Introduction
En mars 2020, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclarait que la maladie à coronavirus 2019 (covid-19) était au stade de pandémie. Depuis lors, cette maladie a ébranlé le monde, tuant des millions de personnes et faisant des dizaines de millions de malades1. En quelques semaines, l’économie mondiale s’est brutalement ralentie du fait des mesures prises dans l’urgence pour enrayer la propagation du virus. Ces mesures ont eu des conséquences majeures sur les secteurs qui dépendent fortement du commerce, notamment la pêche et l’aquaculture. Au niveau régional, les organes régionaux des pêches (ORP) ont fait état, entre autres, d’une incidence défavorable sur les activités de suivi, de contrôle et de surveillance (SCS) de la pêche, sur la recherche en matière de pêche et d’aquaculture et sur la gestion de ces activités. La plupart des régions et des pays ont enregistré de graves reculs de la production de la pêche et l’aquaculture ainsi que de l’emploi et des prix dans ce secteur. Des difficultés dans la prise de décisions et le renforcement des capacités de gestion de la pêche, en raison notamment du report des réunions, des sessions de formation et des ateliers tenus en présence, ont également été rapportées (FAO, 2021o). La Chine, l’Europe, le Japon et les États-Unis d’Amérique, qui sont les quatre principaux marchés de produits alimentaires d’origine aquatique2, ont été gravement touchés par la pandémie. La fermeture des frontières – qui a restreint les déplacements et perturbé les importations – a retenti sur les pays en développement qui comptent sur les exportations de produits d'origine aquatique pour s’assurer des recettes en devises.
La FAO estime que 3 milliards de personnes n’ont pas les moyens de s’alimenter sainement, mais 1 milliard d’autres pourraient s’y ajouter si une crise venait à faire baisser leur revenu d’un tiers (FAO, 2020a). De fait, la pandémie a créé des problèmes majeurs sur le plan des moyens d’existence, de l’emploi, de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Les campagnes de vaccination et les mesures prises par les pouvoirs publics pour contrer la covid-19 ont permis une reprise de l’économie mondiale en 2021, laquelle s’est accompagnée d’un accroissement de la production, des échanges et de la consommation de produits d'origine aquatique (FAO, 2021p). L’intérêt renouvelé pour la cuisine familiale et pour les services de livraison d’aliments et les canaux de distribution numériques qu’a suscité l’arrivée de la covid-19 continue de s’amplifier (CNUCED, 2022), mais l’incertitude demeure quant à la façon dont le secteur se réorganisera pour s’adapter à un marché qui évolue et aborder l’avenir, compte tenu du risque que de nouveaux variants du virus imposent d’autres mesures de restriction.
Perturbation de la chaîne d’approvisionnement et risques associés
Les confinements ont gravement perturbé l’ensemble de la chaîne de valeur des pêches et de l’aquaculture. Jamais encore une crise extérieure comme la flambée de covid-19 ne s’était répandue aussi vite et jamais avec un tel impact sur le comportement des consommateurs et sur les échanges mondiaux. La pandémie a révélé les fragilités des systèmes alimentaires aquatiques tant du côté de la demande que du côté de l’offre (FAO et WorldFish, 2021). Dans les pays européens, à court terme, les produits alimentaires périssables ont été liquidés au-dessous du prix et/ou mis au rebut, tandis qu’à moyen terme la possibilité de reconstitution des stocks s’est trouvée limitée par une production et une capacité de transport réduites. Les ventes se sont massivement réorientées des services de restauration vers la vente au détail, entraînant une offre excédentaire des produits de restauration et des pénuries dans le commerce de détail, ce qui n’a pas été sans incidence sur les prix (Kent, 2021). Dans de nombreux pays, les restrictions de déplacement ont totalement désorganisé la chaîne d’approvisionnement en produits de la pêche et de l’aquaculture, du moins pendant les premiers mois de la pandémie, avant que le secteur ne soit progressivement considéré comme essentiel et que des initiatives soient prises pour remettre le secteur sur les rails. Du fait des restrictions de déplacement, des intrants essentiels à la production, comme l’aliment pour les animaux et le matériel de reproduction et d’alevinage, n’ont pas pu être livrés régulièrement dans les exploitations. Les éleveurs de crevettes et de tilapia d’Amérique centrale ont constaté une chute de 75 pour cent de la demande tant sur les marchés locaux que sur les marchés internationaux. Tout cela a entraîné une paralysie du secteur, qui s’est trouvé face à un surpeuplement et à des coûts d’alimentation et de congélation non prévus, ce qui a eu de graves répercussions économiques et conduit quelques unités de production à fermer (OSPESCA et SICA, 2020).
La pandémie a eu des effets variables sur les systèmes alimentaires aquatiques en fonction des espèces, des marchés et de la demande des consommateurs, mais aussi de la structure de la main-d’œuvre et de la capacité d’adaptation à la fois des pouvoirs publics et du secteur (figure 67). De façon générale, les chaînes d’approvisionnement dominées par de petites et moyennes entreprises (PME) ont été particulièrement vulnérables aux restrictions liées à la covid-19 (FAO, 2021q). Avant la pandémie déjà, en Afrique et en Asie du Sud, ces chaînes étaient limitées par une capacité insuffisante de stockage au froid et de transformation, de piètres infrastructures de transport, des marchés d’intrants mal structurés ou des fournisseurs sous-financés. À l’inverse, les chaînes d’approvisionnement de grande ampleur intégrées verticalement ont généralement été moins touchées, étant plus à même de contrôler la livraison des intrants et des extrants. Le secteur artisanal, qui fonctionne avec une main-d’œuvre nombreuse, s’est trouvé à la merci des restrictions de circulation qui touchaient les travailleurs et des perturbations dans l’approvisionnement en intrants et dans les transports (IFPRI, 2021). En Asie du Sud et du Sud-Est, les premières constatations d’une enquête menée par la FAO et INFOFISH montrent que la pandémie de covid-19 et les confinements ont eu des répercussions considérables sur les petits pêcheurs et aquaculteurs dans tous les pays. Les restrictions ont perturbé les chaînes d’approvisionnement et les marchés, entravé le fonctionnement des entreprises, touché l’emploi, maintenu certaines inégalités telles que celles qui frappent la participation des femmes, et contribué à des variations de revenu dans les ménages et à une baisse des recettes fiscales et des recettes en devises des États (FAO et INFOFISH, à paraître).
Figure 67Exemples de perturbations, stratégies d’adaptation et d’atténuation, et premiers enseignements tirés de la crise de la covid-19
Les exploitants et les marchés se rétablissent lentement, mais la hausse du fret, les nouvelles procédures aux frontières, les moindres disponibilités en conteneurs d’expédition, les goulets d’étranglement dans les grands ports internationaux et le risque d’apparition de nouveaux variants restreignent les possibilités à moyen terme (FAO, 2021p). Globalement, le système alimentaire aquatique est parvenu à s’adapter et à maintenir les flux de produits et l’offre, mais de nombreuses entreprises se sont retrouvées en cessation d’activité ou dans une situation précaire (FAO et WorldFish, 2021).
Travail, parité femmes-hommes et sécurité alimentaire
La pandémie a eu une incidence sur le travail et sur les revenus et le pouvoir d’achat associé (FAO et WorldFish, 2021; Béné et al., 2021). À l’échelle mondiale, quatre travailleurs sur cinq ont connu une période de chômage partiel ou total ou de télétravail (Tooze, 2021). Cette situation a aggravé le défaut d’accès à une alimentation adéquate pour des millions de personnes, rendant leur sécurité alimentaire extrêmement et chroniquement problématique. La vulnérabilité à ce type de choc sur les revenus est particulièrement préoccupante dans les pays à faible revenu, où un grand nombre de personnes ne peuvent s’offrir une alimentation répondant aux besoins énergétiques de base (FAO, 2021q).
De nombreuses études s’accordent sur le fait que les crises frappent de façon disproportionnée les personnes vulnérables et marginalisées, et la pandémie de covid-19 ne fait pas exception à la règle3. Les ménages à faible revenu, les petits exploitants, les femmes, les nourrissons et les jeunes enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées, les populations autochtones, les réfugiés, les migrants, les personnes déplacées et les minorités ont un plus grand risque de pâtir des effets préjudiciables de la pandémie partout dans le monde. Les petits pêcheurs et les travailleurs du secteur de la pêche qui dépendent de la migration saisonnière ont été touchés par les interdictions de voyager et celles concernant l’hébergement (Sowman et al., 2021). Les changements d’équipe et l’accès réduit aux services à terre ont eu une incidence sur les gens de mer, y compris les travailleurs migrants employés sur les navires de pêche industrielle à longue distance (Vandergeest, Marschke et MacDonnell, 2021). De nombreuses personnes travaillant dans la transformation, la récolte et la commercialisation ont perdu leur emploi (Alam et al., 2022). De plus, travailler à bord des navires de pêche ou dans la manutention, l’emballage et la transformation après récolte/capture a entraîné des risques accrus de transmission du virus et de création de foyers de covid-19 parmi les travailleurs, du fait de l’espace réduit et de l’humidité ambiante (IFPRI, 2021).
La proportion relativement élevée de femmes dans les secteurs les plus durement touchés par les confinements s’est traduite par une plus forte baisse de l’emploi des femmes comparé à celui des hommes (FAO et WorldFish, 2021). Yuan et al. (2022) ont étudié la répercussion sur les moyens d’existence des ménages participant à la chaîne de valeur de l’aquaculture en Chine: le revenu des familles a baissé considérablement du fait de salaires plus bas et d’une réduction du chiffre d’affaires des entreprises (à titre d’exemple, le revenu de l’ensemble des producteurs de matériel de reproduction et d’alevinage du poisson-chat a chuté de plus de 50 pour cent) et les familles de 30 à 40 pour cent des aquaculteurs interrogés se sont retrouvées en difficulté financière; pire encore, les femmes ont dû faire face à un surcroît de travail lié aux soins et à l’éducation des enfants suite à la fermeture des écoles et n’ont pu maintenir les conditions de vie de base du foyer qu’au prix d’une pression supplémentaire. Les femmes représentent la moitié de la main-d’œuvre des secteurs primaire et secondaire de la pêche et de l’aquaculture considérés globalement (FAO, 2020a). Cela n’empêche pas leur manque de reconnaissance par le secteur, malgré le rôle crucial qu’elles jouent tout au long de la chaîne de valeur et dans les moyens d’existence et la nutrition des ménages. De surcroît, le secteur secondaire a été le plus durement touché par la pandémie, or c’est dans ce secteur que la plupart des femmes travaillent. En revanche, on ne saurait trop insister sur le fait que les femmes sont aussi apparues comme étant des agentes du changement et des organisatrices de la lutte contre la covid-19 (FAO, 2020j, 2021r; Misk et Gee, 2020). Dans bien des cas, la solidarité a été à la base des stratégies d’adaptation qu’elles ont élaborées durant la crise de la covid-19 et elles ont utilisé leurs compétences, leurs connaissances et leurs réseaux pour imaginer des solutions innovantes et se soutenir entre elles (WorldFish, 2021). Comme dans tous les secteurs au niveau mondial, des efforts concertés sont nécessaires dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture pour empêcher la pandémie de provoquer un retour en arrière en matière d’égalité des genres (Turquet et Koissy-Kpein, 2020). Pour cela, il est vital de formuler des stratégies d’atténuation appropriées qui tiennent compte des questions de genre et qui ciblent les aspects économiques et sanitaires et améliorent la résilience des personnes travaillant dans la pêche et l’aquaculture (FAO, 2020c).
Stratégies d’adaptation
Ni le monde ni le secteur (à quelque échelle que ce soit) n’étaient préparés à un tel choc. Quelques entreprises sont néanmoins parvenues à s’adapter peu à peu et à innover. De petites entreprises ont été capables de se réorienter et de survivre en faisant appel à des plateformes de commerce électronique et en modifiant leur mode de fonctionnement (Stoll et al., 2021; Witteven, 2021). Des organisations de pêche artisanale dans toute l’Amérique latine ont adopté des approches innovantes de commercialisation de leurs produits. Entre autres exemples, elles ont mis en place des points de vente temporaires dans des endroits proches de zones urbaines densément peuplées du Chili, du Pérou, du Panama et du Nicaragua, et des artisans-pêcheurs se sont lancés dans le commerce en ligne et la livraison à domicile pour se faire connaître et vendre leurs produits. Les ventes directes se sont développées, créant de nouveaux canaux pour pallier la fermeture d’autres marchés. En Malaisie, un intermédiaire présent en ligne et assurant la livraison de poisson, MyFishman.com, a aidé les PME du secteur de la pêche et de l’aquaculture à vendre via des abonnements et des services de livraison de poisson frais, ce qui a permis d’éviter les marchés de plein air et le contact direct avec les consommateurs (IFPRI, 2021). Certains changements semblent appelés à durer et des signes montrent que la covid-19 pourrait encourager une consolidation du secteur (Simeon, 2020).
En Asie du Sud et du Sud-Est, les petits pêcheurs et exploitants aquacoles et les petites entreprises reposant sur la pêche ont réagi de différentes manières selon le niveau de restriction qui était en place, le soutien (ou l’absence de soutien) des pouvoirs publics et leurs propres résilience et capacité d’innovation. Globalement, leur chiffre d’affaires a baissé, mais la résilience s’est améliorée grâce à la diversification des revenus des ménages ou à leur remplacement par des rentrées issues d’autres activités agricoles, à la réduction des coûts des entreprises, ramenés au strict minimum, et au recours à la commercialisation en ligne et à la livraison directe. Cette transformation du mode de fonctionnement des entreprises offre aux petits pêcheurs et exploitants aquacoles et aux petites entreprises reposant sur la pêche des possibilités nouvelles d’établir une relation directe et plus proche avec leurs clients et de pouvoir ainsi s’aventurer sur de nouveaux marchés et expérimenter de nouveaux produits (FAO et INFOFISH, à paraître).
Parmi les exemples de stratégies d’atténuation fournis par les organes régionaux des pêches, on peut citer le développement rapide de l’utilisation d’outils électroniques évolués pour les activités de SCS, l’élaboration de procédures ad hoc d’arraisonnement et d’inspection des navires de pêche, la tenue de réunions en ligne, la mise en place de processus décisionnels électroniques, la commercialisation en ligne de produits d'origine aquatique et la fourniture d’aides permettant de passer du poisson frais à des produits alimentaires d'origine aquatique transformés, à plus haute valeur ajoutée (FAO, 2021o). Des pays comme la Chine ont lancé une plateforme nationale de l’offre et de la demande pour relier les producteurs aux transformateurs et aux acheteurs du secteur de la pêche et de l’aquaculture, et ainsi rationaliser la production en fonction de la demande, diriger les excédents de production vers un stockage congelé ou réfrigéré et faciliter les échanges nationaux et internationaux (Alam et al., 2022; FAO, 2021s).
Mesures de soutien public
Pour limiter les conséquences économiques des confinements et autres restrictions, le soutien public des ménages, des entreprises et des marchés a atteint un niveau que l’on n’avait pas vu depuis la Seconde guerre mondiale. Les banques centrales ont réagi face à ce que le Fonds monétaire international qualifiait de «crise à nulle autre pareille», intervenant comme jamais pour soutenir la dette publique et les banques (Tooze, 2021).
Les mesures adoptées pour lutter contre les effets de la pandémie ont été diverses et complexes, traduisant l’intrication des problèmes traités, l’ordre de priorité et les capacités et ressources des pays. On a ainsi pu observer des mesures sociales, économiques ou environnementales et d’autres visant la santé ou l’éducation. D’après Love et al. (2021), les dispositions prises par les acteurs et les institutions du système alimentaire aquatique ont visé principalement à: i) protéger la santé publique, y compris la santé des travailleurs du secteur de la pêche; ii) soutenir ceux dont l’entreprise, l’emploi ou le revenu étaient touchés par les perturbations liées à la covid-19; et iii) continuer à fournir des produits d'origine aquatique aux consommateurs.
Le soutien public accordé dans les pays d’Amérique latine est allé d’une mise à disposition de prêts consentis à des conditions favorables ou exempts d’intérêt destinés aux petits exploitants, d’une réduction des taxes et des redevances de licence, et de subventions au carburant, à la suspension temporaire du remboursement des prêts. Au Royaume-Uni, cet appui a pris la forme d’un soutien aux revenus, de dispositifs de maintien dans l’emploi, de prêts de relance et d’un report de l’impôt sur le revenu; des mesures ont également été prises à l’échelle infranationale, comme le fonds de secours à la pêche en mer (Sea Fisheries Hardship Funds) en Écosse, le soutien au secteur de la pêche en Irlande du Nord et l’assistance accordée par des organismes de bienfaisance (The Seafarer’s Charity, par exemple) (Patience, Motova et Cooper, 2021).
Les travaux de recherche préliminaires menés en Asie du Sud et du Sud-Est font ressortir que les pouvoirs publics ont pris des mesures à la fois favorables et défavorables. Les résultats d’enquête soulignent, entre autres, la nécessité d’adapter et de cibler l’intervention publique et d’y associer les règlements appropriés, d’améliorer la participation des femmes, de renforcer l’éducation et la sensibilisation à la puissance des marchés numériques et des plateformes en ligne, tout en maintenant la qualité des produits frais et en répondant aux besoins des consommateurs. Le soutien des moyens d’existence des petits pêcheurs et aquaculteurs et des petites entreprises reposant sur la pêche nécessite une concertation entre toutes les parties prenantes concernées (FAO et INFOFISH, à paraître).
Dans la plupart des pays toutefois, le soutien s’est trouvé compliqué par des fonds publics limités. À cela s’ajoute le fait que les mesures fiscales et monétaires destinées à soutenir les groupes vulnérables auront des conséquences importantes en termes d’endettement, de capacité de service de la dette et de soutenabilité de la dette plus généralement. L’Afrique subsaharienne, par exemple, a connu une hausse de 4,5 pour cent de la dette liée à la pandémie – la dette contractée au-delà des projections en raison de la crise de la covid-19 (Heitzig, Aloysius Uche et Senbet, 2021). Cela pourrait avoir de graves conséquences sur la gouvernance et la gestion des ressources biologiques aquatiques.
Protection sociale
Les mesures prises pour faire face à la covid-19 montrent que les pays qui disposaient déjà d’un système opérationnel de protection sociale ont eu une plus grande marge de manœuvre et ont pu intervenir en adaptant les programmes de protection sociale aux effets de la pandémie (FAO, 2021g). D’autres pays ont été dans l’incapacité de répondre aux besoins des communautés tributaires des ressources biologiques aquatiques, surtout lorsque l’économie informelle prédominait (FAO, 2020l). L’activité de nombreux travailleurs du secteur de la pêche et de l’aquaculture s’exerce dans cette économie informelle, sans couverture sociale; ces travailleurs ne sont pas inscrits auprès de la sécurité sociale, sont payés moins que le salaire minimum légal, n’ont pas de contrat de travail écrit ou travaillent à leur compte. Il peut s’agir de petits pêcheurs, de travailleurs migrants du secteur de la pêche, de membres des minorités ethniques, de membres d’équipage, de récolteurs, de glaneurs et de commerçants – et surtout de femmes, les plus touchées par la pandémie (FAO, 2021g).
Beaucoup de personnes ayant perdu leur emploi ont aussi été laissées sans accès à un soutien aux revenus. Un grand nombre de pays ont mis en œuvre de nouveaux programmes, tandis que d’autres étoffaient des programmes existants, horizontalement ou verticalement, en élargissant la couverture du programme, par exemple, en assouplissant ses conditions d’accès, en prolongeant sa durée ou en y ajoutant, à titre exceptionnel, des transferts monétaires. Les interventions les plus courantes ciblant le secteur de la pêche et de l’aquaculture ont été des mesures d’assistance sociale temporaire, qui allaient de paiements ponctuels uniques à des programmes de transferts monétaires sans conditions durant trois mois, et comprenaient des transferts alimentaires en nature. Toutefois, un soutien financier a également été accordé sous la forme d’exonération de redevance, par exemple, et de subventions aux intrants couvrant les appâts, la glace et le carburant, ainsi qu’à travers la fourniture de semences destinées à l’aquaculture et la construction de fermes aquacoles; en outre, un appui technique a été apporté pour créer des emplois et reconstruire le secteur (FAO, 2021g).
Premiers enseignements
La crise de la covid-19 se prolonge et ses effets s’enchaînent à mesure que de nouveaux variants apparaissent. Il est essentiel de continuer à suivre, évaluer et documenter aussi bien les conséquences sur le secteur de la pêche et de l’aquaculture que la façon dont celui-ci y fait face, afin d’éclairer les stratégies à court, moyen et long termes et de se préparer aux nouvelles vagues.
Différents enseignements peuvent être tirés de cette crise. Tout d’abord, la pandémie de covid-19 a mis en lumière les interrelations entre les marchés: la perturbation d’un ou plusieurs maillons de la chaîne d’approvisionnement en produits d’origine aquatique peut avoir des répercussions au-delà des limites locales, nationales et internationales. La désorganisation des marchés peut entraîner des risques d’inflation (Kent, 2021). Entre autres éléments essentiels à la création de systèmes alimentaires aquatiques résilients, on peut citer le fait d’améliorer la transformation, de diversifier les sources d’approvisionnement et les marchés, de gérer la connectivité au moyen d’un réseau de transport des produits alimentaires et d’une logistique plus fiables, et de permettre un assemblage de fournisseurs différents et hétérogènes (FAO, 2021q).
Étant donné le rôle fondamental du secteur de la pêche et de l’aquaculture et le fait que ce secteur fait partie intégrante du système alimentaire dans de nombreux pays, il est vital de préserver le bon fonctionnement de l’ensemble des chaînes de valeur, en soutenant la sécurité alimentaire, le revenu et l’emploi et en prêtant une attention particulière aux problèmes spécifiques des groupes vulnérables, notamment les femmes et les travailleurs migrants (FAO et WorldFish, 2021).
La covid-19 est venue aggraver des inégalités qui existaient déjà. La pêche et l’aquaculture artisanales, les PME, les femmes et d’autres groupes vulnérables (les travailleurs du secteur informel et les travailleurs migrants, par exemple) sont de plus en plus marginalisés et doivent être correctement protégés.
La pandémie fait ressortir la nécessité d’étendre la protection sociale en mettant en place un système national complet et inclusif, qui puisse être adapté en cas de crise et qui couvre correctement le secteur. La coordination et la cohérence des politiques menées par différents ministères au niveau national sont primordiales. Les programmes de protection sociale doivent adopter une approche qui prend en compte les questions de genre à tous les stades de leur conception, de leur mise en œuvre et de leur évaluation, car ils peuvent agir sur la dynamique des rapports femmes-hommes. Les systèmes de protection sociale permettent d’améliorer la capacité d’adaptation des ménages en cas de choc et de limiter le recours à des stratégies de survie préjudiciables qui, à long terme, portent atteinte aux moyens d’existence de ceux qui les adoptent. La protection sociale peut contribuer à renforcer le bien-être et à améliorer la gestion de la pêche.
Les mesures de soutien économique décidées par les pouvoirs publics dépendent des ressources et des capacités disponibles. Dans la plupart des pays en développement, les mesures économiques prises en réponse à la crise ont des conséquences importantes sur la dette nationale du fait du niveau d’endettement d’avant la covid-19, de la capacité de service de la dette et de la soutenabilité de la dette. Cela pourrait avoir une certaine incidence sur la gouvernance et la gestion des ressources aquatiques. D’aucuns recommandent que l’on réétudie les mécanismes institutionnels existants de soutenabilité et de restructuration de la dette (Heitzig, Aloysius Uche et Senbet, 2021).
Les travaux qui commencent à être publiés sur la covid-19 et l’adaptation aux effets du changement climatique portent à croire que la pandémie a une incidence sur les objectifs de «renforcer les capacités d’adaptation», d’«accroître la résilience aux changements climatiques» et de «réduire la vulnérabilité à ces changements» qui figurent dans l’Accord de Paris, car les pays donnent la priorité à la santé et à la relance économique (PNUE, 2021). Il est très important que les aspects sociaux et environnementaux (décarbonation et résilience face au climat, par exemple) soient intégrés dans les plans de relance pour l'après covid-19 par le truchement d’investissements dans des activités favorisant la relance de l’économie bleue et renforçant les capacités d’adaptation (PNUE, 2021).
Il est vital en outre de se préparer à de multiples risques connus ou inconnus. La covid-19 est venue s’ajouter à diverses pressions qui préexistaient (flambées épidémiques touchant les poissons/mollusques et crustacés, événements météorologiques extrêmes, contraintes financières chroniques, entre autres), et la gestion de la pêche et de l’aquaculture doit remédier à ces dernières en adoptant des stratégies de gestion intégrée des risques4. Étudier quels types de mesures et d’interventions à plus grande échelle ont donné des résultats dans différents contextes et comment les systèmes ont évolué, et réunir des documents à la fois sur les effets à plus long terme et sur les enseignements que l’on peut tirer de tout cela, pourrait contribuer à renforcer la résilience à la pandémie de covid-19 spécifiquement et, plus généralement, aux crises et aux facteurs de perturbation futurs (Love et al., 2021).
On peut par ailleurs se féliciter que la crise ait accéléré la transformation numérique du secteur, encouragé le suivi et le contrôle électroniques de la pêche de capture, fait progresser l’utilisation d’énergies vertes et d’énergies propres, contribué au développement des marchés locaux, amené les aquaculteurs à mieux gérer des facteurs de production limités comme les produits alimentaires et mis en lumière l’importance d’une production intérieure.