FAO

La situation mondiale des peches et de l’aquaculture 2024

Partie 3 PERSPECTIVES ET ENJEUX CONTEMPORAINS

Répercussions du phénomène El Niño sur la pêche marine et l’aquaculture

Données générales sur le phénomène El Niño et les risques associés dans les principales zones de pêche de la FAO

Le phénomène El Niño/Oscillation australe (ENSO) est un phénomène climatique naturel qui entraîne alternativement un réchauffement (El Niño) et un refroidissement (La Niña) de l’océan Pacifique et influe sur les régimes de température de l’air en surface et de précipitations dans le monde entier. Lors des épisodes El Niño, les conditions naturelles de l’océan se trouvent considérablement modifiées sous l’effet des variations de la température de surface de la mer et des remontées d’eau, qui affectent la disponibilité de nourriture et d’habitats appropriés pour les poissons et les autres espèces marines.

Les épisodes El Niño ont été associés à un changement dans les captures de poissons dans diverses pêcheries, surtout celles du Pacifique tropical et de l’océan Indien, les pêcheries de grands migrateurs tels que le thon et les pêcheries d’anchois du Pérou dans le Pacifique Est. Ils ont également une incidence sur les infrastructures aquacoles et les organismes d’élevage; par exemple, l’augmentation des températures et de la salinité associée à la sécheresse causée par El Niño peut influer fortement sur la croissance et la survie de l’espèce Kappaphycus alvarezii, une algue populaire cultivée aux Philippines (encadré 21, p. 155). Ce secteur fait vivre environ 200 000 exploitations familiales. Le phénomène El Niño a des conséquences importantes car ses effets touchent les moyens d’existence, la sécurité alimentaire et les exportations.

Selon une analyse rétrospective menée par la FAO sur la période allant de 1950 à 2023, les épisodes El Niño d’intensité élevée à exceptionnelle qui ont frappé le Pacifique Est ont eu un impact sur la pêche marine dans 11 des 19 principales zones de pêche en mer de la FAO. La zone exposée au risque le plus élevé a été le Pacifique Sud-Est, suivi de l’océan Indien et du Pacifique Centre-Ouest et Centre-Est (figure 62). Cette figure illustre les risques que fait peser El Niño sur la pêche dans chacune des principales zones de pêche de la FAO, en fonction des niveaux d’aléa, d’exposition et de vulnérabilité.

FIGURE 62RISQUES ASSOCIÉS AU PHÉNOMÈNE EL NIÑO DANS LES PRINCIPALES ZONES DE PÊCHE DE LA FAO

NOTES: Le risque (barres bleues) est le produit de l’aléa (H) (le potentiel d’un phénomène à avoir des répercussions négatives, calculé ici comme la probabilité composée qu’un épisode El Niño majeur se produise et qu’il entraîne une manifestation physique de grande ampleur en termes de température de surface de la mer), de l’exposition (E), qui désigne le nombre de pêcheries exposées au risque (la proportion de pêcheries qui accusent une forte diminution de leurs captures au cours d’un épisode) et de la vulnérabilité (V), qui désigne la gravité de l’impact sur les pêcheries exposées au risque (estimée comme la diminution moyenne des captures dans les pêcheries fortement touchées). Les parties sans graphique de risque correspondent aux zones dans lesquelles aucune présence physique significative du phénomène El Niño n’a été détectée.
SOURCES: Analyse des risques d’après NOAA PSL. 2024. NOAA OI SST V2 High Resolution Dataset [Consulté le 12 novembre 2023]. https://psl.noaa.gov Données mondiales sur les pêches marines tirées de FAO. 2023. FishStatJ. [Consulté le 12 novembre 2021]. www.fao.org/fishery/en/statistics/software/fishstatj. Licence: CC-BY-4.0. Principales zones de pêche de la FAO à des fins statistiques. Dans: Pêche et aquaculture. [Consulté le 12 novembre 2021]. www.fao.org/fishery/fr/area/search

El Niño 2023-2024 – modifications des conditions océaniques

Les conditions La Niña ont dominé dans l’océan Pacifique tropical de septembre 2021 à janvier 2023. En février 2023, la température de surface de la mer a augmenté dans l’extrême Pacifique équatorial Est, laissant supposer qu’un épisode El Niño était en train de prendre forme. Au début du mois de mars 2023, les eaux s’étaient réchauffées, en particulier les eaux littorales péruviennes. De mars à juillet 2023, l’anomalie de réchauffement dans le Pacifique équatorial Sud-Est a continué à s’accentuer.

Les anomalies chaudes de la température de surface de la mer se sont ensuite propagées vers l’ouest, et en mai 2023, les conditions El Niño avaient gagné le Pacifique équatorial Centre. Les anomalies de température de surface de la mer ont atteint leur point culminant dans le Pacifique équatorial Sud-Est en août 2023, avant de baisser progressivement; en revanche, dans le Pacifique équatorial Centre et Ouest, ces anomalies augmentaient toujours au printemps 2023. Entre novembre et décembre 2023, El Niño a atteint une intensité forte à très forte en termes d’anomalies de température de surface de la mer dans le Pacifique équatorial Centre. Néanmoins, les anomalies de température sont restées plus marquées dans le Pacifique Est que dans le Pacifique Ouest jusqu’en février 2024. La figure 63 résume les caractéristiques spatiales et temporelles de l’épisode El Niño de 2023-2024.

FIGURE 63ANOMALIES MENSUELLES MOYENNES DE LA TEMPÉRATURE DE SURFACE DE LA MER PENDANT L’ÉVOLUTION DU PHÉNOMÈNE EL NIÑO EN 2023-2024

SOURCE: IMARPE (Institut de la mer du Pérou) d’après UK Met Office. 2024. OSTIA-UKMO-L4-GLOB-v2.0. [Consulté le 9 janvier 2024]. https://doi.org/10.5067/GHOST-4FK02

L’intensité d’El Niño a diminué au cours du premier trimestre de 2024, et l’épisode en cours devrait s’achever au printemps. Cependant, ses effets sur le secteur de la pêche et de l’aquaculture se feront probablement sentir plus longtemps, car certains stocks halieutiques et habitats d’espèces de grande importance, tels que les récifs coralliens, pourraient mettre des années à se reconstituer.

El Niño 2023-2024 – impacts sur les ressources halieutiques

Les effets d’El Niño diffèrent selon les zones géographiques, les espèces cibles et les types de pêche ou d’aquaculture et peuvent avoir des conséquences à la fois négatives et positives. En 2023, par exemple, les conditions créées par El Niño ont restreint l'habitat des espèces vivant dans les eaux froides des zones côtières, comme l’anchois du Pérou. La pêche à l’anchois du Pérou est la pêche monospécifique la plus importante au monde, puisqu’elle a produit 4,4 millions de tonnes par an en moyenne et représenté 75 pour cent du total des débarquements péruviens au cours des cinq dernières années. Les épisodes sévères et extrêmement forts d’El Niño dans le Pacifique Est, comme celui de 2023-2024, provoquent une diminution des habitats et des disponibilités alimentaires de l’anchois du Pérou, qui a des répercussions sur la distribution, la reproduction et le recrutement et entraîne des réductions de biomasse qui peuvent perdurer au-delà de la fin de l’épisode. Dans le cas du Pérou, ces effets négatifs se sont traduits par une diminution du volume de débarquements de 56 pour cent entre 2022 et 2023. Dans la mesure où les produits de cette pêche servent à fabriquer de la farine et de l’huile de poisson destinées à l’alimentation des espèces aquacoles, les pertes de captures sont préjudiciables non seulement aux moyens d’existence locaux, à l’emploi et aux recettes nationales d’exportation, mais aussi à la production aquacole au niveau mondial.

Sous l’influence d’El Niño, le réservoir d’eau chaude («Warm Pool») habituellement situé dans le Pacifique Ouest a commencé à se déplacer vers l’est pour entrer dans le Pacifique Centre à l’été 2023. Lors de la phase d’atténuation d’El Niño au cours de l’hiver 2024, la position de la Warm Pool restait plus orientale qu’elle ne l’est durant les années sans El Niño. De ce fait, les vagues de chaleur marines se sont intensifiées dans le Pacifique Ouest et le Pacifique Centre lorsque El Niño a atteint sa phase de maturité. Par conséquent, les communautés de récifs coralliens des îles situées dans cette zone ont subi des périodes prolongées de stress thermique qui ont augmenté les risques de mortalité pour les coraux et les ressources halieutiques côtières qui leur sont associées.

El Niño a également un impact sur la pêche au thon dans les pays et territoires insulaires du Pacifique, où cette activité apporte une contribution notable au PIB. Les modifications des habitats imputables à El Niño entraînent un déplacement de l’aire de répartition du listao vers l’est, mais tendent à améliorer la capturabilité et le recrutement de l’albacore dans le Pacifique Ouest. On s’attend donc à ce que l’épisode E Niño de 2023-2024 ait un impact positif sur la pêche au listao dans les zones économiques exclusives (ZEE) les plus à l’est des pays et territoires insulaires du Pacifique. Il est possible que l’amincissement de la couche de mélange dans les ZEE les plus à l’ouest augmente la capturabilité de l’albacore, avec pour conséquence d’améliorer les moyens d’existence et les revenus dans certaines régions du Pacifique, et de les réduire dans d’autres.

Ces résultats soulignent la nécessité d’adopter des mesures de gestion adaptative des pêches, d’autant plus que, d’après les modèles climatiques, les phénomènes ENSO extrêmes vont devenir plus fréquents sous l’effet du réchauffement climatique. Des pratiques telles que celles consistant à adapter dynamiquement la saison de pêche ou à limiter l’effort de pêche et l’accès aux lieux de pêche au moyen d’un suivi en temps quasi réel aideront les gestionnaires, les pêcheurs et les communautés côtières à faire face aux répercussions d’ENSO et à renforcer leurs capacités d’adaptation, en améliorant les systèmes d’alerte rapide, en renforçant les évaluations des risques et en faisant mieux prendre conscience du phénomène ENSO. On doit en outre attacher une importance cruciale aux mesures de préparation aux catastrophes et d’intervention aux niveaux local et national, tout en encourageant la diversification des moyens d’existence.

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