La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2022

Chapitre 2 COMPRENDRE LE PASSÉ ET ENVISAGER L’AVENIR DE L’AUTOMATISATION DANS LE SECTEUR AGRICOLE

L’état des technologies d’automatisation numérique et de la robotique dans l’agriculture

Les sections précédentes de ce chapitre ont présenté les évolutions et les facteurs de la mécanisation agricole motorisée, ainsi que le rôle des technologies numériques dans la transformation de l’agriculture en ce qui concerne leur capacité d’améliorer l’agriculture de précision et de rendre l’accès aux machines agricoles plus inclusif. Dans la présente section, l’état actuel des technologies numériques d’automatisation dans l’agriculture et les principaux facteurs d’adoption sont étudiés plus avant, sur la base des éléments factuels disponibles.

L’utilisation continue d’une technologie est le meilleur indicateur de son intérêt pour au moins certains producteurs et certaines entreprises agricoles48. Les publications sur l’évolution de l’automatisation numérique dans l’agriculture aident à comprendre ses avantages, ses difficultés et l’évolution de son adoption. En résumé, l’adoption des technologies d’automatisation numérique dans l’agriculture a été sous-tendue par deux forces principales: la hausse de la demande alimentaire face à la diminution des ressources naturelles; et les évolutions survenues dans d’autres secteurs de l’économie, qui favorisent l’innovation dans le secteur agricole48.

Pour comprendre l’évolution des technologies d’automatisation numérique dans l’agriculture, il faut rassembler des informations provenant de sources diverses, car les données sont rares (en particulier dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire) et, par ailleurs, aucun pays ou organisation ne procède à une collecte systématique de données sur l’utilisation de ces technologies. Une analyse isolée n’a qu’une valeur limitée car la technologie considérée et le pays concerné sont à chaque fois singuliers. Seule la prise en compte de l’ensemble des informations permet de faire ressortir des grandes tendances. Le tableau 2 présente les dates clés de l’automatisation numérique dans l’agriculture, en indiquant le premier promoteur de chaque technologie. Il n’est pas facile de dater l’introduction de chaque technologie au niveau des producteurs: c’est pourquoi les dates, les pays et les technologies figurant dans le tableau ne sont que des indications des grandes tendances d’adoption; en effet, aucune technologie n’est entièrement prête à la sortie du laboratoire ou de l’atelier de conception, avant sa mise en œuvre sur les exploitations. Au contraire, l’adoption d’une technologie est une démarche itérative. Elle commence par des travaux de recherche fondamentale qui servent à démontrer son application possible, puis les réflexions scientifiques se concrétisent sous la forme de produits commerciaux utilisables. S’appuyant sur la figure 2 du présent rapport , la figure 5 présente d’autres exemples de technologies évoquées dans ce chapitre, catégorisées par système de production agricole. Ces exemples ne sont pas identiques aux technologies figurant dans le tableau 2, mais complémentaires.

FIGURE 5 EXEMPLES DE TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES ET ROBOTIQUES ASSOCIÉES À L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, CLASSÉES PAR SYSTÈME DE PRODUCTION AGRICOLE

SOURCE: Figure élaborée par la FAO pour le présent rapport.
SOURCE: Figure élaborée par la FAO pour le présent rapport.

TABLEAU 2DATES IMPORTANTES DE L’AUTOMATISATION NUMÉRIQUE DANS L’AGRICULTURE

SOURCE: Lowenberg-DeBoer, 2022
NOTES: GPS, système de positionnement mondial; TTV, technologie à taux variable; GNSS, systèmes mondiaux de navigation par satellite.
SOURCE: Lowenberg-DeBoer, 202248.

Progrès de l’automatisation dans le domaine de la production animale

Comme on peut le voir dans le tableau 2, les premières technologies d’automatisation numérique ont notamment concerné le secteur de l’élevage. L’élevage de précision utilise des capteurs fixés sur les animaux ou sur le matériel installé dans les granges pour assurer une régulation climatique et surveiller l’état de santé, les déplacements et les besoins des animaux, notamment aux fins de la reproduction67. Plusieurs technologies d’élevage de précision ont été mises au point pour faciliter la gestion individuelle des animaux grâce à une identification électronique. Les robots de traite sont la technologie la plus répandue; ils permettent de traire les vaches sans intervention humaine directe. Les machines à traire classiques utilisent une pompe à vide, mais il faut nécessairement qu’une personne place le dispositif sur l’animal puis le retire. L’identification électronique, quant à elle, automatise le processus en donnant à un robot de traite l’accès à une base de données qui contient les coordonnées du pis de chaque vache68. Ce système entièrement automatisé et adapté à la production animale ouvre des perspectives importantes en matière de réduction des coûts et d’augmentation de la productivité69. Cependant, le bilan est mitigé quant aux gains financiers qu’apporteraient les robots de traite: certaines études font état de résultats positifs70, 71, 72, tandis que d’autres n’y ont trouvé aucun avantage financier par rapport aux machines à traire habituelles71. Il semblerait donc que l’adoption de cette technologie ne dépende pas seulement de considérations financières mais tienne aussi à des considérations sociales, comme la souplesse accrue des horaires de travail et la meilleure qualité de vie, facteurs particulièrement importants dans les petites et moyennes exploitations. Cela dit, plus récemment, les grandes exploitations laitières (qui comptent plus de 1 000 vaches) ont emboîté le pas aux exploitations de taille moyenne en adoptant des systèmes de traite robotisés en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Ainsi, le choix de recourir à la traite robotisée peut reposer sur des critères très différents dans les grandes exploitations laitières48. L’encadré 5 présente des exemples d’automatisation numérique de la production animale en Afrique, en Europe, en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Encadré 5AUTOMATISATION NUMÉRIQUE DE LA PRODUCTION ANIMALE: EXEMPLES RECUEILLIS EN AMÉRIQUE LATINE, EN AFRIQUE ET EN EUROPE

Créée en Argentine en 2019, la société Cattler exerce désormais ses activités dans d’autres pays, notamment le Paraguay, l’Uruguay et, plus récemment, le Brésil et les États-Unis d’Amérique. Elle propose un système automatisé de gestion des exploitations agricoles de bovins à viande. Celui-ci s’appuie sur des données satellitaires, fournit des observations et propose des idées pour améliorer la gestion. L’entreprise cible les exploitations de taille moyenne plutôt que les grandes exploitations. Cattler estime que l’un des principaux facteurs incitant à adopter le système est le besoin de simplifier les tâches et de rentabiliser les investissements.

Au Burkina Faso et au Mali, et bientôt au Niger, avec le soutien de l’Agence néerlandaise de développement international, GARBAL prête des services de conseil extrêmement adaptés au contexte dans les domaines de la production animale et végétale, ainsi que des marchés du fourrage, du lait et des céréales. Particulièrement destinées aux femmes et aux jeunes, les solutions numériques proposées aident les petits producteurs et les éleveurs pastoraux touchés par le changement climatique au Sahel à prendre des décisions au sujet des pâturages, de la migration des troupeaux, de la météo et de différentes pratiques agricoles. Ces solutions s’appuient sur l’imagerie par satellite, les SMS, les données de services supplémentaires non structurées (USSD) et un centre d’appel dont les opérateurs, eux-mêmes locaux, maîtrisent les langues parlées sur place. Le recours aux téléphones mobiles rend cette solution très accessible. L’initiative a bénéficié, entre autres, de partenariats public-privé, de subventions, de liens avec les organisations locales d’agriculteurs et de pasteurs, et de passerelles entre connaissances traditionnelles et savoir scientifique. Parmi les principales difficultés rencontrées, on note la nécessité de trouver des solutions très adaptées au contexte, les problèmes de sécurité dans certains pays, les besoins importants en matière de renforcement des capacités, les problèmes de connectivité et de réception des réseaux, ainsi que les problèmes de qualité des données.

Lely, une entreprise familiale des Pays-Bas, propose de la robotique et des logiciels de gestion d’élevage laitier à destination des exploitations de taille moyenne ou grande, qui comptent plus de 100 vaches, mais elle ne vise pas à ce jour les plus grandes exploitations. Les principales technologies adoptées sont les robots de traite stationnaires, suivis des robots à lisier et des robots de nourrissage. Les robots de récolte de graminées permettent d’optimiser le rendement des herbages, tandis que les futurs produits se concentrent sur la réduction des émissions. Ces technologies sont accompagnées de logiciels de gestion de tous les travaux agricoles, comprenant des informations sur le bien-être des animaux. La technologie proposée peut permettre de résoudre les problèmes de faible disponibilité de la main-d’œuvre, de réglementation des émissions et de bien-être animal. Les principaux facteurs d’adoption sont l’efficacité énergétique, la réduction de l’utilisation des produits chimiques et la pénurie de main-d’œuvre.

SOURCE: Ceccarelli et al., 20222.

Au niveau mondial, les ventes de systèmes de traite automatisée sont passées de 1,2 milliard d’USD en 2016 à 1,6 milliard d’USD en 2019, signe d’une demande croissante, bien que concentrée dans les pays à revenu élevé, parmi lesquels l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni en sont des utilisateurs précoces73, 74. De fait, si aucune statistique sur l’adoption de ces technologies ne compare différents pays et régions, les données montrent que cette adoption est cantonnée aux pays à revenu élevé, principalement en Europe du Nord75. La demande est tirée à la hausse par le manque de main-d’œuvre rurale, auquel s’ajoute une rupture générationnelle. Le tableau 2 montre que le premier système de traite automatisée à vocation commerciale a été mis en service aux Pays-Bas en 1992. Depuis lors, il s’est diffusé dans d’autres pays69. L’absence de données concernant les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire laisse à penser que cette technologie en est quasiment absente48, 76.

En plus des machines à traire, il existe aussi des technologies permettant d’alimenter automatiquement les vaches en leur donnant des concentrés en quantités variables selon leur production laitière77. Il en va de même pour la volaille, dont les systèmes d’alimentation s’appuient sur le poids des oiseaux et le nombre d’œufs, et dont le contrôle informatisé de la ventilation se base sur la température et le taux d’humidité78. Toutefois, les données et les éléments factuels concernant les évolutions et les facteurs d’adoption de ces technologies sont encore plus rares.

Progrès de l’automatisation dans le domaine de la production végétale

L’automatisation de la production végétale nécessite d’utiliser beaucoup de technologies relevant de l’agriculture de précision, à savoir la TTV, les GNSS, les robots, les drones et l’IA. Celles-ci peuvent nécessiter de recueillir des données spatiales grâce à un système d’information géographique (SIG), au moyen de renseignements issus de modèles de simulation des cultures, afin de connaître la quantité d’intrants nécessaire pour maximiser les rendements et les bénéfices67. Ces applications utilisent des capteurs, notamment pour la détection proximale (mesure de l’azote dans le sol, par exemple) et la télédétection (imagerie par satellite, par exemple). Si la connectivité le permet, les utilisateurs peuvent partager ces données avec d’autres parties prenantes à l’aide de smartphones et d’applications faciles à utiliser qui présentent les données de manière simple35.

L’adoption varie selon le produit agricole concerné, le coût du capital, le niveau des salaires et d’autres facteurs économiques. En tout état de cause, l’adoption par les petits producteurs agricoles est négligeable, car il n’y a pratiquement aucun travail de recherche sur l’adaptation à l’agriculture à petite échelle et il n’est pas facile de transférer la technologie des tâches mécanisées aux tâches non mécanisées.

Les GNSS et la TTV, associés à des machines motorisées, sont les technologies les plus utilisées dans la production végétale pour permettre l’autoguidage et l’application d’intrants à la volée. L’un des principaux facteurs d’adoption des technologies fondées sur les GNSS est leur capacité, pendant l’application des intrants (engrais, par exemple), d’éliminer à la fois les sauts accidentels et les chevauchements de plantes, ce qui se traduit par des économies d’intrants. Parmi les autres facteurs, citons la réduction de la fatigue des utilisateurs, la possibilité pour les membres de la famille de travailler plus longtemps, la souplesse dans le recrutement des conducteurs (puisqu’ils n’ont pas besoin d’être hautement qualifiés ni très expérimentés), et les avantages environnementaux (puisqu’il y a moins d’applications d’intrants qui se recouvrent), sans oublier d’autres avantages difficiles à quantifier et qui sont plutôt des effets secondaires de l’adoption. Par ailleurs, les avantages du guidage GNSS sont rapidement perçus (les économies d’intrants permises par la réduction des chevauchements, par exemple, sont presque immédiates) et visibles à la fois pour les agriculteurs et leur voisinage (la pousse de mauvaises herbes liée à l’absence de traitement par herbicide est vue d’un mauvais œil dans le milieu agricole), ce qui favorise aussi l’adoption de ces technologies48.

La TTV permet de diminuer l’application d’intrants et d’optimiser les rendements des cultures, ce qui présente aussi des avantages environnementaux, en particulier si elle évite une application en excès. Pour ce qui est de la rentabilité des engrais TTV, les éléments factuels sont mitigés79, 80. Cela explique la faible adoption, dans le monde entier, de la TTV fondée sur une carte pour l’application d’engrais, cette technologie étant d’ailleurs principalement utilisée dans les domaines où la rentabilité est régulière (application d’azote pour la betterave sucrière, par exemple).

Dans la catégorie d’automatisation la plus avancée, les robots de culture autonomes n’ont été commercialisés que très récemment. On les trouve surtout dans les pays à revenu élevé (notamment en France), où ils servent à désherber les légumes en agriculture biologique et les betteraves sucrières81. La première démonstration publique de machines de culture autonomes participant à la production et à la récolte d’une culture commerciale a été réalisée dans le cadre du projet Hands Free Hectare, mis en place au Royaume-Uni en 2016 pour développer et mettre en avant l’automatisation agricole64. Depuis lors, des fabricants ont annoncé la création de machines autonomes (voir le tableau 2), et plus de 40 jeunes entreprises sont en train d’en mettre au point. Les robots de culture autonomes, en particulier les petits robots en essaim, permettent des économies de main-d’œuvre, un meilleur enchaînement des tâches, une application plus précise des intrants et une moindre compaction du sol. Selon une étude portant sur 18 cas, les robots de culture autonomes utilisés pour la récolte, l’ensemencement et le désherbage sont viables du point de vue économique dans certaines circonstances82.

Dans certains pays, les machines agricoles autonomes requièrent une supervision humaine constante sur place, auquel cas les agriculteurs peuvent avoir intérêt à utiliser du matériel classique83. Une étude a montré que la supervision à distance (depuis le bureau de l’exploitation, par exemple) n’était optimale que si la tâche autonome présentait relativement peu de difficultés84. Elle a souligné la nécessité d’accroître les capacités en matière d’IA afin de permettre à la machine autonome de résoudre davantage de problèmes sans intervention humaine. De même, les limitations de vitesse imposées aux machines agricoles autonomes, comme il en existe aux États-Unis d’Amérique, peuvent nuire à la rentabilité85.

Certains projets visent à créer de petites machines agricoles autonomes à faible coût pour les petites et moyennes exploitations, afin de compenser le manque de main-d’œuvre agricole dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire, ce qui pourrait présenter des avantages pour les jeunes ruraux en particulier86, 87, 88, 89. Malheureusement, il n’existe pas d’analyses de faisabilité pour les pays à faible revenu ni les pays à revenu intermédiaire. Néanmoins, les publications disponibles suggèrent que l’adoption de robots autonomes dans ces pays pourrait présenter les atouts suivants: i) une réduction des besoins en main-d’œuvre, lorsque celle-ci est rare; ii) des coûts plus faibles et des économies réalisables à moindre échelle, qui rendent les technologies accessibles aux petites exploitations utilisant la mécanisation classique; et iii) la possibilité d’utiliser ces technologies sur des parcelles irrégulières, de façon efficace sans être excessivement onéreuse, ce qui évite de transformer les paysages ruraux pour créer de grands champs rectangulaires (où la mécanisation traditionnelle est la plus efficace), étant donné que ce processus perturbe le milieu.

Les drones sont utilisés pour recueillir des informations et pour automatiser l’application des intrants, de la même manière que la TTV fondée sur une carte. Cela dit, leur usage est souvent soumis à des réglementations strictes en raison des préoccupations relatives à l’application excessive d’intrants, aux problèmes lors de l’épandage de pesticides et aux dangers pour l’aviation90, 91. Au Royaume-Uni, par exemple, les drones ne sont autorisés à épandre des herbicides que dans des endroits inaccessibles et sous certaines conditions. En revanche, la Suisse tolère une application plus souple des intrants au moyen de drones, ce qui pourrait encourager d’autres pays européens à faire de même83, 92. Environ 14 pour cent des détaillants agricoles aux États-Unis d’Amérique proposaient des services d’application d’intrants par drone en 2021, et ce taux devrait atteindre 29 pour cent d’ici à 202492. L’application d’intrants par drone est une pratique également assez courante dans certains pays à revenu intermédiaire, comme le Brésil et la Chine93.

Quelques avancées moins connues en matière d’automatisation: aquaculture, forêts et production végétale en environnement contrôlé

Face à la pénurie de main-d’œuvre et aux salaires élevés, l’automatisation numérique progresse dans le secteur de l’aquaculture. Les innovations qui automatisent le nourrissage et la surveillance sont largement adoptées, malgré les coûts d’investissement élevés qui s’y rapportent, car elles réduisent au minimum les besoins en main-d’œuvre (laquelle se limite à quelques opérateurs hautement qualifiés) et d’autres coûts variables de production94. L’encadré 6 présente des innovations récentes dans le domaine de l’aquaculture en Inde et au Mexique.

Encadré 6NOUVELLES TECHNOLOGIES AQUACOLES: EXEMPLES RECUEILLIS EN INDE ET AU MEXIQUE

L’aquaculture a déjà prouvé qu’elle était cruciale pour la sécurité alimentaire et la nutrition au niveau mondial, car elle représente l’une des premières sources de protéines animales et sa production a augmenté de 7,5 pour cent par an depuis 197095. Au vu du potentiel de croissance de l’aquaculture, mais aussi de l’immensité des défis environnementaux que ce secteur doit relever à mesure qu’il intensifie sa production, de nouvelles stratégies de développement durable de l’aquaculture sont nécessaires. Ces stratégies doivent exploiter les innovations techniques dans des domaines tels que l’alimentation animale, l’élevage de sélection, la biosécurité et la lutte contre les maladies, ainsi que les innovations numériques. Cela peut permettre, ensuite, de renforcer la précision, d’améliorer la prise de décision, de faciliter la surveillance autonome et continue des poissons, et de réduire la dépendance à l’égard de la main-d’œuvre, améliorant ainsi la sécurité du personnel, la santé des poissons et leur bien-être, tout en augmentant la productivité, le rendement et la durabilité environnementale96.

Le cas d’Aquaconnect, en Inde, en est une bonne illustration. L’Inde est certes l’un des plus grands producteurs aquacoles au monde (les récoltes s’élevaient à 7 millions de tonnes en 201895), mais le secteur se caractérise dans ce pays par un manque de transparence et l’inefficacité des chaînes de valeur. Aquaconnect utilise l’intelligence artificielle et les technologies de détection par satellite pour suivre les rendements des fermes aquacoles et fournir aux éleveurs de crevettes et de poissons (qui exercent, pour la plupart, à petite et moyenne échelles) des conseils en vue d’augmenter leur productivité. Cette solution est associée à une plateforme omnicanal qui vend des intrants agricoles à des prix abordables. Elle permet également de rapprocher les agriculteurs et les institutions financières et d’améliorer les liens avec les marchés. Ces solutions aident actuellement plus de 60 000 pisciculteurs et éleveurs de crevettes d’Inde à augmenter leur productivité, à renforcer leurs liens avec les marchés et à accéder plus facilement au crédit et à l’assurance institutionnalisés1. En parallèle, le Gouvernement indien a affecté environ 3 milliards d’USD à la modernisation de l’agriculture, y compris les chaînes de valeur de l’aquaculture et de la pêche, et a manifesté son intention de soutenir les initiatives (jeunes entreprises, par exemple) qui mettent en œuvre des technologies et encouragent les innovations.

La première ferme à crevettes robotisée au monde, Shrimpbox, mise au point à Oaxaca, au Mexique (voir l’étude de cas Atarraya à l’annexe 1), est un autre projet ambitieux susceptible de transformer le secteur aquacole. Elle repose sur des systèmes automatisés qui peuvent être suivis à distance grâce à des logiciels en mesure d’apprendre et de prendre des décisions. Ces systèmes sont rattachés à la lutte biologique contre les organismes nuisibles fondée sur des méthodes microbiennes afin de limiter l’accumulation de nitrates, de prévenir les maladies et d’économiser de l’eau dans la production de crevettes, ce qui permet de réduire considérablement la consommation d’eau, les besoins en main-d’œuvre, le risque de maladies et les pertes2. Selon les créateurs de cette technologie, une ferme robotisée peut, sur 0,5 hectare, être aussi productive qu’une ferme traditionnelle de 100 hectares, tout en ne consommant que 5 pour cent de l’eau et en se passant d’antibiotiques97. Shrimpbox permet d’élever des crevettes sous des climats plus froids et dans des zones dépourvues d’accès à l’océan. Des crevettes fraîches et de grande qualité peuvent ainsi être livrées dans des régions qui dépendent aujourd’hui des importations de produits congelés.

Aquaconnect et Shrimpbox ne sont que deux exemples parmi d’autres de nouvelles technologies destinées à rendre l’aquaculture plus durable, plus efficace et plus inclusive. Il faut toutefois donner la priorité au développement de l’aquaculture en Afrique et dans d’autres régions où les progrès technologiques sont plus lents et qui sont plus gravement touchées par l’insécurité alimentaire et la malnutrition95.

Dans le secteur des forêts, bon nombre de travaux de récolte du bois sont déjà fortement automatisés, grâce à des machines motorisées qui sont progressivement équipées d’outils numériques. Plus récemment, les technologies mobiles, associées à la réalité virtuelle et aux techniques de télédétection, ont ouvert la voie à des machines automatiques de pointe. Ce sont principalement les abatteuses et les porteuses de bois – machines sophistiquées servant à la coupe et au transport des grumes – qui sont visées par l’automatisation98. Les technologies numériques novatrices sont de plus en plus répandues. Une étude récente a révélé le poids important accordé aux innovations fondées sur la télédétection pour le suivi, la planification et la gestion des forêts, où les technologies d’apprentissage automatique jouent également un grand rôle dans la collecte, le traitement et l’analyse des données. L’adoption continuelle d’outils numériques est susceptible de soulever de nouvelles questions sur les écosystèmes forestiers en tant que paysages dynamiques, sociaux, écologiques et technologiques. Les futurs travaux de recherche devraient viser à étudier de plus près comment les chercheurs, les gestionnaires et les parties prenantes du secteur des forêts peuvent anticiper les incertitudes environnementales et technologiques qui touchent l’écosystème forestier et s’y adapter99. L’encadré 7 résume l’évolution du secteur des forêts sur le plan de la mécanisation et le potentiel de l’automatisation numérique.

Encadré 7ÉVOLUTION DU SECTEUR DES FORÊTS: MÉCANISATION ET AUTOMATISATION NUMÉRIQUE

Le travail en forêt a toujours été rude et potentiellement dangereux, notamment lors de la phase de récolte du bois. Les méthodes qui nécessitent peu de moyens technologiques mobilisent une équipe spéciale composée d’un premier bûcheron et d’un bûcheron chargé de le seconder, aidée d’un groupe d’ouvriers dont la mission est de tailler les branches. Une fois la taille effectuée, une autre équipe spécialisée, formée d’une personne effectuant le marquage, d’un agent de coupe transversale et de deux ou trois traîneurs, débite les arbres en grumes100. Comme ces méthodes d’exploitation manuelle demandent beaucoup de main-d’œuvre et exposent les ouvriers à des risques, elles sont beaucoup moins courantes aujourd’hui.

Dans les années 1950, l’exploitation forestière a commencé à évoluer, passant progressivement d’un travail essentiellement manuel à la mécanisation puis à une automatisation partielle. La récolte de bois peut être divisée en quatre phases distinctes: l’abattage des arbres, leur extraction, le tri et le chargement sur un site de débarquement, et le transport vers les marchés. Les machines de coupe sont aujourd’hui capables d’effectuer plusieurs tâches (abattage, extraction, coupe transversale et tri). Ces machines ont permis des gains majeurs en matière d’efficacité et d’amélioration des conditions de travail. La mécanisation et l’automatisation numérique ont notamment pour avantage d’améliorer la sécurité et le confort du conducteur de l’engin. Grâce à cela, la productivité du travail a fait un bond. En Suède, la productivité par personne a été multipliée par six entre 1960 et 2010 (voir la figure correspondante).

FIGURE VOLUME DE BOIS SUR PIED PAR JOUR OUVRABLE DANS LE SECTEUR FORESTIER EN SUÈDE (MOYENNE GLISSANTE SUR TROIS ANS)

SOURCE: SkogForsk d’après McKinsey and Company, 2020
SOURCE: SkogForsk d’après McKinsey and Company, 2020101.

Même dans ces systèmes d’exploitation forestière plus mécanisés, la main-d’œuvre représente généralement quelque 30 à 40 pour cent des frais d’exploitation dans les pays européens102. L’environnement de travail est stressant car les opérateurs doivent à la fois prendre des décisions rapidement, manœuvrer des machines complexes et déceler les écarts de qualité entre les grumes, ce qui limite leur nombre d’heures de travail. C’est pourquoi l’un des moyens d’accroître la productivité est d’augmenter le niveau d’automatisation. L’adoption de matériel autonome est motivée par la productivité et les coûts de fonctionnement. Une machine autonome est généralement plus lente qu’une machine manœuvrée par un opérateur, mais elle peut tout de même offrir un meilleur rapport coût-efficacité. Plusieurs machines semi-autonomes peuvent être pilotées simultanément par un même opérateur.

La plupart des machines modernes utilisées en forêt peuvent être facilement, et moyennant un coût relativement faible, reconverties afin d’être télécommandées – il existe de nombreuses possibilités à l’heure actuelle. Comme nous venons de le signaler, ces machines sont généralement plus lentes (c’est particulièrement vrai pour une tâche complexe), et l’amélioration de la productivité ne suffira pas seule à justifier leur adoption. Cependant, leur emploi pourrait être envisagé pour d’autres raisons: pour garantir la sécurité de l’opérateur, ou lorsqu’un opérateur travaillant à plein temps sur place est sous-employé.

Il n’existe actuellement aucun système entièrement autonome en matière d’exploitation des forêts. Toutefois, l’extraction et le transport ultérieur des rondins et des grumes à l’aide de systèmes guidés par GPS ont été retenus comme les premières tâches probablement susceptibles d’être robotisées, et bientôt réalisables moyennant un investissement modeste en recherche-développement. L’abattage de plantations pourrait également devenir économiquement viable à plus long terme, mais au prix d’investissements considérables en recherche-développement103. Enfin, le transport routier des grumes est un aspect des opérations forestières qui appelle une amélioration de la productivité dans la chaîne d’approvisionnement en bois. La technologie des camions sans conducteur évolue rapidement, et présente l’avantage de réduire les besoins en main-d’œuvre, et donc les coûts. Des véhicules autonomes sont déjà employés dans les exploitations minières pour les déplacements des camions hors de la voie publique, ce qui permet d’envisager leur utilisation en forêt.

Par ailleurs, de nouveaux systèmes de récolte plus respectueux de l’environnement sont aussi en phase d’élaboration. Les abatteuses-tronçonneuses mobiles permettent de récolter le bois sur des terrains pentus, difficiles ou inégaux. L’objectif est notamment de limiter les atteintes aux sols forestiers causées par contact sans quitter la trajectoire continue des abatteuses à roues ou à chenilles103. Bien que ce genre de système soit encore loin de la phase commerciale, une abatteuse forestière à balancier travaille déjà sans contact avec le sol en Nouvelle-Zélande. Son fonctionnement ne dépend pas des conditions du terrain (pente, irrégularités, etc.) car elle se maintient en hauteur et se déplace d’arbre en arbre en utilisant ceux-ci comme support, ce qui réduit les perturbations du sol104.

Ces dispositifs respectueux de l’environnement peuvent être précieux dans les forêts où l’emploi de la mécanisation motorisée pour les récoltes risque de compacter et d’éroder les sols, ainsi que d’appauvrir la biodiversité. Enfin, si l’on considère que les bienfaits procurés par les forêts vont bien au-delà de la simple production de bois - il faut aussi citer le stockage du carbone, les produits forestiers non ligneux, la prévention de l’érosion, la purification de l’eau et les activités de loisirs -, il est important de déterminer en quoi l’automatisation numérique peut, au moyen de capteurs, donner plus de valeur à ces bienfaits. Un exemple intéressant à cet égard concerne le suivi de la déforestation, en particulier des activités illégales, à l’aide de données satellitaires. La capacité de suivi de la déforestation s’est nettement améliorée pour ce qui est de la granularité des données, lesquelles sont désormais disponibles mondialement à un rythme mensuel et à une résolution de 5 mètres. Le cas du bassin amazonien en offre une illustration concrète, avec la détection de la perte de superficie forestière causée par l’expansion des plantations de palmiers à huile en territoire autochtone en Équateur105. Ces données en libre accès qui couvrent le monde entier sont un remarquable exemple de la façon dont les solutions numériques peuvent servir à analyser des problèmes.

L’agriculture en environnement contrôlé (AEC) est un autre secteur prometteur pour l’automatisation numérique: il désigne notamment la serriculture et l’agriculture verticale. Les serres sont la forme la plus courante d’environnement contrôlé dans le secteur agricole. Par leur nature même, elles se prêtent au suivi, au contrôle et à l’optimisation de leur environnement. Les innovations relatives aux capteurs et aux instruments à faible coût et à faible consommation d’énergie, aux dispositifs de communication, au traitement de données et aux applications mobiles, ainsi que les progrès technologiques en matière de conception, de modèles de simulation et de génie horticole, ont permis de remplacer les serres classiques par des environnements contrôlés intelligents106. Selon les jeunes entreprises spécialisées dans l’AEC, comme Food Autonomy en Hongrie, ioCrops en République de Corée et UrbanaGrow au Chili, il existe un véritable potentiel dans ce domaine2.

Avant de se lancer dans un développement commercial à grande échelle, il convient de réaliser une analyse économique précise, étant donné les coûts de démarrage élevés qu’impliquent l’automatisation des serres et l’agriculture verticale106. À l’instar de toutes les technologies présentées dans ce chapitre, le rapport entre le coût d’une plus grande automatisation et une rentabilité accrue est essentiel, et il doit être pris en compte dans les futures études pour déterminer s’il convient de poursuivre l’automatisation.

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