La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2022

Chapitre 1 QU’EST-CE QUE L’AUTOMATISATION DE L’AGRICULTURE ET EN QUOI EST-ELLE IMPORTANTE?

Difficultés liées aux progrès de l’automatisation de l’agriculture

Comme pour toute évolution technologique, l’automatisation de l’agriculture peut avoir des conséquences négatives sur les plans social et environnemental. Aussi, bien que les avantages susmentionnés soient à espérer, ils ne sont pas automatiques et supposent une bonne gestion. Des facteurs structurels au sein du secteur agricole et de l’économie en général peuvent entraver l’adoption inclusive et durable de l’automatisation dans l’agriculture. La fragmentation des terres, par exemple, qui représente une forte contrainte dans de nombreuses régions, peut compromettre la viabilité économique de cette automatisation. Le manque d’infrastructures adaptées (routes, connectivité, électricité, etc.) peut aussi être un facteur déterminant et exclure de l’automatisation de l’agriculture les producteurs travaillant dans des zones plus défavorisées et plus isolées. Dans certaines conditions, cette automatisation peut déplacer la main-d’œuvre rurale et avoir des répercussions négatives sur l’environnement en provoquant, par exemple, une dégradation des terres et un appauvrissement de la biodiversité. Ces écueils sont présentés dans les sections suivantes et sont examinés plus en détail aux chapitres 2 et 4.

Inégalités en matière de capacités

Les avantages espérés de l’automatisation de l’agriculture peuvent ne pas être répartis équitablement entre les producteurs et autres parties prenantes, ce qui accentue les inégalités sociales et en crée de nouvelles en favorisant des acteurs déjà puissants dans le domaine de la production alimentaire48, 49. Cela peut être le cas en particulier si les entreprises technologiques – déjà de grande envergure et très puissantes sur les marchés – conservent et détiennent des données, qu’elles sont susceptibles d’utiliser de manière non conforme aux politiques de protection des données, ce qui créerait des monopoles de données50. Les inégalités peuvent aussi se creuser si les producteurs les plus gros, les plus riches et les plus instruits disposent de plus grandes capacités (capacités financières, infrastructures rurales et compétences, par exemple) pour investir dans de nouvelles technologies ou pour se recycler et acquérir de nouvelles compétences. En effet, de nombreux agriculteurs peuvent ne pas disposer des capacités de base nécessaires pour utiliser des technologies d’automatisation numérique ou ne pas comprendre comment elles fonctionnent. Un bon agriculteur n’est pas nécessairement un expert des technologies numériques, et il en va de même pour les spécialistes de la vulgarisation et les prestataires de services. Le renforcement des capacités et l’adaptation des exploitations sont essentiels à l'adoption et la bonne utilisation de matériel automatisé; ce n’est qu’en déployant des capacités que les agriculteurs peuvent tirer pleinement parti du potentiel de l’automatisation15.

À cet égard, les femmes sont souvent plus marginalisées que les hommes en matière de possibilités d’éducation18 et ont moins accès au financement51. Généralement, ce sont les hommes qui prennent en charge l’achat et la vente des récoltes et qui possèdent et exploitent le nouveau matériel; les femmes, qui ont donc moins de contrôle sur les revenus produits, se trouvent reléguées aux tâches à plus forte intensité de main-d’œuvre que sont le désherbage et le repiquage52. De même, les jeunes des milieux ruraux, en particulier les femmes, rencontrent d’importants obstacles s’agissant de recevoir une éducation et une formation de qualité, ainsi que d’accéder à la terre, au crédit ou aux marchés53.

Conséquences sur la main-d’œuvre

D’après des données récentes provenant d’autres secteurs, l’automatisation pourrait entraîner une hausse de la demande d’emplois mieux rémunérés nécessitant une éducation secondaire (emplois comprenant, par exemple, des tâches de gestion et d’analyse de données), où les humains ont un avantage comparatif par rapport aux machines, mais une baisse de la demande d’emplois comportant des tâches routinières (plantation et récolte, par exemple)54, 55. Plus les pays se développent, plus les chiffres de l’emploi dans le secteur agricole diminuent; toutefois, environ 300 à 500 millions d’actifs salariés vivent encore de l’agriculture56. Dans de nombreux pays, le pourcentage de la main-d’œuvre travaillant dans l’agriculture reste élevé – c’est le cas au Burundi (86 pour cent), en Somalie (80 pour cent), au Malawi (76 pour cent), au Tchad (75 pour cent), au Niger (73 pour cent) et en Ouganda (72 pour cent) –, ce qui va souvent de pair avec des taux élevés d’analphabétisme, de pauvreté et d’inégalités de genre.

Dans ces pays, une baisse des besoins directs en main-d’œuvre par unité de production peut créer des inégalités ou creuser celles qui existent déjà. Dans certains contextes, l’automatisation de l’agriculture peut donc être peu intéressante et irréalisable d’un point de vue politique. Au bout du compte, l’incidence sur la main-d’œuvre et les salaires sera déterminée par toute une série de facteurs, notamment par la capacité de créer des emplois nouveaux et plus attractifs, ou de faire émerger d’autres possibilités d’emploi décent en dehors du secteur agricole. Elle dépendra aussi de la question de savoir si les effets d’échelle (lorsque les agriculteurs augmentent l’échelle de leur production ainsi que leurs revenus) l’emportent sur les effets de substitution (lorsque la main-d’œuvre quitte le secteur)57. Néanmoins, si l’automatisation de l’agriculture s’accompagne des bonnes politiques et de l’environnement législatif et réglementaire approprié, elle peut ouvrir des perspectives économiques, favoriser des emplois décents offrant un revenu de subsistance et des conditions de travail raisonnables, et attirer à nouveau les jeunes vers le secteur agricole.

Préoccupations d’ordre environnemental

Il est à craindre que, s’ils ne sont pas bien gérés, certains types d’automatisation agricole, en particulier ceux qui reposent sur des machines lourdes et de grande taille, puissent compromettre la durabilité et la résilience environnementales en contribuant à la déforestation, à la monoculture, à l’appauvrissement de la biodiversité, à la dégradation des terres, à la compaction et à l’érosion des sols, à la salinisation et au dysfonctionnement des systèmes de drainage58. Si ces considérations doivent être prises au sérieux, bon nombre de ces problèmes peuvent néanmoins être évités ou limités au moyen de politiques et d’une législation appropriées. De plus, de nouvelles avancées dans le domaine des machines et du matériel d’automatisation – et en particulier du petit matériel reposant sur l’IA – pourraient en réalité permettre de contrer certains des effets néfastes des anciennes machines d’automatisation sur l’environnement (voir le chapitre 3).

Les possibilités, les conséquences et les écueils potentiels de l’automatisation de l’agriculture dépendent de la technologie utilisée, de sa conception et de son degré d’adaptation aux conditions et aux réalités locales. En outre, le niveau de développement socioéconomique ainsi que les contraintes institutionnelles et politiques déterminent la palette des technologies susceptibles d’être adoptées. Par conséquent, les effets – positifs et négatifs – de l’automatisation de l’agriculture sont très spécifiques au contexte. Il importe d’évaluer si les conditions environnementales, sociales et politiques sont favorables dans chaque pays ou région avant de proposer des solutions d’automatisation spécifiques. Toutes les technologies d’automatisation ne conviennent pas à tous les contextes et des versions adaptées peuvent être à envisager.

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