Alors que les catastrophes se font plus fréquentes et plus intenses, on s’attend également à ce que leurs effets s’aggravent, à l’heure où l’humanité, confrontée au réchauffement de la planète, se résigne à devoir composer avec l’incertitude entourant les risques qui pèsent sur elle tout en sachant que les ressources biologiques et écologiques finiront par se tarir. D’après la Base de données sur les situations d’urgence (EM-DAT) du Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres (CRED), le nombre de catastrophes recensées chaque année dans le monde est passé d’une centaine dans les années 1970 à 400 environ au cours des deux dernières décennies.
Avec la publication de ce nouveau rapport phare, intitulé L’Impact des catastrophes sur l’agriculture et la sécurité alimentaire, la FAO poursuit son engagement à promouvoir un avenir plus inclusif, plus résilient et plus durable pour l’agriculture. Ce document, qui fait suite à trois publications antérieures de l’Organisation sur ce sujet, vise à structurer et à diffuser les connaissances disponibles relatives aux incidences des catastrophes sur l’agriculture afin d’encourager les investissements fondés sur des éléments probants dans le domaine de la réduction des risques de catastrophe.
Les risques de catastrophe dépendent d’interactions complexes entre, d’une part, l’environnement naturel et bâti et, d’autre part, la société et ses composantes, telles que les comportements, les fonctions, les organisations et le développement. Leur probabilité est déterminée en fonction du danger, de l’exposition, de la vulnérabilité et des capacités existantes. Une catastrophe est une perturbation grave du fonctionnement d’une communauté ou d’une société à n’importe quel niveau par suite d’événements dangereux, dont les répercussions dépendent des conditions d’exposition, de la vulnérabilité et des capacités de la communauté ou de la société concernée, et qui peuvent provoquer des pertes humaines ou matérielles ou avoir des conséquences sur les plans économique ou environnemental.
L’agriculture est principalement exposée aux aléas météorologiques, hydrologiques, géophysiques, environnementaux et biologiques, bien que les aléas sociétaux, tels que les conflits armés, et les aléas technologiques et chimiques constituent également des menaces potentielles. L’ampleur des pertes et des dommages causés par une catastrophe dépend de la vitesse et de l’échelle spatiale auxquelles un aléa interagit avec les conditions de vulnérabilité et les risques préexistants, ainsi que de la quantité de biens matériels ou de moyens d’existence exposés.
L’impact des catastrophes est aussi influencé par la nature systémique et interconnectée de l’environnement de risque actuel. Lorsque des aléas surviennent, ils peuvent avoir des effets en cascade sur plusieurs systèmes et secteurs dans un périmètre donné et au-delà. Parmi les facteurs de risque sous-jacents figurent notamment le changement climatique, la pauvreté et les inégalités, la croissance démographique, les situations d’urgence sanitaire causées par les pandémies, les pratiques non durables, notamment en matière d’utilisation et de gestion des terres, les conflits armés et la dégradation de l’environnement.
Dans le monde entier, l’agriculture est exposée à des risques croissants de perturbation liée à de multiples aléas et menaces, tels que les inondations, les pénuries d’eau, les sécheresses, la baisse des rendements agricoles, le déclin des ressources halieutiques, l’appauvrissement de la biodiversité et la dégradation de l’environnement. Les variations dans l’approvisionnement en eau et les températures extrêmes sont deux des principaux facteurs qui influent directement et indirectement sur la production agricole. Les inondations et les fortes précipitations peuvent avoir des impacts positifs comme négatifs sur les systèmes et la productivité agricoles. La sécheresse agricole est le résultat d’un déficit pluviométrique (sécheresse météorologique), d’un déficit hydrique du sol et d’une diminution du niveau des nappes phréatiques ou des réservoirs d’eau servant à l’irrigation (sécheresse hydrologique). Les épisodes de températures extrêmes ont aussi des conséquences négatives sur la production agricole. Dans le sous-secteur de l’élevage, le stress thermique peut influer sur la mortalité, le gain de poids vif, le rendement laitier et la fertilité des animaux.
Des éléments probants indiquent que les tendances actuelles en matière de réchauffement de la planète ont déjà un impact sur l’agriculture. Une étude récente a montré que les pertes de production végétale dues aux vagues de chaleur et aux sécheresses ont été multipliées par trois environ, passant de 2,2 pour cent entre 1964 et 1990 à 7,3 pour cent entre 1991 et 2015. En outre, les catastrophes ont des répercussions sur les moyens d’existence, la sécurité alimentaire et la nutrition. Elles entraînent une augmentation du chômage rural, une baisse des revenus des exploitants et des travailleurs agricoles et une diminution des disponibilités alimentaires sur les marchés locaux.
Dans certaines situations extrêmes, les catastrophes entraînent le déplacement et l’émigration des populations rurales, à l’image de ce qui s’est produit dans la province du Sindh dans le sud du Pakistan, où des phénomènes à évolution lente se sont combinés à d’autres phénomènes brutaux et ont provoqué des déplacements de populations, ce qui a perturbé les systèmes alimentaires et aggravé l’insécurité alimentaire.
Comme on le constate à la lecture de l’ENCADRÉ 3, les femmes sont souvent les plus gravement touchées par les catastrophes. Les principaux facteurs à l’origine de ces disparités fondées sur le genre tiennent au manque de ressources et aux contraintes structurelles. Les femmes sont confrontées à divers obstacles qui font qu’elles peinent à accéder aux informations et aux ressources nécessaires pour bien se préparer aux catastrophes, y faire face et s’en relever, notamment à accéder aux systèmes d’alerte rapide et aux abris, ainsi qu’aux mécanismes de protection sociale et financière et à d’autres possibilités d’emploi.
Pour pouvoir élaborer des stratégies de réduction des risques de catastrophe et d’adaptation aux effets du changement climatique, il faut dans un premier temps comprendre l’ampleur des conséquences de ces anomalies météorologiques et de ces phénomènes extrêmes sur l’agriculture. Bien que plusieurs bases de données rendent compte des conséquences des catastrophes, les pertes qui touchent l’agriculture et ses sous-secteurs sont à l’heure actuelle soit partiellement évaluées, soit comptabilisées dans les pertes économiques totales dans les bases de données mondiales existantes consacrées aux catastrophes d’origines diverses. Le manque de données et de cohérence figure au rang des limites connues des référentiels internationaux existants, tels que les bases de données EM-DAT et DesInventar ou celles de la Banque mondiale et de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que des bases de données gérées par des groupes de réassurance mondiaux et celles établies au niveau national.
Actuellement, on utilise deux types de méthodes pour recueillir des informations sur les pertes découlant de catastrophes dans le domaine de l’agriculture. Le premier correspond aux évaluations des besoins qui sont menées après des catastrophes. Le deuxième, qui a été élaboré par la FAO en coordination avec le Bureau des Nations Unies pour la prévention des catastrophes, permet de mesurer l’indicateur C2 du système de suivi du Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030 (ci-après le «Cadre de Sendai»).
Les données issues des évaluations des besoins après des catastrophes menées de 2007 à 2022 montrent que les pertes agricoles représentent 23 pour cent en moyenne de l’ensemble des impacts des catastrophes, tous secteurs confondus, et que plus de 65 pour cent des pertes causées par les sécheresses touchent le secteur agricole. Lors de catastrophes causées par des inondations, des tempêtes, des cyclones et des activités volcaniques, environ 20 pour cent des pertes subies le sont dans le secteur agricole, ce qui montre combien les sécheresses ont un impact disproportionné sur le secteur. Lorsqu’on s’intéresse aux sous-secteurs, on constate que ce sont la production végétale et la production animale qui enregistrent le plus de pertes, mais il est possible que le sous-secteur de la pêche et de l’aquaculture et celui des forêts aient été quelque peu négligés dans ces évaluations.
Sur 195 pays, 82 ont communiqué des données relatives aux pertes agricoles directes dues aux catastrophes (indicateur C2 du Cadre de Sendai), et 38 d’entre eux ont communiqué des données sous-sectorielles. D’après les données du système de suivi du Cadre de Sendai, les pertes agricoles attribuables aux catastrophes se chiffrent au total à 13 milliards de dollars des États-Unis (ci-après «dollars») par an en moyenne et sont principalement causées par les inondations (16 pour cent), les feux et incendies de forêt (13 pour cent) et les sécheresses (12 pour cent). Les chiffres tirés des évaluations des besoins après des catastrophes comme ceux provenant du suivi de l’indicateur C2 sont vraisemblablement très loin de la réalité, compte tenu des lacunes et des retards dans la communication des données.
Les données sur les pertes et les dommages n’étant pas collectées de manière systématique, les auteurs du rapport se sont appuyés sur les données tirées des outils EM-DAT et FAOSTAT pour établir une première évaluation quantitative de l’impact des catastrophes sur la production agricole à l’échelon mondial, plus particulièrement dans les sous-secteurs des cultures et de l’élevage. Les baisses de productivité moyennes par produit au niveau national sont comparées aux données d’un scénario contrefactuel dans lequel ne survient aucune catastrophe.
Les pertes mondiales pour la période 1991-2021 se chiffrent au total à 3 800 milliards de dollars, soit environ 123 milliards de dollars par an. Cette valeur équivaut à 5 pour cent du PIB agricole mondial – et à près de 300 millions de tonnes de pertes au total par an –, ce qui correspond au PIB en valeur réelle du Brésil en 2022. Les pertes n’ont que peu augmenté dans l’ensemble par rapport au début des années 1990, mais le nombre de pays et de produits concernés a augmenté. La fréquence et la covariance des phénomènes extrêmes qui génèrent des pertes dans les sous-secteurs des cultures et de l’élevage dans le monde semblent augmenter.
On observe une évolution à la hausse des pertes pour les principales catégories de produits agricoles. Les pertes annuelles dans la catégorie des céréales se sont chiffrées à 69 millions de tonnes en moyenne au cours des 30 dernières années, soit l’équivalent de l’ensemble de la production céréalière française en 2021. Viennent ensuite les pertes dans la catégorie des fruits et légumes et dans celle des plantes sucrières, qui se sont élevées en moyenne pour chacune d’elles à près de 40 millions de tonnes par an. Concernant les fruits et les légumes, ce chiffre équivaut à l’ensemble de la production du Japon et du Viet Nam pour cette catégorie de produits au cours de l’année 2021. Les pertes moyennes pour ce qui est de la viande, des produits laitiers et des œufs sont estimées à 16 millions de tonnes par an, ce qui correspond à l’ensemble de la production réalisée en 2021 dans ces catégories par le Mexique et l’Inde réunis.
Les pertes mondiales cachent des disparités importantes entre les régions, les sous-régions et les groupes de pays. L’Asie est de loin la région qui enregistre la part la plus importante des pertes économiques totales, puisqu’elle équivaut pratiquement au volume des pertes subies par l’Afrique, l’Europe et l’Amérique réunies. Cependant, les pertes ne représentent que 4 pour cent du PIB agricole (valeur ajoutée) en Asie, alors qu’elles comptent pour près de 8 pour cent du PIB agricole en Afrique. En valeur absolue, les pertes sont plus importantes dans les pays à revenu élevé, les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Cependant, c’est dans les pays à faible revenu, et en particulier dans les PEID, que les pertes en proportion de la valeur ajoutée agricole sont les plus importantes. En comparaison avec les estimations contrefactuelles, les pertes de production semblent particulièrement importantes dans plusieurs régions du continent africain, principalement l’Afrique de l’Est, l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest, ainsi qu’en Micronésie et dans les Caraïbes.
Il est impossible d’établir des liens entre les pertes et certains types d’aléas en se basant sur les estimations relatives aux sous-secteurs des cultures et de l’élevage, compte tenu notamment de la difficulté de dissocier les impacts découlant de différentes catastrophes survenues la même année. D’après les résultats d’un modèle de régression à effets mixtes, on observe que les températures extrêmes et les sécheresses sont, au niveau mondial, les aléas qui engendrent les impacts les plus importants par phénomène, suivies des inondations, des tempêtes et des incendies de forêt.
Les pertes enregistrées à l’échelle mondiale dans la production végétale et animale sont converties pour déterminer les pertes correspondantes en énergie et en micronutriments (neuf valeurs) au regard de la consommation humaine. Les pertes de produits agricoles du fait des catastrophes sont transformées en valeurs nutritionnelles à partir du tableau mondial de conversion des nutriments, lequel établit les valeurs nutritionnelles des principales denrées alimentaires. Il est important de souligner que l’accent est mis ici sur les disponibilités de nutriments et d’énergie alimentaire et non sur la modification des habitudes de consommation due aux catastrophes. Selon les estimations réalisées, le déficit d’énergie alimentaire s’est chiffré à environ 147 kilocalories (kcal) par personne et par jour au cours des 31 dernières années. Pour donner un ordre de grandeur, cela représente les besoins alimentaires quotidiens d’environ 400 millions d’hommes ou de 500 millions de femmes. Rapportées aux besoins quotidiens, les pertes en nutriments semblent particulièrement importantes en ce qui concerne le fer, le phosphore, le magnésium et la vitamine B1. Au niveau régional, les déficits nutritionnels estimés résultant de la production perdue à cause de catastrophes atteignent quelque 31 pour cent en Asie et en Amérique, 24 pour cent en Europe, 11 pour cent en Afrique et 3 pour cent en Océanie.
Dans le sous-secteur de la pêche et de l’aquaculture et dans celui des forêts, le manque de données nous empêche de réaliser des évaluations similaires à celles qui ont été menées concernant les cultures et l’élevage. Les informations qui sont présentées sur les conséquences des catastrophes dans ces deux sous-secteurs ont par conséquent été tirées d’ouvrages publiés ainsi que d’analyses de cas concrets offrant des données factuelles.
Les forêts sont extrêmement vulnérables aux répercussions des catastrophes et du changement climatique, mais ont aussi un rôle central dans la réduction et l’atténuation des risques. Les incendies et les infestations d’insectes sont les deux principaux dangers qui menacent les forêts. La plupart des aléas qui touchent ce sous-secteur découlent de facteurs météorologiques, de la variabilité du climat à long terme et de l’activité humaine, notamment des changements d’affectation des terres, des pratiques en matière de gestion des terres et de l’introduction d’espèces envahissantes. Toutefois, selon les données de l’édition 2020 de l’Évaluation des ressources forestières mondiales, seuls 58 pays, représentant 38 pour cent de la superficie forestière mondiale, assurent actuellement un suivi de la dégradation des forêts due à l’exploitation forestière, aux incendies, aux maladies ou aux infestations d’insectes. S’il est difficile de rassembler des données concernant les impacts des catastrophes sur les forêts, cela s’explique notamment par le recours à des approches disparates pour évaluer les pertes et les dommages, par une application insuffisante des bonnes méthodes et par une couverture parcellaire des impacts.
Les incendies de forêt, qui sont favorisés par la densité démographique croissante à l’interface des espaces naturels et des zones urbaines, occasionnent des dommages de plus en plus importants pour l’environnement, la faune et la flore sauvages, la santé humaine et les infrastructures. Chaque année, quelque 340 à 370 millions d’hectares partent en fumée aux quatre coins du globe, et 25 millions d’hectares de terres forestières ont brûlé au cours de la seule année 2021. D’après les récentes constatations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les conditions climatiques plus chaudes, plus sèches et plus venteuses deviennent plus fréquentes dans certaines régions et cette tendance ira en s’intensifiant si les pays ne parviennent pas à respecter, voire dépasser les engagements qu’ils ont pris au titre de l’Accord de Paris. L’Afrique est nettement plus touchée par les incendies de forêt que les autres continents, près de 70 pour cent de tous les feux d’espaces naturels qui se produisent dans le monde étant recensés sur son territoire. Elle est suivie par l’Australie et l’Amérique du Sud, qui enregistrent 21 pour cent des incendies de forêt. On observe parallèlement que 59 pour cent de tous les incendies survenus de 2002 à 2019 ont eu lieu dans des pays parmi les moins avancés, ce qui suggère l’existence d’une corrélation entre le risque d’incendie, le faible niveau de revenu et les conditions de gestion des ressources. Les mesures de réduction des risques qui permettent de s’attaquer aux causes sous-jacentes des incendies peuvent contribuer à éviter des pertes et des dommages considérables.
Les dommages causés par les espèces envahissantes aux forêts peuvent avoir des conséquences économiques catastrophiques, mais il est extrêmement difficile de définir des seuils au-delà desquels une présence tolérable de ravageurs devient une infestation. Actuellement, les dégâts provoqués par les organismes nuisibles et les maladies sont établis à partir de données sur la superficie ravagée, le volume de mortalité des arbres ou les répercussions économiques: il n’existe pas de système harmonisé pour rendre compte des impacts. Dans l’ensemble, les données sur les foyers de maladies ou d’insectes ravageurs sont limitées, en particulier dans les pays en développement. Dans les pays à revenu élevé, il est fait état de pertes importantes. Ainsi, selon certaines études, la valeur nette des répercussions économiques liées aux organismes nuisibles en Nouvelle-Zélande se chiffrerait à 3,8 milliards de dollars néo-zélandais et devrait atteindre, d’après les projections, 20,3 milliards en 2070. On estime également que les dommages provoqués par les espèces envahissantes viennent grever l’économie du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de plus de 2,2 milliards de dollars par an.
Pour évaluer l’incidence des catastrophes sur les forêts, il faut avoir en main toute une série de données et d’indicateurs, qui couvrent notamment les impacts directs sur les moyens de production et les conséquences sur la production de bois, et mettre en œuvre des méthodes normalisées d’évaluation des impacts sur les services écosystémiques. Lorsqu’on évalue les pertes après une catastrophe de grande ampleur dans le sous-secteur forestier, il est important de tenir compte du fait que l’on peut généralement récupérer une partie importante du bois d’œuvre endommagé. La production de bois d’œuvre ne recule pas toujours à proportion du nombre d’arbres détruits après une catastrophe et on observe plutôt une hausse des ventes de bois d’œuvre au lendemain de ces phénomènes, les volumes mis sur le marché étant plus importants que d’ordinaire.
La FAO s’emploie à faire mieux connaître une méthode spécifique de collecte de données et d’évaluation des pertes et dommages afin d’améliorer et de normaliser l’estimation des pertes dues aux catastrophes dans le sous-secteur forestier. Cette méthode permet de réaliser une évaluation de l’état des ressources forestières dans le cadre de laquelle une distinction est établie entre la valeur du bois sur pied parvenu à maturité et commercialisable et celle du bois sur pied qui n’a pas encore atteint l’âge de rotation lorsque le dommage survient.
La pêche de capture sauvage et l’aquaculture sont vulnérables à de nombreuses catastrophes soudaines ou à évolution lente, y compris aux tempêtes, aux tsunamis, aux inondations, aux sécheresses, aux vagues de chaleur, au réchauffement, à l’acidification et à la désoxygénation des océans, à la variabilité des précipitations et des disponibilités en eau douce, et à l’intrusion d’eau salée dans les zones côtières. L’un des principaux facteurs de risque écosystémique pour la pêche de capture est l’intensité et la fréquence croissantes des vagues de chaleur marines, qui menacent la biodiversité et les écosystèmes du milieu, rendent plus probables les phénomènes météorologiques extrêmes et nuisent à la pêche et à l’aquaculture. Dans l’aquaculture, les impacts à court terme peuvent se traduire par des pertes qui touchent la production et les infrastructures, ainsi que par des risques accrus de développement de maladies, de parasites et d’efflorescences algales nuisibles.
Les phénomènes extrêmes et le changement climatique ont des incidences directes sur la répartition, l’abondance et la santé des poissons sauvages, ainsi que sur la viabilité des processus et des stocks aquacoles. Le changement et la variabilité climatiques ainsi que les phénomènes météorologiques extrêmes constituent des menaces concomitantes qui compromettent le développement durable de la pêche de capture et de l’aquaculture en milieu marin ou dulcicole. Dans le même temps, la reprise rapide de la pêche après une catastrophe peut assurer un approvisionnement en aliments nutritifs et créer des emplois, tout en aidant la population locale à retrouver plus vite un niveau d’activité économique normal.
Les efflorescences algales nuisibles sont des phénomènes de prolifération d’algues – organismes photosynthétiques simples se développant en milieu marin et en eau douce –, qui ont des effets toxiques et préjudiciables pour l’être humain, les poissons, les mollusques et crustacés, les mammifères marins et les oiseaux. En mars 2021 par exemple, des langoustes du Cap se sont échouées sur la côte ouest de l’Afrique du Sud (500 tonnes au total) en raison de ce phénomène. Par ailleurs, les rapports sur l’évaluation des besoins établis à la suite de trois typhons qui ont frappé les Philippines au cours des cinq dernières années – Kammuri (connu localement sous le nom de Tisoy) en 2019, Goni en 2020 et Rai (Odette) en 2021 –, font apparaître clairement la nécessité de mettre davantage en lumière les impacts sur les communautés de pêcheurs et d’aquaculteurs, y compris les besoins et les priorités propres à ce sous-secteur d’activité. L’éruption le 15 janvier 2022 du volcan sous-marin Hunga Tonga-Hunga Ha’apai aux Tonga constitue un autre exemple éloquent. Dans son rapport initial d’évaluation post-catastrophe produit en février 2022, le Ministère des pêches des Tonga a mis l’accent sur les dommages causés aux moyens de production du secteur halieutique (embarcations de pêche artisanale, navires de pêche au thon et au vivaneau, moteurs, engins de pêche). D’après les estimations, le montant total des dégâts dans le sous-secteur de la pêche et de l’aquaculture s’est élevé à 4,6 millions de dollars.
Les risques sont omniprésents et progressent plus vite que nos efforts pour les réduire. Les risques mondiaux tels que le changement climatique, la dégradation de l’environnement et l’appauvrissement de la biodiversité sont de nature existentielle et contribuent à l’aggravation du risque de catastrophe. Au-delà des conséquences directes des catastrophes, les effets indirects en cascade sont également substantiels, même au niveau mondial. Pouvoir se protéger des risques suppose non seulement d’évaluer les effets directs des catastrophes, mais aussi de comprendre comment ces effets se répercutent en cascade au sein d’un même secteur et d’un secteur à l’autre ainsi que dans les différentes zones géographiques, de mettre au jour les interactions entre les éléments des systèmes touchés lors d’un phénomène dangereux et d’appréhender les facteurs systémiques à l’origine des risques. La troisième partie du présent rapport s’intéresse au changement climatique, aux conséquences des aléas biologiques – avec l’exemple de la pandémie de covid-19 et de l’épidémie de peste porcine africaine – et aux conflits armés qui amplifient les risques de catastrophe et qui entraînent des pertes et des dommages substantiels dans le secteur agricole et les systèmes agroalimentaires.
Le changement climatique contribue à une augmentation de l’incidence des aléas, qui accentue le niveau de vulnérabilité et d’exposition et réduit la capacité de réaction des personnes et des systèmes. La science de l’attribution, qui est définie comme l’évaluation et la communication des liens avec le changement climatique, offre un point de départ pour estimer les effets du changement climatique sur les rendements agricoles et déterminer la mesure dans laquelle la production agricole subit l’influence des phénomènes extrêmes et à évolution lente. L’analyse réalisée évalue les effets du changement climatique sur les niveaux de rendement en comparant les rendements observés avec les distributions des rendements factuels et contrefactuels estimés pour les cultures du soja en Argentine, du blé au Kazakhstan et au Maroc et du maïs en Afrique du Sud. Une réserve importante s’impose néanmoins concernant les résultats: l’estimation de ces effets attribués est entourée d’une grande incertitude, et bien que l’on n’ait pas tenté de quantifier l’incertitude pour cette évaluation, tous les résultats doivent être considérés comme des approximations.
En Argentine, selon les données du modèle, les variations observées en matière de températures hautes et basses, d’intensité de pluie et de sécheresse expliquent la plus grande partie des variations enregistrées des rendements du soja dans les principales provinces productrices du pays. D’après les résultats obtenus, au cours de la période 2000-2019, le changement climatique a entraîné une hausse des rendements moyens inférieure à 0,1 tonne par hectare, équivalente à environ 3 pour cent du rendement moyen observé sur la période. Les résultats indiquent également, avec incertitude toutefois, que la probabilité de voir des anomalies de rendement en Argentine qui se situent à un niveau aussi faible ou plus faible que celles de 2018 a peut-être diminué de moitié environ en raison du changement climatique. Il convient toutefois de noter que le modèle de rendement utilisé ne saisit qu’une partie de l’anomalie de rendement enregistrée.
Au Kazakhstan, les résultats montrent qu’une part substantielle des variations de rendement du blé enregistrées dans l’oblasta ayant le plus haut volume de production peut s’expliquer par des variations du nombre de degrés-jours de croissanceb, la variabilité des températures et des précipitations, le froid et la sécheresse. Dans ce cas, le changement climatique a fait baisser la moyenne des rendements d’environ 0,1 tonne par hectare entre 2000 et 2019, ce qui représente plus de 10 pour cent du rendement moyen observé au cours de cette période.
Le modèle montre que la variabilité des rendements du blé relevée dans les principales régions productrices du Maroc s’explique en grande partie par les variations de température, les températures élevées, la sécheresse et les fortes précipitations. Les données font apparaître que, sur la période 2000-2019, le changement climatique a provoqué une baisse des rendements moyens inférieure à 0,1 tonne par hectare, soit environ 2 pour cent du rendement moyen observé au cours de cette période.
Le modèle montre qu’en Afrique du Sud, une large part des variations de rendement observées pour le maïs dans les principales provinces productrices peut s’expliquer par des variations du nombre de degrés-jours de croissance, la variabilité des températures, le froid, la sécheresse et les fortes précipitations. Le changement climatique a eu un effet négatif statistiquement significatif sur les rendements du maïs dans le pays. Le modèle semble indiquer que, entre 2000 et 2019, le changement climatique a fait baisser les rendements moyens de plus de 0,2 tonne par hectare, soit plus de 5 pour cent du rendement moyen observé au cours de cette période, et que les effets néfastes du changement climatique ont été encore plus marqués pendant les années les moins productives. En somme, les résultats donnent à penser que le changement climatique est peut-être déjà en train d’aggraver les pertes agricoles et qu’il est important d’investir dans des mesures visant à atténuer les pertes et les dommages.
La présente section décrit et analyse les conséquences que la pandémie de covid-19 et l’épidémie de peste porcine africaine, survenues récemment, ont eues sur l’agriculture et la sécurité alimentaire. Une première évaluation réalisée à partir des enquêtes du Système d’information pour les données sur les situations d’urgence (DIEM) de la FAO indique que la pandémie de covid-19 a perturbé les systèmes alimentaires par des pénuries de main-d’œuvre, en restreignant les déplacements de la main-d’œuvre saisonnière, ce qui a surtout touché les systèmes de production nécessitant beaucoup de travailleurs. Une analyse transnationale réalisée dans 11 pays en situation d’insécurité alimentaire a montré que la pandémie avait ébranlé la sécurité alimentaire et les moyens d’existence tout autant que peuvent le faire des conflits ou des catastrophes naturelles. Les éleveurs et les producteurs de cultures commerciales ont fait partie des groupes les plus lourdement touchés; ils ont signalé des difficultés à accéder aux intrants, à vendre leurs produits et à accéder aux pâturages, en raison des restrictions de déplacement, et à atteindre les marchés internationaux. D’autres évaluations des mesures de confinement mises en place du fait de la pandémie dans divers pays ont confirmé que ces derniers avaient dû faire face à une contraction des approvisionnements en intrants agricoles, à des pénuries de main-d’œuvre et à une diminution de la fourniture de services vétérinaires.
Les perturbations touchant le transport et la logistique des produits agricoles ont fait chuter les prix à la production. En parallèle, les prix de détail ont augmenté, ce qui a eu un effet négatif sur les revenus des agriculteurs compte tenu de la hausse du coût de la vie. Les superficies ensemencées ont eu davantage tendance à baisser pour les céréales et les légumes que pour les cultures fruitières ou commerciales, ce constat étant particulièrement vrai pour les cultures commerciales puisque celles-ci sont principalement produites pour leur valeur marchande plutôt que pour l’autoconsommation. Lorsque les restrictions liées à la pandémie de covid-19 ont été mises en place au cours de la principale période des semis, on a clairement observé une réduction des superficies ensemencées. À la suite des restrictions de rassemblement, la probabilité que les agriculteurs déclarent avoir ensemencé une superficie inférieure ou très inférieure est passée d’environ 22 pour cent sans restrictions de rassemblement à quelque 50 pour cent en cas de restrictions très rigoureuses. De même, la probabilité d’une plus grande récolte n’était plus que de 56 pour cent pour les agriculteurs situés dans des régions soumises à des restrictions de rassemblement, par comparaison avec ceux qui se trouvaient dans des zones qui n’étaient pas soumises à ces restrictions lors de la récolte. Enfin, la probabilité que les agriculteurs signalent des difficultés d’accès aux intrants agricoles a aussi considérablement augmenté.
Parmi les maladies animales transfrontières, la peste porcine africaine s’est révélée particulièrement dévastatrice. Depuis janvier 2020, la maladie a été signalée dans 35 pays sur les cinq continents, ses effets se faisant surtout sentir en Asie. Entre le 3 août 2018, date de l’apparition des premiers cas de peste porcine africaine en Chine, et le 1er juillet 2022, un total de 218 foyers a été signalé au Système mondial d’information sanitaire de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). L’abattage de 1,2 million de porcs (données de 2019) a entraîné de lourdes pertes économiques. Il est apparu clairement à la fin de l’année 2019 qu’il était devenu impossible de répondre à la demande de viande porcine au niveau national compte tenu de la flambée des prix moyens du porc et de la viande de porc, respectivement en hausse de 161 et 141 pour cent par rapport à la situation pré-épidémique.
Selon les résultats obtenus grâce à l’outil OutCosT (de l’anglais Outbreak Costing Tool) – un outil permettant d’estimer les coûts liés à l’apparition d’un foyer épidémique – on évalue à 8,6 millions de dollars le coût des flambées de peste porcine africaine dans la province de Lào Cai (Viet Nam) en 2019. Aux Philippines, la maladie a d’abord touché 10 provinces en 2019, avant de s’étendre à 32 provinces à la fin de l’année suivante. Le coût approximatif des foyers de peste porcine africaine apparus dans le pays en 2020 s’est situé dans une fourchette allant de 194 à 507 millions de dollars.
Les conflits armés actifs – qui englobent les troubles civils, les changements de régime, les conflits entre États et les guerres civiles – n’ont jamais été aussi nombreux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si le risque de conflit armé n’entre pas dans le champ d’application du Cadre de Sendai, il convient toutefois d’examiner de plus près les interactions entre les conflits et les risques de catastrophe, particulièrement en ce qui concerne les dommages et les pertes. De plus en plus de stratégies et de plans nationaux, régionaux et sectoriels de réduction des risques de catastrophe prennent en compte les aléas sociétaux. À titre d’exemple, nous pouvons citer le projet de stratégie nationale de la République centrafricaine ainsi que les stratégies nationales en matière de réduction des risques de catastrophe adoptées par l’Iraq et par l’Afghanistan.
Les conflits peuvent rendre les sociétés plus vulnérables aux catastrophes, car les infrastructures sont détruites, la pauvreté s’accroît et les investissements à long terme dans la réduction des risques de catastrophe ne sont plus jugés importants, ou bien ne peuvent être financés. Ils peuvent également entraîner une situation de chaos ou une dégradation des moyens d’existence et ainsi créer un terrain favorable à l’adoption de pratiques agricoles non durables qui concourent à l’augmentation des risques de catastrophe. Par ailleurs, dans la mesure où les conflits armés restreignent l’accès à la terre, poussent les populations à se déplacer et perturbent l’accès aux soins de santé et aux systèmes de protection sociale, il faut garder à l’esprit les implications plus vastes qu’ils peuvent avoir sur le plan des dommages et des pertes. Il peut également arriver qu’une catastrophe entraîne le prolongement d’un conflit en cours, notamment lorsqu’elle conduit à une pénurie de ressources.
Mettant en lumière l’importance du contexte et des particularités locales dans l’influence que peuvent avoir les catastrophes sur la dynamique des conflits, une étude approfondie sur l’Afrique et l’Asie a montré que la sécheresse locale augmentait la probabilité que la violence sévisse durablement parmi les groupes tributaires de l’agriculture et les groupes politiquement exclus dans les pays très pauvres. Le contexte géopolitique général a une incidence sur le fonctionnement des systèmes agroalimentaires, en ce sens qu’il influe fréquemment sur la configuration des conflits armés au niveau local, en parallèle aux effets de nature plus macroéconomique qu’il exerce sur les flux commerciaux en raison de l’interconnectivité du commerce mondial. Les systèmes agroalimentaires ont tendance à devenir imprévisibles lorsque les conflits les soumettent à des tensions répétées.
Les évaluations de l’impact des conflits armés sur l’agriculture intègrent les dégâts liés à l’endommagement et à la destruction du matériel et des infrastructures, ainsi que la perte de moyens de production, par exemple la perte de bétail. Il y a cependant d’autres conséquences sur l’agriculture qui ont des effets à plus long terme, liés notamment aux déplacements forcés et à la disponibilité de la main-d’œuvre agricole. Des outils et des orientations ont été élaborés afin d’adapter les évaluations des besoins après des catastrophes à des environnements opérationnels complexes, notamment en cas de conflit armé. Ces ressources expliquent comment s’assurer que les activités et les interventions mises en place à la suite d’une catastrophe ne viennent pas alimenter la dynamique d’un conflit.
Ces dernières décennies, les sécheresses récurrentes, l’insécurité alimentaire et le risque de famine qui en découle ont formé un cycle dévastateur et de plus en plus intenable en Somalie. Entre la famine de 2011 et la grande sécheresse de 2016-2017, on estime que 4,5 milliards de dollars environ ont été consacrés à des interventions d’urgence vitales. En 2017, une évaluation multisectorielle des dommages et des pertes menée sous la coordination générale du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a conclu que les dommages et les pertes subis par le secteur agricole frôlaient les 2 milliards de dollars au total.
Peu de temps après le début des soulèvements en 2011, la République arabe syrienne s’est enfoncée dans un bourbier de conflits complexes. Cinq années plus tard, la FAO a réalisé une évaluation détaillée des dommages et des pertes, qui lui a permis de conclure que, jusqu’alors, la crise avait causé 16 milliards de dollars de dommages dans le secteur agricole, soit un tiers du PIB syrien en 2016. Les conséquences financières les plus importantes étaient celles liées aux pertes (9,21 milliards de dollars), même si les dommages subis par le pays se chiffraient à hauteur de 6,83 milliards de dollars.
Les conséquences de la guerre en Ukraine ont été évaluées entre septembre et octobre 2022 dans 22 oblasts. On a ainsi déterminé que les dommages et les pertes infligés aux ménages ruraux, aux éleveurs de bétail, aux pêcheurs et aux aquaculteurs s’élèvent à près de 2,3 milliards de dollars. En moyenne, 25 pour cent de la population rurale a interrompu ou réduit sa production agricole. Cela dit, le long de la ligne de front, ce sont plus de 38 pour cent des personnes interrogées qui déclarent avoir cessé leur activité agricole. Durant les huit premiers mois de la guerre en 2022, le secteur de l’aquaculture et de la pêche en Ukraine a subi des dommages à hauteur de 4,97 millions de dollars, tandis que le montant des pertes (modifications des flux financiers) s’est élevé à 16,6 millions de dollars, soit 63 pour cent de la production annuelle totale du secteur aquacole ukrainien (34 millions de dollars).
Cette partie du rapport vient compléter les trois précédentes en proposant une analyse de la viabilité des investissements dans deux types d’approches: premièrement, l’amélioration des bonnes pratiques préventives de réduction des risques de catastrophe dans les systèmes agroalimentaires et, deuxièmement, l’action anticipatoire visant à accroître la résilience des moyens d’existence face aux catastrophes. Les mesures destinées à limiter les conséquences potentielles des catastrophes et les risques qui les sous-tendent sont donc analysées sous l’angle des avantages qu’elles procurent par rapport au coût de leur mise en œuvre. Plusieurs exemples d’analyse des avantages associés aux pratiques de réduction des risques de catastrophe et à l’action anticipatoire sont présentés, et peuvent servir de modèles pour l’évaluation comparative d’investissements pouvant être réalisés à différentes échelles.
Les agriculteurs, en particulier les petits exploitants qui n’irriguent pas leurs parcelles, sont les parties prenantes les plus vulnérables des systèmes agroalimentaires et sont donc généralement les principales victimes des catastrophes. Les agriculteurs, les responsables de l’élaboration des politiques et les acteurs du développement et de l’aide humanitaire disposent de multiples solutions pour réduire la vulnérabilité des petites exploitations. L’une d’entre elles réside dans l’application, à l’échelle des exploitations, de bonnes pratiques et de technologies préventives de réduction des risques de catastrophe. Ces solutions techniques sont adaptables et mises à l’épreuve dans le cadre de scénarios avec ou sans aléas, et on sait donc avec certitude qu’elles permettent d’éviter ou de réduire les pertes de production agricole causées par des aléas naturels ou biologiques.
En Ouganda, par exemple, pour lutter contre les conséquences des périodes sèches de plus en plus fréquentes, on s’est tourné vers la culture de variétés de bananes à haut rendement et résistantes à la sécheresse en association avec des pratiques de conservation des sols et des eaux, telles que le paillage, le creusement de tranchées et l’amendement organique par compostage. L’étude a permis de démontrer que, dans les exploitations touchées par des périodes sèches, cette combinaison de bonnes pratiques avait apporté des gains nets cumulés par acre (environ 0,4 hectare) sur 11 ans qui étaient environ 10 fois plus élevés que ceux des pratiques locales existantes. Le rapport avantages-coûts des bonnes pratiques était de 2,15, contre seulement 1,16 pour les pratiques locales existantes.
Sur l’Altiplano de l’État plurinational de Bolivie, pour réduire la mortalité des lamas due au gel, à la neige, aux fortes pluies et aux tempêtes de grêle, de bonnes pratiques ont été mises à l’essai, parmi lesquelles la construction d’abris semi-couverts pour les animaux (corralónes) et le déploiement de pharmacies vétérinaires. Le rapport avantages-coûts de ces pratiques s’est avéré positif, avec des gains nets cumulés supérieurs de 17 pour cent à ceux des pratiques locales antérieures sur une période de 11 ans. De plus, l’analyse de simulation a montré que si ces bonnes pratiques étaient reproduites de façon systématique, la mortalité des lamas pourrait être divisée par 12 par rapport à celle enregistrée avec les anciennes pratiques.
Au Pakistan, de bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe ont été expérimentées pour les cultures de blé, de coton, de riz, de canne à sucre et de légumes et oléagineux, tels que le gombo et le tournesol. Ces essais ont eu lieu pendant les deux principales campagnes agricoles, à savoir la saison sèche (kharif) et la saison humide (rabi) dans des districts des provinces du Punjab et du Sindh, qui sont très vulnérables au changement climatique et comptent parmi les districts les plus vulnérables du bassin de l’Indus. Des analyses avantages-coûts ont été réalisées durant six campagnes agricoles. Les résultats montrent que chaque dollar investi dans cet ensemble de bonnes pratiques rapportera respectivement 6,78 dollars et 8,18 dollars, selon que l’on se place dans des conditions soumises à des aléas ou non.
Aux Philippines, la culture des variétés de riz «Green super rice» (GSR) a été mise à l’essai pendant trois saisons successives dans la région de Bicol (les saisons sèche et humide de 2015 et la saison sèche de 2016). Les essais ont mis en évidence des gains économiques certains et démontré que l’adoption de ces variétés tolérantes à plusieurs contraintes se traduisait par une hausse de la productivité agricole par rapport aux variétés locales, que ce soit en présence ou en l’absence d’aléas. Le rapport avantages-coûts de l’adoption des variétés de riz GSR était plus élevé que celui associé à la culture des variétés locales, aussi bien en saison sèche qu’en saison humide.
Il faut que les mesures proactives de réduction des risques, comme celles qui sont analysées ici, soient reproduites à grande échelle et généralisées pour que l’on puisse en exploiter tout le potentiel. Cela suppose d’agir pour remédier aux problèmes et aux obstacles qui empêchent les agriculteurs d’adopter ces mesures, notamment en mettant en place des politiques d’accompagnement. La combinaison de mesures de réduction des risques de catastrophe et de programmes de protection sociale pourrait également être une piste très intéressante.
Par action anticipatoire, on désigne le fait d’intervenir en amont des aléas prévus afin de prévenir les conséquences humanitaires graves ou de limiter celles-ci avant qu’elles ne prennent toute leur ampleur. L’action anticipatoire n’est possible qu’entre le déclenchement d’une alerte rapide et le moment où l’aléa annoncé survient. Un système de déclenchement est mis au point et des fonds spécifiques sont préalablement affectés, de façon à pouvoir être rapidement débloqués lorsque des seuils prédéfinis sont atteints. Ce système est élaboré sur la base de prévisions pertinentes (en ce qui concerne, par exemple, les précipitations, la température, l’humidité du sol, l’état de la végétation et d’autres critères dans le cas d’aléas climatiques), ainsi qu’à partir d’observations saisonnières et de renseignements sur la vulnérabilité.
L’action anticipatoire est une approche offrant un bon rapport coût-efficacité, qui a prouvé son utilité dans l’atténuation des effets des catastrophes, avec à la clé des avantages considérables en matière de résilience. En apportant un soutien en amont de la crise, les actions anticipatoires menées de manière efficace et opportune permettent de contenir l’insécurité alimentaire, de réduire les besoins humanitaires et d’alléger la pression sur des ressources humanitaires déjà très sollicitées. Ces actions, qui sont déclenchées par des systèmes spécifiques d’alerte rapide, sont des interventions de courte durée visant à protéger les gains obtenus en matière de résilience et de réduction des risques de catastrophe face aux effets immédiats d’une crise prévue. Pour les 10 interventions analysées dans la présente section, les rapports avantages-coûts de l’action anticipatoire sont majoritairement positifs, avec des ratios allant de 0,46 à 7,1.
Les actions anticipatoires visant à protéger les animaux d’élevage avant la survenue d’un aléa prévu se sont révélées particulièrement efficaces pour réduire la mortalité des animaux, préserver leur état physique et leur productivité et maintenir la capacité de reproduction des troupeaux. Des résultats positifs ont aussi été observés pour les actions anticipatoires axées sur les cultures. Ces interventions comprennent notamment, selon les contextes, l’utilisation de semences tolérantes à différentes contraintes, le démarrage précoce des récoltes, la protection phytosanitaire contre les ravageurs et les maladies dues à des aléas donnés, le recours à des semences de cultures à cycle court ou encore le déploiement de petits dispositifs d’irrigation.
Des éléments empiriques laissent penser que les actions anticipatoires peuvent aussi réduire les risques existants et protéger les moyens d’existence longtemps après que les effets de la catastrophe initiale se sont manifestés. Les formations dispensées dans le cadre des actions anticipatoires permettent de sensibiliser le public et de renforcer les compétences en matière de réduction des risques de catastrophe. Par ailleurs, des systèmes d’alerte rapide efficaces peuvent permettre d’agir à temps, et si l’on s’efforce d’intégrer davantage l’action anticipatoire dans les politiques, plans et cadres financiers axés sur la réduction des risques de catastrophe, ainsi que dans les cadres humanitaires et de développement, les pays seront à même de renforcer leur résilience tout en limitant les risques de catastrophe auxquels ils sont exposés.
La recrudescence de criquets pèlerins qui a frappé la Corne de l’Afrique en 2020 et 2021 a été parmi les pires crises de ce type jamais observées dans la région, faisant peser une menace inédite sur la sécurité alimentaire et les moyens d’existence, avec le risque de provoquer des souffrances, des déplacements et des conflits à grande échelle. Sur la base de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre de l’opération de lutte contre le ravageur pendant cette période, une nouvelle méthodologie évolutive a été mise au point pour calculer le retour sur investissement de l’intervention de la FAO fondée sur l’analyse des risques. Les rapports de terrain ont fourni des détails sur la nature de l’opération de lutte (aérienne et terrestre) et sur le ratio de larves par rapport aux essaims. Le Service d’information de la FAO sur le criquet pèlerin a émis une alerte rapide, en temps utile et de manière précise, et formulé des prévisions tout au long de la recrudescence, ce qui a permis de déployer les stratégies tenant compte des risques. Résultat: les 2,3 millions d’hectares de zones touchées ont pu être traités dans la Corne de l’Afrique et au Yémen. La valeur commerciale des pertes de céréales et de lait ainsi évitées a été estimée à 1,77 milliard de dollars. Les opérations de lutte antiacridienne menées à grande échelle et tenant compte des risques présentent un retour sur investissement de 1 pour 15. Autrement dit, on estime que chaque dollar investi dans ces mesures a permis d’éviter 15 dollars de pertes dans la Corne de l’Afrique. Les efforts collectifs de la FAO et de ses partenaires ont permis d’éviter la perte de 4,5 millions de tonnes de récoltes, de sauver 900 millions de litres de lait et de garantir l’accès de près de 42 millions de personnes à des aliments.
Il faut savoir que la recrudescence de criquets pèlerins n’est pas la seule catastrophe qui s’est abattue sur la Corne de l’Afrique en 2020-2021. Les agriculteurs de la région étaient déjà durement éprouvés par d’autres catastrophes telles que les inondations, les sécheresses et les tempêtes, ainsi que par les restrictions liées à la covid-19, qui ont réduit l’accès aux intrants agricoles et entraîné une diminution des superficies ensemencées. Sans les mesures préventives mises en place pour contrer la recrudescence du criquet pèlerin, nous aurions pu assister à un recul encore plus important de la production de maïs et de sorgho en 2020 et en 2021. Il a fallu là encore adopter une approche multi-aléas de la réduction des risques de catastrophe, afin d’avoir l’assurance que les interventions menées sur le terrain seraient adaptées à la nature interconnectée des risques de catastrophe et de leurs effets en cascade.
Le principal enseignement tiré de cette expérience est que, dans le cas de la recrudescence du criquet pèlerin, les mesures tenant compte des risques ont considérablement atténué les effets négatifs de la crise sur les systèmes agroalimentaires et les moyens d’existence qui en dépendent. Elles ont permis de réduire les dégâts subis par les cultures et les pâturages, de diminuer les pulvérisations de pesticides qui nuisent à la santé humaine et à l’environnement, et de limiter les coûts financiers.
La nécessité d’améliorer les données et les informations dont on dispose sur les conséquences des catastrophes dans l’agriculture constitue le premier grand thème que l’on retrouve dans toutes les sections du présent rapport. Il apparaît primordial de s’attacher, dans un premier temps, à investir dans le perfectionnement des méthodes et outils de collecte, de communication et de suivi des données pour faire en sorte que les pays soient mieux à même de comprendre et de réduire les risques de catastrophe qui pèsent sur le secteur agricole et, plus largement, sur les systèmes agroalimentaires. Le présent rapport a permis d’enrichir notre base de connaissances en fournissant – ce qui n’avait encore jamais été fait jusqu’ici – une estimation mondiale de l’impact des catastrophes sur les cultures et la production animale.
Il est essentiel de mettre en place des approches propres à chaque secteur pour évaluer le degré de vulnérabilité, prendre la mesure des répercussions subies et diminuer les risques. Même dans les sous-secteurs qui bénéficient d’un meilleur accès à l’information, il convient de mettre au point des outils normalisés pour mesurer l’impact des catastrophes et pouvoir ainsi évaluer les pertes et les dommages, renforcer les capacités à différents échelons, faciliter le fonctionnement des mécanismes de coordination en matière de prévention et d’intervention, et élargir à l’échelle nationale ou mondiale la portée des estimations des pertes. Les sous-secteurs des forêts et de la pêche pâtissent plus particulièrement de l’absence de données exhaustives sur la production, les actifs, les activités et les moyens d’existence, et sont régulièrement négligés dans les évaluations des impacts et des besoins après une catastrophe. Les technologies émergentes et les avancées dans le domaine des applications de la télédétection offrent de nouvelles possibilités pour améliorer l’information sur les conséquences des catastrophes dans l’agriculture. Sur le plan des politiques, les mesures visant à promouvoir et à renforcer la communication d’informations sur l’indicateur C2 du Cadre de Sendai relatif aux pertes économiques directes dans l’agriculture, qui correspond à l’indicateur 1.5.2 des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, permettront aussi de constituer une base de données rigoureuse et exhaustive sur les pertes agricoles dues aux catastrophes.
La deuxième grande conclusion du présent rapport nous renvoie à la nécessité de définir des approches multisectorielles et multi-aléas en matière de réduction des risques de catastrophe et de les intégrer aux processus d’élaboration des politiques et de prise de décisions. Les conséquences des catastrophes sont aggravées par une multiplicité de facteurs et une imbrication de crises qui engendrent des effets en cascade s’ajoutant les uns aux autres et qui exposent davantage les populations, les écosystèmes et les économies et les placent dans une situation de plus grande vulnérabilité. Comme nous l’avons évoqué dans le présent rapport, le changement climatique, la pandémie de covid-19, la peste porcine africaine et les conflits armés sont autant de facteurs qui amplifient les risques de catastrophe et leurs impacts dans les systèmes agroalimentaires. S’agissant du changement climatique, le recours aux méthodes relevant de la science de l’attribution nous apporte de nouveaux éléments d’information qui nous permettent de comprendre dans quelle mesure le dérèglement du climat alourdit les pertes dans le secteur agricole.
Pour qu’elles donnent des résultats, les stratégies de réduction des risques de catastrophe et des risques climatiques doivent aborder les différents facteurs de risque et les différentes voies d’impact responsables des pertes dans les systèmes agroalimentaires selon une perspective globale et systémique. Ce constat vaut particulièrement pour les pays qui comptent un grand nombre de personnes ou de communautés vulnérables au sein de leur population, qui disposent de capacités ou de ressources limitées pour se préparer ou faire face à des catastrophes ou qui sont confrontés à des fluctuations de la production agricole susceptibles de menacer rapidement la sécurité alimentaire. Il est impératif de mieux appréhender les avantages que procurent les mesures de réduction des risques de catastrophe dans le secteur agricole et dans les systèmes agroalimentaires. Il apparaît également primordial d’établir un corpus solide d’éléments probants sur les interventions et les mesures susceptibles d’être transposées et diffusées à plus grande échelle.
Enfin, le rapport met en évidence, et c’est là sa troisième grande conclusion, la nécessité de réaliser des investissements en faveur de la résilience qui procurent des avantages en matière de réduction des risques de catastrophe dans les systèmes agroalimentaires et qui améliorent la production et les moyens d’existence agricoles. Les bonnes pratiques de réduction des risques de catastrophe qui sont adaptées au contexte et à la situation géographique et qui sont appliquées au niveau des exploitations constituent des solutions peu coûteuses qui permettent de renforcer la résilience des moyens d’existence et des systèmes agroalimentaires face aux aléas naturels et biologiques. Les études de cas présentées dans cette partie montrent que le recours à de bonnes pratiques permet effectivement d’amoindrir les risques de catastrophe, mais également d’obtenir d’autres avantages non négligeables. Il y a donc lieu d’agir sans tarder pour encourager l’adoption des innovations disponibles, promouvoir le développement de solutions de gestion des risques qui soient plus adaptables et progresser dans les domaines de l’alerte rapide et de l’action anticipatoire.
Bien qu’ils ne soient pas encore exhaustifs, les éléments concrets dont on dispose pointent vers un ensemble de mesures qu’il est possible de prendre pour améliorer les évaluations de l’impact des catastrophes et renforcer les politiques de réduction des risques de catastrophe. Les stratégies nationales, sectorielles et locales de réduction des risques de catastrophe sont essentielles pour parvenir à des systèmes agroalimentaires inclusifs et résilients, et les organismes des Nations Unies peuvent grandement contribuer à intégrer la réduction des risques de catastrophe dans les politiques, les programmes et les mécanismes de financement mis en œuvre à l’échelle nationale et sectorielle. Cela étant, il nous faut enrichir notre base de connaissances tirées d’études, de sorte que l’on dispose des éléments factuels nécessaires pour éclairer l’élaboration des politiques et la prise de décisions en vue d’accroître la résilience dans l’agriculture et, de manière plus générale, dans les systèmes agroalimentaires. Il s’agit d’une première étape fondamentale pour parvenir à intégrer une approche multi-aléas de la réduction des risques de catastrophe dans les politiques agricoles et les services de vulgarisation agricole ainsi que dans les stratégies nationales et locales de réduction des risques de catastrophe.