La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023

Chapitre 1 Tenir compte des coûts et des avantages des systèmes agroalimentaires dans les décisions qui sont prises

Obstacles à l’intégration des effets cachés des systèmes agroalimentaires dans le processus décisionnel

Étant donné le large éventail d’effets associés aux activités économiques des systèmes agroalimentaires (voir la figure 1) et les nombreuses parties concernées, il n’est pas facile d’intégrer tous les coûts et avantages cachés dans les processus de prise de décision. Tout d’abord, il y a un manque de volonté politique et une résistance au changement. Les décideurs font face à des objectifs contradictoires et il pourrait être nécessaire, pour prendre en compte les coûts cachés des systèmes agroalimentaires, de modifier en profondeur les pratiques de production et de consommation actuelles. Cette évolution pourrait se heurter à la résistance des gouvernements, des entreprises, des producteurs et des consommateurs, qui peuvent préférer le statu quo par crainte de coûts de transition élevés ou de changements dans leurs habitudes, leur culture ou leurs traditions. Les décideurs peuvent également avoir intérêt à maintenir le statu quo.

Une autre raison de la résistance au changement tient aux arbitrages qui doivent parfois être faits. Par exemple, on peut, en utilisant des produits agrochimiques pour accroître la production, réduire la pauvreté, mais non sans dégrader l’environnement au fil du temps37. Cela complique encore la prise de décisions. L’impact distributif de la transition vers de nouveaux modes de production et de consommation suscite également des inquiétudes. La crainte que les populations marginalisées et les plus pauvres soient touchées de manière disproportionnée pourrait rendre ces changements impopulaires auprès de décideurs qui souhaitent privilégier la réduction de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire38. Or, ces groupes sont déjà ceux qui sont les plus touchés par le changement climatique et la perte de biodiversité39, 40, les problèmes de santé41 et la pénurie de ressources42, 43. Par conséquent, il pourra falloir, si l’on transforme les systèmes agroalimentaires pour faire face aux principaux stress environnementaux et problèmes de santé, arbitrer avec l’amélioration de l’égalité sociale.

Le manque de volonté politique et la résistance au changement peuvent également être dus à un manque de données et d’informations. Comme le montrent les figures 1 et 2, les flux et les effets sont nombreux et beaucoup sont difficiles à quantifier, tandis que d’autres sont de nature qualitative. Se pose donc le problème de la disponibilité et de la qualité des données. Un problème connexe est celui de la sous-déclaration, comme celle de la main-d’œuvre exploitée tout au long de la chaîne de valeur (par exemple, les personnes incarcérées et sans papiers), ce qui fait que les estimations concernant les sous-paiements et le travail des enfants sont particulièrement basses 44. Même s’il existe une volonté de s’attaquer à ces problèmes, la collecte de ces données nécessite des ressources, des compétences et des capacités dont on ne dispose souvent pas.

Une difficulté connexe consiste à quantifier les coûts d’un changement de politique, autrement dit, à estimer le coût des mesures de réduction pour les comparer aux avantages d’une réduction des coûts cachés45. En général, un changement de politique se justifie lorsque le coût des mesures de réduction est inférieur aux avantages du changement. Il importe donc, pour changer de politique, de connaître ce coût car cela permettra de savoir qui en supportera la charge. Il faudra, pour l’évaluer, procéder de manière pratique afin que les décideurs très occupés, en particulier les responsables politiques, puissent dépasser leur vision à court terme et adopter les changements à grande échelle. Toutefois, estimer le coût des mesures de réduction peut revenir cher, car cela comporte généralement un haut degré d’incertitude, notamment en ce qui concerne les effets de répartition (qui paiera les coûts et qui recueillera les avantages, directement ou indirectement). C’est la raison pour laquelle cette analyse n’est souvent pas effectuée en premier lieu ou, si elle l’est, n’a pas beaucoup de poids dans la prise de décision, car il est difficile de prendre une décision solide sur la base de données qui présentent un haut degré d’incertitude.

Un autre défi dans la comptabilisation des coûts et avantages cachés des systèmes agroalimentaires est le champ géographique et temporel des produits. Les systèmes agroalimentaires comportent des réseaux complexes de fournisseurs, de transformateurs et de distributeurs, ce qui rend difficile la recherche de l’origine des effets en cours de route et, par conséquent, de ceux qui en sont responsables. Les coûts générés peuvent également être liés à de multiples ressources (naturelles, humaines, sociales et produits) qui, à leur tour, présentent des interdépendances critiques entre elles. Cela pose le problème du choix des indicateurs à utiliser pour évaluer les coûts et avantages cachés. De nombreux flux et effets tels que la perte de biodiversité et les réseaux sociaux sont difficiles à quantifier (figure 2) et donc à intégrer dans l’évaluation et la prise de décision. L’impact de nombre de ces coûts cachés dépend également du contexte socioéconomique, spatial et temporel. Par exemple, l’impact des systèmes agroalimentaires sur l’eau douce dépendra du degré de pénurie d’eau ou de la source d’eau.

Pour relever ces défis, il faudra utiliser les progrès récents de la technologie et des méthodes d’évaluation, qui ont élargi les options et réduit les ressources nécessaires pour stocker, communiquer, valider et traiter les informations15. Il importe d’investir dans la collecte de données pour réduire le degré d’incertitude et améliorer la robustesse des évaluations. L’établissement de rapports sur les incertitudes pourra se révéler utile pour déterminer où davantage d’informations et de données sont nécessaires pour consolider les résultats et les rendre plus fiables pour la prise de décision. Il n’y aura guère de progrès dans la transformation des systèmes agroalimentaires si on n’améliore pas les méthodes utilisées pour calculer le coût des mesures de réduction. Il faudra également privilégier l’investissement de ressources dans la communication d’informations pertinentes46.

back to top