Partie 2 Impact des catastrophes sur l’agriculture

Dans nos sociétés modernes mondialisées, les phénomènes extrêmes ont des effets en cascade multidimensionnels et interconnectés. Située à l’intersection des systèmes humains, sociaux et environnementaux, l’agriculture est particulièrement exposée aux effets des perturbations ou crises majeures. Pour diminuer les incidences négatives de ces bouleversements et rendre ce secteur plus résilient grâce à l’élaboration et à la mise en œuvre de stratégies de réduction des risques et de renforcement de la résilience, il faut dans un premier temps déterminer et mesurer les perturbations que les catastrophes entraînent dans les activités agricoles.

Cette deuxième partie s’intéresse plus avant aux impacts des catastrophes sur l’agriculture. Ses deux premières sections décrivent à grands traits les trajectoires d’impact possibles des phénomènes extrêmes sur l’agriculture et mettent en lumière l’état actuel de la production et de la collecte de données aux fins de l’inventaire de ces incidences. Celles-ci peuvent être causées par différents aléas et se traduire par des effets préjudiciables sur le plan matériel, économique et social. Ces sections s’intéressent en outre aux impacts sociaux des catastrophes dans le secteur agricole sous deux angles, celui des agricultrices et celui des déplacements et des migrations.

La troisième section présente les résultats d’une évaluation mondiale des pertes agricoles passées, lesquels révèlent une charge variable de ces pertes selon les années, les régions et les types de phénomènes qui ont touché les deux sous-secteurs des cultures et de l’élevage au cours des trois dernières décennies. Les pertes sont présentées à la fois en unités de produits agricoles perdues (tonnes) et en valeur économique totale. Les pertes de production sont ensuite converties en nutriments et en énergie pour mettre en lumière le préjudice potentiel causé en matière d’alimentation saine. Les encadrés apportent un éclairage du terrain sur les pertes pour l’élevage après la sécheresse de 2016-2017 en Somalie et les impacts des infestations de chenilles légionnaires d’automne sur les cultures.

La quatrième section propose un gros plan sur les effets des catastrophes dans les deux autres sous-secteurs agricoles, à savoir la pêche et l’aquaculture et les forêts. Des informations détaillées sur les aléas ou impacts par sous-secteur sont présentées au moyen de deux évaluations portant sur les effets des incendies de forêt et des infestations d’insectes pour le secteur forestier et sur les diverses conséquences pour la pêche et l’aquaculture de différentes catastrophes dans trois pays. Cette section souligne la complexité de la tâche consistant à calculer les pertes liées aux catastrophes dans le sous-secteur de la pêche et de l’aquaculture et celui des forêts, et fournit des indications sur les améliorations à apporter aux systèmes de collecte de données et d’évaluation des impacts.

2.1 Impacts multidimensionnels des catastrophes sur l’agriculture

Les activités et moyens d’existence agricoles, et les systèmes de production agroalimentaire qu’ils sous-tendent, sont fortement tributaires des conditions environnementales, des ressources naturelles et des écosystèmes. Les conditions climatiques et les phénomènes météorologiques ont des incidences directes sur la durabilité des activités dans les sous-secteurs des cultures, de l’élevage, de la pêche et des forêts7. Dans le monde entier, l’agriculture est exposée à des risques croissants de perturbation liée à de multiples aléas et menaces, tels que les inondations, les pénuries d’eau, les sécheresses, la baisse des rendements agricoles, le déclin des ressources halieutiques, l’appauvrissement de la biodiversité et la dégradation de l’environnement. Les aléas géophysiques, comme les tremblements de terre, les éruptions volcaniques et les mouvements de masse, endommagent les infrastructures et perturbent fortement les services et les réseaux dont dépend l’agriculture (transport et accès aux marchés, notamment).

Les variations dans l’approvisionnement en eau et les températures extrêmes sont deux des principaux facteurs qui influent directement et indirectement sur la production agricole. Les inondations et les fortes précipitations peuvent avoir des impacts positifs comme négatifs sur les systèmes et la productivité agricoles. Les fortes pluies et les inondations de champs peuvent ainsi retarder les semis de printemps, accroître le compactage du sol et entraîner des pertes de récoltes du fait d’un manque d’oxygène et de maladies des racines. Mais une inondation peut également avoir un effet favorable sur les cultures de la saison suivante. En outre, les pluies torrentielles liées à la mousson et aux cyclones peuvent être très bénéfiques aux écosystèmes, en aidant à rétablir les niveaux d’eau dans les réservoirs, à soutenir l’agriculture saisonnière et à atténuer la sécheresse estivale dans les zones arides. Cela étant, la variabilité des pluies est l’une des causes principales de la plupart des pertes de récoltes. Au Pakistan, les niveaux de précipitations exceptionnels durant la mousson en 2022 et l’inondation qui a suivi ont provoqué des dommages qui se sont chiffrés à près de 4 milliards de dollars pour le secteur agricole8.

L’Administration nationale des océans et de l’atmosphère (NOAA) des États-Unis d’Amérique estime à plus de 21,4 milliards de dollars les pertes de récoltes et de terrains de parcours causées par des phénomènes météorologiques et climatiques de grande ampleur dans le pays pour la seule année 20229. Sur ce total, les sécheresses et les incendies de forêt ont été à l’origine de plus de 20,4 milliards de dollars de pertes de récoltes, le 1,08 milliard de dollars restant étant dû aux ouragans, à la grêle, aux inondations et à d’autres phénomènes météorologiques graves. Les sécheresses peuvent entraîner des pénuries d’eau et de mauvaises récoltes et, à terme, provoquer une famine dans les contextes de vulnérabilité. Au Honduras, les effets conjugués de la sécheresse et des tempêtes de 2020 ont réduit de moitié la production agricole et augmenté l’insécurité alimentaire, obligeant de nombreuses personnes à se déplacer à l’intérieur du pays ou à partir à l’étranger10,11,12.

La sécheresse agricole est le résultat d’un déficit pluviométrique (sécheresse météorologique), d’un déficit hydrique du sol et d’une diminution du niveau des nappes phréatiques ou des réservoirs d’eau servant à l’irrigation (sécheresse hydrologique). Durant la période de végétation, en particulier, la sécheresse peut résulter d’un manque de précipitations qui entrave la production végétale ou les fonctions des écosystèmes. Le déficit d’humidité du sol et la dégradation de ce dernier ont des répercussions sur d’autres systèmes productifs que ceux de l’agriculture, notamment sur d’autres écosystèmes naturels ou gérés, tels que les forêts et les parcours. On note par exemple une forte corrélation entre les sécheresses, les températures élevées et l’incidence des infestations de dendroctones du pin dans les forêts de pin blanc américain en Europe septentrionale13.

Les épisodes de températures extrêmes ont aussi des conséquences négatives sur la production agricole. Dans le sous-secteur de l’élevage, le stress thermique peut influer sur la mortalité, le gain de poids vif, le rendement laitier et la fertilité des animaux14. Les températures supérieures à la zone thermoneutre d’un animal peuvent nuire au bien-être de celui-ci, et donc augmenter sa vulnérabilité à certaines maladies. Certaines races et espèces de grands bovidés peuvent subir un stress thermique à partir de températures supérieures à 20 °C, ce qui a des répercussions sur les résultats économiques des systèmes production de lait et de viande bovine15. De nombreuses cultures sont particulièrement vulnérables aux chaleurs extrêmes, lesquelles peuvent réduire les rendements de céréales telles que le maïs et augmenter le stress subi par les animaux d’élevage. Les rendements de riz peuvent diminuer dans une proportion allant jusqu’à 90 pour cent lorsque les températures nocturnes passent de 27 °C à 32 °C16, tandis que les températures supérieures à 30 °C sont considérées comme étant préjudiciables à la production de maïs17. Des températures élevées lors du développement des grains de blé peuvent modifier la teneur en protéines; durant le remplissage des grains, il s’agit de l’un des principaux facteurs influant à la fois sur les rendements et sur la qualité de la farine18.

Les phénomènes extrêmes qui interviennent à l’issue de la période de croissance d’une plante peuvent également avoir une incidence sur la production. Plus de 10 millions d’hectares ont ainsi été détruits dans le sud-est de l’Australie lors de la saison des incendies 2019-2020, dont un quart environ de terres agricoles19. De plus, la multiplication des journées chaudes est susceptible d’augmenter le stress thermique des ouvriers agricoles, des animaux et des plantes. Dans certaines régions d’Europe occidentale, malgré une large utilisation de technologies dans la production agricole à grande échelle et la transformation des aliments, la grave sécheresse de 2022 a entraîné une diminution des rendements qui a pu atteindre 45 pour cent pour certaines cultures (30 pour cent pour le blé et le riz)20.

Des éléments probants indiquent que les tendances actuelles en matière de réchauffement de la planète ont déjà un impact sur l’agriculture. L’augmentation des températures océaniques accroît l’incidence des vagues de chaleur marines, menace les écosystèmes marins et a des effets néfastes sur la pêche et l’aquaculture. Dans certaines zones, les rendements des cultures ont déjà commencé à baisser sous l’effet du réchauffement (par rapport à ceux qui auraient pu être attendus sans ce dernier). Une étude récente a montré que les pertes de production végétale dues aux vagues de chaleur et aux sécheresses ont été multipliées par trois environ, passant de 2,2 pour cent entre 1964 et 1990 à 7,3 pour cent entre 1991 et 201521. Sur cette même période, les sécheresses et les vagues de chaleur en Europe ont respectivement fait diminuer les rendements céréaliers moyens de 9 pour cent et de 7,3 pour cent, et ceux des autres cultures de 3,8 pour cent et 3,1 pour cent. Les vagues de froid ont fait baisser les rendements des céréales et des autres cultures de 1,3 pour cent et de 2,6 pour cent, respectivement.

Ces tendances qui s’accentuent sont une source de préoccupation. L’agriculture joue un rôle crucial en assurant la disponibilité de denrées entrant dans une alimentation saine, et est un moteur important au regard de la création d’emplois, de la sécurité alimentaire et de la réduction de la pauvreté. Plus de la moitié des 4,75 milliards d’habitants de l’Asie vit en zone rurale et dépend des activités agricoles27. De même, les moyens d’existence de près de la moitié de la population africaine sont liés à l’agriculture, qui représente 35 pour cent du PIB de la région28. La vulnérabilité potentielle de ce secteur face aux catastrophes est alarmante, notamment au regard de l’augmentation de la population mondiale et de la demande d’aliments.

Outre leurs impacts directs sur la production et les stocks agricoles, les catastrophes ont des répercussions sur les moyens d’existence, la sécurité alimentaire et la nutrition. Elles entraînent une augmentation du chômage rural, une baisse des revenus des exploitants et des travailleurs agricoles et une diminution des disponibilités alimentaires sur les marchés locaux. Leurs effets secondaires sur l’approvisionnement alimentaire et la nutrition – flambée des prix des produits alimentaires, diminution des ressources disponibles pour acheter de la nourriture du fait de la perte de moyens d’existence ou de la destruction d’actifs, interruption de l’accès aux produits alimentaires après un déplacement ou en raison de la désorganisation des marchés et des infrastructures, perturbation des programmes d’aide sociale, et manque d’eau salubre et d’installations d’assainissement – peuvent également limiter l’accès à la nourriture des communautés qui sont directement touchées. De telles crises peuvent diminuer le pouvoir d’achat des ménages, augmenter l’endettement, accroître la pauvreté et aggraver les inégalités femmes-hommes. Dans certaines situations extrêmes, elles peuvent entraîner le déplacement et l’émigration des populations rurales (voir l’ ENCADRÉ 2). À terme, on observe une diminution quantitative et qualitative de la consommation alimentaire et un accroissement de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition, en particulier dans les ménages les plus vulnérables. Les estimations à l’échelle mondiale indiquent qu’entre 691 et 783 millions de personnes étaient en situation de faim chronique en 2022 – environ 735 millions si l’on prend le milieu de la fourchette29.

ENCADRÉ 1 Phénomènes récents qui ont pesé sur l’agriculture

  • En 2019, le cyclone tropical Idai a touché les terres du Malawi, du Mozambique et du Zimbabwe. Considéré comme le plus meurtrier des cyclones ayant frappé l’Afrique australe, il a entraîné le déplacement de 95 388 personnes, en a tué 598 autres et a détruit 715 000 hectares de cultures au Mozambique, aggravant de ce fait l’insécurité alimentaire dans le pays22.
  • Plus de 800 000 hectares ont été détruits par des incendies de forêt dans l’Union européenne durant l’été 2022. On estime que ces incendies ont causé plus de 2 milliards d’euros de dommages; l’Espagne, le Portugal et la Roumanie ont été les pays les plus touchés23.
  • L’épidémie de peste porcine africaine qui s’est déclarée en 2018 en Chine a gravement nui au secteur porcin du pays. Elle a entraîné des pertes estimées à 111,2 milliards de dollars, soit 0,78 pour cent du PIB de la Chine24.
  • En 2022, les États-Unis d’Amérique ont connu 18 catastrophes météorologiques et climatiques, qui ont toutes occasionné plus d’un milliard de dollars de dommages. D’après la NOAA, 2022 s’est classée devant 2021, en troisième position des années marquées par les catastrophes les plus coûteuses de l’histoire: 470 décès et des pertes économiques totales estimées à 165 milliards de dollars, dont près de 22 milliards pour les seules pertes de récoltes9.
  • En 2022, après des pluies de mousson plus fortes que la moyenne, le Pakistan a subi l’une des inondations les plus meurtrières au monde. Plus de 33 millions de personnes ont été touchées, et les pertes économiques se sont chiffrées à 30 milliards de dollars. L’agriculture a été l’un des secteurs économiques les plus durement frappés: les pertes de récoltes de coton, de dattes, de canne à sucre et de riz ont été considérables, et 1,2 million environ d’animaux d’élevage ont trouvé la mort. On estime que 7,6 millions de personnes supplémentaires se sont retrouvées en situation d’insécurité alimentaire dans le pays après cette catastrophe25.
  • Le sud de la Türkiye a connu des tremblements de terre dévastateurs en février 2023. La région concernée, connue comme le croissant fertile de la Türkiye, représente près de 15 pour cent du PIB agricole et contribue pour presque 20 pour cent aux exportations agroalimentaires du pays. Les séismes ont durement frappé 11 provinces agricoles importantes, touchant 15,73 millions de personnes et portant atteinte à plus de 20 pour cent de la production alimentaire du pays. Les évaluations initiales de la FAO révèlent d’importantes répercussions sur l’agriculture, notamment des dommages chiffrés à 1,3 milliard de dollars et des pertes établies à 5,1 milliards de dollars selon les estimations préliminaires26.
Source: Auteurs du présent document.

ENCADRÉ 2 Déplacements entraînés par les catastrophes et effets sur l’agriculture et la sécurité alimentaire

Il reste difficile d’évaluer les impacts des déplacements provoqués par des catastrophes sur le secteur agricole. Cependant, dans le monde entier, des éléments probants confirment que les déplacements de populations figurent parmi les conséquences les plus visibles des catastrophes, et ont des incidences à la fois à court et long terme sur la sécurité alimentaire et sur la durabilité des systèmes alimentaires.

Les phénomènes soudains entraînent des déplacements massifs chaque année, mais les phénomènes à évolution lente rendent aussi des zones entières impropres à l’agriculture, forçant ainsi les communautés à partir. Lorsque ces deux types de catastrophes s’associent, les répercussions peuvent être dévastatrices, et entraîner des déplacements de plus longue durée. Les dernières données communiquées par l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) indiquent que les catastrophes ont poussé 376 millions de personnes à se déplacer à l’intérieur de leur propre pays entre 2008 et 2022, et qu’il restait 8,7 millions de personnes déplacées fin 2022.

Non seulement les communautés rurales déplacées sont contraintes d’abandonner leurs terres et leurs moyens d’existence, mais leur départ implique aussi une diminution de la production alimentaire, qui a elle-même une incidence sur la durabilité des systèmes alimentaires. De la Colombie à la Somalie, en passant par l’Éthiopie, les inondations et les sécheresses ont contraint de nombreuses communautés rurales à se déplacer, parfois pour une durée indéfinie, vers les zones urbaines. Dans certains cas, les répercussions des catastrophes sont venues s’ajouter à celles des conflits et des violences; les communautés déplacées qui vivent de la production et du commerce de denrées agricoles ne sont plus en mesure d’exercer leurs activités, et les restrictions de déplacement et autres conséquences des conflits accroissent encore leur insécurité alimentaire.

La province du Sindh dans le sud du Pakistan illustre bien comment des phénomènes à évolution lente peuvent se combiner à des phénomènes brutaux et provoquer des déplacements de populations qui perturbent les systèmes alimentaires et aggravent l’insécurité alimentaire. La province, qui joue un rôle essentiel dans la production agricole du pays, a subi une grave sécheresse en 2021 et au début de l’année 2022. Les pouvoirs publics ont émis des alertes au moment où les pénuries d’eau ont commencé à mettre gravement en péril certaines productions végétales, comme le coton et le blé, ébranlant les moyens d’existence de millions d’agriculteurs30,31. En août 2022, les pluies torrentielles de la mousson ont laissé 18 pour cent de la province sous l’eau, entraînant des déplacements massifs de populations et dévastant les cultures32. Les pertes du secteur agricole au niveau national se sont chiffrées à 9,2 milliards de dollars, et 72 pour cent d’entre elles ont été enregistrées dans le Sindh33.

Les nombreux articles alertant sur le risque de crise alimentaire après les inondations se sont révélés être des prédictions exactes34,35. Au plus fort de la mousson, en juillet et en août, près de 6 millions de personnes ont fait face à une situation d’insécurité alimentaire correspondant à la phase 3 ou à une phase supérieure du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). Plus de la moitié d’entre elles habitaient dans le Sindh, province qui, avec celle du Baloutchistan, a enregistré le plus de déplacements de populations du fait des inondations36. Un record de précipitations a été battu en 2022 durant la saison de la mousson au Pakistan; le phénomène a contraint 8,2 millions de personnes à fuir, ce qui représente le plus important déplacement de populations après une catastrophe au cours des dix dernières années à l’échelle mondiale37.

De même, le Honduras a été le théâtre d’importants déplacements et de pertes agricoles considérables après deux catastrophes successives. En novembre 2020, en deux semaines, les ouragans Eta et Iota ont entraîné le déplacement de 918 000 personnes à l’intérieur du pays. De nombreux agriculteurs ont été touchés, et des répercussions à grande échelle sur le secteur agricole ont été constatées dans 16 départements. Les cultures de café et de bananes, qui représentent une part importante des exportations et du PIB du pays, ont subi des dommages38.

Le Honduras est situé dans le couloir sec d’Amérique centrale. Ces dernières années, les sécheresses ont également réduit les récoltes et sapé la résilience des agriculteurs. Les effets conjugués de la sécheresse et des tempêtes de 2020 ont diminué de moitié la production agricole et augmenté l’insécurité alimentaire, obligeant de nombreuses personnes à se déplacer à l’intérieur du pays ou à partir à l’étranger10,39,40.

Ces exemples montrent qu’il ne faut pas sous-estimer les impacts des déplacements de populations causés par les catastrophes sur l’agriculture. Il faut au contraire réunir davantage de données pour évaluer pleinement la portée et l’ampleur de ce phénomène, tout en déterminant comment le secteur de l’alimentation et de l’agriculture peut contribuer au développement de solutions durables face à ces déplacements37.

Source: Auteurs du présent document.

C’est au niveau local et dans les ménages situés dans les zones touchées par les catastrophes que ces impacts se font le plus durement sentir, et les femmes en sont souvent les premières victimes. Bien qu’un plus grand nombre d’hommes que de femmes soit employé dans l’agriculture à l’échelle mondiale, ce secteur économique est le plus important au regard de l’emploi des femmes dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où il emploie en général davantage de femmes que d’hommes41. Sur le plan économique, les catastrophes ont des incidences différentes sur les hommes et les femmes dans le secteur agricole; l’écart est particulièrement marqué dans les pays en développement, où les agricultrices sont souvent plus vulnérables face à ces phénomènes que les agriculteurs42. Les principaux facteurs à l’origine de ces disparités fondées sur le genre tiennent au manque de ressources et aux contraintes structurelles. Les femmes ont des difficultés à accéder aux informations et aux ressources nécessaires pour bien se préparer aux catastrophes, y faire face et s’en relever, notamment à accéder aux systèmes d’alerte rapide et aux abris, ainsi qu’aux mécanismes de protection sociale et financière et à d’autres possibilités d’emploi (voir l’ ENCADRÉ 3).

ENCADRÉ 3 Inégalités de genre et vulnérabilité: impact des catastrophes sur l’emploi des femmes dans le secteur agricole au Pakistan

Les inégalités de genre augmentent les risques liés aux catastrophes auxquels sont exposées les femmes dans tous les segments de la société, et affaiblissent la résilience des communautés dans leur ensemble. Au Pakistan, on observe un impact économique différent des catastrophes sur les femmes et les hommes dans le secteur agricole.

L’agriculture est le secteur économique le plus important du pays. Il représente 24 pour cent du PIB44 et emploie 37 pour cent de la main-d’œuvre totale (FIGURE 3)45. Plus de 70 pour cent des personnes travaillant dans l’agriculture dans le pays sont des femmes. Leur contribution est restée stable depuis les années 1990 du fait de facteurs sociaux, économiques et culturels qui continuent d’entraver l’emploi des femmes dans les secteurs non agricoles. Les hommes, en revanche, se sont davantage orientés vers les secteurs de la fabrication et des services, ce qui a creusé les disparités liées au genre dans l’économie.

FIGURE 3 SITUATION DES HOMMES ET DES FEMMES DANS L’EMPLOI AGRICOLE AU PAKISTAN

Source: OIT (Organisation internationale du Travail). 2023. Base de données des estimations modélisées de l’OIT. Dans: ILOSTAT. [Consulté en mai 2023]. https://ilostat.ilo.org/data
Source: OIT (Organisation internationale du Travail). 2023. Base de données des estimations modélisées de l’OIT. Dans: ILOSTAT. [Consulté en mai 2023]. https://ilostat.ilo.org/data

L’analyse des données concernant le Pakistan montre que les inondations ont eu une incidence sur l’emploi agricole et que, globalement, le secteur a vu le nombre d’emplois rémunérés diminuer après les catastrophes. Les travailleurs ont adopté diverses stratégies d’adaptation face à cette évolution, femmes et hommes ne disposant pas des mêmes possibilités d’emploi (FIGURE 3). Tandis que les hommes ont eu tendance à mettre sur pied leur propre entreprise ou exploitation agricole, les femmes qui ont perdu leur emploi ont plutôt été amenées à travailler sans rémunération au sein de leur ménage. Cette évolution a été clairement observée après les inondations de 2007, de 2011, de 2018 et de 2019.

Après une grave inondation, on voit le nombre de travailleurs salariés de sexe masculin diminuer dans l’agriculture, les hommes se tournant vers des formes d’activités agricoles indépendantes. Pour les femmes, en revanche, la diminution du nombre d’emplois salariés se traduit par une augmentation des activités agricoles non rémunérées pratiquées dans le cadre familial. Ces observations semblent indiquer que, à long terme, les dégâts occasionnés par les inondations ont des répercussions négatives plus importantes pour les femmes que pour les hommes s’agissant des conditions d’emploi et de la sécurité salariale46. Globalement, elles font apparaître que les inondations qui frappent le Pakistan ont sur l’emploi agricole un impact différent entre les hommes et les femmes, ces dernières étant touchées de manière disproportionnée compte tenu de la réduction de leurs débouchés économiques et d’une plus forte dépendance vis-à-vis des activités pratiquées dans le cadre de la famille.

Source: Auteurs du présent document.

Outre des impacts sociaux et économiques, les catastrophes ont des conséquences préjudiciables dans l’ensemble des chaînes de valeur agroalimentaires, et perturbent notamment le flux d’intrants agricoles (semences et engrais, par exemple) et les activités en aval telles que la transformation et la distribution des produits alimentaires. Elles désorganisent l’approvisionnement alimentaire, l’accès aux marchés et les échanges, et peuvent aussi déboucher sur une baisse des exportations et des recettes. Ces problèmes ont une incidence négative sur la balance des paiements et sur la croissance à long terme dans le secteur agricole, ainsi que sur le PIB national43.

Dans le contexte du changement climatique, les conséquences des phénomènes extrêmes sur l’agriculture nuisent à la durabilité de cette dernière dans les pays à faible revenu comme dans ceux à revenu élevé. Dans le sud de l’Australie, par exemple, le changement climatique pourrait entraîner de nouvelles affectations des terres, étant donné que la production végétale et animale dans les zones marginales arides pourrait ne plus être viable avec la diminution des précipitations, même si les rendements plus élevés liés à l’augmentation du CO2 pourraient partiellement compenser cet effet. Mais les impacts des catastrophes toujours plus fréquentes seront encore plus marqués dans les pays à faible revenu qui comptent la majeure partie des personnes vulnérables, lesquelles, du fait de leurs capacités de réaction limitées et de leur accès insuffisant aux ressources, seront peu à même de réduire les risques et de s’adapter à l’évolution du climat et des conditions environnementales.

Les petits pays insulaires en développement, et en particulier les atolls, vont devenir de plus en plus vulnérables au changement climatique, et voient déjà leur productivité agricole diminuer à cause de l’érosion, des inondations et des intrusions d’eau salée47. On s’attend également à ce que certains pays d’Afrique subsaharienne qui présentent déjà des niveaux de fragilité et d’insécurité alimentaire élevés deviennent encore plus vulnérables face aux phénomènes climatiques extrêmes48. Les projections indiquent que la Namibie, par exemple, devrait enregistrer des pertes annuelles comprises entre 1 et 6 pour cent de son PIB du fait des impacts des phénomènes climatiques sur ses ressources naturelles et des pertes économiques considérables qu’ils entraîneront dans les sous-secteurs de l’élevage, de la petite agriculture et de la pêche. Le Cameroun, qui est fortement tributaire de l’agriculture pluviale, devrait subir des pertes économiques importantes en raison d’une diminution de 14 pour cent des précipitations49.

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