L’automatisation de l’agriculture telle qu’elle s’effectue actuellement est l’aboutissement d’une longue évolution de la mécanisation qui s’est opérée tout au long de l’histoire de l’agriculture. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) définit la mécanisation comme l’utilisation de tout matériel ou machine (allant des outils à main les plus élémentaires jusqu’aux machines motorisées les plus sophistiquées) pour la réalisation d’activités agricoles14. Avec la mécanisation, seule l’exécution des travaux agricoles est ainsi automatisée, et le degré d’automatisation augmente à mesure que l’on passe des outils à main aux machines motorisées.
Deux phases précèdent toujours la phase d’exécution de toute activité agricole: l’analyse et la prise de décision. La figure 1 montre que les trois phases de l’activité agricole constituent un cycle où s’opère une rétroaction continue entre les différentes phases. La mise en œuvre de toute activité agricole – de la récolte à la lutte contre les maladies, en passant par l’irrigation – commence généralement par une analyse du problème à régler afin de déterminer, le cas échéant, quelle est l’action nécessaire. Par exemple, avant d’irriguer, les producteurs doivent savoir si les plantes ont besoin d’eau. De même, les éleveurs doivent connaître l’état de santé des animaux avant de leur administrer des antibiotiques. Cette analyse peut être réalisée sur la base de l’expérience des producteurs, mais elle peut aussi être automatisée, grâce à des capteurs placés sous le contrôle des producteurs. Une fois l’analyse effectuée, les producteurs décident de ce qui doit être fait (ils déterminent, par exemple, la quantité d’eau ou d’antibiotiques nécessaire) et à quel moment. Ils peuvent prendre ces décisions en fonction de leur expérience et de leurs connaissances, ou les automatiser, au moyen de contrôleurs qui envoient des signaux à partir des informations reçues par les capteurs durant la phase d’analyse. Au cours de la troisième et dernière phase (exécution), les agriculteurs peuvent soit exécuter directement les activités agricoles visées, avec l’aide d’outils à main ou d’animaux, soit activer diverses machines. Les technologies les plus avancées permettent d’automatiser entièrement les trois phases. Les robots utilisés pour la récolte des fruits en sont un bon exemple. Ils exécutent ces trois phases de manière séquentielle et automatique, tandis que les producteurs n’ont plus qu’à surveiller les capteurs et à entretenir le matériel.
FIGURE 1 CYCLE EN TROIS PHASES DES SYSTÈMES D’AUTOMATISATION
Toute technologie qui permet d’automatiser au moins une de ces trois phases peut être considérée comme une technologie d’automatisation. La mécanisation motorisée, qui utilise la puissance d’un moteur15, se concentre essentiellement sur la dernière des trois phases: l’exécution. Elle permet d’automatiser des activités agricoles telles que le labour, l’ensemencement, la fertilisation, la traite, le nourrissage, la récolte et l’irrigation, entre autres. Dans le présent rapport, toute technologie qui assiste les producteurs agricoles dans une ou plusieurs des trois phases présentées à la figure 1 est considérée comme une technologie d’automatisation. Sont donc inclus les cas où les producteurs agricoles utilisent des capteurs pour assurer le suivi des plantes et des animaux, automatisant ainsi la phase d’analyse, mais où ils prennent des décisions en se fondant sur leur propre expérience, sans l’aide de matériel automatisé. Dans certains cas, la phase d’exécution peut également comporter des tâches de détection (pour établir des cartes des cultures en période de récolte, par exemple), qui alimentent ensuite l’analyse, d’où la représentation cyclique de la figure 1.
Avec l’essor des technologies numériques et du matériel automatisé (capteurs et robots, par exemple) qui s’appuient sur l’apprentissage automatique et l’IA, l’automatisation des phases d’analyse et de prise de décision devient possible. De plus en plus, l’utilisation de machines motorisées est complétée, voire supplantée, par celle de nouveaux outils numériques qui automatisent l’analyse et la prise de décision. Il est possible, par exemple, de convertir un tracteur classique en un véhicule automatisé capable d’ensemencer un champ de manière autonome15. Ainsi, si la mécanisation facilite et réduit les travaux pénibles et répétitifs et remédie aux pénuries de main-d’œuvre, les technologies d’automatisation numérique améliorent encore la productivité en permettant une exécution plus précise des activités agricoles et une utilisation plus efficiente des ressources et des intrants. Par conséquent, l’automatisation numérique peut apporter une valeur ajoutée en matière de durabilité environnementale et permettre de renforcer la résilience face aux chocs et aux facteurs de stress climatiques. Cependant, ses conséquences possibles sur la main-d’œuvre doivent être scrupuleusement prises en considération, comme on le verra plus loin.
La figure 2 rend compte de l’évolution technologique en montrant l’évolution progressive des technologies agricoles (chacune étant illustrée par des exemples), depuis celles qui aident uniquement les humains à exécuter physiquement les activités, jusqu’à celles qui les assistent dans l’analyse et la prise de décision. L’évolution technologique peut être résumée en distinguant les catégories de technologies ci-après:
- Outils à main: les phases d’analyse et de prise de décision sont réalisées par les humains, qui s’aident ensuite d’outils simples, tels que des haches et des houes, pour la phase d’exécution.
- Traction animale: ce sont toujours les humains qui effectuent l’analyse et prennent les décisions, mais ce sont des animaux, à l’aide d’outils agricoles tels que des charrues, qui effectuent ou facilitent les activités agricoles physiques.
- Mécanisation motorisée: les humains continuent de réaliser l’analyse et de prendre les décisions, mais ce sont des machines et des outils motorisés qui exécutent les activités. Cette catégorie marque un changement concernant la source d’énergie utilisée au sein des exploitations agricoles, puisque l’on passe d’une source interne (les muscles des humains et des animaux, par exemple) à une source externe (les combustibles fossiles et l’électricité, par exemple). Cette évolution nécessite toutefois des infrastructures spécifiques pour que les sources d’énergie soient disponibles à tout moment.
- Matériel numérique: les humains sont assistés d’un vaste éventail d’outils numériques qui leur permettent d’améliorer l’analyse et/ou la prise de décision, soit par l’automatisation du travail intellectuel, soit au moyen de machines motorisées plus précises.
- Robotique associée à l’IA: pour toutes les fonctions d’analyse, de prise de décision et d’exécution, les humains s’appuient sur des robots agricoles dotés de l’IA. Ceux-ci peuvent être statiques (trayeuses robotisées, par exemple) ou mobiles (robots de récolte de fruits, par exemple). Les humains surveillent les capteurs et entretiennent les robots. Cette catégorie regroupe les technologies d’automatisation les plus avancées, dont certaines n’ont pas encore été déployées à grande échelle ou sont encore en cours de développement.
FIGURE 2 ÉVOLUTION DE L’AUTOMATISATION AGRICOLE
Malheureusement, le fait qu’il existe une telle variété d’outils et de technologies a contribué à un manque de cohérence entre les différentes définitions de l’automatisation de l’agriculture que l’on trouve dans la littérature, et a entravé les efforts de recueil de données relatives à l’automatisation11. Par exemple, certains définissent l’automatisation de l’agriculture comme la navigation autonome, sans intervention humaine, de robots qui fournissent des informations précises pour aider à développer les activités agricoles16. D’autres la définissent comme la réalisation de tâches de production au moyen de dispositifs mobiles, autonomes et mécatroniques capables de prendre des décisions17. Cependant, ces définitions sont très restrictives et ne rendent pas compte de l’automatisation sous tous ses aspects et toutes ses formes – les équipements statiques, tels que les machines à traire robotisées, en sont un exemple. De plus, les diverses définitions excluent non seulement une bonne partie des machines motorisées qui automatisent l’exécution des travaux agricoles, mais aussi les outils numériques (tels que les capteurs) qui automatisent uniquement la phase d’analyse.
La figure 2 présente une vue simplifiée de l’évolution réelle des technologies d’automatisation au cours de l’histoire; des chevauchements et des zones grises peuvent exister entre les catégories. Néanmoins, cette représentation aide à circonscrire le principal sujet d’étude du présent rapport et à définir l’automatisation de l’agriculture. Les trois cases bleues concentrent la notion d’automatisation de l’agriculture, thème central du rapport. Ainsi, nous nous proposons de définir l’automatisation de l’agriculture comme
l’utilisation, pour les travaux agricoles, de machines et de matériel qui améliorent l’analyse, la prise de décision ou l’exécution, en réduisant la pénibilité du travail et/ou en accroissant la rapidité des tâches, et éventuellement leur précision.
Selon cette définition, l’automatisation agricole englobe l’agriculture de précision, qui est une stratégie de gestion permettant de recueillir, de traiter et d’analyser des données en vue d’améliorer les décisions de gestion (voir le glossaire).
À la première case bleue de la figure 2, on trouve la mécanisation motorisée, qui regroupe les machines actionnées par des humains pour effectuer des tâches telles que le labour, l’irrigation et la traite. Cependant, l’analyse est effectuée par les humains (en fonction de leur propre observation ou de la mesure de paramètres simples), qui prennent alors des décisions basées sur l’expérience (interne ou externe), les connaissances et les ressources disponibles. Les deux dernières catégories de la figure 2 concernent l’automatisation numérique. Elles regroupent un vaste éventail d’outils, de matériel et de logiciels qui sont, ou peuvent être, multifonctionnels et interdisciplinaires, et permettent d’assurer la gestion des ressources de l’ensemble du système de manière extrêmement optimisée, individualisée, intelligente et anticipative18. À mesure que les technologies d’automatisation numérique (robotique associée à l’IA) se développent, les trois phases – analyse, prise de décision et exécution – peuvent être automatisées, le rôle des humains étant limité essentiellement au suivi et à l’entretien du matériel. C’est par exemple le cas pour les cueille-fruits: en fonction des informations fournies par les capteurs, le contrôleur délivre un message au bras, qui procède alors à la cueillette.
L’automatisation peut porter sur une ou plusieurs de ces trois phases, qui sont liées entre elles. Par exemple, l’analyse peut être effectuée par des capteurs alors que la prise de décision et l’exécution dépendent entièrement des humains. Ou bien les phases d’analyse et de prise de décision peuvent être assurées par des technologies numériques tandis que l’exécution est réalisée par des humains. On citera le robot de pulvérisation automatique comme exemple de système entièrement automatisé (c’est-à-dire, où les trois phases sont automatisées): le dispositif obtient d’abord des données sur la fertilité du sol, qui lui permettent de déterminer ensuite la zone d’intervention et le taux d’épandage; enfin, il applique l’engrais en fonction de ce taux variable.