La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023

Chapitre 3 Pour des évaluations ciblées fondées sur le coût complet, à même d’éclairer les décisions qui sont prises

Premiers pas dans l’évaluation ciblée

Définition du périmètre de l’évaluation ciblée

Contrairement aux estimations générales nationales présentées au chapitre 2, les évaluations ciblées permettent d’évaluer l’impact de politiques spécifiques touchant aux systèmes agroalimentaires ou d’activités particulières des entreprises de ce secteur. Elles peuvent également donner des indications sur la valeur des services écosystémiques – souvent négligés dans les évaluations plus générales, en raison du manque de données (voir le chapitre 2) – et permettre ainsi leur prise en compte dans les décisions, et émettre des recommandations sur les changements à apporter aux pratiques pour rendre les systèmes agroalimentaires plus équitables et plus durables. On trouve un tel exemple en Indonésie, où les conclusions d’une étude fondée sur la CCC ont convaincu le gouvernement d’inclure l’agroforesterie cacaoyère dans son plan de développement quinquennal de 20206, 7.

Cette même étude s’est appuyée sur le cadre d’évaluation TEEBAgriFood, dont on a vu au chapitre 1 qu’il était largement plébiscité pour les évaluations ciblées, et qui a été utilisé à de nombreuses reprises dans les secteurs public et privé de différents pays. L’encadré 10 présente les trois principes directeurs du cadre, sur lesquels les évaluations ciblées utilisant la CCC devraient se fonder: l’universalité, l’exhaustivité et l’inclusivité.

ENCADRÉ 10PRINCIPES DIRECTEURS DU CADRE D’ÉVALUATION TEEBAgriFood

Le cadre d’évaluation TEEBAgriFood repose sur trois principes directeurs8: l’universalité – le cadre peut être utilisé pour évaluer les systèmes agroalimentaires dans n’importe quel contexte géographique, écologique et social; l’exhaustivité – il couvre toutes les composantes des systèmes agroalimentaires; et l’inclusivité – il est compatible avec des méthodes d’analyse multiples.

Le principe d’universalité vise à ce que les éléments considérés dans chaque évaluation soient définis et décrits de manière uniforme, méthodique et cohérente. Ce principe est essentiel pour éviter les limites inhérentes aux modèles d’évaluation cloisonnés, par exemple ceux qui n’évaluent les systèmes agricoles qu’à l’aune de la productivité des terres ou de l’efficience de l’utilisation de l’eau ou de l’énergie – des modèles qui négligent d’autres aspects de la durabilité ou de l’équité, liés aux questions étudiées dans les évaluations cloisonnées mais non pas déterminés par elles.

Le principe d’exhaustivité garantit que tous les avantages et les coûts cachés (pertinents), y compris les dépendances et les incidences qui s’exercent sur les différentes parties prenantes en amont et en aval, sont couverts par l’évaluation.

Le principe d’inclusivité reconnaît que les coûts cachés des systèmes agroalimentaires peuvent être évalués à l’aide de divers outils et méthodes de valorisation marchands et non marchands, de nature quantitative ou qualitative8. Si de nombreux flux et stocks peuvent être mesurés en termes monétaires, ce n’est pas le cas pour tous les aspects du bien-être humain. De fait, dans un certain nombre de contextes, l’évaluation monétaire n’est pas possible ou n’est pas appropriée sur le plan éthique, et les mesures qualitatives, physiques ou non monétaires peuvent livrer des informations importantes9.

C’est pourquoi le cadre d’évaluation TEEBAgriFood s’accommode d’une diversité de conceptions de la valeur et de techniques d’évaluation. Par conséquent, il peut s’appliquer aux évaluations au niveau national (abordées au chapitre 2), mais aussi étendre l’analyse à des évaluations plus ciblées qui tiennent compte des contextes locaux au sein des pays.

NOTE: TEEB = The Economics of Ecosystems and Biodiversity (Économie des écosystèmes et de la biodiversité).

Lors du lancement d’une évaluation ciblée, l’une des tâches importantes consiste à définir les limites de l’analyse; en effet, le champ d’application de l’étude doit rester gérable, tout en permettant que l’évaluation atteigne son objectif dans une mesure suffisante. Pour commencer, il faut choisir l’unité d’analyse fonctionnelle, c’est-à-dire définir ce qui est évalué et mesuré10. La figure 12 décrit le périmètre couvert par différentes unités fonctionnelles – systèmes agroalimentaires, modes d’alimentation, investissement, organisation et produit – et leur pertinence pour la transition vers des systèmes agroalimentaires plus durables.

FIGURE 12 DESCRIPTION ET PERTINENCE DES CINQ UNITÉS FONCTIONNELLES COURAMMENT UTILISÉES

SOURCE: D’après Adelhart Toorop, R., van Veen, B., Verdonk, L. et Schmiedler, B. 2023. True cost accounting applications for agrifood systems policymakers. Document de base établi aux fins de l’élaboration de La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023. Document de travail de la FAO sur l’économie du développement agricole n° 23-11. Rome, FAO.
SOURCE: D’après Adelhart Toorop, R., van Veen, B., Verdonk, L. et Schmiedler, B. 2023. True cost accounting applications for agrifood systems policymakers. Document de base établi aux fins de l’élaboration de La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023. Document de travail de la FAO sur l’économie du développement agricole n° 23-11. Rome, FAO.

Le champ de l’analyse est en outre défini par des limites géographiques et temporelles. Les limites géographiques inscrivent l’étude dans une zone géographique déterminée, par exemple un pays ou une sous-région. Pour citer quelques exemples, une étude a évalué les différents modes d’alimentation aux États-Unis d'Amérique11, une deuxième a analysé la viande produite en Allemagne12, et une troisième a étudié la production rizicole de la Thaïlande13. Les limites temporelles des études fondées sur la CCC sont déterminées par la période couverte par les résultats, ce qui comprend la période de référence des données utilisées et des politiques évaluées, et par la durée considérée pour l’analyse de scénarios14. Par essence, toute évaluation ciblée ne peut être qu’un instantané partiel et incomplet de la réalité, circonscrit par un ensemble déterminé de limites appliquées au cours d’une période déterminée.

Le choix de l’unité fonctionnelle est guidé par le cadre d’action ou la question à l’étude. En règle générale, les périmètres d’analyse qui englobent le niveau supérieur des systèmes agroalimentaires et intègrent divers acteurs sont les plus adaptés pour l’élaboration des politiques, car ils sont de nature plus globale et prennent en compte les possibilités d’orienter les incidences systémiques14. Dans le chapitre 2, c’est l’unité fonctionnelle la plus élevée (les systèmes agroalimentaires nationaux) qui a été utilisée pour estimer les coûts cachés des systèmes entiers de 154 pays. Même si elles jouent un rôle important en tant que catalyseurs de changement, les analyses systémiques restent générales et ne permettent pas d’entrer dans les détails.

Des analyses plus fines sont généralement nécessaires pour actionner les leviers du changement. En conséquence, il faut souvent choisir le produit ou l’investissement comme unité fonctionnelle pour étayer la prise de décisions concrètes. Dans l’encadré 11, par exemple, l’évaluation porte sur l’incidence de changements dans la production rizicole, raison pour laquelle le produit a été choisi comme unité fonctionnelle. Néanmoins, on aurait aussi pu mener une évaluation au niveau territorial en complément des résultats au niveau de l’exploitation, pour rendre compte de l’ensemble des incidences, des externalités et des liens de dépendance qui interviennent au-delà du périmètre de l’exploitation, tels que les effets sur la sécurité alimentaire13.

ENCADRÉ 11ÉVALUATION DE LA PRODUCTION RIZICOLE DANS LE NORD-EST DE LA THAÏLANDE AVEC LE CADRE TEEBAgriFood

Le cadre d’évaluation TEEBAgriFood a été utilisé pour déterminer et mesurer les différents coûts et avantages associés à l’expansion de la riziculture biologique en Thaïlande. L’objectif était de recenser les possibilités de promouvoir la durabilité à long terme de la production et de la gestion des paysages rizicoles. L’analyse, qui s’est achevée en juin 2022, a pris en compte les coûts cachés pour les quatre types de capital: capital naturel (émissions de gaz à effet de serre [GES] et biodiversité), capital humain (effets de la pollution atmosphérique et des pesticides sur la santé, le bonheur et le bien-être), capital social (coopération, confiance et comportement prosocial ou volontaire) et capital produit (recettes et dépenses dans la riziculture conventionnelle et la riziculture biologique).

Tenant compte des politiques et des objectifs du gouvernement, ainsi que des points de vue des parties prenantes locales, notamment les agents agricoles locaux, les agriculteurs et les banques, l’analyse s’est appuyée sur quatre scénarios pour démontrer les synergies et les arbitrages potentiels liés à différentes pratiques rizicoles en Thaïlande sur la période 2019-2035. Le premier, le scénario de référence (S1), tablait sur le maintien du statu quo, tandis que les trois autres (S2, S3 et S4) supposaient l’adoption progressive de la riziculture biologique et d’autres pratiques durables. Chaque scénario a été mesuré sur trois périodes: courte (2025), moyenne (2030) et longue (2035).

En soumettant les résultats des quatre scénarios à une analyse coûts-avantages, l’étude a montré que l’extension des superficies cultivées en riz biologique dans les scénarios S2, S3 et S4 (par rapport au scénario S1) était bénéfique pour l’environnement (en raison de la réduction des émissions de GES) et pour la santé humaine (grâce à la réduction de l’exposition aux pesticides et à la pollution atmosphérique). Le bénéfice net pour la santé humaine allait de 438 millions d’USD dans le scénario S2 à 4 146 millions d’USD dans le scénario S4, et le bénéfice net pour l’environnement de 2 millions d’USD dans le scénario S2 à 16 millions d’USD dans le scénario S4. Toutefois, la même extension entraînait une perte nette de recettes – comprise entre 29 millions d’USD dans le scénario S2 et 389 millions d’USD dans le scénario S4. Si on met les choses en perspective, on note que cette perte représente moins de 1 pour cent des recettes nettes totales de 57 milliards d’USD projetées par le scénario de référence.

Cela étant, d’après les estimations, la perte de recettes due à la baisse des rendements pourrait être compensée si le riz biologique était vendu 3,5 pour cent plus cher que le riz conventionnel. À partir de ces résultats, l’évaluation a recommandé de réorienter les subventions pour inciter les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles durables, notamment la riziculture biologique. Une telle mesure serait particulièrement utile pendant la période de transition, au cours de laquelle les agriculteurs auront besoin d’un soutien plus important en raison de la légère baisse attendue des rendements du riz biologique à court et à moyen terme. En outre, pour stimuler la demande en faveur d’une hausse de la production de riz biologique, il pourrait s’avérer nécessaire d’encourager les exportations, par exemple au moyen de politiques et de normes de certification, y compris des mesures favorisant le regroupement des cultivateurs au sein de zones délimitées certifiées en riziculture biologique, qui permettraient de mutualiser les coûts.

NOTE: TEEB = The Economics of Ecosystems and Biodiversity (Économie des écosystèmes et de la biodiversité).
SOURCE: Université Khono Kaen. 2022. Measuring What Matters in Rice Systems: TEEBAgriFood Assessment Thailand, focus on the Northeast region. Key messages, August 2022. TEEB. https://teebweb.org/wp-content/uploads/2022/09/5-TEEBAgriFood-IKI-Key-messages.pdf

D’un autre côté, si l’objectif de politique est de promouvoir les régimes alimentaires sains, on aura plutôt intérêt à choisir les modes d’alimentation comme unité fonctionnelle. Le choix de l’organisation comme unité fonctionnelle peut également être envisagé dans certains cas. Bien qu’elle soit surtout utilisée pour le secteur privé, cette unité fonctionnelle peut fournir des informations utiles si l’objectif de politique est de recenser les domaines dans lesquels les entreprises ont besoin d’aide, soit pour réaliser elles-mêmes une évaluation fondée sur la CCC, soit pour réduire leurs effets négatifs14.

Le rôle fondamental et complémentaire de l’analyse des politiques et de l’analyse de scénarios dans les évaluations ciblées fondées sur la CCC

L’analyse de scénarios est une composante essentielle de toute évaluation fondée sur la CCC, quelles que soient les limites fixées pour l’analyse. Dans le présent rapport, les scénarios sont définis comme des représentations d’avenirs possibles pour un ou plusieurs éléments du système étudié, en fonction de différentes politiques ou options. Que l’objet de l’évaluation soit les systèmes agroalimentaires nationaux, les modes d’alimentation locaux, un investissement public ou une chaîne de valeur, l’analyse de scénarios suppose de comparer plusieurs trajectoires futures possibles et d’évaluer l’impact et l’efficacité de différentes politiques et options15. Cette analyse vise à répondre aux questions suivantes: Que se passera-t-il si aucune mesure n’est prise? Le problème va-t-il s’aggraver, et si oui, à quelle vitesse? Quel sera le coût de l’inaction? En répondant à ces questions, l’analyse de scénarios permet de déterminer les problèmes émergents qui naissent de l’inaction et d’étudier d’autres actions possibles susceptibles d’améliorer les résultats, ainsi que les synergies et les arbitrages. Il s’agit alors de jauger ces arbitrages minutieusement, pour formuler des stratégies plus solides et évaluer l’efficacité des différentes actions possibles.

L’analyse des politiques s’appuie sur l’analyse de scénarios et la complète, afin d’évaluer et de comparer les différentes politiques proposées, ainsi que leur efficacité relative quant à la réalisation d’objectifs de politique spécifiques. En d’autres termes, l’analyse des politiques se sert des scénarios pour déterminer, parmi les politiques présélectionnées, lesquelles sont les plus susceptibles d’être économiquement viables et de produire le résultat attendu, compte tenu des ressources que l’on estime nécessaires pour leur mise en œuvre et des ressources disponibles. Dans un contexte d’élaboration de politiques, l’analyse de scénarios est appliquée au processus de prise de décision décrit à la figure 13 15. La détermination des problèmes (scénario de l’inaction), la formulation des politiques et leur évaluation (scénarios d’action appuyant l’analyse des politiques) sont des étapes du processus de prise de décision qui interviennent en amont de la mise en œuvre, laquelle précède le suivi et l’évaluation.

FIGURE 13 Comment les scénarios éclairent l’élaboration des politiques

SOURCE: Auteurs du présent document, d’après Bassi, A. 2023. A guide to applying TEEBAgriFood for policy assessment. Genève (Suisse), Unité Économie de la nature, Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE).
SOURCE: Auteurs du présent document, d’après Bassi, A. 2023. A guide to applying TEEBAgriFood for policy assessment. Genève (Suisse), Unité Économie de la nature, Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE).

Lorsque des scénarios sont utilisés à des fins d’élaboration de politiques, il faut en premier lieu cerner les problèmes. Dans ce contexte, les scénarios exploratoires permettent d’examiner un ensemble d’avenirs plausibles sur la base de la trajectoire potentielle de divers facteurs, notamment climatiques, socioéconomiques, biophysiques et technologiques. Ces scénarios informent les décideurs de la situation de référence (c’est-à-dire la situation actuelle) et des principaux facteurs de changement à l’œuvre dans le scénario de l’inaction (scénario de maintien du statu quo). Les scénarios sont alimentés selon un processus multipartite qui mobilise les différents acteurs concernés et intègre donc différents points de vue et types d’expertise, favorisant une compréhension plus globale des systèmes agroalimentaires. Lors de cette étape, l’objectif est de cartographier les relations entre les systèmes agroalimentaires et les quatre types de capital, représentées par les flux les plus importants concernant le contenu spécifique considéré, tels que les incidences des systèmes agroalimentaires sur les émissions de GES, la santé humaine et la répartition des revenus8.

L’encadré 12 décrit une analyse de scénarios qui compare la consommation alimentaire actuelle et future à l’aide d’un scénario de maintien du statu quo et de plusieurs autres scénarios alimentaires conçus comme étant plus sains et plus durables.

ENCADRÉ 12ANALYSE DE SCÉNARIOS VISANT À METTRE EN ÉVIDENCE LES COÛTS CACHÉS DE DIFFÉRENTS MODES D’ALIMENTATION POUR LA SANTÉ ET L’ENVIRONNEMENT

Springmann (2020)16, document de base établi aux fins de l’élaboration de FAO et al. (2020)17, propose une analyse des coûts cachés des modes d’alimentation en ce qui concerne la santé et le climat, à l’horizon 2030. Cette analyse compare un scénario de maintien des modes d’alimentation actuels (voir la figure 12) avec quatre autres scénarios alimentaires, conçus comme étant plus sains et plus durables (régimes flexivégétarien, piscivégétarien, végétarien et végétalien). L’objectif était de déterminer la mesure dans laquelle ces coûts peuvent être réduits et, à partir de là, de fournir à la politique alimentaire des éléments pour encourager l’évolution des habitudes alimentaires vers des régimes sains plus respectueux de l’environnement.

À en juger par les résultats, si les modes d’alimentation actuels ne changent pas, les coûts sanitaires d’une mauvaise alimentation (mortalité et maladies non transmissibles) devraient dépasser 1 300 milliards d’USD par an en 2030. Inversement, une évolution en faveur de régimes alimentaires sains pourrait faire baisser les coûts de santé directs et indirects de 97 pour cent selon les estimations, d’où des économies considérables qui pourraient être investies dans l’abaissement du coût des aliments nutritifs. Quant aux coûts liés au climat, les projections ont estimé que les émissions de gaz à effet de serre associées aux habitudes alimentaires actuelles dépasseraient les 1 700 milliards d’USD par an en 2030. Si d’autres modes d’alimentation étaient adoptés, en revanche, ce coût baisserait dans une fourchette de 41 à 74 pour cent selon les scénarios d’ici à 2030.

Ces scénarios exploratoires peuvent aider à recadrer le problème, et ainsi permettre de définir un programme d’action plus efficace. En général, ils comportent des éléments qualitatifs et quantitatifs et sont souvent associés à des approches participatives faisant intervenir les parties prenantes locales et régionales. Par exemple, il est possible d’utiliser les projections de la croissance démographique pour obtenir une estimation des variations attendues du couvert végétal, dans le cadre de l’examen des tendances de l’expansion agricole ou de l’urbanisation.

L’étape suivante du processus de prise de décision est la formulation des politiques, sans laquelle une évaluation ciblée ne peut pas produire d’impact. À partir des éléments fournis par le scénario du maintien du statu quo lors de l’étape de détermination des problèmes, il est possible de définir des objectifs d’une manière qui oriente le changement vers des résultats plus souhaitables, là encore à la lumière de ce que recherchent les pays. Des scénarios normatifs peuvent alors être élaborés pour examiner et définir les objectifs de politique, sur la base de leur viabilité et de leur efficacité.

Ensuite, lors de la phase d’évaluation des politiques, une présélection est opérée parmi les politiques identifiées, à l’aide de scénarios de sélection des politiques qui déterminent comment un instrument d’action (ou un ensemble d’instruments, tels que des incitations, des mandats, des investissements directs ou des mesures de sensibilisation) peut modifier l’avenir18. Cela permet de mieux comprendre et prévoir les résultats de l’adoption d’une politique donnée, en examinant les liens et les interdépendances qui existent au sein et entre les systèmes ciblés par cette politique. Voici quelques-uns des critères qui peuvent guider la sélection d’instruments de politique spécifiques: i) la mesure dans laquelle la réalisation de l’objectif défini est économiquement viable, et la mesure dans laquelle de nouvelles données d’évaluation pourraient justifier l’adoption d’une nouvelle politique; ii) l’économie politique – déterminer qui est favorable au changement, qui s’y oppose et quelle influence a chaque groupe; et iii) les gagnants et les perdants potentiels du changement, et la question de savoir si la nouvelle politique peut offrir des solutions de subsistance à des communautés ou des secteurs de la société qui ont un éventail de choix réduit. L’utilisation de méthodes qualitatives et quantitatives, y compris des modèles de simulation, ainsi que des ateliers de consultation de parties prenantes et d’experts peuvent être envisagés pour éclairer cette réflexion. L’exemple donné dans l’encadré 13, concernant l’Indonésie, montre comment les scénarios de sélection des politiques peuvent être utilisés dans un contexte d’action réel (l’encadré 11 donne un autre exemple, pour la Thaïlande).

ENCADRÉ 13UTILISATION DE L’ANALYSE DE SCÉNARIOS DANS UN CONTEXTE D’ACTION RÉEL: L’EXEMPLE DE L’INDONÉSIE

Dans le cadre de l’analyse de scénarios appliquée à la transformation des systèmes agroalimentaires, l’une des questions clés, sur le plan des politiques, est de déterminer les moyens d’améliorer la durabilité du secteur. En Indonésie, cette question s’est posée notamment dans le secteur du cacao, une culture importante qui contribue aux recettes d’exportation et à la création d’emplois, mais dont la durabilité est menacée par la pratique de la monoculture19, 20. Une analyse de scénarios effectuée dans le contexte d’une étude TEEBAgriFood dans le kabupaten de Luwu du Nord, dans le Sulawesi du Sud, a examiné les incidences et les dépendances associées à la production de cacao, ce qui englobait les activités de transformation, de distribution et de consommation et leurs relations avec les écosystèmes7. Elle a comparé les incidences sociales et environnementales de la production de cacao en monoculture et celles des systèmes d’agroforesterie cacaoyère, dans le but de concevoir des politiques agricoles et d’utilisation des terres à même de renforcer la résilience et la viabilité économique de cette culture.

Plus précisément, l’étude a calculé la valeur économique totale de la production de cacao, en monoculture et dans le cadre de pratiques agroforestières. Elle a également évalué les conséquences de scénarios d’expansion de l’agroforesterie cacaoyère. À cette fin, elle a appliqué un ensemble de modèles de simulation dynamique pour évaluer la valeur économique totale de zones particulières entre 2021 et 2050.

L’évaluation a comparé les coûts et avantages potentiels du scénario de maintien du statu quo (monoculture) avec ceux d’un scénario d’agroforesterie simple et d’un scénario d’agroforesterie complexe. Pour la mise en œuvre du scénario d'agroforesterie complexe, deux interventions de politique ont été retenues et testées avec des scénarios de sélection des politiques: i) fourniture de plants pour le système agroforestier et mise en place de services de vulgarisation ciblés et de formations sur les bonnes pratiques agricoles; et ii) promotion de la certification et de l’éco-étiquetage. Ces scénarios ont été générés à l’aide d’un ensemble complet de modèles environnementaux, biophysiques, statistiques et socioéconomiques.

Les résultats de la simulation montrent que l’agroforesterie cacaoyère présente une valeur économique totale plus élevée que celle dégagée par la monoculture du cacao et la culture intercalaire du cacao. Les avantages résultent de divers facteurs, notamment le fait que, dans les systèmes agroforestiers hypothétiques, les taux d’érosion et de lessivage des nutriments sont plus bas et les taux de stockage du carbone plus élevés, ce qui génère des avantages sociaux et privés (réduction des émissions de gaz à effet de serre et amélioration de la productivité des cultures). En outre, les agriculteurs amélioreraient leurs revenus privés, en considérant la valeur de tous les produits agroforestiers possibles, et pourraient accroître leur résilience en diversifiant leurs sources de revenus.

Malgré ces avantages, l’agroforesterie cacaoyère est encore très peu pratiquée. Tout en considérant que le renforcement des capacités en matière de bonnes pratiques agricoles constitue une priorité majeure, l’étude souligne la nécessité d’établir des incitations à la création de systèmes agroforestiers de qualité élevée.

En dernier lieu, les scénarios de sélection des politiques doivent être classés par ordre de priorité pour guider la prise de décision. Le classement peut être établi à partir d’une analyse coûts-avantages ou coûts-efficacité, couplée à une analyse multicritère. Tandis que l’analyse coûts-avantages compare les avantages et les coûts de différentes interventions et détermine leur viabilité économique et financière, l’approche coûts-efficacité compare les coûts induits par différents types d’intervention pour atteindre un objectif déterminé, par exemple le coût d’une tonne d’émissions évitées obtenue, respectivement, par l’amélioration de l’efficacité énergétique, l’utilisation d’énergies renouvelables et la réduction de la déforestation. Ces méthodes de classement des résultats sont particulièrement utiles pour la comparaison des options de réduction des coûts cachés des systèmes agroalimentaires, dans la mesure où le coût de la transformation (c’est-à-dire le coût des mesures de réduction), qui doit être connu pour permettre une prise de décision efficace, n’est pas toujours visible.

Parfois, certains coûts cachés ne peuvent pas être évalués en termes monétaires, alors qu’ils revêtent un caractère significatif (voir la définition du «caractère significatif» dans le glossaire) au regard d’une prise de décision – autrement dit, ils sont pertinents dans un contexte décisionnel donné. Dans ce cas, il est possible de recourir à la fois à une analyse coûts-efficacité et à une analyse multicritère (qui combine indicateurs qualitatifs et quantitatifs) pour déterminer la mesure dans laquelle une intervention est génératrice de valeur sociale et gagne à être mise en œuvre. En fin de compte, les analyses fondées sur la CCC doivent prendre en considération tous les indicateurs qui revêtent un caractère significatif, y compris les incidences monétisables et non monétisables. L’objectif est de rendre compte de l’ensemble des coûts et des avantages qu’une proposition d’investissement ou de changement de politique, quelle qu’elle soit, est susceptible d’entraîner dans l’avenir prévisible, afin de déterminer si les avantages l’emportent sur les coûts.

Sur la base des résultats de l’analyse de scénarios, des décisions de politique peuvent être prises et appliquées, comme l’illustre la figure 13. Après cette étape, il y a lieu de mettre en place un processus de suivi et d’évaluation pour évaluer les efforts menés en vue d’atteindre les objectifs de politique fixés, à tous les stades du cycle politique et du contexte décisionnel. Ces évaluations s’appuient, elles aussi, sur les scénarios exploratoires, normatifs et de sélection des politiques pour déterminer: i) si le problème identifié a été résolu; ii) si les objectifs fixés ont été atteints; et iii) les résultats obtenus par chaque intervention à l’aune d’indicateurs spécifiques.

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