Même si des catastrophes n’arrivent pas tous les jours, empêcher que des aléas ne se transforment en catastrophes doit devenir une préoccupation quotidienne si nous voulons atteindre les objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030, de l’Accord de Paris et du Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030). Comme l’indique le Cadre de Sendai, nous pouvons y parvenir au moyen des mesures suivantes: i) en produisant des informations et des analyses sur les risques qui soient exploitables et de meilleure qualité, afin d’éclairer la prise de décision et le choix des interventions; ii) en renforçant la gouvernance des risques liés aux catastrophes et au climat; iii) en investissant davantage dans la réduction des risques de catastrophe pour renforcer la résilience; et iv) en renforçant les capacités de préparation et d’anticipation.
Le cadre conceptuel présenté à la FIGURE 2 de l’Introduction montre en quoi la partie 4 du rapport complète les trois parties précédentes. Tandis que les parties 2 et 3 s’attachaient à présenter les données disponibles sur les répercussions des catastrophes sur le secteur agricole, la partie 4 se penche sur la viabilité des investissements consacrés à l’amélioration des pratiques de réduction des risques de catastrophe dans l’agriculture et aux actions anticipatoires visant à rendre les moyens d’existence plus résilients face aux catastrophes. Les mesures destinées à limiter les conséquences potentielles des catastrophes et des risques qui les sous-tendent sont donc analysées sous l’angle des avantages qu’elles procurent – en termes de capacité à atténuer ces effets – par rapport au coût de leur mise en œuvre.
Cette partie du rapport présente plusieurs exemples d’analyse des avantages associés aux bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe et à l’action anticipatoire, qui peuvent servir de modèles pour l’évaluation comparative d’investissements pouvant être réalisés à différentes échelles en fonction de chaque contexte. Ces exemples peuvent être utilisés à titre de référence pour la conduite d’évaluations analogues, le cas échéant plus spécifiques, à l’appui de processus décisionnels tenant compte des risques.
Comme l’ont montré les parties 2 et 3, il n’existe pas à ce jour d’informations systématiques détaillées sur l’impact des catastrophes, ni d’approches normalisées permettant de définir et d’estimer les coûts de mise en œuvre des bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe et des actions anticipatoires en la matière. Aussi l’analyse des avantages associés aux bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe et à l’action anticipatoire est-elle effectuée en l’absence de données systématiques et d’informations homogènes. L’impact d’une intervention dépend beaucoup de l’environnement économique, social et naturel dans lequel elle doit se dérouler, ainsi que des cadres institutionnels et politiques, qui sont fonction du contexte. Pour cette raison, l’élaboration d’évaluations globales ou de solutions à grande échelle demeure compliquée, car les investissements visant à réduire et atténuer les risques nécessiteront toujours des analyses et des évaluations propres au contexte.
La première section de la partie 4 se concentre sur les mesures proactives de réduction des risques de catastrophe qui peuvent être mises en œuvre dans l’agriculture. Elle quantifie les avantages que peuvent induire les investissements réalisés dans les pratiques agricoles tenant compte des risques lorsque surviennent des aléas. Comme on le verra dans cette section, les interventions agricoles tenant compte des risques engendrent de nombreuses retombées positives sur les plans socioéconomique et environnemental, qui se renforcent mutuellement. L’approche adoptée dans cette section est celle de l’analyse avantages-coûts, qui révèle les atouts dont disposent les bonnes pratiques agricoles tenant compte des risques de catastrophe par rapport aux pratiques précédemment utilisées.
La deuxième section de la partie 4 expose les avantages pouvant être tirés des actions anticipatoires qui sont mises en œuvre lorsqu’un choc ou facteur de perturbation est annoncé, avant que celui-ci ne se matérialise. L’action anticipatoire contribue à renforcer la résilience des communautés vulnérables, protégeant ainsi leurs moyens d’existence tout en réduisant la nécessité d’interventions de redressement a posteriori plus coûteuses. Ce faisant, elle complète et préserve les gains obtenus grâce aux pratiques tenant compte des risques (tels que ceux décrits dans la section 4.2) en protégeant la sécurité alimentaire et la nutrition et en allégeant la pression sur les ressources humanitaires, âprement sollicitées. Ici encore, l’analyse est guidée par le rapport avantages-coûts de l’action.
La troisième section de la partie 4 présente un autre exemple d’intervention tenant compte des risques, qui combine mesures de lutte préventive et action anticipatoire. Le cas spécifique analysé est celui des mesures mises en œuvre lors de la recrudescence de criquets pèlerins dans la Corne de l’Afrique en 2020-2021. L’analyse, une fois encore, s’appuie sur le rapport avantages-coûts, pour mettre en évidence les pertes qui ont pu être évitées en combinant surveillance et action anticipatoire.
Dans ce contexte, l’approche de la comparaison des avantages et des coûts est mise en œuvre sur la base d’hypothèses qui sont présentées et analysées, notamment concernant les taux d’actualisation et l’horizon temporel dans lequel les évaluations sont réalisées. Pour éclairer valablement les décisions en matière de politiques, les évaluations avantages-coûts ont besoin de données probantes sur la sensibilité des résultats à ces paramètres.
On trouvera également dans cette partie du rapport un ensemble de réflexions et de suggestions sur la façon dont les services de vulgarisation peuvent encourager l’adoption de bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe au niveau des exploitations, ainsi que sur les moyens d’institutionnaliser les mesures de réduction des risques et l’action anticipatoire et de renforcer leur rôle dans l’élaboration des politiques.
Les agriculteurs, en particulier les petits exploitants qui n’irriguent pas leurs parcelles, sont les parties prenantes les plus vulnérables des systèmes agroalimentaires et sont donc généralement les principales victimes des catastrophes. Les agriculteurs, les responsables de l’élaboration des politiques et les acteurs du développement et de l’aide humanitaire disposent de multiples solutions pour réduire la vulnérabilité des petites exploitations. L’une d’elles réside dans l’application, à l’échelle des exploitations, de bonnes pratiques et de technologies de réduction des risques de catastrophe. Ces solutions techniques sont adaptables et mises à l’épreuve dans le cadre de scénarios avec ou sans aléas, et on sait donc avec certitude qu’elles permettent d’éviter ou de réduire les pertes de production agricole causées par des aléas naturels ou biologiques.
Plusieurs études fournissent des preuves concrètes des avantages que les mesures préventives peuvent offrir au secteur agricole en limitant les pertes dues aux catastrophes220,221,222. Certaines de ces études soulignent les rapports avantages-coûts des bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe dans l’agriculture, en se concentrant principalement sur les sous-secteurs des cultures et de l’élevage – variétés cultivées améliorées (tolérantes à la sécheresse, au sel et aux inondations), diversification des cultures, agriculture de conservation, adaptation des calendriers de culture et de la conservation du fourrage, abris pour animaux améliorés, vaccination et mesures préventives contre les maladies – et, dans un nombre plus limité de cas, sur les forêts et la pêche223,224,225. Si ces études ne parviennent pas exactement aux mêmes résultats en raison de différences dans les hypothèses qu’elles utilisent pour calculer les rapports avantages-coûts et dans la façon dont elles sont conçues, plusieurs similitudes s’en dégagent néanmoins.
Premièrement, les bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe au niveau des exploitations présentent un meilleur rapport avantages-coûts lorsqu’elles sont combinées entre elles que lorsqu’elles sont appliquées isolément. Cela signifie que les bonnes pratiques ont tendance à se renforcer mutuellement et qu’il est potentiellement plus avantageux de mettre en œuvre plusieurs pratiques simultanément que de les adopter une à une. Deuxièmement, les interventions agricoles portant sur les infrastructures grises présentent des rapports inférieurs à ceux des solutions fondées sur la nature, telles que l’amélioration des variétés cultivées et les approches centrées sur les personnes. Cela tient en grande partie à ce que ces solutions sont beaucoup moins onéreuses en termes de coût des intrants que celles axées sur les infrastructures.
D’autres données ont été recueillies dans le cadre d’une série d’essais pluriannuels sur les bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe au niveau des exploitations, réalisés par la FAO dans 1 112 exploitations agricoles de dix pays entre 2016 et 2021am. L’étude a analysé des données recueillies localement sur le terrain, qui portaient sur les pratiques et les technologies de réduction des risques climatiques et des risques de catastrophe appliquées à l’échelle des exploitations. L’objectif était de mesurer et quantifier les dommages et les pertes évités grâce à la mise en œuvre de ces pratiques et technologies dans les exploitations individuelles ainsi qu’à une plus grande échelle. Testées dans le cadre de scénarios avec et sans aléas, ces bonnes pratiques se sont révélées efficaces en termes de réduction des risques de catastrophe et devraient être intégrées dans le processus de développement et dans l’action humanitaire à plus long terme, par exemple lors des phases de relèvement et de redressement visant à «reconstruire en mieux».
Cette méthodologie a été élaborée dans le souci de proposer un moyen efficace d’évaluer rigoureusement les coûts et avantages des mesures de réduction des risques de catastrophe au niveau des exploitations agricoles, en attachant une attention particulière aux besoins et aux difficultés spécifiques des petits producteurs.
L’étude calcule le rapport avantages-coûts ex post à partir de données recueillies sur plusieurs saisons, pendant une période d’évaluation s’étendant sur 11 années. Par conséquent, les projections des coûts et des avantages au cours de la période d’évaluation sont établies à partir de données observées, là où les évaluations ex ante utilisent des données supposées. Cette démarche améliore la validité des résultats. Le choix d’une période d’évaluation de 11 ans permet de déterminer si les avantages à long terme compensent les dépenses d’investissement consenties au début de l’intervention. Pour réduire l’incertitude associée aux analyses à long terme, on a choisi une période relativement courte, considérant que les bonnes pratiques au niveau des exploitations analysées dans l’étude n’impliquaient pas de dépenses d’investissement importantes.
Pour pouvoir établir une comparaison contrefactuelle utile, on a établi une distinction entre conditions soumises et non soumises à aléas et, dans chaque scénario avec et sans aléas, on a postulé deux cas de figure, l’intervention et l’absence d’intervention. En outre, dans l’étude, les évaluations quantitatives sont complétées par des entretiens qualitatifs et des simulations de transposition à plus grande échelle, ce qui permet d’évaluer les coûts et les avantages des bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe au niveau des exploitations sous différents angles. Ces éléments concourent à produire une analyse globale des bonnes pratiques appliquées, générant des données importantes qui encourageront une adoption plus large de ces pratiques par les agriculteurs, faciliteront la formulation des politiques et donneront des orientations supplémentaires pour les pratiques de réduction des risques de catastrophe (ibid.).
Pour de plus amples informations, veuillez vous référer à l’annexe technique 4.
En Ouganda, pour lutter contre les conséquences des périodes sèches, de plus en plus fréquentes, on s’est tourné vers la culture de variétés de bananes à haut rendement et résistantes à la sécheresse en association avec des pratiques de conservation des sols et des eaux, telles que le paillage, le creusement de tranchées et l’amendement organique par compostage. Ces pratiques ont été utilisées dans les districts situés dans le couloir de passage du bétail. La banane est en train de s’imposer comme une culture commerciale importante dans le pays, puisque l’on estime que 24 pour cent des ménages agricoles la cultivent. Les conditions de culture optimales de la banane sont une humidité relative supérieure à 60 pour cent et des précipitations annuelles moyennes comprises entre 1 500 mm et 2 500 mm. Or, le changement climatique s’est accompagné d’une augmentation de la fréquence et de l’intensité des périodes sèches ainsi que de retards concernant les saisons des pluies. Cette situation retentit sur les moyens d’existence des petits exploitants qui cultivent essentiellement la banane et possèdent moins de 0,5 hectare de terres226,227.
L’étude a montré que, dans les exploitations touchées par des périodes sèches, la combinaison de bonnes pratiques qui avait été appliquée avait apporté des gains nets cumulés par acre (un acre équivalant à environ 0,4 hectare) sur 11 ans environ 10 fois plus élevés que ceux des pratiques locales existantes. Le rapport avantages-coûts des bonnes pratiques était de 2,15, contre seulement 1,16 pour les pratiques locales existantes (FIGURE 37). Le faible coût et le rendement élevé de la combinaison de bonnes pratiques considérée font qu’elle est particulièrement bien adaptée à cette zone agroécologique de l’Ouganda.
Compte tenu du rendement avantageux de la combinaison de bonnes pratiquesan par rapport à celui des pratiques de culture de la banane utilisées précédemment, de son faible coût et de sa grande reproductibilité, il a été décidé de simuler une transposition à plus grande échelle. Cette analyse a fait apparaître des différences considérables de gains nets annuels moyens: les avantages procurés par les bonnes pratiques seraient entre 95 pour cent et 695 pour cent plus élevés que ceux issus des pratiques précédemment utilisées, selon le scénario de fréquence des aléas retenu. D’après les estimations obtenues dans les scénarios de fréquence faible, moyenne et élevée respectivement (FIGURE 38), en moyenne, les producteurs de bananes de la région centrale pourraient gagner chaque année entre 212 et 236 millions de dollars sous la forme de pertes évitées et de gains supplémentaires grâce à la transposition systématique à plus grande échelle des bonnes pratiques (y compris la transposition d’agriculteur à agriculteur et la transposition verticale sous l’impulsion du gouvernement).
Eu égard au coût faible et à la rentabilité élevée de cette combinaison de bonnes pratiques, il est permis de penser qu’une transposition d’agriculteur à agriculteur serait un moyen viable d’impulser un changement d’échelle. Quatre-vingt-cinq pour cent des agriculteurs interrogés ont indiqué que les bonnes pratiques avaient amélioré leurs rendements en banane, et environ 70 pour cent ont constaté une augmentation de leurs revenus. Sur une échelle de 1 à 5, les agriculteurs ont donné une note de 4,4 à l’efficacité de ces bonnes pratiques lors des périodes sèches. La plupart des agriculteurs ont déclaré avoir l’intention de réutiliser les bonnes pratiques au cours de la saison suivante, arguant qu’elles avaient amélioré leurs rendements et avaient eu un impact positif sur les revenus et la sécurité alimentaire. Dans le même temps, la plupart des agriculteurs ont recommandé que l’on dispense des formations supplémentaires sur la gestion des bananeraies, considérant qu’il s’agit d’une mesure d’appui essentielle.
Sur l’Altiplano de l’État plurinational de Bolivie, pour réduire la mortalité des lamas due au gel, à la neige, aux fortes pluies et aux tempêtes de grêle, de bonnes pratiques ont été mises à l’essai, parmi lesquelles la construction d’abris semi-couverts pour les animaux (corralónes) et le déploiement de pharmacies vétérinaires. Ces pratiques combinées ont été sélectionnées sur la base de leur pertinence agroécologique, liée aux spécificités du lieu et du contexte, et parce que les agriculteurs étaient disposés à les reproduire.
Le rapport avantages-coûts de ces pratiques s’est révélé positif, avec des gains nets cumulés supérieurs de 17 pour cent à ceux des pratiques locales antérieures sur une période de 11 ans (FIGURE 39). De plus, l’analyse a montré que si ces bonnes pratiques étaient reproduites de façon systématique, la mortalité des lamas pourrait être divisée par 12 par rapport à celle enregistrée avec les anciennes pratiques. La généralisation de ces pratiques permettrait en outre de réduire les dommages et les pertes liés à des conditions météorologiques extrêmes intenses et prolongées.
Au Pakistan, de bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe ont été expérimentées pour les cultures de blé, de coton, de riz, de canne à sucre et de légumes et oléagineux, tels que le gombo et le tournesol. Ces essais ont eu lieu pendant les deux principales campagnes agricoles, à savoir la saison sèche (kharif) et la saison humide (rabi) dans des districts des provinces du Punjab et du Sindh, qui sont très vulnérables au changement climatique et comptent parmi les districts les plus vulnérables du bassin de l’Indus. Des analyses avantages-coûts ont été réalisées durant six campagnes agricoles sur sept types de bonnes pratiques de réduction des risques de catastropheao, expérimentés dans des conditions soumises ou non à des aléasap. Elles ont montré que l’une des pratiques les plus performantes en présence et en l’absence d’aléas était la culture maraîchère en polyculture, avec plantation sur ados, utilisation de fumier de ferme et gestion intégrée des organismes nuisibles.
Les résultats montrent que chaque dollar investi dans cet ensemble de bonnes pratiques rapportera respectivement 6,78 dollars et 8,18 dollars de gains, selon que l’on se place dans des conditions soumises à des aléas ou non. Les autres pratiques qui se distinguent par un rapport avantages-coûts supérieur sont la culture du coton avec nivellement assisté par laser, plantation sur ados, gestion intégrée des organismes nuisibles et application de compost, et la culture du blé avec nivellement du sol et gestion intégrée des organismes nuisibles. Ici, chaque dollar investi dans ces pratiques de culture du coton et du blé rapportera, en conditions soumises et non soumises à aléas respectivement, 3,89 et 4,69 dollars pour le coton et 2,67 et 3,22 dollars pour le blé.
Les bonnes pratiques expérimentées ont dégagé des valeurs actuelles nettes positives, affichant des pourcentages d’augmentation compris entre 3 et 99 pour cent par rapport aux pratiques précédentes. Au Pakistan, les pratiques qui ont donné lieu à la plus forte hausse de la valeur actuelle nette ont été la riziculture avec mouillage et séchage alternés, à la fois dans les conditions sans aléas (86 pour cent) et avec aléas (85 pour cent), suivies par la culture du blé avec nivellement du sol et gestion intégrée des organismes nuisibles (54 pour cent sans aléas et 53 pour cent avec aléas). Ces résultats positifs donnent une idée des avantages absolus que les agriculteurs pourraient obtenir en investissant dans ces bonnes pratiques éprouvées. Par exemple, la technique du mouillage et du séchage alternés nécessite moins d’eau, ce qui permet d’économiser la ressource, et présente en outre d’autres avantages tels que la réduction des émissions de méthane et l’amélioration de la fertilité des sols.
En outre, parmi les bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe, la culture du coton avec plantation sur ados et gestion intégrée des organismes nuisibles est celle dont la valeur actuelle nette affiche la plus forte augmentation (99 pour cent) par rapport aux pratiques précédentes dans des conditions soumises à aléas, alors que cette augmentation ne dépasse pas 3 pour cent en conditions sans aléas (FIGURE 40). Le Pakistan a été éprouvé par des températures élevées en juin, mois le plus chaud, au moment de la floraison du coton, conditions qui peuvent entraîner une chute importante de fleurs, un ralentissement de la croissance de la plante et une diminution du nombre de boules de coton et de leur poids, avec pour conséquence d’importantes pertes de rendement. Les agriculteurs qui ont été interrogés après avoir expérimenté les bonnes pratiques ont aussi indiqué que l’emploi de pièges à carte collante jaune double face contre les insectes était un moyen de se protéger des organismes nuisibles à moindre coût. En plus de ses effets positifs sur la production et les revenus, cette bonne pratique a permis de réduire la quantité de main-d’œuvre et de temps nécessaire pour irriguer les cultures, ce qui s’est traduit par une baisse des coûts, rendue possible par des gains d’efficience et l’amélioration de la conservation de l’eau.
S’agissant des avis exprimés par les agriculteurs et des perspectives d’adoption, trois bonnes pratiques ont obtenu une note de 5 sur 5: la riziculture avec mouillage et séchage alternés, la culture du blé avec nivellement du sol et gestion intégrée des organismes nuisibles, et la culture maraîchère en polyculture avec plantation sur ados, utilisation de fumier de ferme et gestion intégrée des organismes nuisibles. Les agriculteurs ont indiqué que ces bonnes pratiques leur procuraient des avantages plus importants, notamment une augmentation de leur production et de leurs revenus et une diminution de leurs besoins en main-d’œuvre, qu’ils cultivaient des aliments de meilleure qualité, plus diversifiés et plus résistants aux contraintes climatiques telles que les périodes sèches et la sécheresse, les fortes pluies et les inondations, et qu’ils étaient mieux à même de lutter contre les ravageurs grâce à la gestion intégrée des organismes nuisibles. Ils ont également fait part de leur intention de réutiliser ces bonnes pratiques à l’avenir.
Aux Philippines, la culture des variétés de riz «Green super rice» (GSR) a été mise à l’essai pendant trois saisons successives dans la région de Bicol (les saisons sèche et humide de 2015 et la saison sèche de 2016). Les essais ont mis en évidence des gains économiques certains et démontré que l’adoption de ces variétés tolérantes à plusieurs contraintes se traduisait par une hausse de la productivité agricole par rapport aux variétés locales, que ce soit en présence ou en l’absence d’aléas. Le rapport avantages-coûts de l’adoption des variétés de riz GSR était plus élevé que celui associé à la culture des variétés locales, aussi bien en saison sèche qu’en saison humide. On constate sur la FIGURE 41 qu’il est très rentable d’adopter les variétés GSR pendant la saison humide lorsque les conditions sont sans aléas. Les exploitations qui ont adopté ces variétés ont enregistré une hausse de presque 60 pour cent de leurs gains nets par rapport aux autres exploitations. Le rapport avantages-coûts s’établit à 6,1 pour les variétés GSR et à 4,6 pour les variétés locales de riz. Pendant la saison sèche, en présence d’aléas, la variété de riz adaptative présente également un rapport avantages-coûts notablement supérieur (3,5) à celui des variétés de riz locales (2,8), les exploitations ayant adopté les variétés GSR enregistrant des gains nets supérieurs de plus de 50 pour cent à ceux des autres exploitations228.
Compte de l’ampleur des gains nets cumulés, il a été décidé de simuler une transposition à plus grande échelle. L’analyse montre que l’extension de la culture des variétés GSR dans la région de Bicol s’accompagnerait d’une augmentation des gains nets moyens annuels, tant en saison sèche qu’en saison humide, par rapport au statu quo. Dans le scénario à aléas très fréquents, l’adoption des variétés de riz GSR dans la région de Bicol procurerait des gains nets moyens annuels jusqu’à 71 pour cent plus élevés pendant la saison sèche et 42 pour cent plus élevés pendant la saison humide (FIGURE 42).
Par rapport aux variétés habituelles, les lignées GSR se comportent remarquablement mieux en présence d’aléas et pourraient éviter aux exploitations des pertes importantes en période sèche. Si l’emploi de ces variétés se généralisait, entre 33 et 129 millions de dollars de pertes potentielles pourraient être évitées chaque année dans la région de Bicol.
Suite à une suggestion préconisant une transposition verticale à plus grande échelle de la culture de variétés GSR dans la région, le Gouvernement des Philippines a intégré dans son programme phare sur le riz un volet d’encouragement au développement de ce type de culture dans des zones ciblées du pays. Il est important de noter que la présence d’une offre étatique étendue de services agricoles dans la région de Bicol a joué un rôle clé dans le processus qui a conduit à l’extension verticale, ou pilotée par le gouvernement, de cette bonne pratique.
Globalement, l’analyse des 1 112 exploitations montre qu’en moyenne, les bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe au niveau des exploitations présentent un intérêt sur le plan économique et sont capables d’apporter des avantages supplémentaires, même en l’absence d’aléas. Elles sont en moyenne 2,2 fois plus performantes que les pratiques habituelles en présence d’aléas (peu intenses et très fréquents). Non seulement la quasi-totalité des bonnes pratiques présentent des valeurs actuelles nettes positives, mais par rapport aux pratiques précédemment utilisées, elles affichent également, dans la plupart des cas, des pourcentages élevés d’augmentation de la valeur actuelle nette. En termes monétaires (dollars), le rapport avantages-coûts s’élève à 3,6 en présence d’aléas et grimpe à 4,3 sans aléas (FIGURE 41).
Il faut que les mesures de réduction des risques, comme celles qui sont analysées ici, soient reproduites à grande échelle et généralisées pour que l’on puisse en exploiter tout le potentiel. Par conséquent, des politiques de soutien sont nécessaires pour remédier aux difficultés et aux obstacles qui empêchent les agriculteurs d’adopter ces mesures.
À cet égard, il convient également de préciser que les bonnes pratiques et technologies ne peuvent être transposées à plus grande échelle que si elles offrent des débouchés commerciaux viables aux agriculteurs, en particulier aux petits exploitants et aux communautés les plus vulnérables qui vivent de l’agriculture. Bien souvent, ces agriculteurs exercent leurs activités dans des conditions difficiles, sans marchés pour écouler leurs produits et avec un accès limité aux intrants essentiels à la production. Il faut pouvoir démontrer la viabilité économique et sociale des innovations et des bonnes pratiques pour assurer la viabilité de leur transposition à plus grande échelle, au-delà de mesures d’incitation ou de projets spécifiques.
Pour que les mesures de réduction des risques de catastrophe puissent être étendues, les institutions gouvernementales concernées doivent être informées et adhérer aux avantages sociaux, économiques et environnementaux qui en découlent, notamment afin que les mesures perdurent même sans aide des donateurs. La formation et la sensibilisation peuvent être utiles pour examiner et démontrer la viabilité des mesures proposées dans des contextes spécifiques. Les programmes d’appui à la vulgarisation pour les agriculteurs peuvent faciliter le déploiement des pratiques et des technologies de réduction des risques de catastrophe.
La combinaison de mesures de réduction des risques de catastrophe et de programmes de protection sociale pourrait également être une piste très intéressante. La protection sociale peut favoriser l’adoption de pratiques de gestion des risques de catastrophe globales, inclusives et d’un bon rapport coût-efficacité de différentes manières: i) en délivrant une aide soit en prévision, soit à la suite d’un choc ou d’une catastrophe; ii) en facilitant les opérations de relèvement et de reconstruction après une catastrophe, par exemple dans le cadre de programmes de travaux publics; et iii) en aidant les autorités publiques dans leurs efforts en matière de préparation à la gestion des catastrophes, notamment en veillant à ce que les systèmes soient prêts à fonctionner en cas de choc.
En Éthiopie, par exemple, les programmes de protection sociale comprennent un volet «travaux publics» qui vise à réduire la vulnérabilité et l’exposition des participants, des communautés et des moyens d’existence locaux en remédiant notamment à la dégradation de l’environnement. Ce type d’intégration pourrait être reproduit dans d’autres contextes.
Plus généralement, il est important que les pratiques de réduction des risques de catastrophe soient développées et intégrées de façon systématique dans l’environnement politique et institutionnel. Comprendre les principes d’économie politique qui sous-tendent la réduction des risques de catastrophe et l’adaptation au changement climatique en procédant à des analyses de la gouvernance et, le cas échéant, en appuyant l’intégration de ces facteurs afin de réduire les pertes de production agricole imputables aux catastrophes et au changement climatique est utile pour identifier les possibilités d’action intégrée envisageables en cas de goulets d’étranglement.