La recrudescence de criquets pèlerins qui a frappé la Corne de l’Afrique en 2020 et 2021 a été parmi les pires crises de ce type jamais observées dans la région, faisant peser une menace inédite sur la sécurité alimentaire et les moyens d’existence, avec le risque de provoquer des souffrances, des déplacements et des conflits à grande échelle. Un ensemble d’interventions tenant compte des risques et alliant lutte préventive et action anticipatoire a été orchestré pour faire face à cette crise, et l’on considère que ces mesures ont contribué à éviter de nombreuses pertes, notamment en termes de production céréalière et animale. La présente section décrit et analyse cette expérience, qui pourra éventuellement servir d’exemple et être transposée à plus grande échelle lors de résurgences futures.
Sur la base de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre de l’opération de lutte contre le criquet pèlerin dans la Corne de l’Afrique en 2020 et 2021, une nouvelle méthodologie évolutive a été mise au point pour calculer, à partir de différentes considérations et hypothèses, le retour sur investissement des interventions de la FAO fondées sur l’analyse des risques.
Les besoins alimentaires des essaims et des bandes larvaires par hectare ont été estimés sur la base de la densité moyenne des essaims et des bandes. Les rapports de terrain ont fourni des détails sur la nature de l’opération de lutte (aérienne et terrestre) et sur le ratio de larves par rapport aux essaims. Il ressort de ces informations que chaque fois qu’un hectare est traité, ce sont environ 30 tonnes de matière verte et de végétation qui ne sont pas consommées par les criquets pèlerins (grâce aux mesures de protection). Pour évaluer les pertes directes et les impacts sur les moyens d’existence productifs (des agriculteurs, des producteurs agropastoraux et des éleveurs pastoraux) qui peuvent être évités, on a formulé des hypothèses concernant les sources de matière verte et de végétation productives consommées par les criquets pèlerins. À partir de ces hypothèses et d’autres considérations tirées des études publiées, les destructions que les criquets pèlerins (larves et essaims) sont susceptibles d’occasionner par hectare au cours de leur cycle de vie (c’est-à-dire en tenant compte de leur mobilité), dans les pâturages et sur les terres agricoles, peuvent être quantifiées.
Ce raisonnement permet d’estimer les pertes de récoltes évitées, la valeur de la récolte qui est protégée, le nombre de personnes en mesure de satisfaire leurs besoins annuels en céréales et le nombre de ménages pastoraux ayant de quoi nourrir leurs troupeaux.
On trouvera à l’annexe technique 5 une description plus précise de la méthodologie utilisée pour calculer les pertes évitées grâce aux interventions de lutte antiacridienne tenant compte des risques.
Il convient de noter que la Corne de l’Afrique, où s’est produite la résurgence acridienne de 2020-2021, est exposée à des aléas divers. Les actions tenant compte des risques analysées dans cette section se sont superposées, dans certaines parties de la région, à des inondations, à des sécheresses, à des conflits ou à une situation d’insécurité, qui ont également infligé un lourd tribut économique. Ensemble, ces catastrophes – dont certaines sont liées aux effets du changement climatique ou exacerbées par eux – continuent d’aggraver l’exposition et la vulnérabilité des personnes, des systèmes et des économies et sont responsables de niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë dans toute la régionas.
En général, la gestion des risques liés au criquet pèlerin passe par une stratégie de lutte préventive consistant à surveiller les habitats des espèces concernées aux périodes clés de leur développement. Cette approche permet de détecter rapidement si le nombre d’insectes augmente et si leur comportement se modifie. Dans la Corne de l’Afrique, le plan de prévention et d’action anticipatoire antiacridiennes a été lancé le 24 janvier 2020 et prolongé jusqu’en juin 2022. Ce plan avait deux objectifs principaux. Le premier était de renforcer les activités de surveillance et de lutte afin de réduire l’impact des criquets pèlerins sur la production agricole et la capacité de charge des parcours. Deuxièmement, le plan prévoyait des actions anticipatoires axées sur les moyens d’existence, partant du principe que les opérations de surveillance n’empêcheraient pas totalement la dissémination des insectes. Les analyses ont conclu que ces interventions avaient évité aux ménages d’atteindre un niveau d’insécurité alimentaire correspondant à la phase 3 ou supérieure du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) et, par conséquent, de recourir à des stratégies d’adaptation préjudiciables, d’épuiser leurs actifs et d’effectuer des déplacements atypiques avec leurs troupeaux, à la recherche de pâturages.
Le Service d’information de la FAO sur le criquet pèlerin (DLIS) a émis une alerte rapide, en temps utile et de manière précise, et formulé des prévisions tout au long de la recrudescence, ce qui a permis de déployer les stratégies tenant compte des risques. Dans le cadre des protocoles d’urgence acridienne de niveau 3at, le DLIS a collaboré avec une vaste équipe de professionnels, au nombre desquels figuraient des universitaires et des partenaires du milieu de la recherche et du secteur privé. Cette équipe a produit 16 innovations qui ont été intégrées dans le DLIS et les programmes nationaux de lutte antiacridienne en vue d’améliorer les dispositifs de suivi et d’alerte rapide. De plus, des drones ont été utilisés dans plusieurs pays pour la prospection acridienne, avec le soutien de la Commission de lutte contre le criquet pèlerin dans la région centrale et de la Commission de lutte contre le criquet pèlerin dans la région occidentale. Ces mesures ont été complétées par des opérations de surveillance au sol, qui ont joué un rôle décisif. Les équipes d’agents publics à qui cette tâche a été confiée sont en effet intervenues dans des zones reculées et ont été capables de détecter rapidement les insectes, en particulier au stade dit des «bandes larvaires»au.
Résultat: 2,3 millions d’hectares de zones touchées ont pu être traités dans la Corne de l’Afrique et au Yémen. On estime que pour chaque hectare de terres envahies par des criquets pèlerins qui a fait l’objet de mesures de prospection et de lutte, 2 tonnes de céréales d’une valeur moyenne de 600 USD ont été protégées. De même, on est parvenu à satisfaire les besoins en pâturages de 4,5 unités de bétail tropical, comme le montre la FIGURE 44. La valeur commerciale des pertes de céréales et de lait évitées après traitement des 2,3 millions d’hectares a été estimée à 1,77 milliard de dollars. Compte tenu de ce résultat, et sur la base de la méthodologie présentée à l’annexe technique 5, les opérations de lutte antiacridienne menées à grande échelle et tenant compte des risques présentent un retour sur investissement de 1 pour 15. Autrement dit, on estime qu’un dollar investi dans ces mesures a permis d’éviter 15 dollars de pertes dans la Corne de l’Afrique.
De mai 2020 à la fin de 2021, la FAO a assuré la distribution de kits de subsistance à plus de 305 000 ménages d’agriculteurs et d’éleveurs, grâce à un investissement de près de 90 millions de dollars (TABLEAU 7). Les cultivateurs ont reçu des intrants agricoles et des transferts en espèces, et les éleveurs agropastoraux et pastoraux des aliments pour animaux et du fourrage et des transferts en espèces.
Les efforts collectifs de la FAO et de ses partenaires ont permis d’éviter la perte de 4,5 millions de tonnes de récoltes, de sauver 900 millions de litres de lait et de garantir l’accès de près de 42 millions de personnes à des aliments. En outre, les opérations de lutte menées dans les zones arides et semi-arides ont assuré aux ménages pastoraux et agropastoraux un accès suffisant aux zones de pâturage pour leurs ruminants. Après conversion en unités de bétail tropical et en niveau de productivité laitière annuelle par unité de bétail tropical, la FAO estime que les opérations de lutte ont permis de maintenir plus de 3 millions d’unités de bétail tropical. Comme pour les autres mécanismes d’action anticipatoire, les résultats des opérations sont exprimés en termes d’impacts sur les moyens d’existence et de pertes évités.
Il faut savoir que la recrudescence de criquets pèlerins n’est pas la seule catastrophe qui s’est abattue sur la Corne de l’Afrique en 2020-2021. Les agriculteurs de la région étaient déjà durement éprouvés par d’autres catastrophes telles que les inondations, les sécheresses et les tempêtes, ainsi que par les restrictions liées à la covid-19, qui ont réduit l’accès aux intrants agricoles et entraîné une diminution des superficies ensemencées (voir la section 3.2.1).
Les résultats montrent qu’en l’absence de lutte préventive contre la recrudescence des criquets pèlerins, les récoltes de maïs et de sorgho en 2020 et 2021 auraient pu être encore plus réduites. Il a fallu là encore adopter une approche multi-aléas de la réduction des risques de catastrophe, afin d’avoir l’assurance que les interventions menées sur le terrain seraient adaptées à la nature interconnectée des risques de catastrophe et de leurs effets en cascade.
Le principal enseignement tiré de cette expérience est que, dans le cas de la recrudescence du criquet pèlerin, les mesures tenant compte des risques ont considérablement atténué les effets négatifs de la crise sur les systèmes agroalimentaires et les moyens d’existence qui en dépendent. Elles ont permis de réduire les dégâts subis par les cultures et les pâturages, de diminuer les pulvérisations de pesticides qui nuisent à la santé humaine et à l’environnement, et de limiter les coûts financiers. Cette approche contribue à réduire les occurrences et l’intensité des résurgences de criquets pèlerins et à éviter qu’elles n’évoluent en recrudescences majeures ou en invasions. Cette stratégie s’est révélée la plus efficace au fil des décennies, permettant d’intervenir en amont d’une augmentation importante des populations de criquets pèlerins. Compte tenu de la nature transfrontalière de ces ravageurs, cette stratégie doit également être couplée à une coopération mondiale ou régionale.
Il convient aussi de noter que la Corne de l’Afrique aura besoin d’un appui constant pour faire face aux futures recrudescences de criquets pèlerins; c’est à cette condition que les pays pourront compter sur des systèmes de surveillance et de lutte pérennes tels que celui déployé lors de la résurgence de 2020-2021. En outre, plus on effectue de prospections, plus on réduit le risque que la multiplication du criquet passe inaperçue. Pendant les années où les conditions ne sont pas favorables à la reproduction des criquets, comme les années de sécheresse, les pays doivent néanmoins rester prêts à affronter l’éventualité d’une crise acridienne – même si, par ailleurs, ils ont à gérer d’autres priorités telles que les sécheresses et les inondations.
Le risque que la multiplication du criquet passe inaperçue est particulièrement élevé dans les zones de la région qui ne peuvent pas être surveillées pour des raisons de sécurité, comme la majeure partie du Yémen et certaines parties de la Somalie. C’est pourquoi il est nécessaire de mener des campagnes antiacridiennes agressives et de grande envergure. Si l’on ne protège pas les éleveurs pastoraux contre les aléas que sont les criquets pèlerins et les sécheresses, les pâturages seront ravagés et les animaux périront. Il convient donc de s’employer à institutionnaliser la surveillance continue et de mettre en place des mesures pour contrer les futures résurgences, en s’appuyant sur les bons résultats de l’approche tenant compte des risques présentée dans cette section consacrée aux stratégies de réduction des risques de catastrophe, ainsi que sur les plans des pays exposés à un risque élevé de future résurgence acridienne.
Référence bibliographique à citer:
FAO. 2024. L’Impact des catastrophes sur l’agriculture et la sécurité alimentaire 2023 – Prévenir et réduire les pertes en investissant dans la résilience. Rome. https://doi.org/10.4060/cc7900fr
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ISBN 978-92-5-138668-2
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ROYAUME DES PAYS-BAS. En moyenne, 12 000 hectares de cultures, notamment de coton, de maïs et de noix, ont été endommagés par les précipitations et les crues.