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PAYS-BAS (ROYAUME DES). Des tomates mûrissent sur pied dans une serre industrielle.
©Shutterstock/Sergey Bezverkhy

L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2023

Chapitre 5 POLITIQUES ET SOLUTIONS PERMETTANT DE FAIRE DE LA TRANSFORMATION DES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES UN LEVIER POUR UNE ALIMENTATION SAINE LE LONG DU CONTINUUM RURAL-URBAIN

MESSAGES CLÉS
  • Les mesures, les politiques, les nouvelles technologies et, par conséquent, les investissements qui sont nécessaires pour relever les défis et exploiter les possibilités qu’engendre l’urbanisation sont subordonnés à une bonne compréhension des interactions qui s’opèrent entre les systèmes agroalimentaires et le continuum rural-urbain.
  • Sur le plan des politiques, il convient d’adopter une approche qui mette à profit la connectivité progressive entre zones urbaines, zones périurbaines et zones rurales au moyen d’investissements dans les infrastructures, les biens publics et le renforcement des capacités, de façon à étendre l’accès à une alimentation saine et abordable ainsi qu’à assurer la sécurité alimentaire et à améliorer la nutrition pour tous le long du continuum rural-urbain.
  • Compte tenu de la convergence graduelle des habitudes alimentaires le long du continuum rural-urbain, caractérisée notamment par la consommation d’aliments hautement transformés, des politiques et une législation sont nécessaires pour promouvoir des environnements alimentaires structurés et informels sains et donner aux consommateurs les moyens de choisir des aliments nutritifs.
  • Dans les villes, grandes, moyennes ou petites, et les zones périurbaines et rurales qui les entourent, les activités intermédiaires au sein des systèmes agroalimentaires (logistique, transformation et commerce de gros) peuvent apporter une contribution essentielle au développement économique, en réduisant le coût des aliments nutritifs et en créant de nouvelles sources de revenus. C’est particulièrement le cas des nouveaux investissements qui aident les petites et moyennes entreprises à se développer.
  • Il est essentiel d’envisager la situation sous l’angle du continuum rural-urbain pour déterminer quel soutien est le plus nécessaire et où, et pouvoir ainsi remédier aux insuffisances en matière de disponibilité et d’accessibilité des aliments nutritifs, en particulier les fruits et les légumes, à l’échelle mondiale. Il est nécessaire d’améliorer l’accès aux intrants productifs et aux infrastructures d’irrigation tout le long du continuum rural-urbain, mais les aides doivent se concentrer en particulier sur les petits exploitants agricoles dans les zones rurales, ainsi que sur l’agriculture urbaine et périurbaine.
  • Il convient d’accroître les investissements publics dans la recherche-développement pour mettre au point des technologies et des innovations favorisant la création d’environnements alimentaires plus sains et l’amélioration de la disponibilité et de l’accessibilité économique des aliments nutritifs. La technologie peut être particulièrement importante pour renforcer la capacité de l’agriculture urbaine et périurbaine à approvisionner les villes de toutes tailles en aliments nutritifs.
  • Pour renforcer la connectivité et les liens le long du continuum rural-urbain, il est nécessaire de doter les systèmes agroalimentaires de mécanismes de gouvernance et d’institutions qui transcendent les frontières sectorielles et administratives. Les autorités infranationales et locales doivent jouer un rôle clé dans la conception et la mise en œuvre de politiques qui dépassent le périmètre de leur autorité administrative, en s’engageant auprès des parties prenantes des systèmes agroalimentaires à tous les niveaux.
  • Les données recueillies sur divers mécanismes de gouvernance multiniveaux et multisectoriels mettant en œuvre des programmes d’alimentation scolaire, d’agriculture urbaine et périurbaine et/ou d’achats publics laissent penser que ces types d’initiative pourraient servir de points d’entrée pour améliorer la disponibilité et l’accessibilité des aliments sains.

Les modes d’urbanisation, ainsi que la taille et l’agrégation des agglomérations urbaines et des zones rurales qui les entourent, sont en train de transformer les systèmes agroalimentaires, ce qui n’est pas sans conséquences pour l’accès à une alimentation saine et abordable, et donc pour la sécurité alimentaire et la nutrition (chapitre 3). Le renforcement des liens le long du continuum rural-urbain, conjugué à l’intensification des interactions entre les composantes des systèmes agroalimentaires, engendre un certain nombre de possibilités et de défis en ce qui a trait à la disponibilité et à l’accessibilité économique des aliments sains. Ce chapitre fait valoir que ces interactions offrent également aux politiques et aux programmes un certain nombre de points d’entrée pour orienter la transformation des systèmes agroalimentaires vers une meilleure accessibilité économique des régimes alimentaires sains. Il faut néanmoins imprimer une nouvelle orientation aux politiques, qui prenne en considération les systèmes agroalimentaires et leurs dynamiques spatiales mais aussi leurs interactions et leurs interconnexions. Dès lors, l’approche systémique apparaît comme étant la plus indiquée pour trouver des solutions efficaces1.

Cette approche doit également tenir compte de la convergence progressive des caractéristiques de la demande et de l’offre alimentaires le long du continuum rural-urbain (chapitre 4). L’importance croissante des achats d’aliments et de la part des aliments transformés dans l’alimentation ouvrent des possibilités pour ce qui est de mettre à profit les activités menées sur les segments intermédiaires et les segments aval des systèmes agroalimentaires, qui relient la production primaire au consommateur final. En parallèle, la forte croissance des villes, grandes, moyennes et petites, qui abritent près d’un tiers de la population mondiale (voir la figure 19B au chapitre 3), est un facteur que les politiques et la planification doivent intégrer. Pour désigner ces agglomérations, les universitaires parlent de «milieu caché» et de «milieu manquant», respectivementae. Les politiques, les investissements et les lois qui soutiennent ce «milieu caché/manquant» peuvent tirer avantage de la progression de l’interconnectivité due à l’urbanisation pour aider les petits exploitants agricoles et les petites et moyennes entreprises (PME) agroalimentaires à réaliser des économies d’échelle, améliorer les possibilités d’emploi hors de l’agriculture et les revenus des ménages ruraux, et réduire le coût d’une alimentation saine.

Les interactions entre les systèmes agroalimentaires et le continuum rural-urbain amènent à considérer la notion de «territoire» comme une unité d’analyse et d’élaboration de politiques qui oriente la transformation des systèmes agroalimentaires aux fins de l’amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition4. Dans ce contexte, un territoire comprend une ou plusieurs zones urbaines qui sont reliées entre elles et à l’arrière-pays rural par un réseau dense de liens au niveau des systèmes agroalimentaires. Ces liens peuvent être exploités de façon à encourager une transformation territorialisée des systèmes agroalimentaires qui améliore l’accès à une alimentation saine et abordable tout le long du continuum rural-urbain, conduisant à des situations avantageuses pour tousaf. Par exemple, la création de nouvelles sources de revenus non agricoles dans les activités des segments intermédiaires et des segments aval qui sont menées dans les zones périurbaines et rurales pourrait rendre les aliments sains plus abordables, tandis que l’établissement de connexions plus performantes entre les producteurs des zones rurales, les activités intermédiaires dans les zones périurbaines et urbaines et les consommateurs pourraient réduire le coût des aliments nutritifsag.

Sur le plan des politiques, il convient de suivre une approche qui considère la mise au point de technologies et d’innovations et leur adoption comme des éléments essentiels d’une transformation inclusive et durable des systèmes agroalimentaires, propre à améliorer l’accès à une alimentation saine et abordable7, 8. Le renforcement de l’interface science-politiques est crucial pour exploiter les possibilités de transformation8, et il peut s’agir d’un complément essentiel à un grand nombre de politiques, d’investissements et de lois visant à modifier les préférences alimentaires en faveur d’une alimentation saine, à améliorer l’efficacité des activités intermédiaires et à accroître l’offre d’aliments nutritifs. Néanmoins, compte tenu des nombreux points d’entrée créés par l’urbanisation, il n’y a pas de solution technologique ou innovatrice «universelle» qui permette de relever tous les défis et d’exploiter toutes les possibilités qui existent actuellement dans les systèmes agroalimentaires.

Enfin, une approche politique prenant en compte la notion de territoire est intrinsèquement intersectorielle et mobilise différents intervenants des systèmes agroalimentaires: secteur public, secteur privé et société civile. Le succès de cette approche politique territorialisée est donc subordonné à la coordination entre les différents acteurs et parties prenantes. Il faut des institutions et des mécanismes de gouvernance solides pour mettre en œuvre les politiques, les investissements et les lois de manière cohérente, d’une part, et pour tirer parti des technologies et des innovations, d’autre part, mais ces institutions et mécanismes doivent être orientés de façon à renforcer les liens au niveau des systèmes agroalimentaires, grâce aux connexions croissantes entre zones rurales et zones urbaines. En particulier, les autorités infranationales et les mécanismes de gouvernance locale ont un rôle clé à jouer dans l’amélioration des liens traversant le continuum rural-urbain9. La figure 36 offre un résumé graphique de cette approche, dont l’objectif est de répondre aux défis et aux possibilités engendrés par l’urbanisation pour les systèmes agroalimentaires, afin de garantir l’accès à une alimentation saine et abordable tout le long du continuum rural-urbain.

Figure 36 RENFORCER LES LIENS AU NIVEAU DES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES ET LES CONNEXIONS ENTRE ZONES RURALES ET ZONES URBAINES POUR QUE LES ALIMENTS SAINS SOIENT ABORDABLES TOUT LE LONG DU CONTINUUM RURAL-URBAIN

SOURCE: Auteurs du présent document (FAO).
SOURCE: Auteurs du présent document (FAO).

Dans ce chapitre, les auteurs commencent par analyser, sous l’angle du continuum rural-urbain, les différentes politiques qui peuvent être envisagées dans les composantes des systèmes agroalimentaires pour relever les défis et exploiter les possibilités recensées dans les précédents chapitres en ce qui concerne l’accès à une alimentation saine et abordable. À ce titre, ils se concentrent sur les politiques visant à créer un environnement alimentaire sain, sur les politiques et les investissements permettant d’exploiter le potentiel économique des segments intermédiaires des systèmes agroalimentaires des villes de grande, moyenne ou petite taille qui peuvent faire baisser les coûts et rendre les aliments sains plus abordables, et sur les politiques de production alimentaire destinées à accroître l’offre d’aliments nutritifs. Les auteurs recensent ensuite les solutions technologiques et innovatrices qui offrent des perspectives prometteuses dans les différentes composantes des systèmes agroalimentaires pour mettre la transformation des systèmes agroalimentaires au service d’une alimentation saine et abordable, en soulignant celles qui offrent le meilleur potentiel. En dernier lieu, les auteurs examinent les mécanismes de gouvernance jugés les plus appropriés pour gérer l’approche proposée en matière de politiques au-delà des frontières administratives et sectorielles, et précisent le rôle des autorités infranationales et des administrations locales dans la conception et la mise en œuvre de ces mécanismes.

5.1 Politiques et investissements pouvant favoriser des régimes alimentaires sains le long du continuum rural-urbain

Politiques relatives aux environnements alimentaires et au comportement des consommateurs

Les ménages se procurent leur nourriture auprès de sources diverses, par exemple leur propre production, des achats ou des dons. Comme cela a été indiqué précédemment, la majorité des ménages du continuum rural-urbain achètent leurs aliments. En outre, les aliments transformés représentent une part importante de la consommation alimentaire des ménages, non seulement dans les métropoles mais aussi dans les petites villes et les zones rurales.

Certains aspects de l’environnement alimentaire de détailah tendent à s’harmoniser tout le long du continuum rural-urbain, comme la présence de points de vente de produits alimentaires et la façon dont ceux-ci facilitent l’accès aux produits hautement transformés. Néanmoins, il existe aussi des différences dans le niveau de structuration de ces points de vente (par exemple, supermarchés ou commerces alimentaires de plus petite taille). Les points de vente organisés et de grande taille sont plus courants dans les zones urbaines et à leurs abords, et moins répandus dans les zones rurales éloignées des villes, où ce sont les vendeurs informels et les points de vente «traditionnels» (c’est-à-dire les marchés de plein air et de produits frais) qui dominent11, 12. Cela étant, ces vendeurs informels jouent un rôle important dans l’environnement alimentaire de détail même dans les métropoles et les grandes villes, en particulier dans les quartiers défavorisés et les bidonvilles13. Agir sur les environnements alimentaires au moyen de politiques nutritionnelles favorables constitue un point d’entrée important pour faciliter l’accès à des aliments salubres, abordables et nutritifs et réduire la consommation d’aliments hautement transformés à forte densité énergétique et à faible valeur nutritionnelle. Dans cette optique, il sera essentiel de comprendre les spécificités de l’environnement alimentaire de détail tout le long du continuum rural-urbain pour pouvoir cerner des politiques communes applicables à l’ensemble du continuum, mais aussi des points d’entrée différenciés pour les politiques, applicables aux principaux «nœuds» du continuum (par exemple, les environnements alimentaires des villes petites et moyennes, par opposition aux environnements alimentaires des métropoles).

La réglementation relative à la commercialisation des aliments et des boissons peut être importante dans différents contextes tout le long du continuumai. La publicité pour les aliments hautement transformés est courante dans les zones rurales, voire y est plus répandue qu’en milieu urbain dans certains pays11. Parmi les exemples d’initiatives locales qui visent à rendre les environnements alimentaires plus sains, citons la restriction de la publicité pour les produits alimentaires à forte densité énergétique et riches en graisses, en sucres et/ou en sel à proximité des écoles15 à Mandurah (Australie), et dans les transports en commun à Londres16, 17.

Une taxation des produits alimentaires et des boissons à forte densité énergétique et riches en graisses, en sucres et/ou en sel a été mise en œuvre dans 85 pays pour les boissons contenant des sucres ajoutés, et dans 29 pays pour les aliments riches en graisses, en sucres et/ou en sel18, et il est clairement démontré que de telles mesures découragent l’achat de ces produits19, contribuant de ce fait à réorienter la demande vers des aliments plus nutritifs14. Une étude systématique récente menée dans six pays (Afrique du Sud, Australie, Canada, États-Unis d’Amérique, Mexique et Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) a permis de constater non seulement que ces taxes contribuaient à réduire les ventes d’aliments à forte densité énergétique, mais aussi que leurs avantages pour la santé étaient largement supérieurs aux coûts sanitaires potentiels de l’absence d’intervention20. La fiscalité peut également encourager les fabricants à reformuler leurs produits, afin de réduire la présence du composant incriminé (par exemple, les sucres, le sel ou les graisses mauvaises pour la santé) et d’améliorer ainsi le profil nutritionnel du produit.

En donnant des informations sur les propriétés nutritionnelles et la qualité des aliments, l’étiquetage nutritionnel peut faciliter les décisions d’achat et de consommation et contribuer à rééquilibrer l’environnement alimentaire de détail, actuellement orienté vers des aliments qui vont à l’encontre d’une alimentation saine21. Le marketing influe sur les préférences alimentaires des enfants, les demandes d’achat et les apports alimentaires. Les autorités publiques ont l’obligation légale de protéger les droits des enfants, y compris ceux qui sont menacés par des pratiques de commercialisation néfastes22.

Le soutien aux points de vente proposant des aliments plus sains sera essentiel pour faciliter l’accès à une alimentation saine, cette mesure ayant fait la preuve de son effet positif sur la qualité de l’alimentation23. Si les petites échoppes alimentaires de quartier sont importantes pour la sécurité alimentaire des ménages, en particulier ceux ayant des revenus faibles ou intermédiaires, force est de reconnaître que les consommateurs qui fréquentent ces commerces sont surexposés aux aliments hautement transformés à forte densité énergétique10. Cet aspect pourrait être particulièrement important dans les zones rurales, où une part croissante des aliments est achetée dans des points de vente alimentaires de ce type11, 12. Des mesures d’incitation sont nécessaires pour encourager les commerces à stocker et à vendre de plus grandes quantités d’aliments frais et aussi peu transformés que possible, par exemple en améliorant leurs installations d’entreposage frigorifique24. Il est possible d’accroître le nombre de points de vente proposant des aliments plus sains dans certaines zones du continuum rural-urbain au moyen d’instruments tels que la planification de l’utilisation des terres et les réglementations en matière de zonage, l’octroi de crédits d’impôt ou d’exonérations fiscales, et les accords de licence14. Bien que la planification de l’utilisation des terres soit globalement sous-utilisée en tant qu’instrument de promotion d’une alimentation saine, une combinaison d’incitations financières et de mesures de zonage a été mise en œuvre, à l’échelle de l’agglomération, pour accroître l’offre d’aliments sains et abordables dans les commerces des zones mal desservies25. Parmi les mesures destinées à restreindre l’implantation de commerces vendant essentiellement des produits alimentaires à forte densité énergétique et riches en graisses, en sucres et/ou en sel, citons, par exemple, les règles de zonage adoptées par certaines autorités locales pour limiter les points de vente d’aliments chauds à emporter ou de restauration rapide à l’intérieur ou à proximité des écoles26, 27, 28, 29 ou dans des quartiers en particulier30.

Dans les zones rurales, où les sources de nourriture comprennent les aliments achetés et l’autoproduction, certaines politiques pourraient avoir des effets positifs non seulement sur la modification des habitudes alimentaires, mais aussi sur la disponibilité et l’accessibilité des aliments sains. L’éducation nutritionnelle, si elle est plus répandue en milieu urbain, s’est révélée d’une importance capitale pour encourager l’adoption de régimes alimentaires plus diversifiés et plus sains à l’échelon des ménages. Plusieurs études ont permis de parvenir à la conclusion qu’une éducation à la nutrition, dispensée à domicile ou en milieu scolaire, contribuerait à diversifier la consommation alimentaire et, dans le même temps, à encourager la diversification de la production alimentaire, ce qui pourrait améliorer les disponibilités en aliments nutritifs à l’échelon de la communauté31, 32.

Le revenu étant un déterminant majeur de l’accessibilité économique d’une alimentation saine, les transferts monétaires sont également importants pour les ménages pauvres tout le long du continuum rural-urbain. Dans les zones rurales, ils peuvent contribuer à améliorer les modes d’alimentation et à encourager la diversification de la production alimentaire en atténuant les problèmes de liquidités33, 34. Qui plus est, les programmes de transferts monétaires associés à une éducation en matière de nutrition augmentent les chances d’améliorer la nutrition et la santé des enfants35.

En ce qui concerne les zones urbaines et périurbaines, la vente d’aliments sur la voie publique et d’aliments consommés hors domicileaj joue un rôle particulièrement important pour ce qui est à la fois de fournir des emplois aux populations les plus vulnérables et d’assurer leur sécurité alimentaire. Les aliments vendus sur la voie publique sont particulièrement commodes pour les travailleurs à faible revenu et les ménages qui ne disposent pas des ressources, du matériel ni du temps nécessaires pour cuisiner à la maison1. Dans certains contextes, les vendeurs de rue informels peuvent également représenter une source essentielle d’aliments nutritifs et de moyens d’existence; par exemple, dans une zone périurbaine de Dar es Salaam où 70 pour cent des légumes étaient vendus par des marchands informels, ceux-ci étaient souvent des femmes (pour 95 pour cent dans le cas des légumes-feuilles verts)36. Cependant, les aliments vendus sur la voie publique ne permettent pas toujours aux consommateurs pauvres des zones urbaines et périurbaines de s’alimenter sainement37. Il est essentiel, à cet égard, de veiller à la sécurité sanitaire et à la qualité nutritionnelle des aliments vendus sur la voie publique, compte tenu, d’une part, du caractère très informel du secteur de la cuisine de rue et, d’autre part, du fait que 2,5 milliards de personnes dans le monde, d’après les estimations, consomment chaque jour des aliments vendus sur la voie publique38. Les vendeurs de rue informels jouent un rôle majeur en tant que pourvoyeurs de nourriture pour les populations les plus vulnérables des pays à faible revenu d’Afrique et d’Asie, en particulier dans les zones urbaines1. La filière des aliments vendus sur la voie publique montre un certain nombre de lacunes d’ordre infrastructurel et réglementaire, et de nombreux vendeurs de rue ne disposent que de structures temporaires, dépourvues d’eau courante, de matériel de stockage frigorifique et d’installations sanitaires. Parmi les mesures qui s’imposent en matière de sécurité sanitaire des aliments, il faut notamment assurer un approvisionnement en eau de qualité acceptable pour la préparation des aliments, prévoir des zones propres pour la préparation et la consommation et des installations sanitaires pour les employés, former les vendeurs de rue et éduquer les consommateurs38. Les autorités nationales et locales doivent également prendre des mesures garantissant la qualité nutritionnelle des aliments vendus sur la voie publique dans chaque contexte local (voir l’encadré 7).

ENCADRÉ 7INITIATIVES MENÉES EN ASIE DU SUD-EST POUR AMÉLIORER LA QUALITÉ NUTRITIONNELLE DES ALIMENTS CONSOMMÉS HORS DOMICILE

Les aliments prêts à consommer vendus dans des restaurants, dans des snack-bars ou en ligne, ainsi que par des marchands ambulants et des vendeurs de rue, représentent une part importante de l’alimentation de nombreuses populations urbaines d’Asie du Sud-Est. Beaucoup de gens mangent à l’extérieur de leur domicile au moins une fois par jour, voire prennent leurs trois repas quotidiens hors de chez eux41, 42. L’alimentation hors domicile revêt également une importance culturelle et économique dans la région, où un grand nombre de personnes dépendent du secteur alimentaire informel pour leur subsistance.

Singapour a mis en œuvre une approche globale et multipartite, conduite par le Conseil de promotion de la santé, afin d’améliorer l’offre de produits plus sains dans le secteur de l’alimentation hors domicile et, parallèlement, d’augmenter la demande des consommateurs pour ces produits.

Pour améliorer la disponibilité et l’accessibilité des aliments nutritifs, le gouvernement fournit aux acteurs du secteur un appui fondé sur la recherche, de façon à ce qu’ils produisent des ingrédients de base plus sains, tels que des nouilles à base de céréales complètes riches en fibres. Le programme Healthier Dining43 (pour une restauration plus saine) – qui s’appuie sur un programme antérieur intitulé Healthier Hawker (pour la vente ambulante d’aliments plus sains) et sur les hawker centres (marchés de restauration en plein air) créés au début des années 1970 dans le but d’améliorer la sécurité sanitaire des aliments vendus sur la voie publique44 – aide les points de vente alimentaires à intégrer des produits plus sains dans leur offre en leur octroyant des subventions à la reformulation33. Ces subventions peuvent être utilisées pour couvrir les coûts induits par l’achat d’ingrédients meilleurs pour la santé, prendre des cours de cuisine saine ou financer des activités de recherche-développement, par exemple. Des subventions distinctes sont proposées pour promouvoir des boissons et des aliments plus sains45.

Pour stimuler la demande, les autorités ont organisé des campagnes de sensibilisation axées sur des messages simples en faveur d'une alimentation saine. Les produits alimentaires approuvés dans le cadre du programme Healthier Dining sont clairement identifiés au moyen d’étiquettes «Healthier Choice» (plat plus sain) apposées sur les menus, les ardoises, les comptoirs, les étagères et les emballages. En outre, la campagne Eat, Drink, Shop Healthy Challenge (Défi «manger, boire et acheter plus sain»)46 fait la promotion de modes d’alimentation meilleurs pour la santé et offre des récompenses aux personnes qui optent pour des aliments plus sains, grâce à une application sur smartphone.

Ces éléments sont soutenus par une approche appliquée à l’échelle de l’administration dans son ensemble, qui comprend notamment un engagement en faveur de l’utilisation d’ingrédients plus sains dans tous les services de restauration des établissements publics, y compris les écoles. Cet engagement était important pour encourager l’investissement dans l’innovation et la reformulation des produits.

Enfin, il faut souligner que le genre est un facteur important de l’accès à une alimentation saine et abordable, et donc de la sécurité alimentaire et la nutrition. L’amélioration de la condition des femmes et l’égalité des genres ont une influence positive sur l’état nutritionnel des femmes et des membres de leur famille. Par conséquent, la suppression des inégalités structurelles liées au genre et la réalisation du potentiel des femmes peuvent jouer un rôle décisif dans l’amélioration de l’accès à une alimentation saine et abordable. Des données probantes montrent par exemple que la plupart des systèmes de transport ont tendance à privilégier les besoins de déplacement des hommes39. À Blantyre, au Malawi, la diminution des possibilités de transport vers les marchés informels périurbains et ruraux, qui sont souvent plus abordables que les marchés urbains pour les personnes pauvres, a entraîné un amoindrissement de l’accès à des sources d’aliments abordables pour les ménages dirigés par des femmes40. Cette situation souligne la nécessité d’organiser une planification territoriale multidimensionnelle et ciblée pour remédier aux difficultés d’accès à une alimentation saine et abordable qui sont liées au genre. Des systèmes de transport efficaces peuvent réduire la durée des trajets entre le domicile et le lieu de travail, tout comme l’implantation stratégique de points de vente alimentaires urbains proposant des aliments nutritifs et diversifiés sur les trajets empruntés quotidiennement par les femmes39.

Politiques applicables aux segments intermédiaires de la chaîne d’approvisionnement alimentaire: renforcer le rôle du «milieu caché/manquant» en vue de rendre les aliments sains abordables pour tous

Au fur et à mesure que les pays croissent et se transforment, leurs populations urbaines augmentent également, mais en suivant des modes d’agrégation qui diffèrent suivant les pays et les contextes (chapitre 3). Dans certains pays, la transformation structurelle s’accompagne d’une croissance rapide des métropoles, tandis que, dans d’autres, elle est associée à un développement des villes de grande, moyenne et petite taille, qui réduit l’espace compris entre les métropoles et l’arrière-pays rural47, 48. Il a été constaté que les différents modes d’agglomération des populations étaient associés à certains taux de croissance économique et de réduction de la pauvreté3, 49 et qu’ils avaient des incidences sur les systèmes agroalimentaires ainsi que sur la qualité de l’alimentation et de la nutrition.

Les activités de production d’aliments, en particulier de denrées périssables (telles que les fruits et les légumes, qui sont des piliers importants d’une alimentation saine), sont souvent situées à proximité des marchés urbains, de façon à réduire le plus possible les coûts de transaction et de transport50. Cependant, à mesure que les systèmes agroalimentaires sont transformés par l’urbanisation, ce n’est plus tant la distance géographique qui importe que le temps de trajet. Par conséquent, les activités de production alimentaire situées dans des zones éloignées des centres urbains mais bénéficiant d’un meilleur accès aux ressources naturelles (par exemple un sol de qualité, de l’eau, etc.) sont peut-être mieux à même d’assurer l’approvisionnement de ces centres, sous réserve que les coûts de transport soient faibles et que les activités intermédiaires telles que la transformation, la logistique et le transport soient disponibles et efficaces.

Le rôle clé des villes, grandes, moyennes et petites, dans la transformation des systèmes agroalimentaires

Comme indiqué dans le chapitre 3, les zones périurbaines des villes de grande, moyenne et petite taille abritent un quart de la population mondiale. Pour les populations pauvres qui cherchent à développer leur mobilité physique, économique et sociale, ces villes constituent la «première étape» d’un parcours migratoire vers des agglomérations encore plus grandes (ou vers d’autres pays), mais peuvent aussi être la destination finale d’une migration permanente3. La proximité de grandes, moyennes et petites villes avec des zones rurales permet aux ménages agricoles et ruraux d’augmenter et de diversifier leurs revenus par différents canaux: déplacements quotidiens vers les villes voisines, migrations saisonnières ou permanentes, ou envois de fonds.

En règle générale, le processus d’agrégation des populations dans un petit nombre de localités (c’est-à-dire la concentration urbaine dans les métropoles) est associé à une croissance économique globale plus élevée, rendue possible par les économies d’échelle et d’agglomération, lorsqu’il est induit par la transformation structurelle (chapitre 3). Néanmoins, les emplois peu qualifiés dans les activités économiques non agricoles qui se développent dans les villes, grandes, moyennes et petites, sont peut-être plus accessibles aux personnes pauvres, souvent non qualifiées ou semi-qualifiées38, 39. La mise en œuvre de politiques et d’investissements publics bien ciblés dans ces agglomérations serait un moyen d’attirer les investissements privés, notamment dans le secteur agroalimentaire, ce qui contribuerait à la création d’emplois, augmenterait la demande de produits alimentaires issus de l’agriculture locale et permettrait aux populations pauvres de ces zones de sortir de la pauvreté et de s’alimenter plus sainement (encadré 8). Les investissements dans les villes, grandes, moyennes ou petites, sont plus en mesure de contribuer à la promotion de régimes alimentaires sains – aussi bien pour les populations qui y vivent que pour les habitants des zones d’influence de ces centres urbains – que les avantages découlant de la croissance des métropolesak.

ENCADRÉ 8LE RÔLE DE LA PROXIMITÉ URBAINE DANS L’INTENSIFICATION DE L’AGRICULTURE: ÉTUDES DE CAS EN ÉTHIOPIE ET EN INDE

Il est largement démontré que l’agriculture pratiquée à proximité des centres urbains est plus productive, car les exploitants établis dans ces zones obtiennent de meilleurs prix pour les intrants, peuvent accéder aux marchés des intrants et sont plus nombreux à adopter des intrants agricoles modernes. On en sait moins, en revanche, sur la façon dont les modèles d’urbanisation et la taille des centres urbains influencent la production agricole.

Une étude menée en Éthiopie montre que la proximité avec des villes de différentes tailles a des conséquences différentes sur les décisions des agriculteurs d’intensifier ou non leurs activités: les producteurs ruraux qui vivent près d’une métropole comme Addis-Abeba utilisent davantage d’intrants modernes et obtiennent des rendements plus élevés que les exploitants établis non loin d’une ville, grande, moyenne ou petite. Toutefois, en l’absence d’une de ces villes de moindre taille à proximité, il est fort probable que les agriculteurs exclus du marché central d’une métropole continuent de pratiquer une agriculture de subsistance. En revanche, lorsque la population se répartit partiellement dans des villes de grande, moyenne ou petite taille, les agriculteurs qui, initialement, étaient trop éloignés d’une métropole pour pouvoir y écouler leur production se trouvent en situation de satisfaire la demande urbaine de produits alimentaires émanant de ces localités moins grandes51.

Une étude portant sur la métropole indienne de Bangalore et ses environs fournit des éléments qui pourraient confirmer le rôle essentiel que jouent les villes, grandes, moyennes et petites, dans l’essor de l’utilisation d’intrants agricoles modernes dans les zones rurales en permettant à ces dernières d’améliorer leurs liens avec les marchés. Dans certains cas, les agriculteurs établis à une plus grande distance de Bangalore utilisent davantage d’intrants modernes en raison de l’influence de la ville de Doddaballapura52. Par ailleurs, des éléments indiquant que les villes, grandes, moyennes et petites, peuvent améliorer les moyens d’existence ruraux en créant des emplois en dehors de l’agriculture ont été recueillis dans le cadre d’une étude plus récente menée en Éthiopie, de laquelle il ressort que l’expansion de ces localités a un effet positif à court terme sur le bien-être des ménages, en raison de leur participation accrue au secteur non agricole53.

Les politiques peuvent accentuer l’intensification et accroître la productivité de l’agriculture pratiquée à proximité de villes, grandes, moyennes ou petites, en améliorant les connexions entre les exploitations agricoles et les marchés d’intrants et d’extrants, ce qui permet de réduire les coûts d’accès aux marchés nationaux et internationaux et renforce l’accès et le recours des agriculteurs aux intrants modernes.

Cependant, dans la plupart des cas, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, les villes, grandes, moyennes et petites, ne sont pas en mesure de réaliser leur potentiel s’agissant d’accélérer la transformation inclusive des systèmes agroalimentaires et d’améliorer l’accès à une alimentation saine et abordable. L’expansion urbaine n’est ni planifiée ni réglementée, et la gouvernance locale se caractérise par une faible capacité à planifier et exécuter les programmes et par un manque de ressources (transferts nationaux ou recettes fiscales locales) pour les financer. Cela se traduit par un manque d’infrastructures et de services de base (réseaux routiers, ports, logements, accès aux marchés, santé, éducation et protection sociale), qui à son tour freine les investissements privés dans les secteurs en croissance et les possibilités de création d’emplois et de revenus54. Il a ainsi été démontré que l’absence d’infrastructures de transport reliant les zones rurales aux villes voisines de petite et moyenne taille avait un impact négatif sur la productivité agricole et la nutrition55, 56.

Si l’on parvient à résoudre certains des problèmes auxquels sont confrontées les villes, grandes, moyennes ou petites, les systèmes agroalimentaires pourront devenir les moteurs d’un développement rural inclusif grâce à la création d’emplois agricoles et non agricoles pour les ménages ruraux, ainsi que d’une augmentation de la production et de la productivité du secteur alimentaire, portée par la hausse de la demande de denrées alimentaires, les économies d’échelle et l’expansion des débouchés commerciaux. Cela créera également des débouchés pour les PME, qui ont un rôle essentiel à jouer dans ce processus, comme le montre la section ci-dessous.

Soutenir les petites et moyennes entreprises des segments intermédiaires pour rendre les aliments nutritifs plus disponibles et plus abordables

Les PME, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, sont essentielles pour mettre en relation les producteurs primaires et les consommateurs finals. D’un point de vue spatial, les PME relient l’arrière-pays rural aux agglomérations urbaines et périurbaines de toutes tailles en phase d’expansion. Elles recouvrent un large spectre d’activités intermédiaires rurales et urbaines, faisant intervenir des négociants et des détaillants, des camionneurs, des prestataires logistiques, des prestataires de services de stockage, des transformateurs et des réseaux de distribution.

S’agissant des PME implantées dans des villes, grandes, moyennes ou petites, bon nombre d’entre elles tirent parti, entre autres, de leur proximité avec les zones de production. Ce n’est toutefois pas toujours le cas: l’emplacement des PME dépend d’un certain nombre d’autres facteurs, parmi lesquels les possibilités d’approvisionnement régulier en produits agricoles, la périssabilité des matières premières, l’encombrement et la valeur des produits agricoles par rapport aux produits transformés, l’état des infrastructures et des réseaux de transport, l’électrification et l’accès à l’eau57, 58, 59.

Les PME opérant sur les segments intermédiaires peuvent être d’une importance capitale pour l’investissement rural, l’emploi non agricole, la modernisation du secteur agroalimentaire, l’amélioration des services collectifs tels que l’eau et l’énergie et la mise en relation des petites exploitations agricoles avec les marchés alimentaires urbains en expansion60. À ce titre, elles peuvent soutenir les moyens d’existence des ménages et des communautés agricoles, et ceux des populations environnantes61. Le renforcement de l’efficacité et de l’expansion de ces entreprises peut également contribuer à une augmentation de la production et de la productivité des aliments nutritifs et, le cas échéant, à une réduction parallèle du coût des aliments pour les consommateurs. Au Kenya, par exemple, plus de 95 pour cent des fruits et des légumes frais consommés sont cultivés sur place, principalement par des petits producteurs, et distribués essentiellement par des PME appartenant à des filières d’approvisionnement informelles62.

La présence d’aliments transformés dans l’alimentation des ménages tout le long du continuum rural-urbain constitue un moteur pour l’expansion des services fournis par les PME dans les domaines de la transformation et de la distribution, étant donné que les activités de ces entreprises portent sur une large gamme d’aliments transformés (encadré 9)63. En transformant des matières premières périssables en produits agréables au goût et pouvant se conserver longtemps, les PME contribuent à élargir le choix offert aux consommateurs, à neutraliser la saisonnalité des produits et à réduire les pertes alimentaires. L’augmentation de la demande d’intrants agricoles, associée aux opérations de transformation effectuées en aval et aux services et activités de logistique connexes, constituent d’autres facteurs d’expansion.

ENCADRÉ 9SOUTIEN AUX CHAÎNES DE VALEUR ALIMENTAIRES INCLUSIVES EN AFRIQUE

Les investissements dans la transformation agroalimentaire ouvrent des possibilités en matière de développement de l’entrepreneuriat local et de création d’emplois et de valeur ajoutée dans les zones rurales et périurbaines du continent africain65. Bien que la majeure partie des produits agroalimentaires transformés en Afrique soient traditionnellement importés depuis d’autres régions, la part de ces denrées qui est produite localement, y compris dans les industries artisanales, va croissant. Cette augmentation répond en grande partie à la hausse de la demande d’aliments transformés sur les marchés périurbains et ruraux66, 67. Si des investissements ne sont pas réalisés dans les activités de transformation agroalimentaire locales, les pays africains resteront tributaires des importations pour ces produits.

Pour exploiter ce potentiel, il faudra affecter un volume considérable de ressources au développement de la transformation agroalimentaire locale et abaisser les barrières qui freinent l’entrée des transformateurs locaux sur les marchés nouveaux et éloignés (y compris les marchés d’exportation). Cela nécessitera, entre autres, un appui sous la forme de services financiers et de mise en relation avec le marché permettant de relier les petits producteurs ruraux aux négociants et aux courtiers-fournisseurs périurbains et urbains. D’autres approches sont possibles, néanmoins. À l’avenir, les recherches pourraient se concentrer sur la façon dont diverses mesures – telles que les transferts internationaux ainsi que les mesures commerciales et fiscales des pays à revenu élevé – pourraient aider les pays africains et d’autres pays à revenu faible ou intermédiaire à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent pour financer la transformation de denrées agroalimentaires14.

En Afrique, des investissements ont d’ores et déjà été réalisés dans des entreprises de transformation agroalimentaire situées dans des zones périurbaines. Au Ghana, par exemple, le programme Rural Enterprises s’emploie à améliorer les moyens d’existence des petites et moyennes entreprises rurales en améliorant leur rentabilité ainsi qu’en créant des possibilités de croissance et d’emplois. Le projet a conduit à l’établissement de systèmes durables fournissant des services d’aide au développement des entreprises au niveau des districts dans les centres périurbains. Il a également permis de proposer des activités de renforcement des capacités et de formation portant sur la fabrication de matériel de transformation et la mise à l’essai de prototypes, et il a facilité les contacts avec les institutions financières participantes, y compris les banques rurales et périurbaines. Le revenu total, les biens durables et les revenus commerciaux des ménages bénéficiaires étaient supérieurs de 50, 55 et 25 pour cent respectivement à ceux des ménages non bénéficiaires68, et la diversité alimentaire des ménages s’est accrue de 10 pour cent. En outre, les femmes étaient plus susceptibles de s’engager dans des activités professionnelles indépendantes aux côtés des hommes, et disposaient d’un pouvoir de prise de décision accru en matière d’accès au crédit.

En République-Unie de Tanzanie, le programme Marketing Infrastructure, Value Addition and Rural Finance Support Programme (Soutien aux infrastructures de commercialisation, à la création de valeur ajoutée et au financement rural) a notamment pour objectif d’aider les petits producteurs à surmonter les principaux obstacles rencontrés tout le long de la chaîne de valeur agroalimentaire. Ces obstacles comprennent un accès limité au crédit et aux intrants, l’absence d’installations opérationnelles de stockage après récolte, les difficultés d’accès aux marchés et un manque de compétences pour ce qui est d’utiliser les technologies disponibles. Le projet a permis de remettre en état des routes rurales, de renforcer les systèmes de transformation agroalimentaire et d’information sur les marchés agricoles, de soutenir la production et les capacités de prise de décision des producteurs et des négociants concernant l’achat et la vente d’intrants et d’extrants, et d’étoffer les capacités des institutions financières rurales et périurbaines, par exemple en les connectant au secteur bancaire structuré. Ces mesures ont entraîné une hausse importante des revenus agricoles, des ressources animales et des moyens de production des ménages bénéficiaires (de 16, 11 et 7 pour cent respectivement)69. Les rendements agricoles et les recettes tirées des cultures ont augmenté de 29 et 18 pour cent respectivement, et la diversité alimentaire des ménages de 4 pour cent. En outre, les femmes étaient plus susceptibles de détenir, comme les hommes, un pouvoir de décision concernant l’emploi des recettes tirées des cultures, et de faire partie de groupes influents au sein de leur communauté.

Les PME peuvent contribuer à améliorer la nutrition dans les zones rurales en facilitant l’accès des petits exploitants aux marchés et aux intrants. Elles peuvent en outre œuvrer à la modernisation des exploitations, en fournissant des intrants et des financements64 et en proposant des prix différenciés en fonction de la qualité. Pour toutes ces raisons, les PME peuvent grandement contribuer à faire reculer la pauvreté rurale et à améliorer l’accès à une alimentation saine, en développant les possibilités d’emploi dans les PME elles-mêmes, en tirant les revenus agricoles à la hausse et en augmentant l’offre d’aliments nutritifs.

Toutefois, un certain nombre de difficultés empêchent les PME de réaliser leur potentiel et d’exploiter les possibilités de croissance existantes. Ces difficultés sont rarement prises en compte dans les travaux de recherche et la formulation des politiques nationales relatives à la transformation des systèmes agroalimentaires, au développement rural inclusif ou à l’aménagement urbain70, 71, 72. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, les PME sont souvent nombreuses, éparpillées et petites, voire très petites, et la majorité d’entre elles sont informelles et familiales. Leur taille, mais aussi la médiocrité des infrastructures, les exposent à des coûts de transaction élevés, et leur croissance est freinée par un accès insuffisant au financement, un manque d’aides à l’utilisation de technologies améliorées et l’absence de mesures axées sur leur croissance. Étant donné qu’elles ne disposent pas d’approvisionnements diversifiés en produits de base et qu’elles sont tributaires des sources locales, beaucoup de ces entreprises sont confrontées à des risques covariants avec l’agriculture locale. Du fait de multiples contraintes, elles n’ont qu’une capacité limitée à accumuler des actifs et à étendre leurs activités, y compris en tant que sources d’emplois et de diversification des revenus et en tant qu’acteurs pouvant contribuer à une alimentation saine60. On observe également un manque d’investissements publics dans des chaînes de valeur spécifiques qui pourraient améliorer les disponibilités en aliments nutritifs: plus précisément, une part disproportionnée des investissements publics est orientée vers la productivité des cultures de base14.

Qui plus est, les PME des villes, grandes, moyennes ou petites, sont désavantagées par rapport aux grandes entreprises. Des données sporadiques montrent que les économies d’échelle et de gamme sont plus importantes lorsque les intermédiaires desservent une population urbaine concentrée dans une métropole par opposition à une population répartie entre un grand nombre de villes de taille intermédiaire – mais il faudrait mener des recherches plus systématiques sur cette question70. Les femmes sont également très présentes dans les PME, en tant qu’employées et en tant qu’entrepreneuses. Cependant, elles peinent systématiquement à faire croître leur entreprise en raison du manque de ressources financières, de mobilité et de possibilités de s’autonomiser73. En outre, bon nombre des PME exerçant des activités intermédiaires ont un caractère informel et peuvent, de ce fait, se voir privées d’accès aux services publics et être exclues des politiques principalement axées sur les entreprises agroalimentaires structurées74.

Il est également important de noter que la concrétisation du potentiel des PME ne se réalisera pas sans arbitrage entre la croissance, l’emploi et les résultats en matière d’alimentation saine. Les gains de productivité et la réduction du coût des aliments transformés mauvais pour la santé (par exemple, les boissons sucrées, la farine blanchie, l’amidon raffiné, les huiles et les sucres) font baisser le prix de ces aliments, leur conférant un avantage en matière de coût par rapport aux produits peu transformés ou non transformés tels que les fruits et les légumes6, 75.

L’essor des marchés alimentaires représentés par la classe moyenne dans les pays à faible revenu peut être une occasion d’augmenter les approvisionnements en aliments transformés nutritifs76, 77. Dans ce contexte, il est possible d’investir dans les PME du secteur de la transformation, en identifiant les chaînes de valeur et les produits qui, en plus d’être nutritifs, peuvent fournir aux acteurs de ces filières des moyens d’existence porteurs de valeur ajoutée. Parmi ces produis figurent, par exemple, le moringa (sous forme de poudre) et divers produits forestiers non ligneux78.

Politiques et investissements misant sur le potentiel du «milieu caché/manquant» pour garantir à tous une alimentation saine et abordable

Les politiques visant à concrétiser le potentiel des villes, grandes, moyennes ou petites, sur les plans de la croissance, de la réduction de la pauvreté et des progrès réalisés dans l’accès à une alimentation saine et abordable, devraient s’attacher à faciliter la circulation des personnes, des produits et des ressources entre ces localités et leurs zones d’influence rurales, mais aussi aider l’agriculture locale à étendre son rayon de desserte à des marchés plus éloignés. L’amélioration des connexions est essentielle également pour les PME. Des liens renforcés entre les producteurs, les transformateurs de l’agro-industrieal, les prestataires de services agricoles et non agricoles et d’autres intervenants des segments aval de la chaîne de valeur agroalimentaire offriraient aux PME davantage de perspectives de développement et, d’un point de vue spatial, pourraient faire des villes, grandes, moyennes ou petites, des nœuds «d’échange alimentaire» stratégiquesam, 5.

Il est essentiel de développer les infrastructures rurales, notamment de construire des routes rurales et de desserte de qualité qui permettent de relier les exploitations et les entreprises isolées aux réseaux routiers principaux, pour exploiter le potentiel productif des villes, grandes, moyennes ou petites, et de leurs zones d’influence55, 56. Un abondant corpus de données montre que les routes rurales ouvrent la voie à d’autres investissements qui peuvent améliorer la nutrition – par exemple dans les écoles et les services de santé80 – et qu’elles ont des effets positifs sur la diversité alimentaire, la productivité, les revenus et les indicateurs de sécurité alimentaire dans les zones rurales81. Des données indiquent par ailleurs que, au fur et à mesure du développement des infrastructures et des services, les activités intermédiaires (en particulier la transformation agroalimentaire) ont tendance à se déplacer vers les villes, grandes, moyennes ou petites82.

En plus des routes, d’autres investissements publics peuvent être utiles pour renforcer les liens entre les exploitations agricoles (essentiellement de petite taille) et les PME, notamment des investissements dans le stockage, l’entreposage frigorifique, une électrification fiable, l’accès aux outils numériques et l’approvisionnement en eau. La mise en place de ces infrastructures, qui constituent le fondement d’un secteur des services diversifié, est une étape cruciale pour améliorer le fonctionnement des PME (encadré 10). Ces investissements sont de nature à renforcer la résilience et à atténuer les chocs de revenu liés à la saisonnalité, à l’instabilité des marchés et à la variabilité météorologique83. Pour exercer un effet d’attraction sur l’investissement privé, ces investissements publics doivent être mieux ciblés et s’inscrire dans des stratégies nationales de développement infrastructurel plus larges. Par exemple, la mise en place d’infrastructures et de moyens logistiques «du dernier kilomètre» permettant d’acheminer les produits d’un centre de distribution ou d’une usine jusqu’à l’utilisateur final offre aux producteurs la possibilité de toucher des marchés plus vastes et, ce faisant, crée des conditions propices au développement du secteur agroalimentaire5, 84.

ENCADRÉ 10RENFORCER LA CAPACITÉ DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES À PROPOSER DES ALIMENTS SALUBRES ET NUTRITIFS

Les PME peuvent grandement contribuer à rendre les aliments sains plus disponibles et plus accessibles. Néanmoins, elles se heurtent souvent à un manque de capacités techniques et de gestion. Ces lacunes sont encore aggravées par l’absence d’aides systématiques à l’intention des acteurs des chaînes de valeur pour la production d’aliments nutritifs, en particulier dans les filières où opère la myriade de PME existantes.

Pour renforcer le rôle des PME dans l’approvisionnement en aliments salubres et nutritifs, il convient d’améliorer leurs compétences dans des domaines tels que la gestion d’entreprise, la planification financière, la commercialisation, les aspects techniques de l’agriculture durable, la qualité et la sécurité sanitaire des aliments, la transformation et la nutrition. Le défi de la sécurité sanitaire est l’un des plus difficiles à relever, car bien souvent, les PME exercent leurs activités au sein de structures inadéquates et/ou dans un environnement insalubre dépourvu d’accès aux services publics de base, en utilisant des technologies rudimentaires ou obsolètes, et sans appliquer systématiquement des pratiques de production, de fabrication et d’hygiène à jour85, 86. La correction de ces lacunes non seulement facilitera l’accès des PME à des marchés plus lucratifs, mais apportera également une valeur ajoutée aux programmes d’aide publics qui investissent dans des technologies adaptées aux PME (par exemple, des entrepôts frigorifiques ou des séchoirs solaires à faible coût, des solutions de conditionnement abordables, ou encore des technologies de transformation économes en main-d’œuvre, en eau et en énergie). La demande d’aliments d’origine aquatique, par exemple, a mené à l’élaboration de pratiques novatrices permettant de convertir les sous-produits du poisson transformé (parties les plus riches en nutriments qui représentent environ 50 pour cent du poisson transformé entier) et d’autres aliments aquatiques sous-employés, tels que les algues marines, en aliments transformés qui ont leur place dans les programmes locaux d’alimentation scolaire87, 88.

Il faut insérer le développement des capacités des PME dans des programmes plus larges axés sur le renforcement des chaînes de valeur des aliments nutritifs, de façon à pallier la hausse des coûts de production associée à la difficulté de s’approvisionner de façon fiable en matières premières au sein de chaînes de valeur fragmentées, et à mettre à niveau les infrastructures de stockage, d’énergie et de transport.

Les investissements orientés vers l’amélioration de l’accès aux marchés sont également importants pour les communautés de l’arrière-pays qui sont éloignées des zones d’influence des villes, grandes, moyennes ou petites, comme certaines communautés autochtones. Ces populations éprouvent souvent de grandes difficultés à accéder aux marchés et sont donc obligées de s’en remettre à des négociants et des courtiers-fournisseurs, ce qui les expose potentiellement à l’extraction de rente. D’après les données existantes, l’amélioration de l’accès au marché des producteurs autochtones établis dans des zones reculées peut entraîner une amélioration considérable de leur situation économique et de leurs moyens d’existence. Au Brésil, par exemple, une initiative coopérative qui avait pour but d’améliorer l’accès au marché de communautés autochtones en les aidant à acheter des bateaux plus grands, de sorte que les petits pêcheurs puissent livrer le poisson eux-mêmes sur les marchés, a conduit à une augmentation de 27 pour cent des revenus des bénéficiaires89, qui s’explique principalement par le relèvement des prix obtenus par les pêcheurs. Aux Philippines, un projet qui visait à améliorer les moyens d’existence de ménages pauvres vivant dans des communautés autochtones par la mise en place d’infrastructures d’accès aux marchés et de bassins versants communautaires, ainsi que la fourniture de capital financier et de formations en matière de renforcement des capacités, a entraîné une hausse de 13 points de la participation aux marchés des petits producteurs. Le revenu total des ménages bénéficiaires est ressorti à un niveau supérieur de 32 pour cent à celui des ménages de l’échantillon de contrôle, et la diversification des sources de revenus s’est accrue de 6 pour cent90.

Les investissements ciblant les activités intermédiaires peuvent également apporter des solutions à divers problèmes rencontrés à d’autres niveaux de la chaîne de valeur agroalimentaire, une situation qui profite à tous en stimulant à la fois le développement économique et la production d’aliments nutritifs. En Chine, les investissements combinés dans les marchés de gros et les routes de desserte ont eu d’importantes retombées sur les activités agricoles dans les zones d’influence des villes grandes, moyennes et petites, en réduisant les coûts de transaction que doivent supporter les agriculteurs pour accéder aux marchés locaux. Cela a encouragé la pratique du maraîchage et intensifié la production91. Au Bangladesh, l’État a massivement investi dans les marchés aux poissons de gros en milieu rural, afin d’en faire des pôles d’attraction pour la formation de groupements de PME de vente en gros et de logistique dans les zones de pisciculture, ce qui a encouragé et facilité la commercialisation, l’intensification et la diversification des espèces dans la pisciculture92. De manière générale, les investissements dans les connexions entre les sites et les composantes des systèmes agroalimentaires dans les villes, grandes, moyennes ou petites, ont grandement stimulé le développement et les investissements des PME et conduit à la création de groupements spontanés de PME spécialisées dans la vente en gros et la logistique. Ces groupements, à leur tour, incitent les agriculteurs à diversifier leurs cultures et à utiliser davantage d’intrants91, 93. En Inde, la conjonction de facteurs tels que l’augmentation de la demande urbaine et l’amélioration des routes et des liaisons de transport entre les zones rurales et les villes, grandes, moyennes et petites, a entraîné une forte augmentation de l’utilisation des installations d’entreposage frigorifique parmi les cultivateurs de pommes de terre d’Agra et du Bihar, notamment. Il en a résulté une baisse de la saisonnalité de l’offre de pommes de terre, une diminution du rôle des courtiers ruraux traditionnels et un raccourcissement des chaînes d’approvisionnement entre les agriculteurs et les consommateurs70.

Des études récentes montrent en outre que les investissements dans les biens publics, par exemple les routes ou les installations de stockage, peuvent réduire les coûts de transaction et ainsi encourager les agriculteurs à produire des aliments très lucratifs tels que des fruits plutôt que des aliments de base peu rentables destinés à leur propre consommation94, 95. La baisse des coûts de transaction pourrait opportunément inciter les petits exploitants agricoles à réorienter leur production vers des aliments plus nutritifs qui, eu égard à leur disponibilité limitée, auront sans doute un rôle clé à jouer pour rendre l’alimentation saine plus disponible et plus abordable pour tous. Ces éléments vont dans le sens d’une des principales conclusions de l’édition 2022 de ce rapport, qui indiquait que la réorientation et le renforcement du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture en faveur de l’appui aux services d’intérêt général (qui comprend les investissements dans les routes et d’autres biens publics) pourraient jouer un rôle clé dans l’accessibilité économique des aliments sains.

Les marchés alimentaires territoriaux, y compris les marchés de gros, constituent un lien essentiel entre les producteurs, les intermédiaires, les détaillants et les consommateurs en Amérique latine et dans les Caraïbes96, en Asie du Sud-Est et en Afrique, et sont souvent les lieux de commercialisation les plus importants pour les fruits et les légumes97. Le fait d’investir dans des infrastructures améliorées pour les marchés de gros, qui tiennent compte de la dimension de genrean (par exemple, les marchés alimentaires territoriaux), pourrait améliorer l’approvisionnement en produits frais et faciliter la mise en conformité des petits producteurs avec les normes de sécurité sanitaire et de qualité (voir l’encadré 11)97, inciter les exploitants à produire des aliments de meilleure qualité, plus lucratifs, et augmenter la quantité et la diversité de l’approvisionnement alimentaire par un changement d’échelle vertical et horizontal13.

ENCADRÉ 11MARCHÉS ALIMENTAIRES TERRITORIAUX, SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS ET ALIMENTATION SAINE

Les marchés alimentaires territoriaux* sont des points de vente au détail essentiels pour les fruits et les légumes, mais aussi pour les aliments d’origine animale et les aliments de base, entre autres. Des petits villages aux grandes métropoles, ils constituent un lieu d’approvisionnement important pour de nombreux produits alimentaires et, par ailleurs, font partie intégrante du tissu social des communautés. Ces marchés représentent une source primordiale d’aliments frais, nutritifs et abordables pour de nombreux groupes à revenu faible ou intermédiaire, et une source importante de subsistance pour des millions d’habitants des zones urbaines, périurbaines et rurales du monde entier106.

Les marchés alimentaires territoriaux sont également des points de vente clés pour les producteurs locaux. Dans le secteur alimentaire africain, par exemple, 80 pour cent des denrées alimentaires proposées à l’échelon national sont achetées sur des marchés composés principalement de PME, la part de la production des ménages agricoles destinée à leur propre consommation se limitant aux 20 pour cent restants107. Ces marchés alimentaires sont également essentiels en tant que sources d’emplois pour les femmes, qui représentent une part considérable des détaillants sur ces marchés. Sur les marchés cartographiés au Malawi, au Paraguay et en République-Unie de Tanzanie, par exemple, les femmes sont nettement majoritaires, comptant pour 57 à 81 pour cent des détaillants108.

Cependant, s’ils ne sont pas gérés correctement, les marchés alimentaires territoriaux peuvent engendrer des risques pour la santé publique mondiale, comme en témoignent les épidémies périodiques de zoonoses d’origine alimentaire, qui n’épargnent aucun continent109. Ces épidémies ont de multiples causes – interactions entre l’homme et l’animal, piètre qualité des infrastructures et mauvaises pratiques de manutention après récolte, qui provoquent la contamination des aliments par des virus, des bactéries, des parasites, des prions et des substances chimiques (notamment des toxines, des pesticides, des produits chimiques industriels, des métaux et des polluants organiques persistants)110.

En veillant à ce que des aliments nutritifs abordables, salubres et attrayants soient disponibles sur les marchés alimentaires territoriaux, on peut influencer positivement les préférences et les choix alimentaires des consommateurs et contribuer ainsi à améliorer leur état nutritionnel et leur santé. Dans cette perspective, l’adoption d’une réglementation appropriée et des investissements suffisants dans la remise en état et la rénovation des marchés territoriaux sont des moyens importants de promouvoir la sécurité sanitaire et la qualité des aliments, d’améliorer la santé, d’accroître la sécurité alimentaire et de renforcer l’économie. Ces marchés alimentaires offrent également un cadre idéal pour informer les consommateurs sur les épidémies et leur donner des conseils de santé d’ordre général (y compris des informations sur la nutrition), en faisant intervenir les parties concernées (par exemple les vendeurs et les autorités locales) et le public38. Ces conseils sont essentiels pour inciter les consommateurs à acheter des aliments de meilleure qualité nutritionnelle (par exemple des fruits, des légumes, des légumineuses, des fruits à coque et du poisson)111.

NOTES: * Les marchés territoriaux sont des marchés qui sont directement liés aux systèmes agroalimentaires locaux, nationaux et/ou régionaux, et qui se caractérisent par des relations essentiellement horizontales entre les différentes parties prenantes. Ils exercent de multiples fonctions (économiques, sociales, culturelles, etc.) allant au-delà de l’approvisionnement alimentaire de leurs territoires respectifs, et sont les marchés les plus rémunérateurs pour les petits exploitants112.

La consommation et la demande accrues d’aliments transformés (voir le chapitre 3 et le chapitre 4) suscitent à la fois des défis et des possibilités pour l’accès à une alimentation saine. Bien qu’elle soit souvent associée à des aliments hautement transformés à forte teneur en graisses, en sucres et/ou en sel, la transformation des aliments peut améliorer leur qualité nutritionnelle et réduire le coût d’une alimentation saine. La reformulation des aliments transformés et des boissons, par exemple, est un moyen essentiel d’améliorer la qualité nutritionnelle de ces produits le long du continuum rural-urbain99; elle peut améliorer la qualité de l’alimentation en augmentant sa teneur en nutriments et en réduisant la présence d’acides gras saturés et trans, de sucres et/ou de sel dans les aliments achetésao. Dans de nombreux pays à revenu élevé, et de plus en plus dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, une part importante du sodium présent dans l’alimentation provient d’aliments transformés tels que le pain, les céréales, les viandes transformées et les produits laitiers. L’instauration d’une teneur maximale en sodium pour ces catégories d’aliments transformés peut encourager la reformulation des produits existants et améliorer leur qualité nutritionnelle101. À ce jour, 65 pays ont mis en œuvre des politiques visant à réduire la teneur en sodium des aliments manufacturés grâce à une reformulation, et près de la moitié de la population mondiale est couverte par des limites obligatoires concernant la teneur en acides gras trans101, 102, 103. Si la reformulation des aliments transformés peut contribuer à rendre ces produits plus sains, elle ne supprime pas le problème que constitue la consommation élevée d’aliments hautement transformés. Les sucres libres, par exemple, sont souvent remplacés par des édulcorants non nutritifs (ou artificiels), qui en eux-mêmes n’améliorent pas la qualité de l’alimentation. En fait, les sucres libres devraient être remplacés par des sources de sucrosité naturelle, telles que les fruits, ainsi que par des aliments et des boissons très peu transformés et sans sucre ajouté104. De même, la fortification est la pratique consistant à augmenter délibérément la teneur d’un aliment ou d’un condiment en un ou plusieurs micronutriments (vitamines et minéraux) de façon à améliorer la qualité nutritionnelle de l’alimentation et à apporter un bénéfice pour la santé publique avec un risque minimum. Les vecteurs alimentaires de la fortification vont des produits de base tels que divers types de farine, le sucre et le sel, qui peuvent entrer dans la composition d’aliments transformés, jusqu’aux aliments transformés qui sont fortifiés au point de fabrication ou d’utilisation105.

Politiques de production alimentaire

Comme indiqué au chapitre 3, dans la plupart des régions du monde, les disponibilités en fruits et en légumes par habitant et par jour ne sont pas suffisantes pour répondre aux exigences d’une alimentation saine. C’est pourquoi il importe d’accroître la production d’aliments nutritifs et, de façon plus générale, d’encourager la diversification de la production alimentaire, dont il est démontré qu’elle a des effets positifs sur les approvisionnements alimentaires et la sécurité alimentaire113. En outre, la modification de la structure des dépenses alimentaires le long du continuum rural-urbain (voir le chapitre 4) pourrait envoyer d’importants signaux en faveur d’une redéfinition des politiques de production alimentaireap.

L’accès aux intrants, notamment les semences, est une condition essentielle au développement de la production de fruits et de légumes115, et cela est valable tout le long du continuum rural-urbain. Le fait d’aider les petits exploitants à diversifier leur production aura des effets positifs non seulement sur l’approvisionnement global en aliments nutritifs, mais aussi sur l’accessibilité des aliments sains dans les zones rurales. Il a été démontré, par exemple, que plusieurs types de subventions aux intrants (distribution directe d’intrants, système de bons ou prix préférentiels ciblés) contribuaient à l’amélioration de l’accès à des aliments diversifiés et plus nutritifs à l’échelon des ménages116. En Éthiopie, une étude a montré que les producteurs ruraux de légumes percevaient des revenus plus élevés et bénéficiaient d’une meilleure sécurité alimentaire que les producteurs d’autres denrées118. La vulgarisation agricole est également importante dans les zones rurales et peut avoir un effet positif sur la diversité et la qualité de l’alimentation à l’échelon des ménages81. À l’heure actuelle, cependant, les programmes de vulgarisation sont souvent axés sur les cultures de base plutôt que sur les aliments nutritifs tels que les fruits et les légumes. Un recadrage de ces programmes pourrait être nécessaire pour améliorer la disponibilité de ces aliments115.

Comme indiqué dans la section précédente, investir dans les infrastructures est essentiel pour renforcer les liens au sein des systèmes agroalimentaires le long du continuum rural-urbain. D’un point de vue productif, les investissements dans l’irrigation sont importants pour encourager la production de fruits et de légumes; de fait, en Inde, les producteurs qui ont accès à des infrastructures d’irrigation affichent de meilleurs résultats sur le plan de la diversité alimentaire119. Dans les cas où les conditions et les capacités de production d’aliments nutritifs diversifiés ne sont pas encore en place, la biofortification apparaît comme étant une solution de substitution valable pour améliorer l’apport en nutriments et la qualité de l’alimentation des populations ruralesaq. L’adoption de cultures biofortifiées par les petits exploitants peut améliorer l’approvisionnement en micronutriments essentiels non seulement grâce à l’autoconsommation, mais aussi par l’intermédiaire de la commercialisation de ces produits sur les marchés locaux et leur inclusion dans les programmes de protection sociale comprenant des transferts alimentaires en nature et les programmes d’alimentation scolaire (ces derniers dans tous les types de contexte rencontrés le long du continuum rural-urbain)120.

Soulignons que de nombreuses études menées en milieu rural ont permis de conclure que l’autonomisation des femmes était l’une des principales voies par lesquelles les politiques de production alimentaire peuvent influer positivement sur l’accès aux aliments nutritifs, et donc sur les résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, en particulier dans les zones rurales. Plusieurs études ayant mis en évidence des associations positives entre l’autonomisation des femmes et la diversité alimentaire des ménages117, 121, la réduction des disparités entre femmes et hommes dans les zones rurales devrait être un élément clé de toute politique de production alimentaire visant à améliorer l’accès à une alimentation saine et abordable.

D’un autre côté, dans les métropoles et les zones qui les entourent, l’agriculture urbaine et périurbaine peut améliorer les disponibilités en fruits et en légumes pour les citadins122. Il s’avère en fait que les ménages qui pratiquent l’agriculture urbaine améliorent la diversité de leur alimentation à travers leur production propre et, par voie de conséquence, réduisent leurs dépenses alimentaires123, 124, 125. Néanmoins, ces éléments sont limités par rapport aux données disponibles pour les zones rurales, car l’analyse des instruments d’action directement axés sur la production alimentaire urbaine reste lacunairear. Pour autant, il a été observé que l’intégration d’objectifs en matière d’agriculture urbaine dans l’aménagement et les règlements urbains, le plus souvent dans les pays à revenu élevé, pouvait créer des conditions favorables au développement de cette forme d’agricultureas, 126.

Le développement de l’agriculture urbaine et périurbaine est étroitement lié à l’adoption de technologies et d’innovations productives pouvant conduire à une augmentation des rendements et à une réduction des incidences sur l’environnement. Les zones urbaines étant faiblement dotées en ressources naturelles telles que la terre et l’eau, qui sont nécessaires à la production d’aliments nutritifs, la technologie pourrait jouer un rôle essentiel pour faire de l’agriculture urbaine une source d’approvisionnement alimentaire de substitution durable126. La section suivante présente une analyse détaillée de ces innovations technologiques, ainsi que d’autres innovations touchant aux systèmes agroalimentaires qui peuvent amplifier les effets des différents types de politiques analysés dans cette section sur l’amélioration de l’accessibilité économique des régimes alimentaires sains tout le long du continuum rural-urbain.

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