Depuis deux décennies, il est de plus en plus reconnu que les secteurs de la pêche et de l’aquaculture contribuent de façon essentielle à la sécurité alimentaire et à la nutrition à l’échelle mondiale. Si l’on veut que ce rôle puisse se renforcer, il faut reproduire à plus grande échelle les transformations nécessaires à l’instauration d’une pêche et d’une aquaculture mondiales durables, inclusives et équitables, en faisant évoluer les politiques, la gestion, l’innovation et l’investissement en ce sens. Le rapport 2022 sur La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture1 présente des statistiques actualisées et vérifiées2 sur le secteur et analyse le cadre d’action international dans lequel celui-ci s’inscrit, ainsi qu’une sélection de mesures à fort impact visant à accélérer les efforts déployés à l’échelle internationale pour soutenir la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Il examine les effets et les conséquences de la pandémie de covid-19 sur la production halieutique et aquacole3 et sur l’utilisation et le commerce de leurs produits, et expose les perspectives du secteur.
1. SITUATION MONDIALE
La production halieutique et aquacole totale a atteint un record absolu de 214 millions de tonnes en 2020 (178 millions de tonnes d’animaux aquatiques et 36 millions de tonnes d’algues3), une légère augmentation (3 pour cent) par rapport au précédent record de 2018 (213 millions de tonnes). On doit cette croissance limitée principalement à un recul de 4,4 pour cent des pêches de capture, lié aux prises moins importantes d’espèces pélagiques, en particulier d’anchois du Pérou, à la réduction du volume de captures de la Chine et aux répercussions de la pandémie de covid-19 en 2020. Ce recul a été compensé par une croissance continue de l’aquaculture, quoiqu’à un rythme plus lent ces deux dernières années.
S’agissant de la production d’animaux aquatiques, cette tendance générale cache des disparités importantes entre les continents, les régions et les pays. En 2020, les principaux producteurs étaient les pays asiatiques, qui représentaient 70 pour cent du total, suivis des pays des Amériques, de l’Europe, de l’Afrique et de l’Océanie. La Chine a gardé son rang de premier producteur, avec une part de 35 pour cent du total. L’expansion de l’aquaculture au cours des dernières décennies a stimulé la croissance globale de la production d’animaux aquatiques dans les eaux continentales, qui est passée de 12 pour cent de la production totale à la fin des années 1980 à 37 pour cent en 2020.
En 2020, la production mondiale des pêches de capture (à l’exclusion des algues) a atteint 90,3 millions de tonnes, d’une valeur estimée à 141 milliards d’USD, dont 78,8 millions de tonnes pour la pêche marine et 11,5 millions de tonnes pour la pêche continentale – un repli de 4,0 pour cent par rapport à la moyenne des trois années précédentes. Les poissons représentent 85 pour cent environ de la production totale des pêches de capture marines, l’anchois du Pérou étant encore une fois l’espèce la plus pêchée. En 2020, les prises des quatre groupes présentant le plus de valeur (thonidés, céphalopodes, crevettes et homards) ont conservé leurs niveaux les plus élevés ou n’ont que légèrement diminué par rapport aux pics enregistrés précédemment.
Malgré une diminution de 5,1 pour cent par rapport à 2019, le niveau mondial des prises dans les eaux continentales, estimé à 11,5 millions de tonnes, est resté historiquement élevé, à la faveur notamment d’une amélioration des processus de communication de données par les pays producteurs. L’Asie a contribué pour près des deux tiers de la production totale des pêches continentales, et l’Afrique est arrivée en deuxième position – la pêche dans les eaux intérieures est importante pour la sécurité alimentaire dans ces deux régions. Pour la première fois depuis le milieu des années 1980, la Chine n’était pas le premier producteur des pêches en eaux continentales, ayant été dépassée par l’Inde, avec 1,8 million de tonnes.
La production aquacole mondiale a atteint en 2020 un record de 122,6 millions de tonnes, dont 87,5 millions de tonnes d’animaux aquatiques d’une valeur de 264,8 milliards d’USD et 35,1 millions de tonnes d’algues d’une valeur de 16,5 milliards d’USD. Quelque 54,4 millions de tonnes ont été produites par l’aquaculture continentale, et 68,1 millions de tonnes par l’aquaculture marine et côtière.
Toutes les régions, à l’exception de l’Afrique, ont enregistré une croissance continue de l’aquaculture en 2020, alimentée par l’expansion des activités au Chili, en Chine et en Norvège – principaux producteurs dans leurs régions respectives. Les deux principaux pays producteurs africains, l’Égypte et le Nigéria, ont connu un recul, tandis que le reste du continent a enregistré une croissance de 14,5 pour cent par rapport à 2019. L’Asie a maintenu sa position dominante dans l’aquaculture mondiale, produisant plus de 90 pour cent du total.
L’aquaculture a apporté une contribution record de 49,2 pour cent à la production mondiale d’animaux aquatiques en 2020. La production aquacole d’animaux aquatiques nourris continue de l’emporter sur celle d’espèces non nourries. Malgré la grande diversité d’espèces aquatiques d’élevage, un petit nombre d’espèces «de base» dominent la production aquacole, notamment la carpe herbivore dans l’aquaculture continentale et le saumon de l’Atlantique dans l’aquaculture marine.
La FAO continue de communiquer des informations sur la situation des ressources halieutiques. Le suivi sur le long terme des stocks marins évalués assuré par l’Organisation confirme que ces ressources continuent de diminuer. La part des stocks de poissons pêchés à un niveau biologiquement durable est passée de 90 pour cent en 1974 à 64,6 pour cent en 2019, dont 57,3 pour cent de stocks exploités au niveau durable maximal et 7,2 pour cent de stocks sous-exploités.
Cela étant, malgré l’aggravation des tendances indiquée par les chiffres, les stocks exploités à un niveau biologiquement durable représentaient 82,5 pour cent des débarquements de produits d’origine aquatique4 en 2019, une augmentation de 3,8 pour cent par rapport à 2017. Ainsi, en moyenne, 66,7 pour cent des stocks des 10 principales espèces débarquées en 2019 – anchois du Pérou, lieu d’Alaska, listao, hareng de l’Atlantique, albacore, merlan bleu, sardine commune, maquereau espagnol du Pacifique, morue de l’Atlantique et poisson-sabre commun – étaient exploités à un niveau biologiquement durable en 2019, soit un peu plus qu’en 2017. Ces données montrent que les grands stocks sont gérés plus efficacement.
La reconstitution des stocks surexploités pourrait accroître la production des pêches de capture marines de 16,5 millions de tonnes et contribuer ainsi à la sécurité alimentaire, à la nutrition, à l’activité économique et au bien-être des communautés côtières. Les stocks qui font l’objet d’une évaluation scientifique et d’une gestion intensive ont, en moyenne, une biomasse qui a augmenté jusqu’aux niveaux cibles proposés, alors que dans les régions où la gestion des pêches est moins développée, on observe des niveaux de capture bien plus élevés et une biomasse bien plus faible. Ce constat montre l’urgence qu’il y a à reproduire et réadapter les mesures et les réglementations efficaces dans les pêches qui ne sont pas gérées de façon durable, et à mettre en œuvre des mécanismes innovants, fondés sur les écosystèmes, qui encouragent l’utilisation durable et la conservation des ressources dans le monde entier.
Un grand nombre de pêches continentales importantes se situent dans les pays les moins avancés et les pays en développement, où les ressources humaines et financières limitées pour les surveiller et les gérer constituent un obstacle majeur. Dans certains pays développés, du fait de la faible visibilité des pêches continentales, l’évaluation et la surveillance des stocks peuvent également ne pas faire partie des grandes priorités au vu des autres besoins concurrents. En 2016, la FAO a commencé à élaborer une carte des menaces au niveau mondial afin de fournir une mesure de référence qui permettra de suivre l’évolution dans les principaux bassins et d’améliorer les pêches continentales. Les résultats préliminaires indiquent que, sur l’ensemble des bassins majeurs, 55 pour cent des pêches continentales subissent une pression modérée, et 17 pour cent, une pression élevée.
S’agissant de la flotte de pêche, le nombre total de navires de pêche était estimé à 4,1 millions en 2020, soit une diminution de 10 pour cent par rapport à 2015, conséquence des efforts déployés par de nombreux pays – la Chine et les pays européens en particulier – pour réduire la taille de la flotte mondiale. L’Asie possède encore la plus grande flotte de pêche, représentant les deux tiers environ de la flotte mondiale. Le nombre total de navires motorisés à l’échelle mondiale est demeuré stable (2,5 millions), et l’Asie en possède près de 75 pour cent; quelque 97 pour cent des bateaux non motorisés du monde se répartissent entre l’Asie et l’Afrique.
En ce qui concerne l’emploi dans la pêche et l’aquaculture, les estimations indiquent qu’en 2020, 58,5 millions de personnes travaillaient dans le secteur de la production primaire à temps plein ou à temps partiel. Environ 35 pour cent d’entre elles travaillaient dans l’aquaculture, un chiffre qui s’est tassé ces dernières années, tandis que le nombre de pêcheurs a diminué à l’échelle mondiale. En 2020, 84 pour cent des pêcheurs et des aquaculteurs se trouvaient en Asie. Les femmes représentaient 21 pour cent des personnes travaillant dans le secteur primaire (28 pour cent dans l’aquaculture et 18 pour cent dans la pêche), mais elles occupaient souvent des emplois moins stables dans les deux secteurs, et ne constituaient que 15 pour cent des personnes employées à temps plein en 2020. Cependant, si l’on considère les données disponibles sur le seul secteur de la transformation, on constate que les femmes représentent un peu plus de 50 pour cent de l’emploi à temps complet et 71 pour cent de l’emploi à temps partiel.
L’utilisation et la transformation de la production halieutique et aquacole ont considérablement évolué ces dernières décennies. En 2020, 89 pour cent (157 millions de tonnes) de la production mondiale (à l’exclusion des algues) ont été utilisés pour la consommation humaine directe, contre 67 pour cent dans les années 1960. Le reste (plus de 20 millions de tonnes) a été affecté à des usages non alimentaires – farine et huile de poisson pour la majeure partie, mais aussi ornement, appâts, applications pharmaceutiques, aliments pour animaux de compagnie ou alimentation directe des poissons d’élevage, du bétail et des animaux à fourrure. La majeure partie des produits alimentaires d’origine aquatique5 destinés à la consommation humaine directe (à l’exclusion des algues) se présentait sous la forme de produits vivants, frais ou réfrigérés, suivis des produits congelés, préparés et mis en conserve, et salés, séchés ou fumés. En Asie et en Afrique, la part de la production de produits alimentaires d’origine aquatique conservée par salage, fumage, fermentation ou séchage est supérieure à la moyenne mondiale. Une part croissante des sous-produits est utilisée, à des fins alimentaires ou non. Ainsi, plus de 27 pour cent de la production mondiale de farine de poisson et 48 pour cent de celle d’huile de poisson provenaient de sous-produits.
La consommation mondiale de produits alimentaires d’origine aquatique (à l’exclusion des algues) a progressé à un taux annuel moyen de 3,0 pour cent de 1961 à 2019, soit presque deux fois le rythme annuel d’accroissement de la population mondiale (1,6 pour cent) au cours de la même période, et la consommation annuelle par habitant a atteint un record de 20,5 kg en 2019. Les estimations préliminaires indiquent une baisse de la consommation en 2020 du fait d’une contraction de la demande dans le contexte de la pandémie de covid-19, suivie d’une légère augmentation en 2021. En dehors de quelques exceptions, en particulier le Japon, la plupart des pays ont vu leur consommation de produits alimentaires d’origine aquatique par habitant augmenter sur la période 1961-2019, et la plus forte croissance annuelle a été observée dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. À l’échelle mondiale, les produits alimentaires aquatiques ont fourni quelque 17 pour cent des protéines animales et 7 pour cent de l’ensemble des protéines en 2019. Pour 3,3 milliards de personnes, ils représentent au moins 20 pour cent de l’apport moyen en protéines animales par habitant. Au Cambodge, en Sierra Leone, au Bangladesh, en Indonésie, au Ghana, au Mozambique et dans certains petits États insulaires en développement, les produits alimentaires d’origine aquatique apportent la moitié ou plus des apports totaux en protéines animales.
Les échanges internationaux de produits de la pêche et de l’aquaculture ont considérablement progressé ces dernières décennies, à travers les continents et les régions. En 2020, les exportations mondiales de produits d’origine aquatique, à l’exclusion des algues, se sont élevées à 151 milliards d’USD – un recul de 7 pour cent par rapport au chiffre record de 165 milliards d’USD atteint en 2018. En 2020, la valeur des échanges de produits d’origine aquatique représentait 11 pour cent du total du commerce agricole (à l’exclusion des produits forestiers) et 1 pour cent environ du total des échanges de marchandises. Ces proportions sont beaucoup plus élevées dans de nombreux pays, dépassant 40 pour cent de la valeur totale des échanges de marchandises au Cabo Verde, en Islande, à Kiribati ou aux Maldives, par exemple. Pour près de 90 pour cent, le volume de produits d’origine aquatique échangé (à l’exclusion des algues) était constitué de produits traités en vue d’être conservés, en majorité par congélation. À ces exportations s’ajoutent 1,9 milliard d’USD générés par les algues marines et autres algues, les sous-produits aquatiques non comestibles ainsi que les éponges et les coraux.
De 1976 à 2020, le taux de croissance annuel des échanges de produits aquatiques a été de 6,9 pour cent en valeur nominale et de 3,9 pour cent en valeur réelle (corrigée de l’inflation). La croissance plus soutenue en valeur qu’en volume des échanges s’explique par l’augmentation de la part d’espèces de grande valeur et de produits ayant subi une transformation ou d’autres formes d’ajout de valeur.
La Chine reste le principal exportateur de produits issus d’animaux aquatiques, suivie de la Norvège et du Viet Nam, et l’Union européenne est le plus grand marché unique importateur. Les principaux pays importateurs sont les États-Unis d’Amérique, suivis de la Chine et du Japon. En volume (poids vif), la Chine est le premier importateur: elle importe de grandes quantités de différentes espèces pour sa consommation intérieure, mais aussi en vue de leur transformation avant réexportation.
2. VERS UNE TRANSFORMATION BLEUE6
Lors de la présente Décennie d’action pour la réalisation des objectifs de développement durable (ODD)7, il nous faut accélérer la concrétisation des mesures prises en faveur de la sécurité alimentaire tout en préservant nos ressources naturelles. Les produits alimentaires d’origine aquatique, dont la production devrait augmenter encore de 15 pour cent d’ici à 2030, peuvent répondre aux besoins en aliments nutritifs d’une plus large part de l’humanité. La transformation bleue est une stratégie de transformation durable des systèmes alimentaires aquatiques, lesquels sont considérés comme une solution propre à assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle et le bien-être environnemental et social, en préservant la santé des écosystèmes aquatiques, en réduisant la pollution, en protégeant la biodiversité et en favorisant l’égalité sociale.
La transformation bleue est axée sur l’expansion et l’intensification durables de l’aquaculture, la gestion efficace de toutes les pêcheries et la modernisation des chaînes de valeur des produits aquatiques. Elle nécessite des approches holistiques et adaptatives qui prennent en compte les relations complexes au sein des systèmes agroalimentaires et soutiennent des interventions multipartites qui font appel aux connaissances, outils et pratiques qui existent ou apparaissent pour protéger et maximiser la contribution des systèmes alimentaires aquatiques à la sécurité alimentaire et à la nutrition à l’échelle mondiale.
D’ici à 2030, la production alimentaire aquatique devrait augmenter de 15 pour cent, principalement du fait de l’intensification et de l’expansion de la production aquacole durable. Cette croissance devra préserver la santé des écosystèmes aquatiques, prévenir la pollution, protéger la biodiversité et favoriser l’égalité sociale. Les objectifs de la transformation bleue sont: i) de renforcer le développement et l’adoption de pratiques aquacoles durables; ii) d’intégrer l’aquaculture dans les stratégies de développement et les politiques alimentaires nationales, régionales et mondiales; iii) d’étendre et d’intensifier la production aquacole afin de répondre à la demande croissante de produits alimentaires d’origine aquatique et d’offrir des moyens d’existence plus inclusifs; et iv) de renforcer les capacités à tous les niveaux pour élaborer et adopter des technologies et des pratiques de gestion innovantes et rendre le secteur aquacole plus efficient et plus résilient.
Les obstacles fondamentaux auxquels se heurtent les systèmes de production aquacole, la gouvernance, l’investissement, l’innovation et le renforcement des capacités doivent être traités. L’amélioration des systèmes aquacoles va nécessiter des innovations techniques supplémentaires – axées sur le progrès génétique dans les programmes de sélection, les aliments aquacoles, la biosécurité et la lutte contre les maladies – associées à des politiques cohérentes et des incitations appropriées dans l’ensemble de la chaîne de valeur. Les domaines prioritaires en matière de pratiques aquacoles innovantes sont les aliments aquacoles et les techniques d’alimentation, la numérisation et la promotion de méthodes efficientes et favorables à l’environnement. La mise en œuvre de ces solutions nécessite des capacités et des compétences adéquates, de la formation, de la recherche et des partenariats, et peut tirer parti des progrès dans les technologies de l’information et des communications et d’un accès plus large aux applications et plateformes mobiles.
Une bonne gouvernance, fondée sur des cadres juridiques et institutionnels solides et applicables, est essentielle pour créer un environnement favorable et attirer les investissements dans l’expansion de l’aquaculture. Un ensemble équilibré de services de finance et d’assurance est nécessaire à tous les niveaux pour améliorer les infrastructures et appuyer les innovations technologiques, et les mécanismes comme les crédits carbone ou azote et les obligations bleues sont cruciaux pour rémunérer les investissements bleus pour les avantages environnementaux et les services écosystémiques apportés.
La gestion efficace de l’ensemble des pêches est l’un des objectifs fondamentaux de la transformation bleue. L’amélioration de la gestion des pêches est essentielle pour reconstituer les stocks halieutiques, augmenter les captures et rétablir la santé et la productivité des écosystèmes tout en gérant les ressources exploitées dans les limites de ces derniers. Des mesures de transformation en profondeur seront nécessaires pour promouvoir la gouvernance et la réforme des politiques, des cadres de gestion efficaces, des technologies innovantes et une protection sociale adéquate.
Les instruments internationaux, tels que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et le Code de conduite pour une pêche responsable et ses outils de mise en œuvre, notamment l’Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, doivent guider la gouvernance et la réforme des politiques dans le monde entier aux fins de l’application des mesures de gestion aux niveaux national et régional. Les organisations intergouvernementales (OIG), les organisations non gouvernementales (ONG) et le secteur privé doivent intensifier leur collaboration et leur coopération intersectorielles afin de renforcer encore leurs rôles complémentaires dans le traitement des problèmes de gestion des pêches aux niveaux local, national et régional.
Pour être efficace, la gestion doit s’appuyer sur une approche écosystémique des pêches, en accordant toute l’attention voulue aux régimes fonciers, aux droits et à la cogestion, et en tenant compte des avantages et des compromis induits par les objectifs environnementaux, sociaux et économiques que les ressources halieutiques et les écosystèmes aquatiques permettent d’atteindre. Il convient, au moyen de mécanismes de cogestion, de faire participer les parties concernées à la prise de décisions, en veillant à l’efficacité des dispositifs de suivi, de contrôle et de surveillance (SCS), à un échange d’informations plus soutenu, à la mise à exécution des mesures et à une coordination renforcée.
Les avancées technologiques jouent un rôle déterminant dans la mise en œuvre efficace des mesures de conservation et de gestion, car elles améliorent la collecte, l’analyse et la diffusion des données, les activités de SCS, l’efficience, la protection de l’environnement et la sécurité en mer. Les programmes de protection sociale qui intègrent le travail décent et les droits humains ont une incidence favorable à la fois sur la préservation des ressources et sur la protection des moyens d’existence.
Les pays en développement – surtout les moins avancés – manquent de capacités techniques et institutionnelles pour assurer une gestion efficace des pêches. Des initiatives sur mesure de renforcement des capacités sont nécessaires, ainsi que des approches adaptées à leurs moyens financiers et humains limités.
L’expansion de l’aquaculture et la gestion efficace des pêches reposent sur l’innovation dans les chaînes de valeur des deux secteurs, laquelle requiert des partenariats publics et privés pour soutenir les nouvelles technologies, sensibiliser les consommateurs aux avantages qu’offrent les produits alimentaires d’origine aquatique et à la disponibilité de ces produits, réduire les pertes et le gaspillage alimentaires et améliorer l’accès aux marchés lucratifs. La réduction des pertes et du gaspillage alimentaires nécessite de mettre en œuvre des mesures multidimensionnelles associant la gouvernance, les technologies, les compétences et les connaissances, les services et les infrastructures, ainsi que les liaisons avec les marchés. Pour accéder aux marchés lucratifs, il faut avoir la capacité de répondre à leurs exigences, et notamment de se conformer aux mesures non tarifaires portant sur la protection des consommateurs et la protection environnementale et sociale et d’utiliser des systèmes de traçabilité transparents et fiables.
L’année 2022 a été proclamée Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales par l’Assemblée générale des Nations Unies afin d’assurer une meilleure sensibilisation de la communauté mondiale et de lui permettre de mieux comprendre l’importance de la pêche et de l’aquaculture artisanales, de renforcer l’action menée pour appuyer la contribution de ces secteurs au développement durable et de promouvoir le dialogue et la collaboration entre les acteurs et les partenaires, en amenant les principales parties prenantes publiques et privées à s’attacher aux défis et possibilités s’agissant de la contribution de la pêche et de l’aquaculture artisanales à la concrétisation des objectifs de développement durable.
3. UNE TRANSFORMATION BLEUE POUR RÉALISER LE PROGRAMME DE DÉVELOPPEMENT DURABLE À L’HORIZON 2030
À moins de huit ans de l’échéance de 2030, la communauté internationale n’est pas en passe d’éliminer la faim et la malnutrition et d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD). La pandémie de covid-19 a inversé des tendances qui, jusque-là, évoluaient favorablement. Dans la droite ligne du Programme de développement durable à l’horizon 2030 (Programme 2030), la Décennie d’action pour la réalisation des ODD vise à renforcer les stratégies des pays, des OIG, des ONG et des organisations de la société civile au service d’un monde équitable, prospère et durable.
Les pêches et l’aquaculture apportent une contribution à la plupart des ODD, et en particulier à l’ODD 14 (Vie aquatique), qui est axé sur les océans et leurs ressources marines. La FAO, en tant qu’institution garante de quatre indicateurs des ODD relatifs à l’utilisation durable des ressources biologiques marines, tire parti des mécanismes mondiaux existants de surveillance et de communication d’informations et les adapte pour intégrer les données nationales. Les indicateurs 14.6.1 et 14.b.1 des ODD font désormais apparaître une évolution encourageante en ce qui concerne la mise en œuvre des politiques. Des améliorations récentes ou imminentes dans le domaine des méthodes visent à remédier aux capacités nationales limitées de nombreux pays en développement pour ce qui est de la mesure de la durabilité des stocks de poissons marins (indicateur 14.4.1 des ODD), et à permettre aux pays de mieux saisir l’importance que revêt la pêche durable pour leur économie nationale (indicateur 14.7.1 des ODD). En ce qui concerne l’état écologique des océans (cibles 14.1, 14.3 et 14.5 des ODD), certains indicateurs font apparaître des tendances à l’aggravation et des taux de pollution qui augmentent de plus en plus vite, mais on constate un net progrès dans la protection des milieux marins et une volonté politique forte de légiférer à l’échelle nationale dans ce domaine.
Il convient surtout de noter qu’il reste difficile de présenter la réelle contribution des pêches et de l’aquaculture au Programme 2030, car la plupart des indicateurs de l’ODD 14 portent sur les pêches de capture dans les eaux marines. La contribution de l’aquaculture n’est pas toujours clairement déterminée ni communiquée, et les ODD, dans leur formulation actuelle, ne font pas apparaître le rôle joué par les pêches continentales et l’aquaculture dans l’alimentation et la nutrition.
La Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) fait ressortir que des liens solides entre science et politiques sont essentiels si l’on veut concevoir des solutions durables et faire en sorte que les décisions, les accords et les actions reposent à terme sur les éléments les plus probants dont on dispose. Le plan de mise en œuvre de la Décennie, établi selon un processus extrêmement participatif et inclusif, prolonge les réalisations existantes afin de répondre aux attentes quels que soient la zone géographique, le secteur, la discipline ou la génération, de concentrer les efforts sur 10 défis et d’unir les partenaires de la Décennie dans une action collective. Pour relever les défis dans les secteurs de la pêche et de l’aquaculture, les partenaires s’emploient à générer des connaissances, à soutenir l’innovation, à lutter contre les inégalités de capacités en matière de sciences océaniques et à élaborer des solutions pour optimiser le rôle des océans au regard de la sécurité alimentaire dans des conditions environnementales, sociales et climatiques en pleine évolution.
La Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes, co-dirigée par la FAO et le Programme des Nations Unies pour l’environnement, est un appel mondial à revitaliser les écosystèmes et les services qu’ils rendent en restaurant les habitats et les espèces pour garantir des systèmes sociaux et environnementaux capables de faire face aux défis à venir.
La restauration des écosystèmes continentaux, côtiers et marins nécessite une gouvernance et un soutien adéquats, qui permettent d’intégrer les mesures de conservation et de production durable prises par de multiples acteurs, secteurs et autorités compétentes. La Décennie pour la restauration des écosystèmes est l’occasion de créer des réseaux et de nouer des partenariats à l’échelle de la planète, et de renforcer ainsi le lien restauration-science-politiques.
Pour restaurer la productivité des pêches, il convient de remettre en état les mangroves, les herbiers sous-marins et les récifs, les bassins versants ainsi que les zones humides, et d’assurer une gestion efficace afin de reconstituer les stocks halieutiques et de réduire les effets néfastes de la pêche sur les écosystèmes. Dans l’aquaculture, les mesures visent à restaurer la structure et les fonctions des écosystèmes pour soutenir l’approvisionnement alimentaire tout en réduisant autant que possible la pollution, les espèces exotiques envahissantes, les déchets et l’apparition de maladies.
Trois défis importants se posent au regard du Cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020: i) faire adopter et appliquer plus largement le Cadre par des protagonistes extérieurs à la communauté d’acteurs œuvrant à la conservation, en encourageant une appropriation plus générale des problèmes et des solutions en matière de biodiversité; ii) faire en sorte que les ressources destinées à la mise en œuvre du changement soient à la hauteur de l’ambition des tâches exposées dans le Cadre; et iii) lancer un processus dynamique qui pourra être correctement mesuré et bénéficiera d’une bonne communication.
Pour intégrer ces défis dans leurs plans d’action, les parties prenantes doivent aider à faire apparaître plus nettement le lien entre restauration de la biodiversité, avantages économiques et moyens d’existence. Les initiatives et les mesures – y compris celles mises en œuvre par la FAO – apportent l’appui nécessaire au rétablissement des espèces et des habitats vulnérables, notamment par la caractérisation des espèces menacées, les plans d’action nationaux relatifs aux requins et aux oiseaux de mer, la gestion par zone de la pêche marine et la gestion par bassin de la pêche continentale. Les autres mesures consistent à optimiser l’utilisation durable de la biodiversité en s’attachant aux risques et à l’atténuation au regard de la diversité des organismes aquatiques d’élevage, en réduisant les captures accessoires et la pollution liée aux engins de pêche abandonnés, perdus ou rejetés, et en faisant appel à des technologies de pêche sélectives.
4. NOUVEAUX ENJEUX ET PERSPECTIVES
Depuis mars 2020, la pandémie de covid-19 se répand sur tous les continents et dans tous les pays, entraînant des dommages sans précédent sur le plan sanitaire, social et économique, notamment dans les secteurs de la pêche et de l’aquaculture. À l’échelle mondiale, pour faire face à cette crise comme nulle autre engendrée par la covid-19, les pouvoirs publics ont instauré des confinements et fermé des marchés, des ports et des frontières, ce qui a ralenti de manière considérable les échanges commerciaux, perturbé la production et la distribution des produits alimentaires aquatiques et entraîné la perte d’emplois et de moyens d’existence.
Le secteur de la pêche a été perturbé, et celui de l’aquaculture a lutté pour tenir les cycles de production prévus. Les chaînes d’approvisionnement, dominées par de petites et moyennes entreprises, ont été particulièrement vulnérables aux restrictions liées à la covid-19. Les personnes vulnérables et marginalisées ont été touchées de manière disproportionnée, et les femmes ont été les premières victimes de la chute de l’emploi et des pertes de moyens d’existence dans les ménages. La situation s’est progressivement améliorée avec la diversification des revenus des ménages grâce à d’autres activités agricoles, la réduction des coûts des entreprises, le ciblage des marchés locaux, et le recours à la commercialisation en ligne et à la livraison directe.
Les pouvoirs publics ont pris des mesures de soutien diverses et complexes, dans les domaines sanitaire, social, économique, éducatif et environnemental, en fonction des priorités, des capacités et des ressources nationales. Les pays dotés d’un système de protection sociale fonctionnant correctement ont pris des mesures plus efficaces pour atténuer les effets de la pandémie. Malheureusement, les travailleurs non déclarés, nombreux dans les secteurs de la pêche et de l’aquaculture, en ont souvent été exclus.
La pandémie a mis en lumière les interrelations entre les marchés et les chaînes d’approvisionnement, ainsi que la nécessité d’avoir en place des systèmes de protection sociale inclusifs, qui puissent être adaptés en cas de crise. On peut toutefois se féliciter que la crise ait accéléré la transformation numérique du secteur, encouragé le suivi et le contrôle électroniques et l’utilisation d’énergies vertes et de technologies propres, et favorisé le développement de la production et des marchés locaux.
Le réchauffement planétaire accru a entraîné des changements irréversibles qui appellent d’urgence une action fondée sur les océans pour renforcer et accélérer les mesures d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à ses effets dans la pêche et l’aquaculture. Il convient à cet effet de prendre explicitement en compte les facteurs de perturbation liés au climat dans la gestion des pêches et de l’aquaculture et de relier les plans d’adaptation aux mesures de gestion ou de développement, en intégrant des indicateurs locaux et contextuels pour ces facteurs.
Il faut élaborer des plans d’adaptation porteurs de transformations aux niveaux national et local, en attachant une attention particulière aux plus vulnérables grâce à une approche inclusive et participative et à la prise en compte des besoins et des avantages de la pêche et de l’aquaculture artisanales. Dans ce cadre, il serait bénéfique d’adopter des approches de gestion spatiale tenant compte des questions climatiques, d’intégrer les considérations d’équité et de droits humains et d’investir dans l’innovation.
La Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26), à sa vingt-sixième session à Glasgow, a mis en avant le rôle clé des océans, en ouvrant la possibilité pour la pêche et l’aquaculture d’augmenter leur contribution aux efforts consentis à l’échelle mondiale, en partageant des solutions d’adaptation et d’atténuation et en donnant une plus grande visibilité à la pêche et à l’aquaculture continentales dans les débats internationaux sur le climat.
La progression vers l’égalité des genres dans la pêche et l’aquaculture est un point fondamental si l’on veut parvenir à la durabilité et à l’inclusivité. Les femmes jouent un rôle important dans la pêche et l’aquaculture, mais la plupart travaillent dans le secteur informel et occupent les positions les moins payées, les plus précaires et les moins qualifiées. Compte tenu des conditions sociales, culturelles et économiques dans lesquelles elles vivent, les femmes ont fréquemment à subir des contraintes liées au genre qui les empêchent de remplir pleinement leur rôle dans la pêche et l’aquaculture et d’en tirer parti. À cela s’ajoute l’accès limité à l‘information, aux services, aux infrastructures, aux marchés, à la protection sociale et à l’emploi décent, et aux postes de décision et d’encadrement.
La Politique de la FAO sur l’égalité des genres (titre actuel: «Politique de la FAO sur l’égalité des sexes», document en cours de révision) a guidé l’adoption d’instruments essentiels de l’Organisation et de moyens de promouvoir des approches porteuses de transformations en matière de genre qui mettent en avant le rôle d’agentes du changement que jouent les femmes dans la concrétisation de la transformation bleue.
La FAO élabore, à partir d’hypothèses économiques et environnementales et d’hypothèses concernant l’action publique, un aperçu des perspectives des secteurs de la pêche et de l’aquaculture sur le plan de la production, de l’utilisation des produits, du commerce, des prix et des principaux facteurs qui pourraient influencer l’offre et la demande futures. Les projections de la FAO relatives à la pêche et à l’aquaculture à l’horizon 2030 indiquent que la production, la consommation et le commerce vont augmenter, mais à un rythme plus modéré. La production totale d’animaux aquatiques devrait s’élever à 202 millions de tonnes en 2030, en raison principalement de la croissance de la production aquacole, laquelle devrait atteindre 106 millions de tonnes en 2030. Quant à la pêche de capture mondiale, elle devrait augmenter et atteindre 96 millions de tonnes, grâce à la reconstitution des stocks de certaines espèces à la faveur d’une meilleure gestion des ressources, à l’accroissement des captures de ressources sous-exploitées et à la réduction des rejets en mer, des déchets et des pertes.
En 2030, 90 pour cent de la production d’animaux aquatiques sera destinée à la consommation humaine, soit une augmentation globale de 15 pour cent par rapport à 2020. Cela signifie que la consommation annuelle par habitant passera de 20,2 kg en 2020 à 21,4 kg en 2030, sous l’effet d’une forte demande liée à la hausse des revenus et à l’urbanisation, conjuguée à la croissance de la production, à des améliorations des opérations post-capture/récolte et de la distribution, et à une évolution des tendances alimentaires. L’offre de produits alimentaires d’origine aquatique augmentera dans toutes les régions, tandis que la consommation par habitant devrait baisser légèrement en Afrique, notamment en Afrique subsaharienne, suscitant des inquiétudes quant à la sécurité alimentaire.
L’expansion du commerce de produits d’origine aquatique va se poursuivre, mais à un rythme plus lent que celui observé durant la décennie précédente, reflétant la moindre croissance de la production, les prix plus élevés qui limiteront la demande et la consommation globales, et une demande intérieure plus forte dans certains des principaux pays producteurs et exportateurs, comme la Chine. Une part stable (36 pour cent) de la production totale sera exportée à l’horizon 2030, et l’aquaculture y contribuera de manière croissante. En volume, la Chine conservera sa place de premier exportateur de produits alimentaires d’origine aquatique, suivie par le Viet Nam et la Norvège. Les États-Unis, le Japon et l’Union européenne représenteront 39 pour cent du total des importations destinées à satisfaire la consommation de produits alimentaires d’origine aquatique en 2030.
D’après les estimations, les prix des produits d’origine aquatique échangés sur les marchés internationaux devraient augmenter de 33 pour cent en valeur nominale d’ici à 2030. Les facteurs à l’origine de cette hausse seront l’amélioration des revenus, la croissance démographique, la forte demande, la réduction de l’offre et la pression accrue sur les coûts de production de certains intrants critiques, comme les aliments pour animaux, l’énergie et l’huile de poisson.