La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2022

Chapitre 3 INTÉRÊT ÉCONOMIQUE DES INVESTISSEMENTS DANS L’AUTOMATISATION DE L’AGRICULTURE

Au-delà de l’intérêt économique: le rôle des investissements, des politiques et de la législation

La section précédente a présenté les éléments entrant en ligne de compte dans l’intérêt économique que présentent les technologies d’automatisation de l’agriculture. Elle a montré que la mécanisation agricole avait apporté des avantages considérables aux producteurs agricoles dans l’ensemble et que, à condition d’être adaptée aux besoins locaux, elle pouvait également avoir des avantages sur le plan de la durabilité grâce à une utilisation efficiente et plus économe des maigres ressources disponibles. Cette section a également permis de dégager, à partir d’un corpus de données certes limité, quelques enseignements importants qui aident à mieux comprendre l’intérêt économique des technologies d’automatisation numérique. Leur message principal est que l’intérêt économique de ces technologies est encore faible ou n’a pas atteint la maturité voulue pour diverses raisons, allant de la réticence des agriculteurs à assumer les risques associés à ces technologies encore nouvelles au fait qu’ils ne disposent pas des compétences numériques nécessaires pour les maîtriser.

Dans la présente section, les auteurs poussent l’analyse un peu plus loin, au-delà de l’intérêt économique, pour examiner les facteurs structurels (à savoir les politiques, la législation et l’investissement public) qui influent sur les motivations des producteurs agricoles et des fournisseurs de technologies d’automatisation et les encouragent à assumer les risques liés à l’adoption des technologies en question. En Afrique, par exemple, où l’adoption a été plus lente que dans d’autres régions, la demande de mécanisation motorisée dans l’agriculture est déjà élevée et continue de croître. Néanmoins, le manque de connaissances et de compétences sur l’utilisation et l’entretien des machines, conjugué aux réglementations commerciales, aux politiques douanières et à la précarité des infrastructures, fait frein à l’adoption19. Par ailleurs, dans de nombreux pays africains, la faiblesse des infrastructures entrave l’accès aux marchés urbains et élève le prix des services de mécanisation38, en particulier pour les petits producteurs qui exploitent des parcelles de petite taille et morcelées9, ce qui n’incite pas à investir dans ces technologies19, 39. L’amélioration des infrastructures de transport et des réseaux routiers réduit les coûts d’accès aux technologies, aux pièces détachées, aux services de réparation et au carburant pour les producteurs, et facilite ainsi l’émergence de marchés de services40. Par ailleurs, en améliorant les approvisionnements en électricité et énergies renouvelables, les pouvoirs publics peuvent soutenir l’adoption de technologies de mécanisation motorisée telles que les pompes d’irrigation fonctionnant à l’énergie solaire et les machines de transformation et de conservation19, 41, 42.

De même, des infrastructures médiocres empêchent l’adoption des technologies d’automatisation numérique, en particulier dans les pays à faible revenu30, 31. Le niveau limité ou l’absence de connectivité et d’autres infrastructures d’appui, notamment les infrastructures liées à l’électricité et aux données, sont régulièrement cités comme des obstacles à l’adoption dans la plupart des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire, y compris dans certaines des études de cas citées précédemment (Atarraya au Mexique et GARBAL en Afrique de l’Ouest, notamment). Les populations rurales sont généralement désavantagées s’agissant de l’accès à internet et aux smartphones, ce qui restreint leur accès à divers services utiles. Inversement, lorsque ces infrastructures sont en place, l’adoption augmente, deux études de cas (TraSeable aux Fidji et Tun Yat au Myanmar) constatant que la pénétration rapide de la téléphonie mobile avait créé un environnement favorable à l’adoption des solutions d’automatisation numérique31.

Le régime foncier joue un rôle important dans l’adoption des technologies en raison de son influence sur l’accès au financement et sur l’attitude des producteurs à l’égard de la prise de risque. En règle générale, la mécanisation agricole est d’abord adoptée par les grandes exploitations, qui bénéficient d’une plus grande sécurité foncière, ont plus facilement accès au crédit, aux services de vulgarisation et aux marchés, et sont plus aptes à prendre des risques43. Des données recueillies un peu partout dans le monde indiquent que les grandes exploitations se mécanisent plus vite que les petites4, 44, 45, 46. Cela étant, une petite taille d’exploitation ne devrait pas être un obstacle à l’adoption si l’on parvient à faire évoluer les solutions technologiques et institutionnelles pour les adapter à la mécanisation des petites exploitations. Par exemple, les services de mécanisation «migrateurs» – services de location qui couvrent de longues distances pour satisfaire la demande en différents endroits, traversant parfois plusieurs zones écologiques et plusieurs frontières nationales – sont très demandés dans de nombreux pays d’Asie et certains pays d’Afrique, même si, encore une fois, ils pâtissent de la précarité des infrastructures et se heurtent à des problèmes aux frontières dans de nombreux pays africains4, 19, 47, 48.

Dans les publications disponibles et les 27 études de cas réalisées pour ce rapport30, 31, la législation est fréquemment citée comme un facteur limitant en raison des restrictions et des lourdeurs administratives qu’elle entraîne. Dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire, elle freine la diffusion et l’adoption de solutions telles que les UAV, les capteurs et les stations météorologiques. Ce constat vaut également pour certains pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et pays à revenu élevé, comme l’illustrent les restrictions associées aux autorisations de vol dans l’Union européenne et en Afrique du Sud (citées par Aerobotics), les limitations de vitesse imposées aux machines autonomes aux États-Unis d’Amérique31, 49 et les restrictions relatives aux importations de drones et d’appareils utilisant l’IdO (mentionnées par Igara Tea en Ouganda et SOWIT en Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest). La législation a également une incidence sur l’adoption des technologies d’automatisation numérique dans des secteurs particuliers tels que la serriculture et l’aquaculture. Le sentiment général est que la serriculture et la pisciculture ne sont pas naturelles, raison pour laquelle elles ne sont pas soutenues par les politiques publiques sectorielles. Par exemple, la législation de l’Union européenne exclut les aliments issus de la serriculture des produits biologiques exempts de substances chimiques31.

Parmi les autres facteurs importants qui limitent l’adoption des technologies numériques figurent l’absence de politiques et de textes de loi sur le partage des données et les infrastructures associées (citée par GARBAL en Afrique de l’Ouest) et l’insuffisance des politiques publiques, des textes de loi et des mesures d’incitation en faveur de l’innovation (mentionnée par SOWIT en Afrique du Nord) et des partenariats public-privé (signalée par Egistic au Kazakhstan). Dans un cas (Atarraya au Mexique), en revanche, l’absence de réglementation est perçue comme un avantage, les personnes interrogées considérant que son introduction serait source d’inefficacité bureaucratique.

Dans d’autres contextes, la législation est citée comme un facteur favorable à l’adoption. En République de Corée, par exemple, l’étude de cas sur ioCrops montre que les investissements publics réalisés dans les systèmes agricoles de pointe sous forme d’essais, de démonstrations et de renforcement des capacités facilitent la diffusion des technologies d’automatisation numérique dans l’agriculture. Au Népal, les politiques publiques en matière d’assurance favorisent l’extension des solutions numériques et d’automatisation (voir l’étude de cas sur Seed Innovations).

Par l’intermédiaire de l’investissement, des politiques publiques et de la législation, les gouvernements peuvent amplement contribuer à créer un environnement propice à l’innovation et à faire en sorte que les technologies soient disponibles et accessibles à tous et qu’elles participent à des objectifs socialement souhaitables tels que l’inclusion et la durabilité environnementale. Dans bien des contextes, les politiques, la législation et l’investissement public sont nécessaires pour venir à bout des obstacles sur lesquels les acteurs privés n’ont pas de prise. Ce point est abordé de façon plus approfondie au chapitre 5.

back to top Haut de la page