie et d’Amérique latine, des progrès ont été accomplis en matière de réduction de la faim, mais cette dernière continue d’augmenter en Asie de l’Ouest, dans les Caraïbes et dans toutes les sous-régions d’Afrique. La proportion de la population qui souffre de la faim est bien plus importante en Afrique que dans les autres régions du monde – près de 20 pour cent, contre 8,5 pour cent en Asie, 6,5 pour cent en Amérique latine et dans les Caraïbes et 7,0 pour cent en Océanie.

Les projections actualisées indiquent que près de 600 millions de personnes seront en situation de sous-alimentation chronique en 2030, ce qui souligne l’immense défi que représente la cible des ODD visant l’éradication de la faim. Dans un scénario sans pandémie ni guerre en Ukraine, ce chiffre serait inférieur de 119 millions – et de 23 millions environ dans un scénario où seule la guerre en Ukraine est écartée.

La cible 2.1 des ODD appelle la communauté internationale à ne pas se contenter d’éliminer la faim, et à donner accès à une nourriture sans danger pour la santé, nutritive et en quantité suffisante à tous, tout au long de l’année. L’indicateur 2.1.2 des ODD – Prévalence d’une insécurité alimentaire modérée ou grave dans la population, évaluée selon l’échelle de mesure de l’insécurité alimentaire vécue (échelle FIES) – est utilisé pour suivre les progrès accomplis au regard de cet objectif ambitieux.

Les nouvelles estimations de la prévalence de l’insécurité alimentaire selon l’échelle FIES confirment que l’insécurité alimentaire n’a pas reculé au niveau mondial en 2022. Après une forte augmentation entre 2019 et 2020, la prévalence mondiale de l’insécurité alimentaire modérée ou grave est demeurée stable pour la deuxième année consécutive, mais est restée bien supérieure au niveau enregistré avant la pandémie. On estime qu’en 2022, l’insécurité alimentaire modérée ou grave touchait 29,6 pour cent de la population mondiale, ce qui signifie que 2,4 milliards de personnes n’avaient pas accès à une nourriture adéquate. Cela représente près de 391 millions de personnes de plus qu’en 2019, avant la pandémie.

La prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave a connu une légère hausse en Afrique, en Amérique du Nord et en Europe, et a baissé faiblement en Asie entre 2021 et 2022. L’Amérique latine et les Caraïbes, en particulier l’Amérique du Sud, étaient la seule région ayant accompli des progrès encourageants, bien que la situation en matière de sécurité alimentaire se soit dégradée dans la sous-région Caraïbes.

La comparaison de l’insécurité alimentaire des populations rurales, périurbaines et urbaines aux niveaux mondial, régional et sous-régional, au moyen du degré d’urbanisation (DEGURBA) – une nouvelle norme de classification internationale –, montre une amélioration au niveau mondial lorsque le degré d’urbanisation augmente. En 2022, l’insécurité alimentaire modérée ou grave concernait 33,3 pour cent des adultes en milieu rural, contre 28,8 pour cent dans les zones périurbaines et 26,0 pour cent dans les zones urbaines.

Les nouvelles données FIES révèlent une persistance des inégalités entre les femmes et les hommes. La prévalence de l’insécurité alimentaire est plus élevée chez les femmes que chez les hommes dans toutes les régions du monde, mais l’écart s’est considérablement réduit à l’échelle mondiale entre 2021 et 2022. En 2022, 27,8 pour cent des femmes étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave, contre 25,4 pour cent des hommes, et la proportion de femmes touchées par une insécurité alimentaire grave était de 10,6 pour cent, contre 9,5 pour cent pour les hommes.

Coût et accessibilité économique d’une alimentation saine

L’analyse révisée qui est présentée dans le rapport de cette année indique que près de 3,2 milliards de personnes dans le monde ne pouvaient pas, faute de moyens, s’alimenter sainement en 2020, et qu’une légère amélioration a été notée en 2021 (diminution de 52 millions de personnes). Le coût d’une alimentation saine a augmenté de 6,7 pour cent entre 2019 et 2021, et notamment de 4,3 pour cent sur l’année 2021. La hausse a été supérieure à 5 pour cent entre 2020 et 2021 en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes ainsi qu’en Océanie, mais marginale seulement en Amérique du Nord et en Europe.

Dans de nombreux pays, la hausse du coût d’une alimentation saine a coïncidé avec une baisse du revenu disponible du fait des effets persistants de la pandémie. Les confinements, les fléchissements économiques et autres perturbations liées à la pandémie en 2020 ont entraîné des pertes d’emploi et de revenus pour de nombreuses personnes, touchant principalement les ménages modestes, qui consacrent une part plus importante de leurs revenus à l’alimentation.

Une légère amélioration a été constatée en 2021, lorsque le nombre de personnes n’ayant pas les moyens de s’alimenter sainement a reculé de 52 millions par rapport à 2020, mais le chiffre total reste supérieur de 134 millions à celui de 2019, avant la pandémie. La plupart de ces personnes vivaient en Asie du Sud, en Afrique de l’Est et en Afrique de l’Ouest.

Situation en matière de nutrition: progrès accomplis au regard des cibles mondiales

La nutrition est spécifiquement mentionnée dans l’ODD 2, mais elle est une condition essentielle à la réalisation des 17 ODD. Cette section présente une évaluation des progrès accomplis au regard des cibles mondiales relatives au retard de croissance, à l’émaciation et à l’excès pondéral chez les enfants de moins de 5 ans, à l’allaitement maternel exclusif et à l’insuffisance pondérale à la naissance. S’agissant de l’anémie chez les femmes âgées de 15 à 49 ans et de l’obésité chez l’adulte, il n’existait pas de données actualisées.

Le retard de croissance – taille insuffisante pour l’âge considéré – compromet le développement physique et cognitif de l’enfant. Un retard de croissance et d’autres formes de dénutrition au début de la vie peuvent en outre prédisposer l’enfant au surpoids et à des maladies non transmissibles par la suite. À l’échelle mondiale, la prévalence du retard de croissance chez les enfants de moins de 5 ans a reculé régulièrement, de 33,0 pour cent (204,2 millions) en 2000 à 22,3 pour cent (148,1 millions) en 2022 d’après les estimations.

L’émaciation est une pathologie potentiellement mortelle chez l’enfant, due à des apports en nutriments insuffisants, une mauvaise absorption des nutriments et/ou des maladies fréquentes ou prolongées. Les enfants qui en sont atteints sont dangereusement maigres, ont un système immunitaire affaibli et sont exposés à un plus grand risque de mortalité. On note une diminution de la prévalence de l’émaciation chez les enfants de moins de 5 ans entre 2000 et 2022, de 8,7 pour cent à 6,8 pour cent. Les estimations indiquent une diminution du nombre d’enfants souffrant d’émaciation, de 54,1 millions en 2000 à 45,0 millions en 2022.

L’excès pondéral et l’obésité exposent la santé des enfants à des effets immédiats et potentiellement à long terme, notamment à un risque plus élevé de maladies non transmissibles plus tard dans la vie. L’excès pondéral chez l’enfant est en augmentation dans de nombreux pays, et la tendance s’accélère sous l’effet d’un manque d’activité physique de plus en plus marqué et d’un accès plus large aux produits alimentaires hautement transformés. À l’échelle mondiale, on enregistre une augmentation non significative de la prévalence de l’excès pondéral chez les enfants de moins de 5 ans, de 5,3 pour cent (33,0 millions) en 2000 à 5,6 pour cent (37,0 millions) en 2022 d’après les estimations.

L’estimation la plus récente de l’insuffisance pondérale à la naissance révèle qu’en 2020, 14,7 pour cent des nouveau-nés (19,8 millions) sont venus au monde avec un faible poids (moins de 2 500 g), soit une baisse modeste par rapport aux 16,6 pour cent (22,1 millions) enregistrés en 2000. Les bébés qui pèsent moins de 2 500 g à la naissance ont environ 20 fois plus de risques de mourir prématurément que ceux qui ont un poids correct, et ceux qui survivent voient leur développement et leur santé compromis sur le long terme.

Des pratiques d’allaitement optimales, notamment l’allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois de la vie, sont essentielles à la survie de l’enfant ainsi qu’à sa santé et à son développement cognitif. Au niveau mondial, le taux d’allaitement maternel exclusif des nourrissons de moins de 6 mois est passé de 37,0 pour cent (24,3 millions) en 2012 à 47,7 pour cent (31,2 millions) en 2021. Plus de la moitié des nourrissons de moins de 6 mois dans le monde n’ont donc pas bénéficié des bienfaits protecteurs de l’allaitement maternel exclusif.

Les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure sont les plus durement touchés par le retard de croissance, l’émaciation et l’insuffisance pondérale à la naissance, mais enregistrent également la plus grande proportion de nourrissons exclusivement allaités au sein. La majeure partie des enfants en surpoids vivent dans des pays appartenant à ces deux catégories. À l’échelle mondiale, la prévalence du retard de croissance et de l’émaciation est plus élevée dans les zones rurales que dans les zones urbaines, mais l’excès pondéral est plus courant en milieu urbain.

Les résultats de ces analyses permettent de cerner les groupes de population vulnérables, et apportent ainsi des éléments probants à l’appui de la prise de décisions et d’interventions efficaces guidées par un ciblage et une conception adéquats des politiques et des programmes. Une nutrition saine est une condition essentielle à la réalisation des objectifs de développement durable; elle doit être au cœur des politiques publiques et appuyée par les principales parties prenantes, notamment la société civile et le secteur privé.

L’URBANISATION TRANSFORME LES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES ET INFLUE SUR L’ACCÈS À UNE ALIMENTATION SAINE ET ABORDABLE LE LONG DU CONTINUUM RURAL-URBAIN

Moteurs, physionomie et dynamique de l’urbanisation

L’urbanisation est le résultat de l’augmentation de la population urbaine, de l’expansion urbaine (reclassement de zones rurales en zones périurbaines ou urbaines) et de l’exode rural. Ce processus, qui évolue rapidement, est fonction du contexte et le fruit de facteurs interdépendants.

De nombreux endroits de la planète se sont rapidement urbanisés, et la part de la population urbaine dans la population mondiale est ainsi passée de 30 pour cent en 1950 à 57 pour cent en 2021. Cette proportion devrait atteindre 68 pour cent à l’horizon 2050. Dans la plupart des régions, ce processus s’explique en grande partie par une transformation structurelle, qui entraîne une transformation économique – d’une économie nationale principalement agricole à une économie plus diversifiée –, et attire les populations rurales vers les zones urbaines.

L’urbanisation va souvent de pair avec une croissance économique et une transformation structurelle, mais certains pays et certaines régions échappent à la règle. Une urbanisation sans croissance économique peut être corrélée à de mauvaises conditions de vie rurales – pauvreté, pénurie d’emplois ou sous-emploi, manque d’infrastructures, accès insuffisant aux services et insécurité alimentaire.

Parmi les autres facteurs susceptibles de contribuer à l’urbanisation figurent le changement climatique et/ou la dégradation de l’environnement, qui peuvent influer sur les mouvements migratoires des zones rurales vers les zones urbaines. Les effets du changement climatique et de l’appauvrissement de la biodiversité peuvent contraindre les populations dont les moyens d’existence dépendent des ressources naturelles à partir chercher du travail en ville. On observe en outre de plus en plus de déplacements forcés des zones rurales vers les zones urbaines, souvent en raison de catastrophes et/ou de conflits.

Avec l’expansion urbaine et l’amélioration des routes et des infrastructures de communication sur des portions plus importantes des zones rurales, la distinction entre zones rurales et zones urbaines est de plus en plus floue. Une grande partie des nouveaux citadins vit en principe dans des zones périurbaines, ainsi que dans des villes moyennes et des petites villes interconnectées. Les zones rurales et les zones urbaines sont de moins en moins des espaces distincts en tant que tels, mais plutôt les deux extrémités d’un spectre qui sont reliées par de nombreuses liaisons sur un continuum rural-urbain.

Près de la moitié de la population mondiale (47 pour cent) vit dans des zones périurbaines (situées à moins de 1 heure d’une métropole ou d’une ville de grande, moyenne ou petite taille) ou dans des zones rurales (plus de 1 heure d’un centre urbain). Compte tenu de la connectivité croissante des zones périurbaines et des zones rurales, et du fait que des achats importants de produits alimentaires y sont constatés, les marchés de ces territoires sont clairement des facteurs majeurs de la transformation des systèmes agroalimentaires.

Le degré de connectivité entre les zones rurales et les zones urbaines est un déterminant des systèmes agroalimentaires, et donc de la disponibilité d’une alimentation saine et abordable et des moyens d’existence des producteurs primaires, transformateurs et marchands urbains ou ruraux. Selon l’endroit où la croissance urbaine a lieu – métropoles ou villes de grande, moyenne ou petite taille –, les effets sur l’accès des populations rurales aux services, aux marchés et aux intrants seront différents. Il est par conséquent essentiel de disposer d’un cadre qui couvre le continuum rural-urbain si l’on veut comprendre les liens entre l’urbanisation et l’évolution des systèmes agroalimentaires, et la manière dont ces changements jouent sur la disponibilité et l’accessibilité économique d’une alimentation saine, et de fait sur la sécurité alimentaire et la nutrition.

L’urbanisation a une incidence sur les systèmes agroalimentaires, et engendre des défis et des possibilités au regard de l’objectif qui consiste à assurer l’accès à une alimentation saine et abordable

L’urbanisation, conjuguée à d’autres facteurs contextuels tels que l’augmentation des revenus, la croissance de l’emploi et l’évolution des modes de vie, entraîne des changements d’un bout à l’autre des systèmes agroalimentaires, tout au long du continuum rural-urbain. La hausse de la demande alimentaire dans les zones urbaines va de pair avec l’augmentation de la quantité de vivres que doivent produire, transformer et distribuer les systèmes agroalimentaires, opérations qui, comme l’évolution des comportements des consommateurs, interviennent tout au long du continuum rural-urbain. Ces changements peuvent également entraîner des disparités le long de ce continuum, et avoir à la fois des effets positifs et négatifs sur la disponibilité et l’accessibilité économique d’une alimentation saine et, par ricochet, sur les résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition.

L’un des principaux mécanismes par lesquels l’urbanisation influe sur les systèmes agroalimentaires est l’évolution des comportements des consommateurs et des régimes alimentaires. L’augmentation des revenus moyens, à laquelle s’ajoute l’évolution des modes de vie et de l’emploi, entraîne une transformation des régimes alimentaires qui se caractérise par des changements s’agissant des types et des quantités de vivres consommés – des céréales traditionnelles vers des produits laitiers, du poisson, de la viande, des légumes et des fruits. Les achats de produits alimentaires se développent dans les zones rurales, plus qu’on ne le pense communément. Les populations rurales remplacent de plus en plus les aliments produits par les ménages par des denrées achetées sur les marchés.

Cependant, l’urbanisation contribue également à la propagation et à la consommation de produits transformés et hautement transformés, lesquels sont de moins en moins chers et de plus en plus faciles à trouver et à commercialiser. L’évolution des modes de vie et des profils d’emploi – des femmes comme des hommes – ainsi que l’allongement de la durée des trajets domicile-travail conduisent à l’augmentation de la demande d’aliments prêts à consommer et de plats cuisinés, et contribuent à l’essor de la restauration rapide. On note également une évolution des régimes alimentaires dans les zones rurales, mais avec un décalage par rapport aux zones urbaines et périurbaines et d’une moindre ampleur que dans ces zones.

L’urbanisation entraîne aussi des changements dans les segments intermédiaires et les segments aval des chaînes d’approvisionnement alimentaire, lesquelles s’allongent et deviennent plus structurées et plus complexes sous l’effet de l’augmentation de la demande et du renforcement de la réglementation des systèmes agroalimentaires. Point important, la croissance des activités sur les segments intermédiaires et les segments aval favorise la création de nombreux emplois non agricoles susceptibles d’offrir des revenus de subsistance stables, ce qui accroît l’accessibilité économique des aliments sains.

Les facteurs liés à l’offre, conjugués à une augmentation de la demande d’aliments facilement accessibles, ont contribué à une expansion importante des supermarchés et des hypermarchés, lesquels font appel aux technologies alimentaires modernes. Ces marchés peuvent être corrélés à un meilleur accès à des aliments nutritifs de par une réduction du gaspillage, une hygiène plus rigoureuse et une diminution des effets de la saisonnalité, par exemple, mais ils s’accompagnent également d’une augmentation de l’offre d’aliments très caloriques et hautement transformés.

L’urbanisation, notamment parce qu’elle augmente la connectivité entre zones rurales et zones urbaines, influe également sur les systèmes agroalimentaires en transformant la production agricole. Elle va souvent de pair avec la diversification de l’alimentation, mais les disponibilités en légumes et en fruits, en particulier, sont insuffisantes pour satisfaire les besoins alimentaires journaliers dans presque toutes les régions du monde.

À mesure que les zones urbaines sont mieux connectées aux zones rurales, les producteurs ruraux peuvent également accéder plus facilement aux intrants et services agricoles, ce qui leur permet d’améliorer leur productivité, et généralement d’augmenter leurs revenus. Cela étant, l’expansion urbaine peut provoquer des changements d’affectation des terres. Dans certains pays, les agriculteurs reçoivent une compensation importante lorsqu’ils vendent leurs terres; dans d’autres, au contraire, ils ne sont pas indemnisés lorsqu’ils en sont dépossédés, ce qui entraîne une perte de moyens d’existence et peut aussi causer des problèmes liés aux droits fonciers.

On observe que l’accès à une alimentation saine et abordable est généralement plus facile dans les zones urbaines et que les niveaux de sécurité alimentaire et de nutrition y sont plus élevés que dans les zones rurales du fait de la disponibilité accrue des produits alimentaires, du pouvoir d’achat plus important, et du meilleur accès aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres services essentiels pour la santé et la nutrition. Cependant, cela n’est pas le cas partout, en raison des transformations qui ont lieu actuellement dans les systèmes agroalimentaires, des profondes inégalités qui existent au sein des populations urbaines, et de la connectivité spatiale et fonctionnelle de plus en plus forte entre les villes et leur zone d’influence rurale.

INTERACTIONS ENTRE L’OFFRE ET LA DEMANDE D’ALIMENTS, ET COÛT ET ACCESSIBILITÉ ÉCONOMIQUE D’UNE ALIMENTATION SAINE LE LONG DU CONTINUUM RURAL-URBAIN

Comprendre l’offre et la demande d’aliments le long du continuum rural-urbain

L’urbanisation, conjuguée à la hausse des revenus, à l’augmentation du coût d’opportunité du temps consacré au travail, à l’évolution des modes de vie et aux changements démographiques, entraîne des modifications de la demande alimentaire. Ces facteurs, auxquels s’ajoutent de nombreuses considérations liées à l’offre, notamment la fixation des prix, la commercialisation et la promotion des produits alimentaires, modifient à leur tour les systèmes agroalimentaires, engendrant ainsi une amplification des effets sur les aliments produits, distribués et consommés.

Fait notable, le développement rapide de l’urbanisation entraîne une augmentation et une modification de la demande alimentaire, ainsi que des changements dans les modes d’approvisionnement alimentaire, en particulier en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, les deux régions qui affichent les taux d’urbanisation les plus élevés. D’après les estimations issues de projections des dépenses alimentaires globales, les dépenses alimentaires seront multipliées par 2,5 en Afrique subsaharienne et par 1,7 en Asie du Sud d’ici à 2050.

Une analyse de la demande alimentaire – définie comme la consommation alimentaire des ménages (au prix du marché) – le long du continuum rural-urbain a été réalisée dans les pays sélectionnés et a révélé des schémas intéressants. Elle s’est appuyée sur le nouvel ensemble de données géospatiales concernant les zones d’influence urbaines et rurales (URCA), associé à des informations géoréférencées issues d’enquêtes représentatives au niveau national qui ont été menées dans le cadre de l’Étude sur la mesure des niveaux de vie. Pour des raisons de disponibilité des données, les enquêtes portaient sur la période 2018-2019 pour le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal et le Togo, et sur la période 2019-2020 pour le Malawi.

Comme l’on peut s’attendre à ce que les régimes alimentaires se diversifient à mesure que les niveaux de consommation alimentaire, de revenu et d’emploi augmentent, les 11 pays ont été classés en deux groupes en fonction de leur budget alimentaire, c’est-à-dire de la valeur de marché de la consommation alimentaire totale par habitant et par jour: les pays à budget alimentaire élevé (2,3 USD en parité de pouvoir d’achat [PPA] par habitant et par jour en moyenne) et les pays à budget alimentaire faible (1,6 USD en PPA par habitant et par jour en moyenne).

Les nouvelles données empiriques issues de cette analyse battent en brèche les idées reçues et mettent en lumière des constantes importantes en matière de consommation alimentaire, notamment une convergence des régimes alimentaires tout le long du continuum rural-urbain. Par exemple, dans les 11 pays, les achats d’aliments (destinés à être consommés à domicile ou hors domicile) représentent la majeure partie de la consommation alimentaire totale en valeur.

Si la part des achats d’aliments dans les zones urbaines est importante (78-97 pour cent), comme l’on pourrait s’y attendre, elle est étonnamment élevée sur d’autres segments du continuum rural-urbain, y compris parmi les ménages ruraux qui vivent à 1 ou 2 heures d’une ville, petite ou moyenne (56 pour cent en moyenne), et ceux qui vivent à plus de 2 heures de tout centre urbain (52 pour cent en moyenne). L’observation selon laquelle, dans la plupart des pays analysés, la «majeure partie» de la consommation alimentaire des ménages ruraux est composée d’aliments achetés contraste fortement avec la représentation traditionnelle du ménage rural vivant de l’agriculture de subsistance.

L’autoproduction ne devient jamais la principale source de nourriture, pas même en milieu rural. Dans les zones rurales, elle ne représente en moyenne que 37 pour cent de la consommation totale dans les pays à budget alimentaire élevé et 33 pour cent dans les pays à budget alimentaire faible. Compte tenu du fait que les ménages ruraux des 11 pays africains considérés ne produisent pas la majeure partie (en valeur) des produits alimentaires qu’ils consomment, la question de l’accessibilité économique d’une alimentation saine se pose avec la même acuité tout le long du continuum rural-urbain.

Déjà bien avancée dans les pays d’Asie et d’Amérique latine, la diffusion des aliments transformés, voire hautement transformés, progresse vite en Afrique également. Dans les 11 pays, l’analyse montre clairement que l’achat d’aliments transformés est une constante tout le long du continuum rural-urbain. Même si les aliments hautement transformés ne représentent qu’une faible part des achats totaux et sont plus largement consommés en milieu urbain, les résultats montrent qu’ils gagnent du terrain dans les zones rurales, même dans celles situées à 1 heure ou plus d’une ville, quelle qu’en soit la taille. L’analyse économétrique indique que, dans les 11 pays, plus les revenus des ménages et plus le taux d’emploi non agricole sont élevés, plus la part de la consommation d’aliments hautement transformés en valeur l’est également.

Dans les 11 pays, l’analyse de la répartition de la consommation alimentaire des ménages en valeur entre différents groupes d’aliments montre qu’une transition alimentaire nette est en train de s’opérer le long du continuum rural-urbain, laquelle se caractérise par une augmentation de la consommation d’aliments plus onéreux, tels que les aliments d’origine animale et les fruits. L’analyse économétrique indique que, le long du continuum rural-urbain, la part en valeur de la consommation d’aliments d’origine animale est fortement déterminée par le revenu, tandis que la part en valeur de la consommation de fruits et de légumes dépend davantage de l’accessibilité et de la disponibilité de ces produits.

Coût et accessibilité économique d’une alimentation saine, et sécurité alimentaire et nutrition le long du continuum rural-urbain

Dans les 11 pays, en moyenne, le coût d’une alimentation saine est beaucoup plus élevé dans les zones urbaines que dans les zones périurbaines (1,2 fois plus élevé en moyenne), et va en décroissant à mesure que la taille des villes diminue et que l’on se rapproche des zones rurales. Le fait que les aliments d’origine animale coûtent plus cher que ceux des autres groupes tire à la hausse le coût d’une alimentation saine tout le long du continuum rural-urbain, en particulier dans les zones urbaines et dans les zones rurales reculées.

Dans les 11 pays analysés, aussi bien les pays à budget alimentaire faible que ceux à budget alimentaire élevé, le coût d’une alimentation saine est supérieur au montant moyen des dépenses alimentaires pour les ménages à revenu faible ou intermédiaire. Les ménages à faible revenu vivant dans des zones périurbaines ou rurales sont particulièrement défavorisés car, pour avoir une alimentation saine, il leur faudrait consacrer à la nourriture un budget plus de deux fois supérieur à son montant actuel.

Bien que les aliments sains soient moins coûteux en zone périurbaine qu’en zone urbaine, ils n’y sont pas plus abordables pour autant. En moyenne, le pourcentage de la population qui ne peut pas s’offrir une alimentation saine dans les zones périurbaines est environ 1,5 fois plus élevé que dans les centres urbains et s’établit au même niveau que dans les zones rurales.

Une analyse de l’insécurité alimentaire fondée sur l’échelle FIES a été effectuée pour 9 des 11 pays africains considérés. Il en ressort que, dans bon nombre de ces pays, la prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave dans les zones urbaines et périurbaines ne diffère guère des valeurs observées dans les zones rurales, voire leur est légèrement supérieure dans quelques cas, ce qui signifie que l’insécurité alimentaire n’est pas un problème exclusivement rural.

La prévalence de la malnutrition dans les 10 catégories URCA n’a été estimée que pour 3 des 11 pays, faute de données. Dans ces trois pays (Bénin, Nigéria et Sénégal), la prévalence des retards de croissance chez les enfants de moins de 5 ans augmente généralement à mesure que la taille des villes diminue et que l’on s’éloigne des centres urbains.

La prévalence de l’émaciation chez les enfants de moins de 5 ans est inférieure à la prévalence des retards de croissance dans les trois pays et ne suit pas une tendance aussi linéaire le long du continuum rural-urbain. Néanmoins, certains signes pointent un taux d’émaciation plus élevé dans certaines zones périurbaines et rurales au Nigéria et au Sénégal. De même, la prévalence de l’excès pondéral chez les enfants est faible dans tous les pays et ne suit pas de tendance nette le long du continuum rural-urbain. Il convient toutefois de noter que le surpoids semble moins répandu dans les zones périurbaines et plus courant dans certaines zones rurales que dans les zones urbaines.

POLITIQUES ET SOLUTIONS PERMETTANT DE FAIRE DE LA TRANSFORMATION DES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES UN LEVIER POUR UNE ALIMENTATION SAINE LE LONG DU CONTINUUM RURAL-URBAIN

Le renforcement des liens au sein du continuum rural-urbain, conjugué à l’intensification des interactions entre les composantes des systèmes agroalimentaires, engendre un certain nombre de possibilités et de défis pour ce qui est de la disponibilité et de l’accessibilité économique des aliments sains. Ces interactions offrent également aux politiques et aux programmes un certain nombre de points d’entrée pour orienter la transformation des systèmes agroalimentaires vers une meilleure accessibilité économique des aliments sains.

Politiques et investissements pouvant favoriser des régimes alimentaires sains le long du continuum rural-urbain

Le soutien aux points de vente proposant des aliments plus sains sera essentiel pour faciliter l’accès à une alimentation saine, cette mesure ayant fait la preuve de son effet positif sur la qualité de l’alimentation. Des mesures d’incitation sont nécessaires pour encourager les commerces à stocker et vendre de plus grandes quantités d’aliments frais et aussi peu transformés que possible, par exemple en améliorant leurs installations d’entreposage frigorifique. Par ailleurs, il est possible d’accroître le nombre de points de vente proposant des aliments plus sains dans certaines zones du continuum rural-urbain au moyen d’instruments tels que la planification de l’utilisation des terres et les réglementations en matière de zonage, l’octroi de crédits d’impôt ou d’exonérations fiscales, et les accords de licence.

D’après les estimations, 2,5 milliards de personnes dans les zones urbaines et périurbaines de la planète consomment chaque jour des aliments vendus sur la voie publique, qui sont particulièrement commodes pour les travailleurs à faible revenu et les ménages qui ne disposent pas des ressources, du matériel ni du temps nécessaires pour cuisiner à la maison. Cependant, ces denrées ne contribuent pas toujours à une alimentation saine. Il convient de remédier à un certain nombre de lacunes d’ordre infrastructurel et réglementaire pour améliorer la qualité nutritionnelle et la sécurité sanitaire des aliments vendus sur la voie publique. Il faut notamment assurer un approvisionnement en eau de qualité acceptable pour la préparation de ces aliments, prévoir des zones propres pour la préparation et la consommation, et des installations sanitaires pour les employés, former les vendeurs de rue et éduquer les consommateurs.

Étant donné qu’un quart de la population mondiale vit dans les zones périurbaines qui entourent les villes, grandes, moyennes ou petites, les investissements dans ces agglomérations sont plus en mesure de contribuer à la promotion de régimes alimentaires sains pour les populations qui y vivent que les avantages découlant de la croissance des métropoles. Si l’on parvient à résoudre certains des problèmes auxquels sont confrontées les villes, grandes, moyennes ou petites, les systèmes agroalimentaires pourront devenir les moteurs d’un développement rural inclusif et créer des possibilités de développement pour les petites et moyennes entreprises (PME).

La présence d’aliments transformés dans l’alimentation des ménages sur l’ensemble du continuum rural-urbain constitue un moteur pour l’expansion des services fournis par les PME. Le renforcement de l’efficacité et de l’expansion de ces entreprises pourrait également contribuer à une augmentation de la production d’aliments nutritifs et à une réduction parallèle du coût des aliments pour les consommateurs.

Il est essentiel de développer les infrastructures rurales, notamment de construire des routes rurales et de desserte de qualité qui permettent de relier les exploitations et les entreprises isolées aux réseaux routiers principaux, pour exploiter le potentiel productif des villes, grandes, moyennes ou petites, et de leurs zones d’influence. D’autres investissements publics peuvent être utiles pour renforcer les liens entre les exploitations (essentiellement de petite taille) et les PME, notamment des investissements dans le stockage, l’entreposage frigorifique, une électrification fiable, l’accès aux outils numériques et l’approvisionnelent en eau.

Enfin, étant donné que, dans la plupart des régions du monde, les disponibilités en fruits et en légumes par habitant et par jour ne sont pas suffisantes pour répondre aux exigences d’une alimentation saine, il importe d’accroître la production d’aliments nutritifs et, de façon plus générale, d’encourager la diversification de la production alimentaire.

La technologie et l’innovation, leviers essentiels de la transformation des systèmes agroalimentaires dans le contexte de l’urbanisation

Dans un monde de plus en plus urbanisé, le déploiement stratégique des technologies et des innovations peut être un catalyseur crucial pour la transformation des systèmes agroalimentaires. Les besoins et les capacités des pays sont divers et, bien qu’il existe une multitude de technologies et d’innovations disponibles, aucune technologie ou innovation «miracle» ne saurait répondre à tous les besoins qui existent dans l’ensemble des contextes du continuum rural-urbain.

La question de savoir si ces technologies et innovations sont totalement inclusives dépend non seulement de leur adoption et de leur impact mais aussi des orientations de la recherche-développement. Entre 1981 et 2016, l’investissement public mondial dans la recherche-développement agricole a doublé, les grands pays à revenu intermédiaire enregistrant des augmentations particulièrement importantes. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure de plus petite taille, en revanche, ces investissements demeurent insuffisants en comparaison d’autres composantes du soutien apporté aux services d’intérêt général, telles que les investissements en infrastructures.

Dans les environnements en voie d’urbanisation, où les consommateurs sont de plus en plus exposés aux aliments hautement transformés, diverses solutions technologiques et innovantes en matière d’environnement alimentaire peuvent aider à réduire la consommation de ces denrées. Les sciences comportementales, par exemple, représentent une innovation essentielle qui permet aux gouvernements, aux scientifiques et au grand public de collaborer à l’élaboration d’approches fondées sur des données factuelles pouvant améliorer l’accès à une alimentation saine et abordable, et donner aux consommateurs les moyens de choisir une alimentation saine.

Comme cela a déjà été indiqué, l’urbanisation s’accompagne d’une augmentation de la demande d’aliments emballés et de plats cuisinés. Les innovations dans le domaine de l’emballage alimentaire permettent de préserver la qualité, la sécurité sanitaire et la valeur nutritionnelle des produits alimentaires, de répondre aux besoins et aux préférences des consommateurs, de limiter les pertes et le gaspillage de nourriture et de réduire le coût des aliments nutritifs, en particulier sur les longues chaînes de distribution.

En dernier lieu, de nombreuses technologies et innovations peuvent être mises à profit pour améliorer la productivité dans les zones rurales, urbaines et périurbaines, ainsi que pour combler le déficit de productivité des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, en particulier dans le contexte de la crise climatique et de l’épuisement des ressources naturelles. L’agriculture verticale, par exemple, ne requiert qu’une petite parcelle et peut être pratiquée en intérieur, ce qui permet de cultiver des denrées alimentaires sur des sites urbains ou industriels et de raccourcir les chaînes d’approvisionnement.

Mécanismes de planification et de gouvernance intégrés le long du continuum rural-urbain

Les politiques, les technologies et les innovations porteuses de transformation doivent s’accompagner de mécanismes de gouvernance adéquats qui, tout en faisant intervenir de multiples acteurs, puissent aborder de manière cohérente les défis et les possibilités apparus dans les systèmes agroalimentaires sous l’effet de l’urbanisation.

Compte tenu de la nature multisectorielle de ces défis et possibilités tout le long du continuum rural-urbain, les autorités publiques infranationales ont un rôle important à jouer dans la formulation et la mise en œuvre de politiques cohérentes qui aillent au-delà des systèmes agroalimentaires et transcendent les frontières administratives classiques. Ces autorités, en contact étroit avec les parties prenantes locales, peuvent faire en sorte que les politiques soient adaptées au contexte local en valorisant les avantages et en remédiant aux facteurs de blocage.

Un point de départ important, pour tenter de rationaliser la gouvernance le long du continuum rural-urbain, sera d’établir des accords locaux entre de multiples zones administratives et plusieurs plateformes et réseaux multipartites. Parmi ces mécanismes, les conseils de politique alimentaire font office d’organes consultatifs auprès des autorités locales ou infranationales, appuient la conception et la mise en œuvre des politiques, encouragent la mobilisation des parties prenantes et facilitent le suivi et l’évaluation des progrès accomplis dans la mise en œuvre, de l’efficacité, de l’efficience et de l’impact des politiques.

La conception et la mise en œuvre de politiques, d’investissements et de textes législatifs axés sur les systèmes agroalimentaires à l’échelon local et destinés à apporter des réponses aux défis et aux possibilités multiples qui se font jour au sein des systèmes agroalimentaires doivent être guidées par une approche décloisonnée et jeter des passerelles entre les différents domaines de l’action publique, de façon à produire des changements systémiques.

La cohérence des politiques aux niveaux national et infranational reste un défi majeur à relever aux fins de la mise en place d’un environnement favorable. Par conséquent, ces politiques et ces investissements exigeront l’établissement d’une gouvernance efficace à plusieurs niveaux pour l’ensemble des politiques nationales et régionales relatives aux systèmes agroalimentaires. La création de réseaux nationaux associant différents niveaux de gouvernement apparaît comme un point de départ important pour instituer ce type de mécanisme de gouvernance à plusieurs niveaux.

Conclusion

Bien que la faim ne se soit pas aggravée à l’échelle mondiale entre 2021 et 2022, elle gagne du terrain dans de nombreux endroits de la planète – touchant des personnes qui n’ont pas encore pu compenser les pertes de revenus occasionnées par la pandémie de covid-19, qui ont été durement touchées par la l’augmentation des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, ou encore dont la vie et les moyens d’existence sont mis à mal par des conflits ou des phénomènes météorologiques extrêmes. Il faut se réjouir des progrès accomplis au regard d’importants indicateurs de la nutrition infantile, et plusieurs régions sont en passe d’atteindre certaines des cibles fixées en matière de nutrition d’ici à 2030. Cependant, l’augmentation des taux d’excès pondéral et d’obésité constatée dans de nombreux pays laisse présager un accroissement de la charge des maladies non transmissibles.

Le thème du rapport de cette année est l’urbanisation. Avec des projections indiquant que près de 7 personnes sur 10 vivront dans des villes d’ici à 2050, cette mégatendance façonne les systèmes agroalimentaires et, par suite, leur capacité à assurer une alimentation saine et abordable pour tous et à contribuer à l’éradication de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.

L’une des principales conclusions à retenir est que la manière dont les systèmes agroalimentaires sont façonnés par l’urbanisation ne peut être comprise que sous l’angle du continuum rural-urbain, la simple dichotomie entre milieu rural et milieu urbain ne permettant plus de cerner les liens de plus en plus nombreux qui se tissent entre les zones urbaines, périurbaines et rurales. Cette connectivité croissante qui traverse le continuum rural-urbain est devenue un aspect essentiel qui doit être pris en compte pour comprendre le fonctionnement des chaînes de valeur aujourd’hui. C’est à cette seule condition que l’on pourra trouver des solutions en matière de politiques, de technologies et d’investissements qui répondent clairement aux défis et aux possibilités que suscite l’urbanisation dans les systèmes agroalimentaires.

La mise en œuvre de ces solutions passe par l’adoption de mécanismes de gouvernance et d’institutions intéressant les systèmes agroalimentaires qui transcendent les frontières sectorielles et administratives et s’appuient sur les autorités publiques infranationales et locales. Les autorités locales, en particulier, ont un rôle décisif à jouer dans l’exploitation des mécanismes multipartites et multiniveaux, dont les exemples concrets présentés dans ce rapport montrent qu’ils sont efficaces pour ce qui est de mettre en œuvre des politiques et des solutions essentielles, à même de rendre les aliments sains disponibles et abordables pour tous.

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