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KENYA Un agriculteur pratiquant l'agriculture de conservation dans le comté de Makueni, à Kathonzweni.
©FAO/Luis Tato

La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2022

Chapitre 4 INCIDENCES SOCIOÉCONOMIQUES ET POSSIBILITÉS ASSOCIÉES À L’AUTOMATISATION DE L’AGRICULTURE

MESSAGES CLÉS
  • Le processus d’automatisation de l’agriculture peut améliorer la productivité et créer de nouveaux emplois, dans l’agriculture et, plus généralement, dans les systèmes agroalimentaires, offrant ainsi des débouchés aux jeunes travailleurs, aux femmes et aux groupes marginalisés tels que les personnes handicapées.
  • Pour bien comprendre toutes les conséquences sociales de l’automatisation de l’agriculture, il nous faut aller au-delà de la production primaire et examiner les incidences sur les systèmes agroalimentaires dans leur globalité.
  • Lorsque les salaires augmentent et que la main-d’œuvre est rare, l’automatisation peut être bénéfique à la fois aux producteurs et à la main-d’œuvre salariée. Elle peut en particulier aider les petits agriculteurs à surmonter les pénuries de main-d’œuvre et leur laisser du temps pour se consacrer à des activités non agricoles de nature à améliorer leur bien-être.
  • D’un autre côté, lorsque la main-d’œuvre est abondante et que des subventions viennent alléger le coût de l’adoption de l’automatisation, celle-ci peut être source de suppressions d’emplois et de chômage, touchant en particulier les travailleurs pauvres et peu qualifiés.
  • L’automatisation inclusive impose de mettre en œuvre une approche ascendante qui donne la priorité au renforcement des compétences et des capacités et fasse participer les femmes, les jeunes et l’ensemble des parties concernées à la conception des activités de développement des technologies pour tenir compte de leurs préoccupations, de leurs besoins et de leurs connaissances.
  • Les autorités publiques doivent se garder de recourir à des subventions créatrices de distorsions, qui risquent d’aggraver le chômage, ainsi que de restreindre l’automatisation au motif de préserver les emplois et les revenus, car cela rendrait l’agriculture moins compétitive et moins productive. Elles doivent au contraire s’attacher à mettre en place un environnement favorable qui permette la pleine participation des femmes, des jeunes, des petits producteurs et des autres groupes vulnérables et marginalisés, de sorte que tous profitent de l’automatisation.
  • Il sera nécessaire, en parallèle, de s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté, de la vulnérabilité et de la marginalisation pour s’assurer que l’automatisation n’aggrave pas l’exclusion des groupes les plus vulnérables et les plus marginalisés.

Aux chapitres 2 et 3 ont été examinés les évolutions et les déterminants de la mécanisation motorisée et des technologies d’automatisation numérique, ainsi que leurs incidences (potentielles) sur la productivité, l’efficience, la résilience et la durabilité environnementale. Dans ce chapitre, les auteurs se penchent sur les conséquences de l’automatisation de l’agriculture en ce qui concerne l’inclusion, cherchant en particulier à déterminer à qui elle profite et à qui elle nuit. Ils commencent par passer en revue les caractéristiques des systèmes agroalimentaires et les effets possibles de l’automatisation sur la main-d’œuvre employée dans ce secteur. Ils examinent ensuite les effets de l’automatisation de l’agriculture sur l’emploi décent et sur les différents groupes socioéconomiques et démographiques concernés par ce processus – petits et grands producteurs, travailleurs agricoles sans terre et agriculteurs indépendants, femmes et jeunes. Ils font ici valoir que les pays, en fonction de leur niveau de transformation agricole et structurelle, ne recevront pas ces effets de la même manière, et donc que l’automatisation présentera pour eux des défis différents sur le plan des politiques.

Analyse des incidences sociales de l’automatisation selon l’approche des systèmes agroalimentaires

La production agricole connaît des transformations rapides. L’adoption de technologies permettant d’économiser de la main-d’œuvre – allant des tracteurs, batteuses et moissonneuses dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire aux solutions de haute technologie fondées sur l’intelligence artificielle (IA), rencontrées principalement dans les pays à revenu élevé – intervient dans le contexte d’un processus continu de transformation agricole et d’évolution des systèmes agroalimentaires.

Comprendre la dynamique des systèmes agroalimentaires est essentiel pour pouvoir analyser et prévoir les effets de l’automatisation à chacun des points clés des systèmes, en tenant compte des compromis éventuellement nécessaires et des conséquences imprévues. Les réactions des secteurs situés en amont et en aval sont également importantes pour comprendre les conséquences de l’automatisation sur la production agricole, les prix, les flux commerciaux et l’emploi décent. Celles-ci dépendent aussi de la nature de la chaîne de valeur agroalimentaire, pour reprendre la typologie de l’édition 20211 de la présente publication: i) chaînes de valeur traditionnelles, principalement liées à la petite agriculture de subsistance; ii) chaînes de valeur en transition, souvent liées à la petite et moyenne agriculture familiale à vocation commerciale; ou iii) chaînes de valeur modernes, dans lesquelles l’agriculture commerciale industrielle à grande échelle joue un rôle majeur. Ces types de chaîne de valeur diffèrent à de nombreux égards, notamment par leurs besoins en main-d’œuvre. Il est essentiel de bien saisir les liens bidirectionnels qui existent tout au long des chaînes de valeur agroalimentaires pour comprendre l’impact des technologies d’automatisation, notamment en déterminant comment les besoins en main-d’œuvre évoluent au sein des différents segments des systèmes agroalimentaires et les possibilités qu’ont les travailleurs de passer d’un segment à un autre. Les effets sont aussi fonction, entre autres, de la répartition des rôles entre les femmes et les hommes, des catégories de travailleurs considérées (migrants ou locaux, saisonniers ou non-saisonniers, par exemple) et des profils de compétence des travailleurs.

Décrypter les systèmes agroalimentaires

La figure 7 présente un cadre conceptuel permettant d’analyser l’impact de l’automatisation sur l’emploi dans les différents segments des systèmes agroalimentaires. Elle illustre certaines des principales caractéristiques des trois grands types de chaîne de valeur mentionnés ci-avant, en distinguant les marchés amont, intermédiaire et aval, et en recensant les principales activités menées sur chacun de ces marchés. Elle indique également les liens qui existent entre les différents marchés et met en évidence les différences entre les principales activités de marché pour trois catégories distinctes de producteurs agricoles – exploitants pratiquant une agriculture de subsistance, exploitations commerciales familiales et exploitations commerciales industrielles. Plusieurs groupes socioéconomiques et démographiques (partie gauche de la figure) sont considérés comme des acteurs clés des systèmes agroalimentaires; ils comprennent les petits producteurs, les femmes, les jeunes et d’autres groupes marginalisés (personnes handicapées et migrants, par exemple) – quoique ces derniers soient fréquemment la catégorie la plus exclue, la plus marginalisée et la plus vulnérable. Le processus d’automatisation de l’agriculture ouvre la voie à l’adoption d’une approche inclusive, permettant à l’ensemble des individus – en particulier les personnes vulnérables, exclues et marginalisées – de prendre part aux processus de développement et d’en tirer profit grâce à l’amélioration des chances, à l’accès aux ressources productives et naturelles, à l’autonomisation, à la capacité d’agir et au respect des droits. L’inclusion est à la fois un moyen de faire mieux et plus de façon équitable, et une fin en soi garantissant que personne ne soit laissé de côté2.

FIGURE 7 ANALYSE DES EFFETS DE L’AUTOMATISATION SUR L’EMPLOI SELON L’APPROCHE FONDÉE SUR LES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES

SOURCE: Figure élaborée par la FAO d’après Charlton, Hill et Taylor, 2022
SOURCE: Figure élaborée par la FAO d’après Charlton, Hill et Taylor, 20223.

Au bas de la figure 7 se trouve une liste des principales catégories de travailleurs opérant sur chaque marché, accompagnées de flèches indiquant comment les technologies d’automatisation pourraient influencer (à la hausse ou à la baisse) la demande pour chaque catégorie – même s’il faut garder à l’esprit que les effets réels dépendront du contexte et nécessitent d’être vérifiés de façon empirique. Les technologies d’automatisation réduisent la demande de main-d’œuvre pour les tâches qui sont automatisées mais, simultanément, elles créent de nouvelles tâches qui entraînent de nouveaux besoins en main-d’œuvre, par exemple pour l’entretien et l’exploitation des machines. La figure 7 offre un point de référence pour l’exposé à suivre sur les conséquences de l’automatisation de l’agriculture du point de vue de l’inclusion. Cette section présente des informations générales sur les liens de marché qui, au sein des systèmes agroalimentaires, sont essentiels pour diffuser l’impact de l’automatisation sur l’emploi dans les différentes composantes de ces systèmes.

Types de production agricole

La production agricole (segment intermédiaire) occupe une place centrale et se compose des trois catégories précédemment décrites (voir la figure 7). Dans l’agriculture de subsistance, la production s’inscrit dans la stratégie de subsistance des ménages; les achats d’intrants sont réduits et le ménage consomme la majeure partie de ce qu’il produit4. La production de subsistance est courante dans les pays à faible revenu, mais correspond aussi au mode de production des petites exploitations familiales en milieu rural dans les pays à revenu élevé5. Si l’agriculture de subsistance désigne la production de denrées alimentaires destinées à la consommation propre du ménage, elle n’implique pas que le ménage produit la totalité des aliments qu’il consomme; en fait, les ménages qui pratiquent l’agriculture de subsistance sont souvent lourdement tributaires des achats d’aliments6, 7, 8.

Dans l’agriculture commerciale familiale, les activités de production représentent une composante importante de la stratégie de création de revenus du ménage; la plupart des intrants sont achetés, et les produits agricoles sont vendus sur les marchés locaux, nationaux et mondiaux. L’agriculture commerciale familiale englobe les petits producteurs des pays à faible revenu et des pays à revenu élevé, ainsi que les exploitations de taille moyenne à relativement grande détenues et gérées par des ménages dans des pays à revenu élevé.

Enfin, l’agriculture commerciale industrielle regroupe des entreprises qui opèrent à grande échelle. Elle est plus répandue dans les pays à revenu élevé, mais peut aussi être rencontrée dans des pays à faible revenu, sous la forme de plantations et de grands domaines agricoles9.

Les activités exercées à ce point clé du système agroalimentaire sont toutes directement associées à la culture, l’élevage, la pêche et l’aquaculture, ainsi qu’aux forêts et à l’agroforesterie. Les tâches menées dans ce contexte comprennent l’entretien et la préparation des sols, la plantation, le désherbage et les soins aux plantes, l’élagage et la récolte, ainsi que la reproduction, l’élevage, les soins quotidiens et la surveillance sanitaire des animaux. À ce stade, l’automatisation de certaines tâches agricoles peut entraîner une hausse de la production, avec des répercussions sur les activités en aval – transport, emballage, stockage, transformation et distribution. Ces activités en aval entraîneront un surcroît de demande pour la plupart des catégories de travailleurs, en raison de l’augmentation du volume de production à gérer.

Activités en amont et en aval

Les activités en amont comprennent toutes les activités associées à la fourniture d’intrants pour la production agricole. Elles englobent, en gros, la production et la distribution des semences, des engrais, des machines, des aliments pour animaux et du matériel d’irrigation, ainsi que la fourniture de services d’assurance, d’assistance technique et de financement. L’agriculture de subsistance repose essentiellement sur l’utilisation d’intrants non achetés (semences récupérées, notamment), d’aliments pour animaux issus des plantes cultivées, ainsi que de l’eau de pluie (par opposition à l’irrigation)10. En fonction de leur taille, de leur lieu d’implantation et d’autres caractéristiques, les exploitations commerciales familiales utilisent des intrants achetés ou non achetés, voire les deux. Dans cette représentation des systèmes agroalimentaires (voir la figure 7), les innovations technologiques agricoles concernent le plus souvent les intrants et reposent sur la mise au point de semences, d’aliments pour animaux, d’engrais ainsi que de matériel et de machines améliorés (ou moins coûteux), ce qui englobe les technologies d’automatisation. Une fois adoptées, ces technologies modifient la façon dont les intrants sont utilisés dans la production agricole (segment intermédiaire).

Les activités en aval comprennent les activités après récolte/abattage/capture, telles que le stockage, le transport, la transformation, l’emballage, la vente en gros et au détail et, enfin, la consommation par les ménages et les services alimentaires. Dans l’agriculture de subsistance, ces activités sont menées à l’échelon du ménage ou du village11, 12. Dans l’agriculture commerciale familiale, les opérations logistiques peuvent être conduites à l’échelon du ménage ou du village, mais avec l’aide d’intermédiaires locaux ou mondiaux. Pour leur part, les producteurs agricoles industriels s’approvisionnent auprès de différents sites et stockent la marchandise dans de vastes entrepôts conçus à cet effet. Le transport des produits peut être maritime, aérien, ferroviaire ou routier. La distribution désigne la vente de produits agricoles en vrac aux transformateurs ou aux grossistes. En règle générale, les technologies d’automatisation entraînent une hausse de la production agricole sur le segment intermédiaire, qui peut à son tour favoriser l’expansion, la croissance et la poursuite des innovations technologiques en aval. L’introduction de la récolteuse de tomates motorisée, par exemple, a eu pour effet une augmentation de la quantité de tomates à transformer, ce qui a favorisé l’innovation dans le secteur de la transformation13. Inversement, les innovations qui voient le jour en aval peuvent influencer la demande de produits sur les marchés amont et intermédiaire et, par voie de conséquence, encourager l’adoption de technologies par les producteurs agricoles. À titre d’exemple, la baisse des coûts de transformation des tomates en boîte peut provoquer une augmentation de la demande de ce produit, incitant les cultivateurs de tomates à adopter des technologies adéquates (variétés améliorées, matériel d’irrigation et récolteuses, par exemple) pour accroître leur production et répondre à cette hausse de la demande.

Les grossistes et les détaillants, parmi lesquels figurent des microentreprises informelles, et la consommation à l’échelon des ménages et des services alimentaires constituent le dernier point clé des systèmes agroalimentaires. Le passage à l’automatisation dans la vente en gros et au détail, la restauration et les services alimentaires a réduit les besoins en main-d’œuvre14 et augmenté la productivité et les ventes15. L’avancée technologique la plus notable dans le secteur mondial de la distribution est l’essor du commerce en ligne16, qui aiguise l’innovation technologique en amont, en particulier les innovations concernant la durabilité (production d’emballages plus durables, par exemple17) et, dans les pays à faible revenu, l’amélioration des infrastructures de transport, de la logistique et des services en ligne18, 19, 20. En Inde, l’explosion des plateformes de commerce en ligne a permis aux agriculteurs d’écouler leurs produits sur des marchés plus vastes et à des prix plus élevés21. Dans le cas de la Chine, diverses études de cas montrent que le commerce en ligne rural a créé des possibilités de diversification et ouvert de nouveaux marchés pour les populations et communautés rurales de plusieurs régions du pays, y compris pour des groupes vulnérables comme les femmes et les jeunes22.

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