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FÉDÉRATION DE RUSSIE Robot de nourrissage des vaches.
©ANDREY-SHA74/Shutterstock.com

La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2022

Chapitre 2 COMPRENDRE LE PASSÉ ET ENVISAGER L’AVENIR DE L’AUTOMATISATION DANS LE SECTEUR AGRICOLE

MESSAGES CLÉS
  • La mécanisation motorisée est un vecteur important d’automatisation de la production agricole et un rouage essentiel de la transformation de l’agriculture dans le monde entier, bien que son adoption soit hétérogène et particulièrement faible en Afrique subsaharienne.
  • Améliorer l’accès des petits producteurs agricoles, notamment des femmes, des jeunes et d’autres groupes marginalisés, à des solutions de mécanisation durables suppose des innovations technologiques et institutionnelles, telles que des marchés pour les services de mécanisation facilités par des plateformes numériques.
  • Du fait de leur utilisation croissante et de leur diversité, les technologies numériques sont en mesure de transformer l’agriculture, même dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire, surtout à mesure que leur accessibilité s’accroît.
  • Les facteurs qui incitent à l’adoption varient selon les technologies et les contextes. L’adoption des robots de traite, par exemple, est principalement motivée par la plus grande souplesse dans les horaires de travail et la meilleure qualité de vie qu’elle induit. Pour les technologies d’automatisation des cultures, l’augmentation de la rentabilité est le principal intérêt, alors qu’en forêt, c’est la sécurité au travail qui joue un rôle important.
  • Un éventail de solutions technologiques existe déjà pour les pays à différents stades de développement – et beaucoup d’autres pistes sont à l’étude. Grâce à des politiques et à des législations pertinentes, les autorités publiques peuvent promouvoir des solutions adaptées au contexte et aux besoins particuliers des différents producteurs.
  • Il faut notamment donner aux petits producteurs agricoles l’accès à des technologies d’automatisation numérique abordables et adaptées, qui leur permettent de les adopter et d’en tirer les avantages.

Pendant plusieurs siècles, la force musculaire humaine et animale a été la principale source d’énergie utilisée en agriculture. Jusqu’à récemment, l’automatisation de l’agriculture consistait essentiellement à remplacer les animaux de trait et la main-d’œuvre humaine par du matériel motorisé pour de nombreux travaux agricoles, comme la préparation des terres, le désherbage, la récolte, l’irrigation, la traite et le nourrissage des animaux, ainsi que pour les activités de manutention sur l’exploitation, comme le battage et le broyage.

Depuis peu, les technologies numériques d’automatisation (voir la figure 2) ont investi le secteur agricole sous des formes variées, étant soit intégrées aux machines agricoles existantes, soit utilisées isolément. Dans les deux cas, ces technologies peuvent améliorer les analyses et les décisions des producteurs agricoles. Avec l’intégration de ces technologies aux machines agricoles, le travail agricole peut gagner en précision, ce qui débouche sur des gains d’efficience et de productivité.

Ces technologies sont donc en mesure de faire évoluer les moyens de subsistance ruraux et les paysages agricoles qui y sont associés, notamment la production végétale et l’élevage, l’aquaculture et les forêts. S’agissant de la production végétale, elles peuvent améliorer la productivité des intrants tels que les semences, les engrais et l’eau. Concernant l’élevage et l’aquaculture, elles peuvent réduire la pénibilité des tâches et accélérer les travaux, tout en améliorant l’efficacité des intrants comme les aliments pour animaux. Enfin, dans tous les secteurs agricoles, et tout particulièrement en forêt, les machines peuvent améliorer les conditions de travail et offrir un environnement de travail plus sûr.

Ce chapitre présente les évolutions mondiales en matière de technologies d’automatisation, l’analyse portant sur les différences d’un pays ou d’une région à l’autre et sur les facteurs à l’origine de ces différences. Les données étant rares, le propos s’appuie en grande partie sur des études de cas tirées de publications et sur deux documents d’information établis aux fins de ce rapport1, 2 (l’annexe 1 donne une description complète des 27 études de cas commandées). Ce chapitre s’inscrit dans une perspective historique, depuis l’introduction de la mécanisation motorisée et sa diffusion dans les pays à revenu élevé jusqu’à son transfert vers certains pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire. Il décrit les facteurs et les obstacles en lien avec l’adoption des technologies et leur rôle dans les disparités régionales en matière d’adoption. Il éclaire aussi certains arbitrages nécessaires du fait de l’automatisation, notamment les éventuelles conséquences écologiques des machines motorisées. Il montre comment les technologies numériques modifient l’usage des machines agricoles et met en évidence le potentiel des solutions numériques pour l’agriculture non mécanisée. Enfin, il dresse un état des lieux des technologies d’automatisation numérique à l’échelle mondiale et indique dans quelle mesure elles peuvent remplacer la mécanisation motorisée traditionnelle et contrer certains de ses effets négatifs.

Évolutions et facteurs de la mécanisation motorisée dans le monde entier

Des rythmes d’adoption qui varient considérablement d’une région à l’autre

La mécanisation motorisée a pris un essor considérable dans le monde entier. Les données disponibles montrent qu’elle a d’abord été adoptée à grande échelle aux États-Unis d’Amérique, où les tracteurs sont devenus la principale source de force motrice sur les exploitations et ont remplacé quelque 24 millions d’animaux de trait entre 1910 et 19603. Au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, qui fait figure d’exception, le premier usage des tracteurs remonte aux années 1930. En revanche, la transformation de l’agriculture au Japon et dans certains pays européens (Allemagne, Danemark, Espagne, ex-Yougoslavie et France) a attendu le milieu des années 1950, après quoi la mécanisation motorisée s’est imposée très rapidement, et s’est entièrement substituée à la traction animale4. L’utilisation de tracteurs comme force motrice agricole constitue l’une des modernisations les plus importantes du XXe siècle, car elle a favorisé, et même entraîné, des innovations concernant d’autres types de machines et de matériel agricoles, par exemple les batteuses, les moissonneuses et un large éventail d’outils connexes5. Cela a considérablement réduit la pénibilité des travaux agricoles et accéléré le travail des agriculteurs. Par la suite, de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine ont avancé rapidement dans l’adoption des machines motorisées6. L’Afrique subsaharienne, en revanche, est la seule région du monde où les progrès accomplis vers la mécanisation motorisée ont stagné au cours des dernières décennies7, malgré une adoption plus rapide dans certains pays du continent.

Le manque de données est un obstacle notoire à l’analyse des évolutions en matière d’adoption de machines agricoles. La grande diversité de machines et de matériel connexe utilisés dans la mécanisation agricole représente un véritable défi du point de vue de la collecte de données (l’encadré 1 indique comment la FAO prévoit de relever ce défi). Les machines se classent généralement en deux catégories: i) les machines à moteur, telles que les tracteurs, les pompes à eau et les moissonneuses; et ii) les accessoires sans moteur, mais qui fonctionnent en association avec une machine à moteur (par exemple, les accessoires pour tracteurs comme les charrues et les semoirs, et les systèmes d’irrigation). Les données recueillies concernent généralement les machines à moteur. Toutefois, même pour cette catégorie, elles sont rares car les conditions agroécologiques et agraires varient fortement d’un pays à l’autre. Les différences de zones agroclimatiques, d’état des sols, de topographie et d’orientation de la production exigent que l’on utilise différents types de machines et de matériel. Ainsi, les tracteurs peuvent avoir des tailles et des caractéristiques diverses (quatre ou deux roues, par exemple). De même, différents systèmes de production animale et aquacole peuvent nécessiter des types de machines très variés, qu’il s’agisse, par exemple, des systèmes de nourrissage ou des machines à traire dans le cas de la production animale.

Encadré 1REMÉDIER AUX PROBLÈMES EN MATIÈRE DE DONNÉES SUR L’UTILISATION DES MACHINES AGRICOLES

Jusqu’en 2009, la Base de données statistiques fondamentales de l’Organisation (FAOSTAT) fournissait régulièrement des informations sur l’utilisation et les échanges commerciaux (en volume et en valeur) des machines et du matériel agricoles. Des séries statistiques débutant en 1961 ont été publiées sur un nombre relativement restreint d’éléments, à savoir le nombre total de tracteurs agricoles, de moissonneuses et de batteuses, de machines à traire, de machines pour le sol et de machines agricoles.

La principale source de données était un questionnaire annuel envoyé aux interlocuteurs de la FAO dans chaque pays, lequel portait à la fois sur l’utilisation et les échanges. Certaines données recueillies dans le cadre de ces questionnaires provenaient des recensements agricoles nationaux (qui ont lieu normalement tous les 10 ans) et, dans la mesure du possible, elles étaient mises à jour entre les recensements grâce à des annuaires, d’autres sources ministérielles et des portails de données. La plupart des pays communiquaient des données sur le commerce sans préciser le nombre de machines en service: cela a fait naître des préoccupations quant aux données et à la nécessité d’améliorer à la fois la qualité et le niveau de détail de l’ensemble de données.

Au début des années 2010, la FAO a révisé le questionnaire afin de demander aux pays des informations plus détaillées, notamment au sujet des types de machines. Ces données ont été complétées par les quantités et les valeurs échangées, tirées de la base de données Comtrade de l’Organisation des Nations Unies (ONU); les données encore manquantes ont été obtenues grâce à un ensemble de sources secondaires, notamment des études de cas par pays.

La révision du questionnaire n’a toutefois pas apporté le taux de réponse escompté. Seuls quelques pays ont été en mesure de fournir des détails supplémentaires, et la fiabilité de l’ensemble des informations externes s’est avérée limitée. Le questionnaire révisé a donc cessé d’être diffusé et les données actuellement disponibles (recueillies en 2011) s’arrêtent en 2009. On sait donc très peu de choses sur la manière dont l’adoption de machines et de matériel agricoles a évolué au cours des 10 dernières années. C’est un obstacle majeur qui nous empêche de cerner pleinement l’évolution des systèmes agricoles.

La Division de la statistique de la FAO a entamé le processus de mise à jour de la base de données sur les machines en regroupant différentes sources de données. La méthode est encore en cours d’élaboration et, désormais, elle s’appuie davantage sur les données d’enquête, ainsi que sur les recensements agricoles. Ces prochaines années, des données d’enquête seront probablement relevées dans le cadre d’une série de projets auxquels la FAO participe, notamment le Programme d’enquête agricole et rurale intégrée (AGRISurvey) et l’Initiative 50x2030 destinée à combler les lacunes en matière de données agricoles. Ces projets visent à fournir une assistance technique et à promouvoir la collecte de données en agriculture sur une série de sujets relatifs aux variables socioéconomiques et environnementales, suivant une approche modulaire et parcimonieuse qui couvre les périodes entre les recensements. Parmi ceux proposés, un module porte sur les données concernant la disponibilité et l’utilisation des machines.

En outre, les microdonnées issues des recensements agricoles sont progressivement publiées de manière plus systématique. Pour les périodes entre les recensements, les données sur l’utilisation et les stocks de machines sont tirées d’un certain nombre d’enquêtes, telles que l’enquête auprès des ménages soutenue par la Banque mondiale – l’Étude sur la mesure des niveaux de vie – et d’autres enquêtes nationales similaires. Une série d’indicateurs harmonisés et de microdonnées provenant de ces enquêtes est compilée dans la base de données du Système d’information sur les moyens d’existence ruraux de la FAO (RuLIS), qui constitue ainsi une autre source de données sur l’utilisation des machines.

L’ensemble de données actualisé précisera la quantité de machines et d’outils utilisés et produits, et le volume de machines importées et exportées (ainsi que les valeurs commerciales y relatives).

La FAO prévoit d’évaluer toutes les sources fiables possibles par la collecte, le traitement et la mise au point d’un ensemble de données normalisées d’ici à 2023. À plus long terme, le domaine de données sur les machines sera mis à jour à partir des éléments recueillis grâce au questionnaire révisé qui aura été distribué aux pays.

S’appuyant sur les données disponibles les plus récentes, tout en tenant compte de leur caractère lacunaire et obsolète, la figure 4 illustre la progression mondiale de la mécanisation région par région entre 1961 et 2009. Il convient de noter que l’indicateur utilisé (nombre de tracteurs en service par millier d’hectares de terres arables) ne tient compte ni de la taille des tracteurs ni des autres types de matériel. Toutefois, on peut justifier le recours à cet indicateur pour mesurer approximativement la mécanisation mondiale en partie par l’absence d’autres données, et aussi par le fait que les tracteurs sont actuellement la principale source de force motrice utilisée pour de nombreux travaux agricoles, notamment la préparation des terres, les semis, l’application d’engrais et la pulvérisation de produits chimiques. Outre leur utilité pour le transport, les tracteurs fournissent aussi une force motrice pour pomper de l’eau à des fins d’irrigation ainsi que pour alimenter les machines à traire.

FIGURE 4 NOMBRE DE TRACTEURS UTILISÉS POUR 1 000 HECTARES DE TERRES ARABLES

SOURCE: FAO, 2021
NOTES: L’expression «tracteurs agricoles» désigne l’ensemble des tracteurs à roues, des tracteurs à chenilles et des chenillards utilisés dans l’agriculture. Un quatrième type de tracteur (motoculteurs) a été pris en compte pour un sous-ensemble de pays à partir de 2000. Seuls les pays ayant régulièrement fourni des données entre 1961 et 2009 ont été pris en compte (soit 108 pays au total). Faute de données, l’Asie centrale a été omise. Voir l’annexe 2 pour connaître la liste complète des pays, y compris les 33 pays pour lesquels le quatrième type (motoculteurs) a été pris en compte à partir de 2000.
SOURCE: FAO, 20219.

Les statistiques disponibles sur le nombre de tracteurs en service par millier d’hectares de terres arables (voir la figure 4) mettent en évidence les disparités régionales en matière de mécanisation. Les pays à revenu élevé (Amérique du Nord, Europe et Océanie) étaient déjà fortement mécanisés dans les années 1960, à l’inverse des régions qui concentrent les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire. En Europe, l’utilisation des tracteurs a reculé entre les années 1990 et les années 2000, en premier lieu en Fédération de Russie, qui a enregistré la plus forte baisse (plus de 50 pour cent), probablement en raison de la transition politique et économique du pays à cette période. Cela dit, d’autres pays (l’Albanie, l’Allemagne, le Danemark, l’Irlande et les Pays-Bas, par exemple) ont aussi connu une forte baisse, sans que l'on en comprenne précisément les raisons profondes. Il est possible que l’évolution des tracteurs et la concentration des exploitations et des terres agricoles se traduisent par une augmentation du nombre d’hectares exploités par machine.

L’Asie et l’Afrique du Nord ont connu une mécanisation fulgurante après les années 1960. En Asie de l’Est et du Sud-Est, par exemple, le nombre de tracteurs par millier d’hectares a été multiplié par 56 et en Asie du Sud, par 36. D’un nombre total cumulé de 2,7 millions de tracteurs dans les années 1960, on a atteint 20,3 millions d’unités dans les années 2000. Cependant, l’augmentation exponentielle observée en Asie de l’Est et du Sud-Est dans les années 2000 s’explique en partie par la prise en compte d’un quatrième type de tracteurs (motoculteurs) dans les mesures. Pour des pays comme la Chine, le Myanmar ou encore les Philippines, cet ajout a entraîné une hausse considérable du nombre total de tracteurs. Sur la même période, en Afrique du Nord et en Asie occidentale, le nombre de tracteurs a décuplé (passant de 3 à 33 engins pour 1 000 hectares). L’Amérique latine et les Caraïbes ont également connu une croissance importante, puisque le nombre de tracteurs par millier d’hectares de terres arables y a presque triplé: il est passé de 5 à 14 entre les années 1960 et les années 2000. L’Afrique subsaharienne est la seule région qui n’a pas fait de progrès notables en matière de mécanisation agricole. Dans cette région, le nombre de tracteurs utilisés a augmenté très lentement, avec seulement 2,1 millions d’unités dans les années 1980 (soit 2,8 tracteurs pour 1 000 hectares de terres arables), avant de redescendre à 700 000 (soit 1,3 tracteur pour 1 000 hectares) dans les années 2000. Le faible niveau de mécanisation de cette région a été confirmé par une étude récente sur la mécanisation agricole dans 11 pays, qui a mis en évidence le fait que les outils à main légers sont le premier type de matériel utilisé. Cette étude montre que seuls 18 pour cent des ménages sondés ont accès à des tracteurs, tandis que les autres ménages utilisent soit des outils à main simples (48 pour cent), soit des machines à traction animale (33 pour cent)8.

Concernant l’Asie et l’Afrique du Nord, les données indiquent que l’utilisation déjà généralisée de la traction animale dans les années 1960 a facilité le passage à la mécanisation motorisée. Cette évolution a été confortée par l’intensification de l’agriculture découlant de la révolution verte, puis par la hausse des salaires en milieu rural due à l’industrialisation et à la transformation structurelle6. Des schémas similaires ont été observés en Amérique latine et dans les Caraïbes, où ce sont essentiellement des acteurs privés qui ont impulsé la mécanisation agricole. Cela dit, les pouvoirs publics ont eux aussi joué un rôle essentiel, en créant un environnement propice à la mécanisation, notamment par l’intermédiaire de programmes publics en Argentine, au Costa Rica, en Équateur et au Pérou, qui ont donné accès à des crédits à taux d’intérêt faibles et ont permis des exonérations fiscales10, 11. En outre, plusieurs pays ont exempté les machines agricoles de droits d’importation (le Pérou, par exemple)10.

L’émergence de puissants secteurs de fabrication de machines agricoles dans certains pays d’Asie (la Chine et l’Inde) et d’Amérique latine et des Caraïbes (le Brésil, le Mexique et, dans une certaine mesure, l’Argentine) a conduit à la diversification des machines exportées dans le monde entier11. Cela a fait baisser les coûts d’achat de petit matériel, comme les motoculteurs (surtout en Asie) et les tracteurs à quatre roues, et d’autres machines telles que les pompes de puits tubulaires peu profonds, les batteuses ou les moulins à grains12, 13, 14. Des éléments montrent aussi que l’essor des marchés de la location de machines a contribué à la diffusion de la mécanisation agricole en permettant aux petits producteurs agricoles d’utiliser des machines à un coût abordable6.

En Afrique subsaharienne, dans les années 1960 et 1970, de nombreuses actions ont eu pour objectif de promouvoir la mécanisation: fourniture de machines subventionnées aux agriculteurs, gestion de fermes publiques et de lotissements agricoles, et création de centres de location publics, souvent avec l’appui de donateurs15, 16. Ces efforts se sont avérés coûteux et se sont généralement soldés par un échec à cause de la précarité des infrastructures, de l’insuffisance des investissements dans le développement des connaissances et des compétences, de la faiblesse des capacités d’entretien, du manque d’accès à l’énergie et aux pièces de rechange, de l’absence de véritable demande en matière de mécanisation et de problèmes de gouvernance, comme la recherche de rentes et la corruption6, 16. En Afrique subsaharienne, et dans d’autres régions où la mécanisation reste limitée, il semble que le secteur public n’encourage pas suffisamment la création d’un environnement favorable par la promotion, entre autres, du développement des connaissances et des compétences, de l’accès au financement et des infrastructures rurales11. La mise en place de services de location commercialement viables devrait être une priorité majeure de toute stratégie de mécanisation agricole durable dans cette région (voir l’encadré 2).

Encadré 2LA MÉCANISATION EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

En Afrique subsaharienne, l’agriculture continue de mobiliser majoritairement la force motrice humaine et animale, ce qui est un frein à la productivité. Les tracteurs font partie des types de machines agricoles qui se sont le plus répandues (avec plus ou moins de succès) au cours des sept dernières décennies15. Cependant, ils restent chers et donc inabordables pour la plupart des agriculteurs. Voilà pourquoi des mécanismes de location à long terme sont essentiels pour que les agriculteurs, en particulier les petits producteurs, puissent avoir accès à la mécanisation. Des services de location de tracteurs existent en Afrique subsaharienne: ils concernent à la fois les tracteurs traditionnels (à quatre roues) et, depuis plus récemment et dans une moindre mesure, les motoculteurs (c’est-à-dire les tracteurs à deux roues). Alors que les services publics de location de tracteurs ont une image négative, des milliers de particuliers de la région possèdent des tracteurs et peuvent les mettre en location auprès d’agriculteurs. TROTRO Tractor, au Ghana, en est un parfait exemple (voir l’encadré 3).

La figure illustre l’usage actuel (par la propriété ou la location) de tracteurs à quatre roues (à gauche) et à deux roues (à droite) dans différents pays d’Afrique subsaharienne pour lesquels des données sont disponibles grâce au projet Étude sur la mesure des niveaux de vie - Enquêtes agricoles intégrées.

Très rares sont les ménages qui possèdent un tracteur, même un tracteur à deux roues, généralement moins cher. La possibilité de louer un tracteur n’augmente que légèrement l’accès aux tracteurs à quatre roues. La faible adoption des tracteurs à deux roues, conjuguée à un marché de la location presque inexistant, montre que les fournisseurs ne sont pas encore parvenus à établir des franchises locales pleinement opérationnelles et viables pour les chaînes d’approvisionnement relatives à ces machines et aux pièces détachées15. La mise en place de services de location viables sur le plan commercial (sous forme de propriété privée ou de coopérative) est une priorité absolue pour toute stratégie de mécanisation agricole durable dans la région.

FIGURE POURCENTAGE DES MÉNAGES AGRICOLES AYANT ACCÈS À UN TRACTEUR, DANS QUELQUES PAYS

SOURCE: Banque mondiale, 2022
SOURCE: Banque mondiale, 202217.

Les données sur la mécanisation sans tracteur sont encore plus limitées, mais il semble que, même en Afrique subsaharienne, certaines activités statiques sont mécanisées depuis longtemps, comme le broyage par moulin mécanique, qui nécessite une force motrice importante16. Dans le monde entier, la mécanisation reste limitée pour ce qui est de certains travaux, notamment la récolte et le désherbage. Par ailleurs, les moissonneuses-batteuses et les batteuses fixes se multiplient dans différents pays, mais elles ne peuvent être utilisées que pour la récolte de céréales. À de rares exceptions près, la production de fruits et de légumes est très peu mécanisée à l’échelle mondiale6.

Les moyennes régionales masquent des disparités importantes à l’échelle intrarégionale, et même au niveau national

En moyenne, le niveau d’adoption des tracteurs diffère d’une région à l’autre, mais il existe aussi des variations importantes à l’échelle intrarégionale en raison des disparités en matière de transformation agricole et structurelle et en raison de changements technologiques. Ainsi, le Japon a adopté rapidement les tracteurs dans les années 1960, mais d’autres pays de la région (la Thaïlande, par exemple) n’ont pas fait de même avant les années 1990-20009. En Chine, les tracteurs ont commencé à être utilisés dans les années 1970 et 1980. Au Bangladesh, en Inde, au Myanmar et à Sri Lanka, jusqu’à 90 pour cent des terres agricoles (principalement affectées à la riziculture) seraient aujourd’hui travaillées à l’aide de machines motorisées, selon une étude récente18, 19, 20, 21. Les conditions topographiques sont un autre facteur qui a limité la mécanisation ou rendu son adoption inégale dans certains pays asiatiques6, 14. Au Népal, par exemple, seuls 23 pour cent des producteurs agricoles utilisent des tracteurs et des motoculteurs dans les zones montagneuses du pays, alors que cette proportion atteint 46 pour cent dans la région plus plate du Teraï. En Amérique latine et dans les Caraïbes, il existe de fortes variations entre les grandes et les petites exploitations; les premières sont beaucoup plus mécanisées que les dernières car celles-ci sont situées, au moins en partie, dans des zones éloignées et vallonnées10, 11, 22, 23.

Même dans les sous-régions les moins mécanisées d’Afrique subsaharienne, les taux d’adoption sont inégaux d’un pays à l’autre et au sein même des pays. En 2000, par exemple, on comptait 8 et 5 tracteurs pour 1 000 hectares de terres arables au Botswana et en Afrique du Sud, respectivement, alors que dans des pays comme Madagascar, le Mali et le Sénégal, ce chiffre ne dépassait pas 0,4. Au Ghana, on estime qu’en moyenne un tiers des ménages agricoles utilisent des tracteurs (principalement pour la préparation du sol), mais cette proportion est très variable, de 2 pour cent seulement dans les régions forestières à 88 pour cent dans la savane6. En République-Unie de Tanzanie, la mécanisation est plus présente dans les régions qui pratiquent l’agriculture commerciale24. Au Nigéria, 7 pour cent des producteurs utilisent des tracteurs, et un autre quart d’entre eux utilisent la traction animale, grâce aux bêtes qu’ils possèdent ou qu’ils louent, pour la préparation des terres25. En Éthiopie, seulement 1 pour cent environ des parcelles agricoles sont mécanisées au moyen de tracteurs, principalement dans les systèmes blé-orge faciles à mécaniser, que dominent par ailleurs de grands producteurs et qui ont vu naître des marchés de services pour la moisson et le battage du blé.

Informations à retenir des données (limitées) concernant la mécanisation de l’élevage et de l’aquaculture

Les données concernant l’adoption de machines pour l’élevage ou l’aquaculture sont très limitées, très parcellaires, voire inexistantes. Il en va de même pour le secteur forestier. L’analyse de ces données limitées montre que les machines servant à l’élevage (machines à traire, par exemple) sont concentrées dans les pays à revenu élevé. En revanche, dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire, ce matériel est certes présent, mais plus souvent utilisé dans des unités de production à grande échelle. Cependant, la rareté et l’hétérogénéité des données font qu’il est difficile de cerner précisément la situation dans les différents contextes. En outre, la définition exacte d’une machine à traire n’est pas précise, tout comme le nombre de vaches traites par chaque machine. Avec l’évolution des techniques, ce nombre augmente, et celui des machines peut donc diminuer. Le Danemark en est un exemple représentatif: dans ce grand pays producteur de lait, l’utilisation des machines à traire a baissé et il est possible qu’il y ait eu un remplacement technologique par des méthodes plus avancées qui ne sont pas prises en compte par les statistiques9. Toutefois, des données empiriques tirées d’une étude de cas (Lely) suggèrent que la consolidation des exploitations laitières en Europe du Nord est la cause profonde de la diminution du nombre de machines à traire qui découle du remplacement des technologies et d’économies d’échelle plus importantes2.

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