La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2022

Chapitre 4 INCIDENCES SOCIOÉCONOMIQUES ET POSSIBILITÉS ASSOCIÉES À L’AUTOMATISATION DE L’AGRICULTURE

L’automatisation de l’agriculture ouvre de nouvelles possibilités entrepreneuriales et des débouchés porteurs de transformation qui auront des incidences sur la nutrition et les consommateurs

Les évolutions de l’automatisation dans l’agriculture peuvent ouvrir de nouvelles possibilités entrepreneuriales, par exemple dans les domaines de l’agriculture biologique et des plantes ayant des propriétés aromatiques, médicinales ou nutritionnelles intéressantes. Elles pourraient également contribuer à revivifier des cultures anciennes à haute teneur en nutriments, qui se prêtaient mal à la mécanisation. C’est déjà ce qui se passe dans certains pays à revenu élevé. En France, en 2018, 150 robots étaient utilisés pour le désherbage des betteraves à sucre et des légumes biologiques46. Si l’on considère que l’une des principales contraintes de l’agriculture biologique et biodynamique est le coût élevé de la main-d’œuvre, l’utilisation de machines de désherbage autonomes pour la lutte contre les plantes adventices et le recours à l’IA pour la détection des pathologies végétales peuvent favoriser l’expansion rapide de la production biologique et, en conséquence, faire baisser sensiblement les prix des produits biologiques. C’est là une bonne nouvelle pour les consommateurs qui voudraient acheter des produits biologiques mais n’en ont pas la possibilité à cause de leurs prix actuellement élevés47.

Un autre exemple est celui du maïs. La mécanisation de la production de maïs s’est accompagnée du développement de variétés hybrides donnant des épis de hauteur à peu près uniforme, qui facilitent la récolte mécanique. Malheureusement, ce processus de sélection végétale a entraîné la perte de certaines qualités nutritionnelles et culinaires. Il est possible aujourd’hui de retrouver ces qualités grâce aux machines autonomes à IA, qui sont adaptées à la récolte des variétés de maïs traditionnelles aux épis de différentes hauteurs, plus savoureuses et plus nutritives. De même, la mécanisation de la récolte des tomates a imposé l’utilisation de variétés qui mûrissent uniformément, mais ce choix a eu pour contrepartie des pertes nutritionnelles et gustatives. Les capacités de récolte sélective des machines autonomes permettent d’envisager la production commerciale de variétés anciennes plus savoureuses47.

Outre les possibilités entrepreneuriales évoquées ci-avant, l’automatisation peut procurer des avantages supplémentaires aux consommateurs en réduisant les coûts de production des aliments. Pour les consommateurs, le risque principal est que l’automatisation renforce la concentration de l’industrie alimentaire autour d’une poignée de grandes entreprises à position dominante qui fixeraient des prix monopolistiques, pénalisant les consommateurs et réduisant la production à des niveaux non optimaux pour la société. D’un autre côté, les grandes entreprises bénéficient d’économies d’échelle qui leur permettent de produire des marchandises à moindre coût en comparaison de leurs concurrents de plus petite taille. Si l’on parvient à éviter une concentration excessive, les consommateurs continueraient de tirer plus d’avantages de cette situation que d’un marché parfaitement concurrentiel composé d’un grand nombre de petits producteurs. Dans l’agglomération de Los Angeles (États-Unis d’Amérique), contrairement aux petits commerces alimentaires de détail, les supermarchés n’augmentent pas les prix des produits alimentaires en fonction de la concentration du marché ni de l’augmentation de leurs parts de marché. La concurrence que se livrent les supermarchés les empêche de fixer des prix monopolistiques, de sorte que les consommateurs profitent des coûts réduits découlant des gains d’efficience permis par les économies d’échelle48. Les politiques qui encouragent la concurrence sur le marché sont essentielles pour limiter la consolidation des entreprises et protéger le bien-être des consommateurs3.

Si les technologies d’automatisation ne sont pas neutres du point de vue de l’échelle de production, il existe un risque que les petits producteurs et les petits transformateurs soient amenés à cesser leur activité, car ils ne bénéficieront pas des économies d’échelle nécessaires pour rester concurrentiels. Cependant, ce n’est pas là une conséquence inéluctable de l’introduction de l’automatisation numérique dans l’agriculture; pour l’éviter, il faut que les technologies d’automatisation numérique à haute performance et à faible coût (c’est-à-dire indépendantes de l’échelle de production) deviennent aussi banales que les téléphones mobiles. Sous réserve que des infrastructures numériques d’appui et un environnement juridique, réglementaire et culturel adéquat soient en place, il y a de grandes chances que les zones rurales connaissent un développement économique durable fondé sur une agriculture certes intensive, mais durable. Quant à savoir si les pays – en particulier les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire – bénéficieront de l’automatisation de l’agriculture ou en pâtiront, cela dépendra de la façon dont ils géreront cette transition. Les pays qui se doteront des infrastructures matérielles, économiques, juridiques et sociales nécessaires à l’automatisation numérique devraient être gagnants. Ceux qui ignoreront ce défi pourraient perdre les emplois agricoles manuels faiblement rémunérés sur lesquels ils peuvent compter actuellement, sans créer de nouvelles possibilités d’emplois agricoles mieux rémunérés tirant parti de l’automatisation. L’histoire nous enseigne que la coopération internationale est essentielle pour préparer la transition; cependant, la volonté politique n’est pas moins essentielle pour reconnaître les possibilités qui se profilent et agir en conséquence3, 47, 49.

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