La présente section décrit et analyse les conséquences sur l’agriculture et la sécurité alimentaire de deux catastrophes biologiques récentes: la pandémie de covid-19 et la peste porcine africaine (PPA). En plus de leurs répercussions étendues sur la santé humaine et la santé animale, ces catastrophes ont entraîné des effets en cascade sur les systèmes agroalimentaires et exacerbé le risque de catastrophe dans la société au sens large. Cette section donne un aperçu des effets de ces crises sur l’agriculture et les producteurs agricoles dans 19 pays considérés comme étant en situation de crise alimentairet, puis se recentre sur une analyse transnationale de 11 pays souffrant d’insécurité alimentaireu, pour montrer en quoi les restrictions imposées pour enrayer la propagation de la pandémie ont mis à mal la production agricole et la sécurité alimentaire déjà précaires de ces pays. Les résultats présentés dans cette section, qui s’appuient sur les études publiées disponibles concernant les effets de la pandémie sur le secteur agricole, ont été obtenus à partir d’enquêtes menées entre 2020 et 2022 auprès de plus de 44 000 ménages agricoles dans 19 paysv dans le cadre du volet «Suivi» du Système d’information pour les données sur les situations d’urgence (Data in Emergencies ou DIEM). Ils livrent des éclairages et des recommandations sur la façon dont les décideurs et les praticiens peuvent intégrer les enseignements tirés de l’expérience dans leurs futurs plans et stratégies de réduction des risques de catastrophe et d’intervention multi-aléas, ainsi que dans les mécanismes de financement en matière de risques de catastrophe.
La section consacrée à l’épidémie de PPA présente des données faisant état des graves répercussions que peuvent avoir les maladies animales transfrontières sur les économies et la sécurité alimentaire. Maladie virale qui touche les porcs domestiques et sauvages, la PPA est considérée comme l’une des plus graves menaces zoosanitaires de tous les temps. La propagation de la PPA au cours de la période 2019-2020 a eu des effets négatifs de grande ampleur au niveau mondial, causant des pertes socioéconomiques considérables dans toute la chaîne de valeur porcine, menaçant la production, la sécurité alimentaire et les moyens d’existence, et se répercutant sur les marchés mondiaux. Bien qu’elle ne soit pas transmissible à l’homme, la PPA représente une menace importante pour la sécurité alimentaire et le développement durable. Cette section propose également des solutions et des pistes pour traiter et gérer les maladies animales transfrontières selon des approches préventives et anticipatoires tenant compte des risques, par exemple en appliquant l’approche «Une seule santé» aux niveaux mondial, régional, national et local.
On estime qu’entre 691 millions et 783 millions de personnes dans le monde ont souffert de la faim en 2022. C’est 122 millions de plus qu’en 2019, l’année qui a précédé l’apparition de la pandémie mondiale de covid-19148. Les populations des pays en situation de crise alimentaire ont été durement éprouvées par les restrictions imposées en 2020, qui ont pesé sur les revenus des ménages dans bon nombre de secteurs économiques. Même si elle a été en premier lieu une crise sanitaire, la pandémie de covid-19 a entraîné des effets en cascade sur les moyens d’existence, les systèmes agroalimentaires, les intrants, les services et la production.
Bien que le secteur agricole ait bénéficié d’exemptions aux restrictions imposées dans de nombreux pays, les premières évaluations réalisées à partir des enquêtes DIEM indiquent que les mesures liées à la pandémie ont été préjudiciables aux moyens d’existence des agriculteurs. La pandémie a perturbé les systèmes alimentaires par des pénuries de main-d’œuvre, en restreignant les déplacements de la main-d’œuvre saisonnière, ce qui a surtout touché les systèmes de production nécessitant beaucoup de travailleurs. De même, les perturbations des services de transport et de logistique des produits agricoles ont tiré les prix à la production à la baisse au moment même où les prix de détail s’orientaient à la hausse, mettant à mal le pouvoir d’achat des agriculteurs en raison de l’augmentation du coût de la vie.
Il ressort des rapports d’enquête DIEM que les effets immédiats de la pandémie de covid-19 sur l’agriculture ont été préjudiciables aux moyens d’existence des agriculteurs en dépit des exemptions de restrictions accordées au secteur. Au Bangladesh, les prix du riz et des denrées alimentaires ont augmenté de plus de 35 pour cent, alors que les prix à la production ont plongé du fait des restrictions sur les transports et l’accès aux marchés, particulièrement pénalisantes pour les produits à courte durée de conservation149. Au Niger, les ménages ont déclaré qu’ils avaient rencontré des difficultés exceptionnelles pour commercialiser leurs produits en raison de l’augmentation des coûts de transport, des faibles prix de vente perçus par les agriculteurs et de la faible demande des négociants, qui n’étaient pas en mesure de se rendre dans les exploitations150. Des tendances similaires ont été observées en Inde151.
Dans une analyse transnationale qu’elle a menée sur les secteurs agricoles de 11 pays souffrant d’insécurité alimentairew, la FAO a constaté que la pandémie de covid-19 avait ébranlé la sécurité alimentaire et les moyens d’existence tout autant que peuvent le faire des conflits ou des catastrophes naturelles152. S’appuyant sur des données recueillies entre juin et novembre 2020, cette étude montre comment, au sein du secteur agricole, les sous-secteurs ont été touchés de façon différente par les restrictions. Les voies d’impact ont été en grande partie fonction de la fréquence à laquelle les ménages avaient besoin de se procurer des intrants productifs, des contraintes pesant sur les chaînes d’approvisionnement et de la possibilité qu’avaient les agriculteurs de stocker ou conserver leurs produits en cas d’accès retardé aux marchés.
Les éleveurs et les producteurs de cultures commerciales ont fait partie des groupes les plus lourdement touchés; ils ont signalé des difficultés à accéder aux intrants, à vendre leurs produits et à accéder aux pâturages, en raison des restrictions de déplacement, et à atteindre les marchés internationaux. Pour éviter de tout perdre, les producteurs ont eu recours à des solutions d’adaptation telles que différer leurs ventes ou vendre leurs troupeaux en catastrophe s’ils n’avaient plus les moyens de les nourrir. Étant dans l’incapacité d’accéder aux marchés, les petits commerçants et les producteurs de poissons et de légumes ont perdu la totalité de leurs marchandises rapidement périssables, et leurs revenus en ont subi le contrecoup immédiat. D’autres rapports d’enquête de suivi DIEM ont relevé des difficultés d’accès aux intrants dans pratiquement tous les pays examinés153,154,155,156,157,158,159,160,161,162,163.
D’autres évaluations des mesures de confinement mises en place dans différents pays pendant la pandémie de covid-19 ont aussi observé une contraction de l’approvisionnement en intrants agricoles et des pénuries de main-d’œuvre, ainsi qu’une diminution de la prestation de services vétérinaires164. L’écrasante majorité des petits exploitants agricoles interrogés en 2021 en Afrique du Sud n’ont pas pu acheter de semences et de jeunes plants, et plus de 75 pour cent ont connu des difficultés d’accès aux machines agricoles pour la campagne agricole de 2020-2021165. Au Bangladesh, en Inde et au Pakistan, les agriculteurs ont été confrontés à des pénuries de main-d’œuvre et d’intrants intermédiaires, notamment d’engrais, de pesticides, de semences, d’aliments pour animaux et même d’électricité, en particulier pour les cultures kharif166. Au Bangladesh, plus de 90 pour cent des agriculteurs ont éprouvé des difficultés à se procurer des intrants agricoles, de la main-d’œuvre et des machines pour la culture, la récolte et le battage du riz, et plus de 60 pour cent ont eu du mal à commercialiser leur production, ce qui a fait grimper les prix des denrées alimentaires167. En Inde, plus de 50 pour cent des agriculteurs ont signalé des ruptures d’approvisionnement pour un intrant agricole, plus d’un tiers ont fait état d’une augmentation du prix des engrais, et les agriculteurs, doublement victimes de la baisse des prix à la production et de la hausse des coûts de production, ont eu de la difficulté à rembourser leurs dettes, ce qui a aggravé les tensions sur les chaînes d’approvisionnement et érodé les capacités d’adaptation151.
Avec l’assouplissement progressif des restrictions, la hausse des prix des denrées alimentaires dans les pays a reflué et les prix se sont stabilisés168,169 sans toutefois revenir à leurs niveaux d’avant la pandémie; de plus, les chocs sur les revenus dus à la baisse des prix à la production et aux pertes de production ont affecté la sécurité alimentaire en réduisant le pouvoir d’achat des agriculteurs. La pandémie de covid-19 a exercé des effets durables sur le secteur agricole, provoquant des crises dans les chaînes d’approvisionnement qui ont continué d’alimenter l’inflation malgré la reprise économique mondiale amorcée en 2021.
Si, à la fin des confinements, la situation des transports était revenue à la normale à l’intérieur des pays, les restrictions des mouvements internationaux ont eu des répercussions sur le commerce des engrais, très concentré. Il en a résulté une hausse du prix des intrants agricoles, dont l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a prévenu qu’elle «pourrait peser sur les rendements et la production de cultures en 2020 et 2021, en particulier dans les pays en développement170». Les vagues épidémiques successives liées aux sous-variants du virus responsable de la covid-19 ont par ailleurs entraîné des restrictions supplémentaires dans les pays, en particulier dans les régions où l’accès aux vaccins restait limité. Comme le montre la FIGURE 35, les difficultés d’accès aux transports ont été importantes en 2020 et se sont encore accrues en 2021, avant de s’atténuer de façon générale en 2022. À l’inverse, l’accès aux intrants a fortement augmenté en 2021 puis en 2022 dans de nombreuses régions.
En 2022, longtemps après la levée des restrictions liées à la covid-19, les agriculteurs de nombreux pays continuaient de signaler des problèmes d’accès aux intrants chimiques et aux semences. Au Myanmar, les difficultés ont été telles que les superficies ensemencées ont diminué, et avec elles la production158. Au Pakistan, les problèmes d’accès aux engrais ont été la principale cause de la diminution des superficies ensemencées en blé171. Au Proche-Orient, les difficultés d’accès aux intrants ont été encore exacerbées par la dévaluation des monnaies nationales du Liban et de l’Iraq172,173.
Les résultats des régressions montrent que les superficies ensemencées étaient plus susceptibles de baisser pour les céréales et les légumes que pour les cultures fruitières ou commerciales, car ces dernières sont produites pour leur valeur marchande plutôt que pour l’autoconsommation. Les modèles ont pris en considération l’impact des anomalies pluviométriques, le sexe du chef de famille et les conflits. Comme c’était à prévoir, ils ont abouti à la conclusion que ces facteurs contribuaient à une diminution des superficies ensemencées.
Les résultats montrent que lorsque les restrictions liées à la covid-19 ont été mises en place au cours de la principale période des semis, on a clairement observé une réduction des superficies ensemencées. Le coefficient relatif aux restrictions de rassemblement s’établit à -0,157, avec un intervalle de confiance de 95 pour centx; ainsi, la probabilité moyenne prédite que les agriculteurs déclarent avoir ensemencé une superficie inférieure ou très inférieure est passée d’environ 22 pour cent sans restrictions de rassemblement à quelque 50 pour cent en cas de restrictions très rigoureuses (interdisant le rassemblement de dix personnes ou moins). Les effets négatifs des restrictions de rassemblement ont perduré pendant la période de végétation dans le cas du riz, produit qu’il est nécessaire de transplanter après la première période de plantation.
Lorsque l’on tient compte de la fermeture des entreprises et des injonctions à rester chez soi, en maintenant les restrictions de rassemblement constantes, la probabilité d’une réduction de la superficie ensemencée passe d’environ un tiers en l’absence d’injonctions à rester chez soi à 50 pour cent lorsque ces injonctions sont présentes, le coefficient correspondant s’établissant à -0,127. Quant à la fermeture des entreprises, elle multiplie par plus de deux la probabilité d’une réduction de la superficie ensemencée, qui passe de 29 pour cent à 64 pour cent, les autres restrictions étant maintenues constantes, car elle empêche les agriculteurs d’accéder aux intrants et aux équipements ou animaux nécessaires pour préparer la terre.
Les producteurs de fruits et de cultures commerciales ont été moins touchés en termes relatifs que les producteurs de denrées de base (céréales et légumineuses), ce qui va dans le sens des résultats de l’analyse des variations des superficies ensemencées. Les variations négatives des récoltes s’expliquent en grande partie par les variations des superficies ensemencées, la probabilité moyenne prédite que les agriculteurs touchés par la fermeture des entreprises pendant la période de plantation fassent état d’une réduction de leurs récoltes atteignant 97 pour cent (contre 40 pour cent sans fermeture des entreprises).
Pendant la période de récolte, il a été constaté que les confinements étaient associés à une probabilité que les agriculteurs signalent une variation positive de leurs récoltes de seulement 73 pour cent par comparaison aux agriculteurs non soumis à des restrictions. En d’autres termes, toutes choses étant égales par ailleurs, la probabilité moyenne prédite que les agriculteurs fassent état d’une variation négative de leurs récoltes s’élevait à 55 pour cent lorsque les agriculteurs n’avaient pas été soumis à un confinement pendant la période de récolte, et à pas moins de 75 pour cent s’ils avaient subi un confinement au cours de cette période critique.
De même, la probabilité d’une plus grande récolte n’était plus que de 56 pour cent pour les agriculteurs situés dans des régions soumises à des restrictions de rassemblement, par comparaison à ceux qui se trouvaient dans des zones qui n’étaient pas soumises à ces restrictions lors de la récolte. Cela signifie que, toutes choses étant égales par ailleurs, les restrictions de rassemblement appliquées pendant la période de récolte ont presque multiplié par deux la probabilité que les agriculteurs fassent état d’une variation négative de leurs récoltes, cette probabilité s’établissant à 77 pour cent. La fermeture des entreprises pendant la période de récolte est également associée à une diminution de 64 pour cent de la probabilité que les agriculteurs signalent une évolution positive de leurs récoltes. Autrement dit, toutes choses étant égales par ailleurs, la probabilité que les agriculteurs déclarent une diminution de leurs récoltes passe d’environ une moitié à 84 pour cent.
Enfin, l’analyse met en évidence les associations entre les restrictions liées à la covid-19 et la probabilité que les agriculteurs déclarent avoir éprouvé des difficultés d’accès aux intrants agricoles. Les producteurs de céréales et de légumineuses étaient les plus susceptibles de signaler des difficultés d’accès aux intrants agricoles, tandis que les producteurs de fruits, et davantage encore les producteurs de cultures commerciales, étaient nettement moins touchés par ces problèmes.
Au vu des résultats, les restrictions appliquées aux mouvements internes durant la période de végétation se sont accompagnées d’une probabilité considérablement accrue que les agriculteurs déclarent de telles difficultés, sans doute parce que, dans les pays en développement, les petits exploitants agricoles profitent de la période de végétation pour compléter leurs revenus par des activités secondaires, qui ont été touchées davantage par les restrictions liées à la covid-19.
Si l’on neutralise l’effet du prix du riz, on constate que l’accès des petits exploitants agricoles – qui représentent le gros des personnes interrogées – aux intrants est subordonné à l’accès aux marchés des denrées alimentaires. Ce point vient rappeler de façon cruciale que les restrictions liées à la covid-19 ont retenti sur l’accès aux intrants non seulement par le biais des chocs sur l’offre, mais aussi en exerçant un effet négatif immédiat sur les sources de revenus des agriculteurs privés d’accès aux marchés des denrées alimentaires et du travail174,y.
À partir des données des enquêtes DIEM et des rapports d’enquête DIEM de 11 pays en situation d’insécurité alimentaire, les voies d’impact de la pandémie sur la production agricole ont pu être précisées. La production agricole a souffert d’un accès restreint aux intrants ou de pénuries de main-d’œuvre. Les perturbations touchant le transport et la logistique des produits agricoles ont fait chuter les prix à la production. En parallèle, les prix de détail ont augmenté, ce qui a eu un effet négatif sur les revenus des agriculteurs compte tenu de la hausse du coût de la vie.
On a procédé à des régressions logistiques ordinales pour évaluer la corrélation entre les restrictions liées à la covid-19 et les variations des superficies ensemencées, les variations perçues des récoltes et l’accès aux intrants. Des évaluations distinctes ont été réalisées pour déterminer les effets de la pandémie sur les producteurs de céréales, de légumes, de fruits et de cultures commerciales. Les modèles ont pris en considération l’impact des anomalies pluviométriques, le sexe du chef de famille et les conflits. Les effets des restrictions liées à la covid-19 ont été estimés en fonction de la période durant laquelle elles ont été mises en œuvre (période des semis, période de végétation, récolte) et de leur nature (fermeture des entreprises, injonctions à rester chez soi, restriction des déplacements internes et restriction des rassemblements).
Les injonctions à rester chez soi et les restrictions imposées au commerce international durant la période des semis sont les restrictions qui ont le plus pesé sur l’accès aux intrants dans ce sous-groupe de pays: de fait, elles ont augmenté la probabilité que les agriculteurs signalent des problèmes d’approvisionnement en intrants de 33 pour cent et 53 pour cent, respectivement. Dans le même temps, les restrictions appliquées aux déplacements internes au cours de la période des semis ont réduit la probabilité que les agriculteurs fassent état de telles difficultés, ce qui peut aisément s’expliquer par la réduction des superficies ensemencées qui est allée de pair avec ces restrictions.
Les agriculteurs ont impérieusement besoin d’intrants tels que les semences pendant la période des semis; par conséquent, c’est durant cette période que les restrictions ont été le plus préjudiciable, et c’est l’absence de ces intrants en quantité suffisante qui a le plus pénalisé la production agricole. Bon nombre de rapports d’enquête individuels corroborent cette conclusion. En Sierra Leone, par exemple, il a été signalé que les restrictions liées à la covid-19 avaient contrarié l’approvisionnement en semences, en particulier les semences de légumes. En Somalie, en 2021, les agriculteurs ayant réduit leurs surfaces de plantation ont expliqué qu’ils y avaient été contraints principalement parce qu’ils ne pouvaient plus tenir les maladies et les nuisibles à distance, qu’ils rencontraient des difficultés pour se procurer des semences ainsi qu’à cause de la hausse générale du prix des intrants175. Il a également été indiqué que l’impossibilité d’importer des pièces détachées pour les machines essentielles à la préparation du sol avait limité le recours à ces machines, d’où une diminution des superficies ensemencées.
Au cours de la période des semis, les facteurs les plus dommageables pour l’agriculture ont été, dans l’ordre, la fermeture des entreprises, les injonctions à rester chez soi, les restrictions de rassemblement et les restrictions sur les déplacements internes. Durant la période des récoltes, la disponibilité réduite de la main-d’œuvre, les interdictions de rassemblement et la fermeture des entreprises ont pesé sur la production agricole, notamment en empêchant les travailleurs de se rendre dans les exploitations qui avaient besoin de main-d’œuvre supplémentaire.
Ces facteurs ont été associés à une réduction des superficies ensemencées et de la production agricole. Ce recul est particulièrement problématique dans les pays à faible revenu et ceux à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, où une part importante de la population dépend de l’agriculture de subsistance, ainsi que dans les pays où la sécurité alimentaire est très sensible aux fluctuations de la production agricole.
Les résultats présentés ci-dessus doivent être mis en regard des conclusions d’autres évaluations transnationales des effets de la pandémie de covid-19 sur le secteur agricole. Bien que des recherches plus approfondies soient nécessaires pour évaluer les effets à long terme des chocs de sécurité alimentaire sur la santé, en comparaison des maladies et des décès provoqués par la covid-19, le maintien des opérations est à l’évidence essentiel pour la production agricole et la sécurité alimentaire.
Les maladies animales transfrontières telles que la PPA peuvent avoir des effets catastrophiques sur le développement durable, en mettant en péril les moyens d’existence et la sécurité alimentaire des acteurs de la chaîne de valeur de l’élevage et en se répercutant sur les marchés mondiaux. Bien que la PPA soit à l’origine une maladie endémique de l’Afrique de l’Est176, des cas ont été signalés dans toute l’Afrique, dans la région Amérique, en Asie, en Europe et en Océanie entre janvier 2020 et mars 2022. Elle a touché plus d’un million de porcs domestiques et causé la perte de 1,8 million d’animaux – ce chiffre englobant les animaux qui sont morts de la maladie et ceux qu’il a fallu abattre et éliminer à titre de mesure de contrôle177.
La PPA est l’une des maladies virales les plus complexes qui touchent les porcs domestiques et sauvages. Considérée comme l’une des plus graves menaces zoosanitaires mondiales de l’histoire, la PPA affiche un taux de mortalité proche de 100 pour cent et il n’existe actuellement aucun vaccin ou traitement commercial efficace et sûr178. Elle peut se transmettre par contact direct avec un porc infecté, par ingestion de viande de porc ou d’autres produits porcins contaminés, par des vecteurs passifs (fomites), des véhicules ou des chaussures, ainsi que par des vecteurs compétents, par exemple des vecteurs arthropodes tels que les tiques molles du genre Ornithodoros179. Les principaux canaux de propagation de la PPA sont les déplacements de porcs liés au commerce, la vente de viande infectée, la propagation par les fomites, tels que les outils agricoles ou vétérinaires, et l’élevage de porcs en plein air.
Le principal facteur de propagation mondiale de la PPA est d’origine anthropique: par les activités humaines, la maladie est capable d’effectuer de grands «bonds» dans l’espace, suivis d’une persistance endémique et d’une propagation aux régions et pays voisins. Depuis janvier 2020, la PPA a été signalée dans 35 pays sur les cinq continentsz. Les conséquences mondiales de la propagation de la maladie sont particulièrement visibles depuis que l’épidémie a gagné le continent asiatique, le marché chinois de la viande de porc étant le plus important du monde. L’arrivée de la maladie en Chine, qui représente environ 45 pour cent de la production et de la consommation mondiales, a provoqué un choc d’offre qui s’est propagé aux marchés porcins mondiaux180. Entre 2018 et 2019, plus de 1,2 million de porcs ont dû être abattus en Chine à cause de la PPA181.
Entre le 3 août 2018, date de l’apparition des premiers cas de PPA en Chine, et le 1er juillet 2022, un total de 218 foyers a été signalé au Système mondial d’information sanitaire de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). Il a été démontré que l’abattage réduisait le pic d’incidence et le nombre cumulé de cas de PPA de 99 pour cent et que, conjuguée à l’amélioration du taux de détection des porcs infectieux et à l’extension de la biosécurité, cette mesure était efficace pour combattre la PPA en Chine182. Néanmoins, l’abattage de 1,2 million de porcs (donnée de 2019) a entraîné de lourdes pertes économiques181.
Si le prix national moyen des porcs vivants n’a pas beaucoup bougé en 2018 (13,1 yuans le kg le 28 décembre 2018 contre 12,2 yuans le kg le 1er août 2018), l’écart interprovincial du prix des porcsaa a grimpé de 2,01 yuans le kg à 8,1 yuans le kg durant la même périodeab.
Il est apparu clairement à la fin de l’année 2019 qu’il était devenu impossible de répondre à la demande de viande porcine au niveau national, comme en témoigne la flambée des prix moyens du porc et de la viande de porc, respectivement en hausse de 161 et 141 pour cent par rapport à la situation pré-épidémique. Les répercussions de la PPA et de la pandémie de covid-19 se sont conjuguées et, en 2020, la production de viande porcine en Chine a été inférieure de 25,8 pour cent à celle de 2017183.
En volume, la production de viande porcine du pays s’est contractée de 22 pour cent entre 2017 et 2019184. Au cours de la même période, cependant, le cheptel de truies reproductrices s’est réduit de 35 pour cent. La liquidation, à titre de mesure de précaution contre l’épidémie, du cheptel reproducteur a conduit à une augmentation temporaire de l’offre intérieure de porc d’environ 25 pour cent.
Bien que le Gouvernement chinois ait tenté de stabiliser les prix de la viande porcine en écoulant ses réserves de porc sur le marché, le déficit couvert par ces réserves n’était pas suffisamment important pour avoir un impact notable sur les prix. Par exemple, les réserves de porc écoulées par le gouvernement en 2019 et 2020 représentaient tout juste 0,4 et 1,8 pour cent respectivement de la production nationale de porc.
La Chine a tenté de combler une partie de la pénurie en augmentant ses importations de porc, qui sont passées de 1 501 000 tonnes à 5 281 000 tonnes. La part des importations de porc de la Chine dans le commerce mondial de porc est passée de 20 pour cent en 2017 à 45 pour cent en 2020. Les importations de viande porcine rapportées à la production nationale sont passées de 2,8 pour cent en 2017 à 14,5 pour cent en 2020, ce qui s’explique en partie par la contraction de la production nationale décrite ci-dessus. La hausse des importations a eu des répercussions mondiales et les prix de la viande de porc sur les marchés internationaux se sont envolés. Cette situation a créé de nouveaux débouchés pour les pays exportateurs mais a aussi eu des conséquences pour les pays importateurs, qui sont entrés en concurrence avec la Chine pour s’approvisionner en viande porcine.
Comme le montre le cas de l’Asie, la PPA peut se propager rapidement dans les régions étroitement interconnectées en raison de la circulation incessante des personnes et des biens. Depuis que des cas de PPA ont été détectés en Haïti et en République dominicaine, des initiatives collaboratives de lutte contre l’épidémie ont été déployées sur le continent américain185. Selon une récente évaluation des risques de la FAO, la propagation de la maladie dans l’ensemble de l’Amérique pourrait entraîner la perte de plus de 48 millions de porcs et causer 7,8 milliards de dollars de pertes directes, avec des impacts sur le taux de mortalité, la production de viande porcine, le commerce et les prix du marché, ainsi que l’emploi186. Ces pertes se concentreraient principalement dans les quatre pays qui disposent d’un secteur porcin important, à savoir les États-Unis d’Amérique, le Brésil, le Mexique et le Canada. En 2019, ces quatre pays ont exporté de la viande porcine dans plus de 100 pays, et pesé pour 27 pour cent dans les exportations mondiales de viande porcine187.
Au-delà des coûts directs, la PPA peut avoir de redoutables conséquences sur la sécurité alimentaire dans les pays où la viande de porc constitue une importante source de protéines. Sur le continent américain, c’est le cas au Belize, à Cuba, en Équateur, en Haïti et au Paraguay, qui sont plus exposés à l’insécurité alimentaire que la moyenne des pays de la région. En Haïti, Jean-Pierre, Hagerman et Rich ont observé que le renchérissement des prix provoqué par la PPA avait amplifié la perte de dépenses de consommation dans des proportions allant jusqu’à 200 pour cent pendant la période épidémique188. En fonction de son ampleur, l’épidémie peut également pousser à la hausse les prix d’autres protéines animales, à mesure que la demande des consommateurs se reporte sur des produits de substitution. C’est précisément ce qui s’est passé en 2019 en Chine: les prix de la viande de poulet et de la viande de bœuf y ont augmenté de plus de 20 pour cent (en glissement annuel), causant des difficultés supplémentaires en termes de sécurité alimentaire et de nutrition. Dans son évaluation des risques, la FAO a analysé en détail les répercussions de l’arrivée de la PPA sur le continent américain186.
Le coût estimé de l’épidémie dans la province de Lào Cai au Viet Nam en 2020, calculé avec l’outil OutCosT, est de 826 911 dollars, ce qui représente 234 dollars par porc perdu. Dans la même province, dix fois plus de porcs ont été perdus en 2019 qu’en 2020. Selon les résultats obtenus en 2020 grâce à l’outil OutCosT, on évalue à 8,6 millions de dollars le coût des flambées de PPA dans cette province en 2019ac. La différence de coût entre 2019 et 2020 reflète la rapidité avec laquelle la PPA s’est propagée dans les premiers temps et l’efficacité des mesures de contrôles qui ont été appliquées ultérieurement.
Aux Philippines, la maladie a d’abord touché 10 provinces en 2019, avant de s’étendre à 32 provinces à la fin de l’année suivante. Le coût par porc perdu à cause de la PPA en 2019 s’établit à 281 dollars189. À partir de ce montant, on peut estimer le coût des flambées de PPA en 2020 selon deux approches possibles: en utilisant la proportion de la réduction du nombre de porcs abattus la plus probable (approche A), ou en utilisant la limite supérieure de la proportion de la réduction du nombre de porcs abattus (approche B). Voici le détail des calculs:
Le nombre de porcs perdus à cause de la PPA est estimé au moyen de la proportion de la réduction du nombre de porcs abattus la plus probable (38 pour cent)ad, 2019 servant d’année de référence. Selon cette méthode, le nombre de porcs perdus ressort à 689 000ae.
La limite supérieure de la proportion de la réduction du nombre de porcs abattus peut être estimée sur la base de la diminution du nombre de porcs abattus entre 2019 et 2020, qui s’établit à 1,8 million. Cependant, cette diminution peut être aussi due à des facteurs autres que la PPA que nous ne pouvons pas mesureraf.
On peut déduire de ces estimations que le coût approximatif des flambées de PPA en 2020 aux Philippines se situe dans une fourchette allant de 194 millions à 507 millions de dollars, ce qui est entre 3,3 et 8,7 fois plus élevé qu’en 2019. Ce coût élevé n’est pas surprenant compte tenu de la forte dispersion géographique de l’épidémie en 2020. Au Viet Nam et aux Philippines, les pertes estimées sont principalement imputables aux porcs domestiques et aux coûts nationaux, tandis qu’en Allemagne, l’épidémie a touché les sangliers et les coûts ont résulté de la perte des marchés d’exportation.
Les outils tels qu’OutCosT peuvent aider les pays à évaluer les coûts des flambées épidémiques selon différents scénarios de propagation et orienter leurs prises de décision, y compris sur la façon dont les ressources devraient être allouées pour enrayer la maladie et empêcher sa propagation. Bien que les résultats puissent être facilement extrapolés, il est important de bien calibrer l’outil afin que les résultats soient en cohérence avec la situation des marchés locaux et les politiques en place.
Pour évaluer les effets indirects de la PPA, il est nécessaire d’adopter une approche du type analyse de la chaîne de valeur, car les perturbations qui touchent un stade spécifique de la chaîne de valeur (dans le cas qui nous occupe, la production) ont des retombées en amont et en aval. Il semblerait, d’après certaines données, que la PPA ait eu des retombées majeures sur les fournisseurs d’aliments pour animaux, même si ces derniers ont pu compenser partiellement ces effets en se réorientant vers la production d’aliments destinés à d’autres espèces190. Les retombées en aval sont plus manifestes, la diminution de l’efficacité de l’utilisation des actifs productifs ayant amoindri la disponibilité des ressources de production et des intrants pour les acteurs situés en aval de la filière. Au Viet Nam, moins de 35 pour cent des pertes d’emploi occasionnées par la PPA ont été enregistrées dans le secteur porcin, le reste se répartissant sur d’autres secteurs connexes tels que la vente en gros et au détail, les aliments pour animaux et les services vétérinaires191.
Dans les systèmes très intensifs, les coûts indirects des flambées de maladies animales à déclaration obligatoire telles que la PPA sont souvent largement supérieurs aux coûts directs de la maladie, mais restent mal caractérisés en raison de leur complexité. Dans un travail de modélisation récent, Savioli et al.192 sont parvenus à la conclusion que les mesures de lutte contre la PPA les plus importantes dans l’éventualité d’une apparition de la maladie en Suisse concernaient les aspects suivants: logistique du transport et logistique de l’abattage, demande des consommateurs et prévention des contacts entre les sangliers et les porcs domestiques. Les coûts les plus importants associés à la prévention des contacts résultent du dépeuplement partiel ou total supposé des exploitations d’engraissement de porcs, réalisé dans le but de réduire la taille des troupeaux comme l’exigent les règlements en matière de contrôle simulés dans l’étude.