La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023

Chapitre 2 Les coûts cachés des systèmes agroalimentaires, de l’échelle nationale à l’échelle mondiale

Les coûts cachés des systèmes agroalimentaires au niveau mondial

Le présent rapport estime la valeur attendue des coûts cachés des systèmes agroalimentaires en 2020 – liés aux émissions de GES et d’azote, à l’utilisation de l’eau, aux nouvelles affectations des terres, aux mauvaises habitudes alimentaires, à la sous-alimentation et à la pauvreté – à 12 700 milliards d’USD en PPA de 2020 à l’échelle mondiale. Cette valeur correspond à 10 pour cent environ du PIB mondial en PPA de 2020. Par jour, ces coûts représentent 35 milliards d’USD en PPA de 2020. Comme l’ont montré de précédentes analysesl, ces résultats mettent en évidence les conséquences environnementales, sociales et sanitaires alarmantes de nos systèmes agroalimentaires pour la société, et appellent une transformation urgente pour favoriser la durabilité dans toutes ses dimensions.

L’une des caractéristiques intéressantes de l’analyse CCC qui sous-tend les résultats présentés ici est qu’elle permet de calculer des intervalles de confiance qui reflètent l’incertitude liée aux coûts cachés des systèmes agroalimentaires. Les estimations s’appuient sur des distributions de probabilité pour prendre en compte l’incertitude dans les calculs de coûts; l’incertitude est due non seulement à des lacunes de données sur différents coûts cachés (incidence sur les services écosystémiques, par exemple), mais aussi à des données incomplètes en provenance d’un certain nombre de pays et de régions. Pour traduire cette incertitude, on peut ainsi présenter les estimations sous la forme de plages, plutôt que d’estimations ponctuelles. Lorsqu’on prend en compte cette incertitude, les estimations indiquent une probabilité de 95 pour cent que les coûts cachés à l’échelle mondiale atteignent au moins 10 800 milliards d’USD en PPA de 2020, et une probabilité de 5 pour cent qu’ils s’élèvent au moins à 16 000 milliards d’USD en PPA de 2020 (voir l’encadré 7 pour de plus amples informations)1. Cela étant, la limite inférieure de 10 800 milliards d’USD en PPA de 2020 révèle déjà l’urgente nécessité de transformer les systèmes agroalimentaires pour remédier autant que possible aux défis considérables auxquels sont confrontées notre planète et ses populations. En d’autres termes, l’incertitude ne doit pas servir de prétexte pour différer les mesures qui doivent être prises.

ENCADRÉ 7L’incertitude dans les estimations mondiales des coûts cachés des systèmes agroalimentaires

Mettre en lumière l’incertitude et en prendre acte est une étape essentielle de la prise de décision, car cela permet de définir des stratégies appropriées qui donneront de bons résultats dans un large éventail de situations, présentes ou futures (potentielles). Le chiffrage des coûts cachés des systèmes agroalimentaires est associé à un degré important d’incertitude, reflété dans le présent rapport par la large fourchette des estimations: les coûts cachés sont compris entre 10 000 milliards et 16 000 milliards d’USD en PPA de 2020 (et peut-être plus encore), et devraient probablement s’établir autour de 12 700 milliards d’USD en PPA de 2020. Les différentes catégories de coûts permettent de ventiler cette incertitude, et de déterminer pour quelles incidences des systèmes agroalimentaires on manque le plus de données. La figure indique la contribution de chaque catégorie de coûts au total des coûts cachés quantifiés, ainsi que l’incertitude inhérente sous la forme d’une distribution de probabilité. La première distribution de probabilité associe tous les coûts cachés quantifiés.

Les coûts les plus élevés qui sont attendus sont ceux associés aux émissions d’azote et aux mauvaises habitudes alimentaires, suivis de ceux liés aux émissions de GES et aux nouvelles affectations des terres. Les coûts liés aux émissions d’azote sont entachés de la plus forte incertitude, comme le montre la longue traîne verte. Cette incertitude est due au manque de connaissances sur la valeur des services écosystémiques, à l’absence de données spatiales précises sur les répercussions des concentrations d’azote sur la productivité des écosystèmes, et à l’incertitude croissante le long de la «cascade de l’azote». De manière générale, le transfert de valeurs marginales des services écosystémiques au moyen de statistiques au niveau national entraîne, malgré l’utilisation du plus large éventail d’études disponibles, une forte incertitude s’agissant de l’extrapolation des valeurs de ces services à d’autres pays22. De ce fait, la valeur attendue du coût caché des émissions d’azote est supérieure aux coûts attendus liés aux émissions de GES, alors qu’en réalité, les incidences économiques sont probablement de même ampleur, car les deux distributions de probabilité sont similaires (exception faite de la longue traîne pour l’azote).

La plage des estimations est également robuste face à l’incertitude inhérente aux coûts cachés découlant des interactions entre les coûts cachés environnementaux, sociaux et sanitaires (une analyse de sensibilité est proposée dans Lord [2023])1.

FIGURE COÛTS CACHÉS QUANTIFIÉS DES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES À L’ÉCHELLE MONDIALE, AVEC LE DEGRÉ D’INCERTITUDE, PAR CATÉGORIE DE COÛTS, 2020

NOTE: Les traits noirs en pointillé représentent les valeurs attendues. SOURCE: Lord, S. 2023. Hidden costs of agrifood systems and recent trends from 2016 to 2023. Document de base établi aux fins de l’élaboration de La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023. Étude technique de la FAO sur l’économie du développement agricole n° 31. Rome, FAO.
NOTE: Les traits noirs en pointillé représentent les valeurs attendues.
SOURCE: Lord, S. 2023. Hidden costs of agrifood systems and recent trends from 2016 to 2023. Document de base établi aux fins de l’élaboration de La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023. Étude technique de la FAO sur l’économie du développement agricole n° 31. Rome, FAO.

La figure 6 donne la ventilation des coûts cachés quantifiés liés aux systèmes agroalimentaires par catégorie de coûts (à gauche) et par sous-catégorie (à droite). Sur le total de 12 700 milliards d’USD en PPA de 2020 de coûts cachés quantifiés en 2020, plus de 9 000 milliards d’USD en PPA de 2020 (soit 73 pour cent) étaient imputables à des coûts sanitaires liés à des pertes de productivité dues au mode d’alimentation. Les coûts environnementaux, qui sont probablement sous-estimés, ont une valeur attendue de presque 2 900 milliards d’USD en PPA de 2020, soit quelque 20 pour cent du total des coûts cachés quantifiés générés par les systèmes agroalimentaires. Ces coûts étaient attribués, pour plus de la moitié, aux émissions d’azote (principalement issues du ruissellement dans les eaux de surface et des émissions d’ammoniac dans l’air), et ce en partie en raison du degré élevé d’incertitude (voir l’encadré 7). Venaient ensuite les contributions des émissions de GES au changement climatique (30 pour cent), les coûts liés à de nouvelles affectations des terres (14 pour cent) et l’utilisation de l’eau (4 pour cent). Les coûts cachés sociaux imputables à la pauvreté et à la sous-alimentation étaient moins importants: ils représentaient juste 4 pour cent des coûts cachés totaux quantifiés, et étaient principalement dus à la pauvreté modérée dans le secteur agroalimentaire.

FIGURE 6 Coûts cachés QUANTIFIÉS des systèmes agroalimentaires, par catégorie de coûts (à gauche) et sous-catégorie (à droite), 2020

NOTE: Toutes les valeurs correspondent à des valeurs attendues. SOURCE: Lord, S. 2023. Hidden costs of agrifood systems and recent trends from 2016 to 2023. Document de base établi aux fins de l’élaboration de La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023. Étude technique de la FAO sur l’économie du développement agricole no 31. Rome, FAO.
NOTE: Toutes les valeurs correspondent à des valeurs attendues.
SOURCE: Lord, S. 2023. Hidden costs of agrifood systems and recent trends from 2016 to 2023. Document de base établi aux fins de l’élaboration de La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023. Étude technique de la FAO sur l’économie du développement agricole no 31. Rome, FAO.

La constatation selon laquelle les mauvaises habitudes alimentaires à l’origine de l’obésité et de MNT sont le principal facteur contribuant aux coûts cachés à l’échelle mondiale peut paraître surprenante, notamment à la lumière des incidences traditionnellement importantes des systèmes agroalimentaires sur l’environnement naturel. Elle ne doit cependant pas détourner l’attention des conséquences environnementales de l’agriculture et de la production alimentaire. Elle souligne au contraire qu’il est important de réorienter l’appui public actuel à l’alimentation et à l’agriculture et les environnements alimentaires existants vers la production d’aliments nutritifs et diversifiés qui constituent une alimentation saine et, en parallèle, de donner les moyens aux consommateurs de choisir cette alimentation en mettant en place des politiques complémentaires relatives aux systèmes agroalimentaires10. L’urgence de promouvoir ce type d’alimentation est en outre justifiée par ses effets positifs non seulement sur la santé des consommateurs, mais aussi sur l’environnement. De précédents éléments probants ont montré que l’adoption d’une alimentation plus saine et plus durable se traduisait par une réduction des coûts liés au changement climatique pouvant aller jusqu’à 76 pour cent19. Par ailleurs, si les coûts sanitaires et environnementaux étaient intégrés dans le coût de l’alimentation, les prix de gros des produits entrant dans des modes d’alimentation plus sains et plus durables seraient, en moyenne, moins élevés que ceux des produits composant les modes d’alimentation actuels. En d’autres termes, une comptabilisation plus poussée du coût complet augmente le coût des modes d’alimentation actuels (mauvais pour la santé), mais rend par ailleurs les modes d’alimentation plus sains et plus durables relativement plus abordables19.

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